« À PROPOS DU CAS DORA : 

DES IMPASSES DE FREUD A UNE LECTURE STRUCTURALE DE LACAN ».

Marie Westphale

 

Pour poursuivre la série d’interventions qui suit le fil du séminaire « vers une écologie du lien social » et la question de la temporalité et du temps logique, Michel Jeanvoine m’avait amené l’été dernier l’idée de relire le récit précis et méticuleux de Freud sur le cas Dora et de cerner ce que Lacan a ajouté à la lecture de Freud et en quoi c’est nouveau. Je vous propose donc de repérer quelles ont été les butées de Freud avec Dora? Comment lire le transfert chez Dora? Comment à partir des impasses repérées de Freud, Lacan s’y est pris avec ses outils topologiques pour essayer de donner un statut structural à ce qu’il a pointé comme étant des renversements dialectiques en 1951. On s’attardera sur la manière dont il confronte le schéma L, exposé en 1955 dans le « Mythe individuel du névrosé », à la clinique du cas Dora et enfin si nous pouvons en tirer des conséquences sur la façon de mener une cure avec une patiente hystérique et sur la mise en place de notre lien dans le social.

Marie WESTPHALE

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 COLLEGE DE PSYCHIATRIE 22/11/23

Bonsoir à tous, ce soir je vais vous parler de la névrose dans un texte que j’ai intitulé : 

« A PROPOS DU CAS DORA : DES IMPASSES DE FREUD A UNE LECTURE STRUCTURALE DE LACAN ».

Pour poursuivre la série d’interventions qui suit le fil du séminaire « Vers une écologie du lien social ? » et la question de la temporalité et du temps logique, Michel Jeanvoine m’avait amené l’été dernier l’idée de relire le récit précis et méticuleux de Freud sur le cas Dora et de cerner ce que Lacan a ajouté à la lecture de Freud et en quoi c’est nouveau. Ce que je vous lis ce soir est le fruit de mes lectures, réflexions mais aussi du travail avec quelques autres analystes. 

Je vous propose donc de repérer quelles ont été les butées de Freud avec Dora? Comment lire le transfert chez Dora? Comment à partir des impasses repérées de Freud, Lacan s’y est pris avec ses outils topologiques pour essayer de donner un statut structural à ce qu’il a pointé comme étant des renversements dialectiques en 1951. On s’attardera sur la manière dont il confronte le schéma L, esquissé en 53 dans « le mythe individuel du névrosé » puis exposé en 1955 dans « Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse » », à la clinique du cas Dora et enfin si nous pouvons en tirer des conséquences sur la façon de mener une cure avec une patiente hystérique et sur la mise en place de notre lien dans le social.

PARTIE 1

Freud a achevé d’écrire le cas de Dora le 24 janvier 1901 et a publié son texte en novembre 1905.

Il le nommera « Rêve et hystérie » puis analyse d’un fragment d’hystérie à travers les tentatives d’éclaircissements autour de 2 rêves.

Vous connaissez tous le début de l’histoire : le 14 octobre 1900, Freud annonce à Fliess qu’il a en traitement « un nouveau cas, celui d’une jeune fille de 18 ans », adressée par son père, ami de Freud pour des symptômes nerveux. Freud la nommera Dora, mais elle s’appelait Ida Bauer. Elle décide de mettre fin au traitement après 11 semaines de cure, le 31 décembre 1900.

Freud exprime d’abord ces difficultés qui sont d’ordre épistémologiques, difficultés tjs actuelles. Il se justifie dans son choix de présenter ce cas et ce dans un souci d’exhaustivité.

Il construit son cas en 3 étapes : l’état de maladie, le premier rêve, le second rêve et il conclut par une post-face.

Ce qui précisement attirera notre attention dans la partie 2 c’est la fin de l’analyse mis en acte par la patiente elle-même en réaction à une erreur ? d’interprétation de Freud. Lacan désignera le transfert « comme obstacle contre lequel est venu se briser l’analyse » et developpera une série de renversement dialectiques.

Mais d’abord, je vous remets en mémoire de façon brève le contexte et de l’histoire de Dora, pour que tout le monde puisse bien situer le cas.

Dora, nait à Vienne le 1er novembre 1882, dans une famille de la bourgeoisie juive. Elle présente dès son enfance des troubles nerveux, notamment des difficultés respiratoires. À l’époque où son père décide de la faire soigner par Freud ou plutôt « ‘pour lui faire entendre raison », elle présente les symptômes d’une petite hystérie: dyspnée, toux nerveuse, aphonie, dépression, humeur asociale, trouble de la marche après une appendicectomie. Elle avait écrit une lettre où elle parle de suicide et s’est débrouillée pour que ses parents la lisent. Elle est donc conduite par son père chez Freud, qui l’avait traité efficacement pour une syphillis tertiaire quelques années avant.

