WEB’ SEM’ du Collège de Psychiatrie

 Pour une écologie du lien social ?

« DEUX ÉCRITURES DIFFÉRENTES »

ou mieux encore,

« UNE AUTRE ÉCRITURE? »

 

 Michel JEANVOINE

 

Juin 2024

Voilà le titre sous lequel je propose de déplier mon propos de ce soir. “Deux écritures différentes”ou mieux encore, “Une autre écriture? “.

Je l’extrais du séminaire de Jacques Lacan “Le sinthome”, leçon du 11 mai 1976, ce que je mentionnais déjà dans les quelques lignes de l’argument. Vous aurez pu, ainsi, en faire, ou refaire, la lecture.

Mais avant d’entrer dans l’écriture de ce noeud – puisque cette autre écriture, disons le d’emblée, concerne l’écriture du nœud, “il nous faut l’faire !”- avant d’entrer dans l’écriture de ce nœud revenons à ce qui s’est proposé cette année, et à ce qui a rythmé notre travail collectif, puisque nous voici arrivés à la fin d’une année de travail avec l’arrivée de ce que nous appelons les grandes vacances. Ponctuons le travail de cette année initié sous une question, “Pour une écologie du lien social ?” en le remettant en perspective.

Nous aurions pu partir et nous appuyer d’emblée sur les travaux de J.Lacan et les écritures des quatre discours. C’est l’objet du séminaire de cet été à Nice qui questionne le lien social avec ses écritures. Mais nous avons fait le choix d’une autre lecture en suivant le fil, chez Lacan, du statut de la lettre.  À partir de ses derniers enseignements où il  présente la lettre dans son statut de consistance imaginaire, nous avons réexaminé au plus près les premiers pas de la lecture qui fût la sienne en suivant Freud et en ouvrant la question de la structure. Il entre dans cette question de la structure en convoquant d’emblée la question du lien social. D’emblée pour lui, ce champ de l’Autre, le champ du signifiant, met en jeu et questionne le social. C’est,bien entendu, en cet endroit, la question vive de la folie et de la psychose qui semble l’animer et c’est avec Aimée qu’il ouvre le sillon freudien.

Avec cette question, qui pour nous est d’autant plus vive que l’actualité qui nous emporte peut être inquiétante : ce savoir sur ce trou qui fonde le sujet en  le proposant divisé par son objet, a, et ce savoir proposant de la même manière un lien social fondé sur un trou, ce savoir est-il en mesure, ou pas, d’ouvrir un lien social plus apaisé, voire plus civilisé?

C’est vraiment une question, une question qui reste ouverte.

En ces temps où notre monde s’organise d’une manière toujours plus décidée autour de ce que nous pouvons appeler la consommation de l’objet, l’être humain, le citoyen,  reçoit sa question des limites rencontrées par la pollution généralisée et engendrée, mettant ainsi en “question” son existence propre. Le social d’aujourd’hui, et ceci est une première dans l’histoire, est tenu de prendre en compte les effets de son développement, effets réputés jusqu’alors collatéraux et laissés à la charge de l’autre. Plus précisément, il a le sentiment, aujourd’hui, que de cette prise en compte dépend sa survie et celle-ci semble frapper de mélancolisation le meilleur de notre jeunesse. L’écologie – et je n’évoque pas là les errements d’une écologie politique pervertie, est -il nécessaire de le préciser- s’est toujours donné pour projet de prendre en compte cette question. Elle y apporte, avec leurs limites, ses éléments de réponse: nostalgie d’un ordre naturel fondateur, obsessionnalisation des conduites…etc. 

Cependant trouver de meilleures réponses à cette question n’est pas directement l’objet de ce séminaire, mais n’est pas sans y toucher.

Peut-être ne s’agit-il pas d’un hasard si Jacques Lacan, dans le même temps où l’écologie comme mouvement politique prenait véritablement son essor, nous proposait non seulement son écriture de ce reste, a, comme consubstantiel à la fondation du sujet, mais nous proposait une conception du lien social fondée sur le trou.

Notre question n’est donc pas seulement aujourd’hui une simple question de clinique analytique, mais une question d’actualité, et une question ouvertement politique.

