JOURNÉE DU COLLÈGE DE PSYCHIATRIE

JANVIER 2024

À partir de la lettre ouverte de D.P. Schreber,

la question du transfert dans la psychose.

 

De la lettre à l’écrivain, 

ainsi parle D.P. Schreber.

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Von der Brief zu den Schreiber

Also spricht D.P. Schreber.

Renée KALFON


« Mémoires d’un psychopathe, avec suppléments et pièces jointes. »


« Dans quelles conditions peut-on enfermer contre sa volonté exprimée, un malade mental dans un établissement de santé? »


Daniel Paul Schreber, Docteur en droit, Président du Sénat au tribunal royal de l’Oberland, de Dresde.

(Édité à Leipzig en 1903)

Je vous propose une lecture de « die offene Brief »soit la lettre ouverte de Daniel Paul Schreber au professeur Théodor Flechsig son médecin.


Cette lettre introduit son livre qu’il commence d’écrire sur des cahiers en 1900 alors qu’il écrivait jusque là sur des papiers éparpillés avec une graphie déstructurée. 


(Nous avons pu regarder des photos de ces billets et par ailleurs une  graphie très ordonnée de ses poèmes ou compliments lors d’évènements familiaux)


Aurait-il par là  fait une tentative de s’unifier?


En tous cas de trouver une solution à une énigme, à son délire, ce que Freud nous propose comme une tentative de guérison. 


Ainsi « en outre, une idée nouvelle m’est venue tout récemment, peu de temps seulement avant la publication de mon travail, qui peut-être pourrait mener à la solution de l’énigme » p.20


Le titre « Hauts faits mémorables d’un malade des nerfs » soit « Denkwürdigkeiten eines neverkranken » répond bien mieux à son projet que le titre français.


Cette lettre se veut être un témoignage, elle est une adresse aux autres, voire à l’humanité qui auront à s’en souvenir, et qui se veut avoir une portée universelle.


J’ai tiré un fil entre les allers retours de D.P. Schreber, entre le corps et l’âme, entre les patronymes de Schreber et Flechsig et les similitudes entre leurs deux généalogies.


« Il est de même indubitable pour moi que votre nom joue un rôle essentiel dans la genèse des évènements en cause dans la mesure où certains nerfs pris à votre système nerveux sont devenus des âmes examinées… et ont acquis un pouvoir surnaturel qui leur a permis d’exercer sur moi depuis des années l’influence dégradante qu’ils exercent toujours. » « Les voix qui me parlent invoquent votre nom, le répétant en toute occasion comme celui de l’instigateur de tous ces ravages ».


D.P. Schreber a 42 ans en 1884 (échec de sa nomination contre Geiser) lors de sa 1ère hospitalisation pour 6 mois pour hypocondrie, il est surmené par un investissement  professionnel important (les experts de l’époque l’attribuent à une hérédité chargée, et sont même amenés à suspecter une syphilis).


Son corps réel est présent dans tous ses écrits, il use d’un langage d’organes que l’on rencontre dans le registre du Réel dans la psychose, c’est à dire l’influence de la lettre dans le champ du Réel sur le corps.


Les nerfs, les morceaux de corps, c’est un langage spécifique, hors symbolique, touchant aux innervations du corps, un langage des nerfs à partir de la langue fondamentale (die Gründsprache).


Il y a selon lui « une relation surnaturelle consistant en une commande exercée par votre système nerveux sur mon système nerveux », écrit il à Flechsig, ou encore :

« Il a pu se produire, par ailleurs, qu’une partie de vos propres nerfs soit soustraite à votre corps, à votre insu probablement, par des voies qu’on ne peut qualifier que de surnaturelles » ou encore « une relation hypnotique a été entretenue avec moi ».


Il émanerait à cette lecture un corps à corps non agi mais très prégnant dans l’écriture de Schreber.


Il est destinataire de meurtre d’âmes, ou d’examens d’âmes ce qui correspond en fait à une purification des âmes par un ou des opérateurs externes; mais encore, d’hallucinations de transmigrations d’âmes : ces apparitions, disaient ces voix,  les qualifiaient sous le nom de « Flüchtig hingemachte  Männer » soit « des ombres d’hommes torchés à la 6-4-2 » ou encore des Menschenspielerei. Tel est l’effet de la transformation de l’humanité.


Il refuse l’idée de la mort et admet celle de l’immortalité.


Je me suis laissée à entendre et proposer une proximité acoustique du nom de Flechsig qui en allemand signifie tendineux, charnu, pulpeux, avec – die Fleich – qui signifie la chair que je relie librement avec la chaire  de haut rang qu’occupe D.P. Schreber au tribunal de Dresde.


Plus tard il se soumettra à l’éviration et se concevra comme étant devenue femme aimée de Dieu.


Le cheminement par devers les généalogies de Schreber et de Flechsig peuvent apporter une lecture supplémentaire aux éléments délirants de D.P. Schreber.


C’est à dire que le rôle des noms propres ainsi que les modes de nomination dans la généalogie de D.P. Schreber assigné à la contrainte I.E. méthodes éducatives du père et à l’influence de la lettre dans le champ du réel et la dépendance de ce mode de fonction de la lettre vont conduire D.P. Schreber à la forclusion du nom du père.


Commençons


Par la syllabe SCH commune aux deux patronymes.

Par la présence du signifiant dieu depuis le 18ème siècle, le père de Flechsig est abraham Fürchtergott, son prénom est Théodor (Théo est dieu en grec).

Daniel « Fürchtergott » (crainte de dieu)

Pour D.P. Schreber, Daniel Gottlob Moritz Schreber (Gotthilf, Gottfried, Gottlieb soit aidé de dieu, amour de dieu, heureux  par dieu).


Dans cette lettre apparait le transfert pour le professeur Flechsig même si celui ci est coloré de l’hainamoration.


Ainsi un meurtre d’âmes s’est produit sur les deux noms.


La proximité acoustique vient aussi entre le patronyme de Schreber (ouvrier) et son devenir Schreiber écrivain.


De cette lettre, établie à la fin de ses mémoires mais présentée dans l’édition française en tout début, retenons que Paul Daniel Schreber écrit un texte qui fusionne avec son délire.


Le livre se confond avec son délire, avec son évolution et sa valeur de  solution.