Le père de Dora est homme d’affaire et d’un talent peu commun, auquel sa fille porte une tendresse particulière. La mère de Dora, beaucoup plus effacée, est surtout préoccupée par les tâches ménagères. En outre, deux personnages sont à considérer, amis de la famille et du père : Mme K, pour qui Dora a longtemps une sorte d’adoration, et M. K, le mari de Mme K. Les protagonistes se connaissent tous, l’histoire se passe dans un huit clôt qui inspirera d’ailleurs une pièce de théâtre « le portrait de Dora » dont Lacan fait allusion dans le séminaire du sinthome.

 Il se noue un système où les 4 personnages principaux agissent dans un jeu subtil où Dora est l’objet d’un échange implicite entre son père et Me K qui se voient amoureusement pendant qu’elle est courtisée par Mr K., ce scénario n’échappe d’ailleurs pas à Dora.

Freud a nommé comme le premier épisode symptomatique de l’hystérie de Dora à l’âge de 13 ans, le ressenti de dégout au lieu de plaisir quand Mr K essaie de l’enfermer et de l’embrasser dans son magasin.

Mais la crise se déclenche au moment où Dora à 17 ans et refuse de passer les quelques semaines, comme il avait été prévu, dans la maison des K au bord d’un lac de montagne. Lorsqu’elle donne des explications, au bout de plusieurs jours, c’est pour dire que M. K avait osé, pendant une promenade après une excursion sur le lac, lui faire une déclaration : « ma femme n’est rien pour moi » et elle passe à l’acte, elle le gifle ». Elle enjoint alors à son père de rompre avec M. et Mme K. Or le père de Dora se dit attaché à Mme K par une sincère amitié. En fait, il entretient avec elle une relation amoureuse, et plutôt que d’y renoncer, il préfère accuser sa fille d’avoir imaginé la scène rapportée et l’accuser d’idées bizarres et perverties par ses lectures de textes érotiques. Dora se sent trahi et écrit la lettre d’adieu.

Pour Freud, la déclaration suivie de l’affront suffisent à produire un traumatisme qui est la cause déclenchante de la forme actuelle de l’hystérie de Dora.

Freud fait le récit détaillé des 2 rêves de Dora :

Les 2 rêves

Le rêve de l’incendie, c’est-à-dire un rêve où ça brûle et où le père se retrouve devant le lit de Dora en disant qu’il faut partir, et la mère veut absolument sauver sa boîte à bijoux. Et le père dit à la mère : « Mais il faut qu’on parte, il faut sauver les enfants, et toi tu penses à ta boîte à bijoux… » Donc, Freud fait une analyse très complète de ce rêve donnant beaucoup d’éléments intéressants. Charles Melman avait remarqué que « boîte à bijoux » c’est très proche en allemand de boîte à ordures. Et donc la question que soulève ce rêve, c’est la question de la féminité que Dora cherche du côté de Mme K. Parce que ce n’est pas auprès de sa mère qu’elle pouvait se tourner. Cette mère est décrite comme une personne peu cultivée et très marquée par la syphilis de son mari, donc qui passe tout son temps à nettoyer son intérieur, elle a la psychose des ménagères, dit Freud. Et donc ce premier rêve, qui a lieu au milieu de la cure, est suivi d’un rêve à la fin de la cure, où Dora rentre chez elle après avoir fui la maison familiale, mais la mère lui avait dit que le père était malade et que finalement il était mort, et que la famille est à l’enterrement, au cimetière. Donc elle se retrouve à l’intérieur de la maison quand toute la famille se réunit au cimetière pour l’enterrement du père. Le second rêve pointe que le substitut au père mort est le dictionnaire. Au-delà de la mort du père symbolique il produit un savoir.

 Je m’arrête là pour ce qui est du contexte et l’histoire de Dora.

PARTIE 2

Jacques Lacan reprend et commente le cas de Dora dans l’article « Intervention sur le transfert » (1951) et ce sur quoi je vous propose de nous attarder un peu. Dans le cas Dora, premier texte dit Lacan où Freud reconnaît que le psychanalyste « à sa part » dans le transfert , c’est le mouvement du texte plus encore que son contenu, qui retient l’attention de Lacan.