Ces mêmes lois qui organisent notre subjectivité et le tissu social continuent à nous interroger et si la clinique analytique se propose d’examiner les réponses que chacun peut y apporter il nous faut nous interroger sur les réponses que le social y apporte. “ L’inconscient c’est le politique “ avait pu dire J. Lacan . Et le hasard fait que l’actualité politique nous sollicite, avec cette dissolution de l’Assemblée Nationale, à un exercice de topologie appliquée dans le social. Devant ce trou, cette béance délibérément ouverte qui angoisse le citoyen, quelle commune mesure s’anticipe et s’invente susceptible de faire bord et ainsi civiliser ce social en redonnant, par une remise en perspective, de la visibilité?

À quelles conditions et comment le jeu de ces extrêmes en tension, en pure opposition, participe de cette invention ?

Serions-nous dans la logique, dans la “topologique”, d’un temps pour comprendre, ou plutôt dans la promotion d’un simple “signifiant flottant”?

Ce nœud, “il nous faut l’faire!”. 

Nous laissons à chacun ses réponses mais ces questions, faut-il le préciser, sont les questions que pose notre séminaire.

Je vous signale, en passant, un livre tout à fait intéressant de Marcel Gauchet “La droite et la gauche, histoire et destin” qui nous donne assez bien à entendre comment le tissage de notre destin national relève d’une logique. Depuis tout spécialement la révolution française – date à laquelle s’est trouvé substitué un trou à la place de la tête d’un monarque- une opposition radicale entre deux termes, opposition qui ne va pas sans un troisième, structure la dynamique de ce social. Condition essentielle pour qu’un trait d’écriture anticipé, tissant ce social, en tombe. Serait-ce la fonction renouvelée de ce “signifiant flottant”?

En ce qui concerne plus précisément le déroulement de notre séminaire, il se fait que pour aborder ces questions, les travaux de Marcel Mauss et de Claude Levi Strauss se sont imposés.

Quelles réponses, en effet, les premiers collectifs, voire les premières communautés, ces sociétés dîtes primitives, apportaient-elles à ces mêmes questions? Un des éléments de réponse passe par la constitution du mythe comme essentiel au tissage de ce social. C’est par le travail du mythe, en effet, que ce social tient. Et cette logique n’est pas autre chose que la nôtre, elle n’est pas autre que celle du scientifique.

Rien de primitif chez ces primitifs!

Nous avons pu examiner, comment le repérage du “signifiant flottant” dans la constitution du mythe, et dans la “fonction mythe”, a pu inspirer J.Lacan qui, de son côté, a avancé ce signifiant essentiel à la subjectivation, celui du du Nom-du-Père.

Lire le fantasme qui organise la réalité de chacun avec des repères communs à ceux qui permettent d’ouvrir la question des mythes est un exercice tout spécialement freudien.

En effet, non seulement Freud a usé des mythes pour rendre compte de la logique qui organise la subjectivité individuelle avec le mythe d’Œdipe, et le social avec le mythe du Père de la horde primitive, mais Lacan, inversement, en suivant les propos de Freud dans Massenpsychologie, en poursuivant le travail de Freud, fait un pas supplémentaire et dégage, à sa manière, ces lois communes organisatrices du mythe dans la constitution du social et dans la subjectivité individuelle en s’appuyant sur la logique du signifiant.

 Nous avons  consacré plusieurs soirées à cette lecture réactualisée, non seulement de l’hystérie freudienne mais aussi de la constitution du symptôme phobique chez le petit Hans.

Comment mettre en perspective ce parcours de travail de J.Lacan autrement qu’en s’appuyant sur son intuition fondatrice dont l’inertie l’amène, depuis l’identification spéculaire, jusqu’à ses derniers travaux avec la topologie et tout spécialement l’invention du nœud borroméen ?

Nous pourrions résumer cela par ce court énoncé : “C’est d’un trou que se supporte toute subjectivité individuelle et c’est d’un trou que se supporte également tout tissu social”, avec cette simple et rustique question : mais alors qu’est-ce qu’un trou ? Qu’est-ce qu’une tresse ? Qu’est-ce qu’un bord ? Puisqu’il n’y a de trou que par la consistance d’un bord.

Les éléments de topologie apportés par celui-ci à la fin de son enseignement nous introduisent directement à cette problématique et à cette lecture.