Là où Freud trébuche sur la découverte du transfert, sur sa dimension fondamentale, Lacan fait une série de développements qui sont scandés chacun par un renversement dialectique, Dans une relecture structurale, Lacan définit la relation transférentielle dans le cas de Dora, comme une suite de renversements dialectiques. 

Le transfert est à la limite de l’interprétation, c’est ce bord qu’il s’agit de désigner. Il se manifeste comme point de butée de l’acte interprétatif. 

Déjà dans cette intervention sur le transfert de 51, il y a cette position de Lacan : « le transfert est une relation essentiellement liée au temps et à son maniement » qu’il développera en 1960 dans sa position de l’inconscient au Congrès de Bonneval.

Alors comment  Lacan situe donc ces  trois temps suivis de leurs renversements dialectiques ?

Premier temps : Dora évoque la plainte qui l’accable et que l’on pourrait résumer de la façon suivante : « Mon père et Mme K. sont amants depuis longtemps et ils me demandent de garder les enfants pour se rencontrer en secret ». Ce qui s’entend ici est : « Je suis l’objet d’échange entre mon père et Mme K. ».

 L’intervention de Freud : « Regarde la part que tu prends dans le désordre dont tu te plains » entraîne le premier renversement dialectique.

Dès lors, au second temps émergent la participation de Dora et ses relations aux autres membres de la quadrille formée par son père, Mme K., M. K. et elle-même. En témoignent, les cadeaux du père de Dora à Mme K. – pour racheter l’absence de relations sexuelles à cause de son impuissance – ce qui libère les attentions de M. K. à l’égard de Dora, et les cadeaux du père de Dora à la mère, pour faire « amende honorable », comme le dit Lacan. Ici, on déduit le : « Je suis complice dans la relation qu’ils entretiennent ».

Le troisième temps fait saillir que ce n’est pas la relation du père à Mme K. qui intéresse la jeune fille, mais que sa jalousie masque son intérêt pour cette femme au corps d’une blancheur ravissante. La prétendue rivalité à l’égard de cette amie de la famille est une vérité menteuse. Dora se prête aux échanges de façon complaisante. C’est le motif de sa loyauté.

Le troisième renversement dialectique dévoile la valeur réelle de Mme K. pour Dora en tant qu’elle répond au mystère de la féminité. Dans l’analyse du deuxième rêve du cas, Freud met en relation les « deux heures et demie » qu’elle passe à chercher son chemin, avec les deux heures qu’elle a passé devant La Madone, au musée. Il n’est pas question d’un individu, mais d’un mystère, dit Lacan, « le mystère de sa propre féminité » . Nous arrivons donc à la troisième modalité du « Je suis » dans ce cas : « Je suis une jeune femme hystérique qui se pose une question inconsciente : qu’est-ce qu’une femme ? par le biais de l’Autre femme ».

Le trajet effectué dans cette cure aurait du aller de la négation de l’inconscient – « regardez ce qu’ils me font subir… » – à son affirmation : « je suis impliquée dans le malheur que je dénonce parce qu’il y a une question qui me taraude où ma propre jouissance est engagée ».

Au lieu de permettre un 3ème renversement dialectique qui aurait dû dévoiler à Dora ce que masquait cet amour pour Madame K., Freud échoue a saisir le ressort symbolique de la situation. Freud, écrit Lacan, en raison de son contre-transfert revient trop constamment sur l’amour que Monsieur K. inspirerait à Dora et il est singulier de voir comment il interprète toujours dans le sens de l’aveu les réponses pourtant très variées que lui oppose Dora.

C’est faute d’avoir aperçu ce point crucial que Freud se laisse identifier à la série des personnages masculins, et provoque finalement l’interruption de la cure après son affirmation à Dora « vous êtes amoureuse de Mr K. »

Les interprétations normatives de Freud concernant son désir pour monsieur K. ne peuvent donc trouver aucun écho chez Dora. Freud désigne à l’hystérique son désir à partir de ses propres convictions à lui. C’est, remarque Lacan, « pour s’être un peu trop mis à la place de Monsieur K. » que Freud n’a pas réussi à émouvoir sa patiente, par son désir d’être à la place de monsieur K. pour Dora et son désir de voir triompher l’amour de monsieur K. pour Dora.

Lacan propose alors de « remplir par un leurre le vide de ce point mort que constitue le transfert. Il parlera de situer à la « place du mort » du jeu de Bridge, c’est-à-dire la seule place où un joueur sera dispensé de jouer.

Pour revenir à Dora, encore faudrait-il que Dora puisse s’envisager comme objet de désir pour un homme, accepter d’occuper cette place d’objet de désir. Madame K. semble détenir ce secret, de là vient la fascination qu’elle exerce sur Dora (elle est la madone de la chapelle Sixtine devant laquelle Dora se fige). Ce sont les mots prononcés par monsieur K. « ma femme n’est rien pour moi » qui font basculer Dora vers la maladie, c’est sa place dans l’amour de son père qui bascule alors de façon catastrophique

Pour le dire autrement, Me K. joue le rôle de bouclier, Dora est objet cause du désir et si Me K n’est rien pour Mr K. Elle se retrouve confronter au fait de devenir une femme et elle ne peut pas pour l’instant, elle n’est pas mature elle se retrouve face à la question de l’objet de désir et c’est une insulte pour elle et elle le gifle. C’est un acte, une réponse automatique.

Je me permets cette remarque sur l « échec » supposé de la cure de Dora, est ce que dans le « c’est pas ça » de Dora adressé à Freud, c’est comme ça qu’on peut l’entendre qd elle interrompt la cure, elle pose un acte qui la positionne comme sujet qui peut advenir. 

De quelque chose qui finalement la repositionne dans une place dans sa vie de femme, est ce que le « vous êtes » la rephallicise? Dora, nous dit Freud se mariera et aura des enfants, elle sera « à peu près » une femme , dans un mouvement, pas dans une identité fixe et immobile.

Par l’affirmation de Freud, Dora est renvoyée à la question de son désir qu’elle n’arrive pas à formuler, à la question qu’est-ce qu’etre une femme qu’elle ne parvient pas à formuler ?

Ou alors on peut dire que Dora n’a pas le désir de savoir, elle ne veut rien en savoir du tout, elle ne veut rien perdre de sa jouissance.

Charles Melman dit que « l’hystérie se présente comme une bande biface (ce n’est pas une bande biface) : la belle indifférence, c’est-à-dire où le désir et la réalité ne sont pas en continuité ». L’hystérique doit d’abord se sentir concerner par ce qui lui arrive et effectuer un quart de tour. Et ce n’est pas le cas de Dora : ça ne fait pas question dans sa façon de fonctionner. Elle ne l’a pas fait ce quart de tour avec Freud mais il y était pour qq chose car il ne lui a pas permi à un moment donné de se sentir elle-même concernée. Ça nécessite que l’analysante ouvre une question en ce qui concerne sa façon de fonctionner et que l’analyste abandonne ses présupposés théoriques et accepte de suivre l’ouverture qu’amène l’analysante. Qu’est ce qui fait sa question à elle ? Mais ce n’est ps ce qu’à fait Freud car il voulait vérifier que ses théories sur la sexualité fonctionnaient avec Dora. A ce moment-là Freud n’est plus en position de sujet supposé savoir mais se positionne en « sachant », de professeur.

Freud affirme « vous êtes amoureuse de Mr K. » d’une façon anticipée, précipitée, avec certitude, comme une vérité absolue.

Dora ose un acte en interrompant la cure, et si je puis dire « ça lui pendait au nez » elle clôt l’affaire.

Dora est un personnage féminin paradoxal qui a la fois se laisse faire et détiens la force d’assumer la séparation. Elle ne rentre pas dans un débat avec Freud, sur sa responsabilité. Elle claque la porte du cabinet de Freud et pose un acte et c’est peut-être là, c’est une hypothèse, qu’elle trouve une assise. Est-ce que ça débouche sur une nouvelle identification ? 

Charles Melman  dit « comme une bande biface » : l’hystérique ne regarde les choses que sur un temps court, sur un temps donné et si on prend la bande sur un temps donné on ne fait pas le tour de la bande, on ne la voit que dans une section et il y a un endroit et un envers.

Qd la question de la répétition apparait, là il y a qq chose qui peut avancer, j’y suis pour qq chose dans ce qui m’arrive.

Ces renversements dialectiques c’est Freud qui en prend l’initiatives par qq chose qui est de l’ordre de l’éducation, il y a une dimension éducative, psychothérapeutique. Il ne s’appuie pas sur le propos de Dora qui pourrait l’engager, c’est un renversement paranoiagène, qu’on peut retrouver dans toute interprétation qui porte sur le sens.

Lacan parle de paranoïa pour Dora, Melman aussi, mais ce sont des réactions paranoïaques. « c’est de la faute de l’autre ». C’est Freud entretient cette position paranoïaque. C’est ce qu’on retrouve dans le maniement du transfert dans la psychose, l’analyste vient avec son savoir et c’est son savoir, comme Fleshig avec Schreber, va déclencher l’accès paranoïaque de son patient. Freud y est pour qq chose dans l’accès paranoïaque de Dora. C’est une réaction paranoïaque car elle n’a pas l’espace pour y faire venir son point d’énonciation.