À la suite de Freud Lacan suit un fil, celui de l’écriture et de la lettre comme organisatrice du symptôme, et nous propose une conception de la cure comme l’espace -temps du surgissement possible d’une nouvelle écriture qui déplace, dans le transfert , le symptôme. Une nouvelle écriture surgit et déplace le sujet en l’allégeant du poids du symptôme. Il apparaît alors, pour J.Lacan, que la question posée se centre progressivement sur les conditions de cette nouvelle écriture qui touche et engage le Réel. Mais comment faire, pour traîter cette question, comment faire autrement que chacun, dans le maniement de cette lettre, pour aborder la question de cette autre écriture en jeu, spécifiée par la cure analytique, cure analytique que nous pouvons alors qualifier de lacanienne ? À cet endroit lui vient cette topologie borroméenne dont il nous dit que c’est seulement par un “abus de métaphore” qu’il nous la met en main. En effet, comment faire autrement, pour l’évoquer ? Comment faire autrement pour en parler qu’en passer par ce forçage, ce véritable coup de force d’une nomination assumée? Charles Melman pouvait dire, mon seul tort est d”être là, devant vous, à vous parler. Puisque c’est à chacun de faire cette épreuve qui ne peut se transmettre, et qu’en parler pourrait, à tort, laisser à entendre qu’une bonne “consistance” – ce doigt qui pointe la lune – serait enfin transmissible, et que faire l’économie d’une telle épreuve par l’instrumentalisation d’un tel savoir serait possible…

Il y a donc, clairement pour Lacan, deux écritures; soit une autre écriture que celle que nous connaissons et avec laquelle nous travaillons. L’écriture de la fonction qui spécifie l’écriture. Une autre écriture que celle du scientifique, une autre écriture que celle mise en jeu dans nos formalisations.

Relisons ce passage dans la leçon du 11 mai 1976 du sinthome. Après avoir insisté sur ce nœud qu’il nous fallait faire, c’est-à-dire qu’il nous fallait écrire il nous dit: ”À vrai dire, le nœud bo en question change complètement le sens de l’écriture. Ça donne à ladite, à ladite écriture, ça donne une autonomie. Et c’est une autonomie d’autant plus remarquable qu’il y a une autre écriture qui est celle sur laquelle Derrida a insisté, C’est à savoir celle qui résulte de ce qu’on pourrait appeler une précipitation du signifiant. Derrida a insisté, mais il est tout à fait clair que je lui ai montré la voie parce que, parce que le fait que je n’ai pas trouvé d’autre façon de supporter le signifiant que de l’écrire grand S, est déjà une suffisante indication. Mais ce qui reste, c’est le signifiant ; c’est-à-dire, ce qui se module dans la voix n’a rien à faire avec l’écriture. C’est en tout cas ce que démontre parfaitement mon nœud Bo. Ça change le sens de l’écriture. Ça montre qu’il y a quelque chose à quoi on peut accrocher les signifiants”…et encore un peu plus loin…”l’écriture vient d’ailleurs que du signifiant…”.J’arrête là cette longue citation.

De quelle nouvelle écriture parle-t-il ?

Ne pourrait-on pas soutenir qu’à côté de cette écriture qui conduit Lacan à nous proposer S, par exemple, il y a une autre écriture qui, elle, ne descend pas du signifiant. La conception de la lettre, appendue au signifiant, précipitée du signifiant – et à laquelle Derrida a consacré sa réflexion et ses écrits, relève d’une première écriture, celle avec laquelle nous engageons nos formalisations. Nous avons commencé à entrer dans la question du travail de Derrida lors de notre précédent séminaire avec Alain Harly. Derrida explore le destin de cette lettre qui reste pour lui, un destin ouvert sans que ce destin ne puisse se fermer et se conclure par la chute de cette lettre telle que Lacan peut l’illustrer dans son commentaire précoce sur la Lettre volée “. Là où Lacan vient questionner le procès même de l’écriture, qui fait écriture, l’écriture du nœud bo, Derrida confère à cette lettre une forme d’éternité en entifiant, pourrait -on dire, le trait même de la differance. Il fait alors l’économie de ce que Lacan essaie, après Freud, de dégager, à savoir l’économie de ces questions ouvertes par les effets quasiment magiques de la parole, dans le transfert , sur le symptôme, et sur le corps. Ceci concerne les mystères de l’incarnation, puisque cette autre écriture, celle en jeu dans le travail analytique, celle du nouage borroméen, est une écriture qui se présente sous la forme de la consistance homogène donnée à ces trois ronds, dans leur différence,R,S,I . Ce Un est un Un comptable, aucunement un Un entifiant, même s’il participe de la constitution du bord du trou qui fonde le parlêtre.”Y’adl’Un!” C’est à cette condition que ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire trouve cependant une écriture nécessaire et possible avec du contingent.