C’est-à-dire que le renversement dialectique qui caractériserait le transfert et qui pourrait conduire à une entrée dans un travail en fait ce n’est pas un véritable renversement dialectique, c’est un faux renversement dialectique, c’est un faux pli, il y met de ses plis, Freud dans l’affaire. Et c’est plié.

Ca ne peut se faire, être possible que si l’analyste est en position de rhéteur et pas de sachant. C’est une position éthique.

La définition du rhéteur est « une personne, un orateur dont l’éloquence apprêtée, déclamatoire et artificielle s’attache à mettre en valeur l’aspect formel du discours sans souci du contenu ».

Ce renversement dialectique n’opère pas mais surtout il est mis en scène par Freud, c’est une construction freudienne le renversement dialectique mais qui ne se fait pas. S’il se faisait c’est l’énonciation de Dora qui se déplace qui fait ce parcours, or elle ne fait pas ce parcours. Mais on évoque le renversement dialectique à propos de l’interprétation freudienne, c’est-à-dire que c’est comme si c’était une mise en scène. Il rate les renversements dialectiques. 

Et c’est là qu’on passe de l’instant de voir au temps pour comprendre c’est le fait de faire ce quart de tour avec cette particularité que l’hystérique va mettre l’analyste en position de sujet supposé savoir mais ne pas oublier que c’est « supposé ».

L’association libre c’est le savoir supposé au sujet analysant, pas à l’analyste.

Il faudrait que Dora consente à faire le trajet de ce qui est chez elle déjà inscrit mais elle ne peut le faire qu’avec l’appui de l’autre et que si Freud avait fait le mort et l’avait laisser cheminer et pour pouvoir attraper ce qui venait s’ouvrir.

Consentir est une perte de jouissance, s’il n’y pas de consentement il n’y a pas de perte.

ET ça pose bien la question aussi du lien entre l’analyste et l’analysant, d’un lien social bien singulier, qui est lui-même tout entier ordonné par la « question de la jouissance ». Lacan dit que l’analysant consomme de la jouissance phallique et que l’analyste se fait consommer. « s’hystoriser avec un y, jouir de son fantasme c’est la même chose»

Les impasses de Freud sont donc les nôtres, on s’aperçoit que ça ne sert à rien de vouloir faire une interprétation explicative car il faut que l’analysant fasse ce chemin du quart de tour, tour du tore, ex.. tout les outils topologiques. C’est là où les outils topologiques de Lacan sont précieux, on ne peut pas dessiner le tore à la place de l’analysant, il faut qu’il fasse le chemin et il n’y a pas moyen de faire autrement et ça prend du temps.

L’interprétation doit reprendre la motérialité de ce qui se dit, c’est à ce prix-là que l’analysant peut faire le parcours moebien, sinon si on est dans le sens, dans la compréhension on est dans les renversements qui sont mis en scène.

Lâcher d’essayer de comprendre mais essayer d’écouter comment elles mettent en jeu la motérialité du signifiant et font leur parcours. 

Le maniement de la motérialité, c’est ce que Lacan développera avec Joyce chez qui les jeux de langue sont directement liés à la jouissance. (« qd l’esp d’un laps, soit l’espace d’un lapsus »).

Le discours hystérique se présente comme étant le manque lui-même donc le S barré, la barre elle-même, c’est le refoulement en lui-même. Mais c’est un passage obligé puisque c’est par cette voie qu’on va mettre en place les autres discours et notamment le discours du psychanalyste.

PARTIE 3

En quoi cette lecture structurale de Lacan qui n’est pas la lecture freudienne est véritablement nouvelle ?

Dans les années 50, on s’aperçoit comment avec cette hypothèse de Lacan d’une lecture structurale, il va vérifier chez Freud, dans les impasses de Freud, le symptôme de Freud comment les choses ont opérés pour lui et vérifier les effets d’une lecture structurale et mieux repérer comment et à quel endroit Freud s’est cassé le nez et y a injecter qq chose de son symptôme à lui pour transformer les analyses en psychothérapies.

Le mythe individuel du névrosé est une conférence prononcée par Lacan en 1953., où il propose une esquisse d’une première topologie du shéma L. Les prémices du shéma L st déjà dedans.