Ainsi pourrions-nous comprendre et penser cette autre écriture, celle qui met en jeu  les “dits- mentions“ à laquelle s’accrocheraient les signifiants. Ce qui est tout-à-fait autre chose que l’écriture derridienne, à savoir une écriture qui se proposerait dans la présentation d’un nouage, le nœud borroméen. Deux écritures, en effet, très différentes et aux destins très différents.

Essayons de faire valoir plus précisément ce qui les oppose. 

Cette écriture, à laquelle s’intéresse Derrida, n’est pas autre chose que cette écriture que nous pourrions qualifier, aujourd’hui, de commune, en iceci que c’est aussi l’écriture du scientifique. C’est aussi celle de Lacan, c’est aussi la nôtre avec son travail de formalisation. C’est aussi celle avec laquelle il nous introduit à RSI… C’est aussi celle avec laquelle je tricote ce séminaire, qui n’est pas cependant, sans engager cette autre écriture. 

Cette écriture tombe du signifiant, et s’en propose comme présentant son précipité. Certes elle est bien en mesure d’engager un réel, mais un réel qui, dans le parcours de cette lettre, la livre à terme, à son destin: la poubelle. Cette poubelle qui fait la préoccupation de nos écologistes et qui peut prendre une dimension apocalyptique avec le déchaînement de l’atome. C’est l’enseignement inaugural de “ La lettre volée”. C’est aussi, d’une certaine manière, le parcours d’une cure.

Et c’est de l’enseignement d’un tel parcours que surgit cette proposition d’une autre écriture. C’est seulement, en effet, par les effets d’une parole adressée dans un transfert, qu’un tel parcours par où une lettre passe à la poubelle, ouvre sur  une création, sur l’invention d’un nouveau bord et le surgissement  d’un nouveau sujet. “Eine neue Subjekt” dira Freud. Il ne s’agit donc pas tant de lever un refoulement que de mettre en fonction l’opérateur du refoulement pour en produire un nouveau, en substituer un nouveau à l’ancien avec le poids d’un symptôme un peu plus civilisé, par identification au symptôme. Ce déplacement du sujet est le fruit de l’engagement d’une nouvelle écriture par la voie de ce “Y’adl’Un“ , l’engagement d’un nouveau nouage, avec la formation d’un nouveau bord. Ce bord, si nous suivons Lacan, n’est que la consistance Une d’un trait d’écriture qui prend corps. Ce réel qui ne cesse pas, pourtant, de ne pas s’écrire, devant la rencontre redoublée d’un “c’est pas ça”, ne va pas sans s’écrire en donnant commune mesure à R,S et I. Ce trait se spécifie de présenter le pur trait de la différence, en tant que différence.

 D’où, peut-être, cette appétence, au lieu même d’une singularité la plus pointue, de la dimension d’une universalité. Celui-ci, pourrait-on ajouter, spécifie, valide et témoigne d’un noeud entre intimité et extimité c’est-à-dire d’une prise dans l’ordre du signifiant.

La clinique de la psychose, toujours très précieuse pour nous orienter dans ces questions, vient nous rappeler, si nous l’avions oublié, comment cette nouvelle écriture fait défaut, et donc comment la fonction la soutenant- la fonction de la métaphore- dans certaines occasions, fait défaut à l’endroit même où celle-ci est sollicitée. Là où il faudrait pouvoir “l’faire”, ce nœud, un trou!

Cette écriture, dont nous dégageons quelques caractéristiques, a une certaine autonomie. Elle est le produit d’une vraie rencontre entre l’un et l’autre où la dimension de l’Autre, du “c’est pas ça”, est prise en compte. Une prise en compte de l’asymétrie fondamentale qui spécifie cette vraie rencontre et l’ordre du signifiant. Nous retrouvons là les enjeux de l’identification spéculaire et de sa fonction qui , par ce tout premier nouage, noue l’imaginaire du sujet, et donc son futur narcissisme, à la dimension du symbolique. Comment, en effet, nouer la continuité propre à l’imaginaire, à la discontinuité introduite par l’ordre du signifiant. L’identification spéculaire,pour Lacan, en est la réponse. C’est celle-ci, qui, à cette occasion est sollicitée et conduit l’analysant sur le chemin d’un certain desêtre, c’est-à-dire aussi à valider et verifier la fonction trou dans l’image, i(a).

Ce trait, automatique, n’est pas sans s’écrire dans des conditions précises, ce sont celles qu’a très bien décrites J.Lacan dans le “temps logique”. Il en précise la logique, dans son déroulement, avec les deux scansions, dans son texte minutieusement réécrit en 1966. Nous avons eu récemment l’occasion de travailler cette question à l’Ali.