La formule canonique de l’analyse des mythes de Lévi-Strauss coïncide avec la situation clinique du cas de l’Homme aux rats de Freud, en même temps qu’elle peut expliquer la structure des mythes collectifs. Dans les deux cas, cette hypothèse montrerait que, dans toute situation clinique, ce sont les coordonnées symboliques qui définissent la particularité du cas, seule voie d’accès du traitement psychanalytique.

Les mythes viennent se construire dans les jeux d’opposition, un terme s’oppose à un autre. Un terme n’a pas en lui-même des qualités positives, c’est que ce terme-là vient s’opposer à un autre, ce n’est pas la qualité des termes. C’est ça qui organise la dynamique d’un parcours, d’un mythe, d’un fantasme, d’une névrose. C‘est une lecture structurale car il y a là la dimension du signifiant. Pourquoi ce jeu des signifiants, c’est en ça que c’est une lecture structurale et comment ça s’organise dans la névrose ou dans la psychose.
Comment monter qu’il y a des jeux d’opposition qui sont cruciaux dans la construction du symptôme ? Et dans ses déplacements et dans le travail de la cure avec les effets de transfert, donc ce sont ces renversement dialectiques. Comment en rendre compte ? Dans son séminaire du 26 Avril 1955, Lacan expose pour la première fois son schéma dit « L ». Comment lire le cas Dora avec le schéma L ?

Le schéma L vaut comme une dialectique des oppositions, c’est le premier outil topologique que Lacan nous propose pour mettre en jeu ces jeux d’opposition. C’est dans le mythe individuel du névrosé que Lacan commence à mettre en place les 4 termes, c’est le schéma L. Ces renversements dialectiques on les voit jouer, mis en place pour Lacan dans la dynamique du schéma L, entre S et A et entre a et a’.  Dora jouit de ce qui se passe entre son père et Me K., la mère, elle fait un quart terme dans l’affaire. Il se sert du schéma L pour démontrer la dynamique de ce qui s’est passé avec Freud, avec Dora, Me K. etc. Le moteur de l’affaire c’est le principe même de l’opposition, c’est-à-dire ce qu’après il va appeler l’objet a. Car il y a bien un trou autour duquel tout ça tourne, et comment on s’en défend c’est en créant un bord, c’est-à-dire un symptôme. 

Dora, dans son symptôme, est partagée entre son identification à sa mère et l’identification qu’elle pourrait se permettre ou pas à Me K.

Ce travail de tissage a été repris par Charles Melman qui ne cesse de faire des va et vient entre Freud et Lacan, j’ai lu le texte de Charles Melman et Marc Darmon de 2016 « reprise topologique des 5 psychanalyses » qui est très éclairant. J’en dis quelques mots.

On peut dire avec Lacan que Dora se trouve dans une situation où comme hystérique elle aime par procuration. C’est-à-dire ça se passe toujours à trois. Et elle est dans un système où ces liens à trois se tissent : elle est aimée par le père au-delà de Mme K., elle est aimée par M. K. au-delà de sa femme, et on peut dire que le couple père/Dora fait intervenir un tiers élément, Mme K., et même un couple Mme K./M. K. C’est-à-dire qu’on a à la fois le couple M. K./Mme K. qui se combine avec le couple père/Dora pour disposer d’une structure d’échange où se réalise un couple réel entre le père et Mme K., au prix d’un couple formé par Dora et Mr K. Lacan avait disposé ces différents personnages de cette partie à quatre… Alors on ne parle pas du frère Otto ou de la mère comme faisant partie du système. Le frère Otto a un rôle tout à fait secondaire dans le cas Dora puisqu’il n’intervient que petit par son énurésie et par le fait de se faire tirer le lobe de l’oreille quand Dora suçotait son pouce. Donc Lacan dispose les différents personnages aux quatre coins du schéma L : le père au niveau du grand Autre. Donc sur un axe symbolique on a le père et Mme K. qui incarne la question féminine. Et puis on a sur l’axe imaginaire, en bas, Dora la fille, et en face M. K.

C’est-à-dire que la relation entre M. K. et Dora est métaphorique, une métaphore d’un couple. La scène du lac est suivie neuf mois après par la crise d’appendicite que Freud interprète comme un accouchement métaphorique après la rencontre ratée du lac. Et Freud, on voit bien dans cette observation, soutient la solution M. K. C’est-à-dire qu’il fait de M. K. l’objet réel du désir de Dora. Mais vers la fin de l’observation, il nous dit que l’objet réel de Dora c’était en fait Mme K., c’est-à-dire que c’était un désir homosexuel qui était le véritable ressort de cette organisation. Alors qu’est-ce qu’on peut dire à partir de la topologie que nous avons étudiée chez Lacan ? Lacan n’en est pas resté au schéma L qui nous permet quand même de voir comment disposer les différents personnages. On peut dire que l’inconscient dans l’hystérie se manifeste à travers le corps. C’est-à-dire qu’il y a une… on a dit « complaisance » mais c’est plutôt une « prévenance corporelle », un point en particulier du corps qui permet aux significations inconscientes de s’accrocher. C’est ainsi que Freud interprète la toux de Dora par un fantasme de fellation entre Mme K. et le père, mais aussi comme une identification au père tuberculeux par ce qu’il nommera un einziger Zug. Il y a à mon sens une façon de saisir le système mis en place par les différents personnages qui trouvent tous leur compte finalement dans cette danse à quatre, c’est le nœud à quatre, le nœud de l’hystérie.
Je ne développerai pas ce soir comment Lacan s’est servi dans l’hystérie de cet outil topologique qu’est le nœud borroméen. 

Alors, j’ai bien essayé de faire un lien sur comment Lacan fait un pont entre la névrose hystérique et l’invention du discours hystérique au même titre que les 3 autres et en les faisant tourner, mais ce n’est pas simple. Donc j’ai pris les choses par l’autre bout, dans le social il faut bien faire une place à la question du symptôme. Freud fait une place à la question du symptôme car il s’aperçoit que le symptôme c’est le refoulement en lui-même, pas seulement le refoulé mais c’est la mise en jeu du refoulement, enfin l’échec du refoulement. La manière de penser ne va pas sans refoulement, sans refoulement on ne peut pas penser c’est automatique. Qd il y a de l’énonciation il y a forcément une forclusion de l’énonciation dans l’énoncé. L’énoncé ne peut rien en savoir du point d’où il est originé. Il y a bien donc de l’impossible en jeu. Donc il y a là dans le lien social une place qui ne peut être faite qu’au symptôme, qui est la présentification même de la barre. Donc dans une écriture, il met au commandement quoi dans le discours hystérique, ce qui spécifie le symptôme hystérique c’est de venir se présenter comme étant le manque lui-même donc le S barré, la barre elle-même. C’est le refoulement en lui-même qui est au commandement. C’est comme ça qu’on peut comprendre le discours de l’hystérique mais que c’est un passage obligé, car c’est par la voie du refoulement qu’on va mettre en place les autres discours, plus spécialement le discours analytique qui va venir clore l’affaire et les mettre chacun à leur place : le discours du maitre, de l’hystérique et universitaire, avec le savoir. Le discours hystérique participe du lien social au même titre que les 3 autres. Ce qui donne avec les 4 discours, le 4e le discours analytique qui met en place les 3 autres, la possibilité de faire une place dans le social au discours analytique. En démocratie, les quatre discours tiennent. Lacan reconnait une place dans le jeu du lien social au discours analytique, au même titre que le discours hystérique, du maitre, universitaire. Donc la question c’est en tant qu’analyste de quelle manière pouvons-nous faire jouer dans le lien social ce type de discours ?

Lacan déclare à France Culture en 1973 : « C’est pourquoi il est préférable que l’analyste qui, heureusement, n’y a pas toute la part d’action, sache ce qu’il fait. Savoir ce qu’il fait ça veut dire savoir dans quel discours il est pris car c’est cela qui conditionne l’ordre du faire qu’il est capable. J’ai prononcé le mot discours, c’est une notion très élaborée, et élaborée à partir de cette expérience ; il faut quand même bien admettre que vingt ans où je me suis laissé enseigner par l’expérience et où je me suis efforcé d’extraire quelque chose, vingt ans, ça permet d’élaborer, ce qui ne veut absolument pas dire que de cela je tire une conception du monde. Ce que je définis c’est ce qui peut se dire à partir de cette expérience, de cette expérience nouvellement introduite dans le champ des discours humains, c’est-à-dire de ce qui constitue un mode de lien social »

 En effet, dans les années 70, Lacan s’écarte donc d’une conception sociologique qui apparente tout lien social à des phénomènes de groupes. Tout discours peut être compris comme un appareillage déterminant des formes du lien social, c’est-à-dire à prendre comme lien social fondé sur le langage, qui constitue la structure subjective. Le langage est la condition de l’inconscient. Le discours, cet habitat langagier « fait tenir les corps ensemble et doit permettre au sujet de trouver à s’y loger tout en parvenant à régler son propre rapport à la jouissance. Chaque discours est un dispositif permettant de distribuer et d’ordonner la jouissance et est aussi un mode de jouissance s’articulant à partir d’un Réel et de la jouissance que ce Réel comporte. 

La dimension de la parole est présente dans chaque lien social selon des modalités différents (parole de commandement, d’amour, enseignante, éducative)

Le discours de l’hystérique « le faire désirer » est ajouté par Lacan comme l’un des quatre discours avec celui de l’universitaire, celui du maître et celui de l’analyste, en référence aux 3 impossibles freudiens : « éduquer, gouverner, psychanalyser »

Dès 1959, la présentation de Lacan en mathème l’a aidé à concevoir l’hystérie, non plus en terme de pathologie mais en terme de lien social. L’opération de Lacan « sa méthode » n’envisageait rien de moins que d’user d’un mathème pour transformer l’appréhension d’une névrose en raisonnement d’un lien social. 

Le symptôme ou division subjective ordonne le discours de l’hystérique. C’est avec les 3 autres qu’il fait structure. Les 4 discours forment un mathème particulier qui ne se saisissent que les uns par rapport aux autres. Il décrit 4 manières de faire avec la jouissance, pour le sujet produit par l’articulation du langage.

Dans la leçon 3 du 17 Décembre 1969 de l’Envers de la psychanalyse, Lacan réinterroge la structure hystérique en proposant une nouvelle lecture de Dora. La reprise des rêves de Dora y est centrale et éclaire sur les relations de la jouissance féminine au phallus (rêve de la boite à bijoux) et du phallus au savoir (rêve du cimetiere).

Dans la leçon 7 du 18 Février 1970, Lacan va poser la question du rapport entre le père et le maitre. Dans les cas d’hystéries relatés par Freud, le père est toujours décrit comme impuissant, vieux et malade. A partir de cette observation, Lacan déclare que le père des hystériques est « un père châtré », « un ancien géniteur » Et c’est en tant que castré qu’il entre dans le discours du maitre.

Lacan analyse les deux rêves de Dora. Le second pointe que le substitut au père mort est le dictionnaire. Au-delà de la mort du père symbolique il produit un savoir.

Et c’est à partir de ce point que Lacan va interroger la place du mythe d’Œdipe (tuer le père pour jouir de la mère) dans le travail de Freud et dans la cure. Il va au-delà du mythe du père tel que Freud l’a fondé. Il réinterroge le mythe de l’Œdipe de « Totem et Tabou, Moise et le monothéisme » et avance un point nouveau : le père réel est comme une construction langagière (pour la science, le seul père réel est le spermatozoïde). La détermination biologique n’a rien à voir avec la fonction du père « Nom du Père ».

Dans la leçon 8 du 11 Mars 1970, Lacan souligne l’impasse de Freud.

Est-ce qu’on peut se passer de l’Œdipe ?

Pour avoir affaire à la castration, il est inutile d’imaginariser un Père castrateur et encore moins d’avoir envie de le tuer. C’est ce que nous montre l’hystérique.

Pour résumer, dans l’Envers de la psychanalyse, Lacan dit que l’entrée dans la cure se fait par artifice au « discours de l’hystérique », passage obligé pour entamer quelque chose qui sera une psychanalyse, pour dans un 2 eme temps faire place au discours analytique, où l’objet a est mis en place d’autorité (« ou semblant »). L’ouverture de l’inconscient est rendue possible par rapport à la situation où le discours du maitre prévaut.

Autrement dit, dans le discours hystérique, le savoir vient à la place du produit. Or à cette place, le discours du maitre installe sa jouissance « le savoir y vient en place de jouissance », ce que Lacan a appelé le plus de jouir. L’hystérique doit en passer par cette manœuvre « d’hystérisation » de rencontrer qq chose de son plus de jouir même de façon fugace pour supposer à son analyste un savoir sur sa jouissance.

Il ajoutera qq années après qu’« à chaque passage d’un discours à l’autre il y a émergence du discours analytique » .Chaque changement de discours provoque un nouveau type d’amour et donc de transfert.

Pour conclure, un travail à venir serait de reprendre toutes les entrées de Lacan à propos du cas Dora tout au long de ses séminaires. Les questions du désir, de l’identifications d’une femme, de sa féminité vont devenir indissociables de la clinique de l’hystérie qui le guidera à différentes reprises du cas Dora au fil de son travail.

Marie Westphale

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Journée de travail « Happy Jumpers » du 4.5 Novembre 2023.

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Lacan – Déclaration à France-Culture en 1973