Ici, avec le nouage, nous ne sommes pas engagés dans le registre d’une représentation – comme nous pourrions l’être avec le trait de la lettre pensée comme précipitation du signifiant. Nous sommes, au contraire, engagés dans une présentation qui témoigne, dans le même mouvement, de la prise en compte de la dimension de l’altérité. Nous pourrions, d’ailleurs – et c’est ce que je vous propose- écrire Altérité avec un A barré, puisque en comptant l’Altérité , l’enjeu s’ouvre d’une mise en fonction qui fait écriture, pour chacun, d’un bord.

D’une certaine manière, et plus précisément, cette mise en fonction qui fait écriture se spécifie, à chaque fois, de la prise en compte du Réel ouvert par la vraie rencontre de cette Altérité en donnant commune mesure aux 3 dans leur différence.

Cette conception de la cure spécifie la cure lacanienne.

Peut-etre était-ce en empruntant cette voie que la question venait à Charles Melman, lorsqu’il nous parlait du nœud à 3, de la civilisation du “non rapport sexuel”, et par là, d’un éventuel rapport sexuel ?

Où nous conduit, ce soir, le fil que je vous propose?

Plusieurs voies s’ouvrent, nous en parlerons certainement dans la discussion, mais je ne vais en mentionner qu’une, sans vraiment la développer, laissant la suite à nos futures soirées. 

La “talking cure”, cure par la parole, ouvre, pourrait -on dire, une réflexion sur la mise en fonction de ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire. Et celle-ci, cette mise en fonction, relève d’une écriture qui passe par la mise en jeu d’un ”Y’adl’Un” avec la présentation donnée à la consistance conférée au réel de la vraie rencontre redoublée d’un “c’est pas ça”. Cette mise en fonction, pour un sujet, est le propre d’un parcours de parole adressé, dans le transfert, à un autre sujet averti des effets de cette parole; parole qui s’avère faire bord dans un parcours ordonné. C’est de cette écriture dont il est question, celle qui engage un nouage. Par contraste, pourrait-on dire, l’évitement d’une telle rencontre dans le transfert, et un travail qui porterait essentiellement sur la mobilisation de lettres, comme le discours universitaire et la science peuvent le proposer, ouvre sur tout autre chose. Plutôt que faire valoir cet objet en exclusion interne et le desêtre qui peut l’accompagner dans ce déplacement, ici, rien de ce franchissement, pas de sollicitation de cette fonction qui ne cesse pas de ne pas s’écrire, pas de mise en jeu d’une énonciation renouvelée… Nous restons dans un nœud de trèfle ignorant le nouage à 3 et cette mise en fonction qui le spécifie, avec cette dimension persécutive toujours plus ou moins présente dans une “Writing cure”. Ce qui conduisait Lacan à nous dire, d’ailleurs, qu’il ne faisait pas de théorie, seulement des formalisations, et que son enseignement passait par les voies d’un séminaire où il ne manquait pas de rappeler qu’il était en position d’analysant. Son enseignement était tout spécialement oral et ses “Ecrits” le produit de son travail oralement adressé.

Peut-être qu’avec ces premiers repérages pourrait -t-on plus justement s’orienter dans les évolutions de notre social. Comment celles-ci prennent-elle appui, le sachant ou pas, sur une conception de l’écriture? Peut -on référer telles ou telles impasses d’allure paranoïaque, à telle ou telle conception, ou à tel ou tel auteur? Ici, avec cette conception de la lettre, Derrida, ouvre la porte à un égalitarisme forcené qu’il valide- la différence étant identique à elle même – et à une conception de la lettre  ignorante de l’asymétrie qui la soutient, organisatrice de tout lien social, et d’un réel fondateur.

Ne rien vouloir savoir, voire forclore, la question ouverte par l’asymétrie fondatrice de cette autre écriture nous conduit logiquement, à quelques conséquences. C’est tout l’enjeu d’une clinique lacanienne, pour nos patients, nos analysants. Mais pas seulement, puisque, si le social se spécifie de ne se soutenir d’aucune énonciation collective, celui-ci, avec le travail de la lettre ne peut que se présenter dans les modalités d’un délire: une psychose sociale avec le savoir-faire d’un”signifiant flottant”. Peut-être en faisons-nous l’épreuve?

Voilà pour ce soir ce que je propose à votre réflexion et à votre sagacité.

Il faudra pouvoir donner une suite à nos travaux. Et solliciter quelques-uns tout spécialement plus avertis sur les travaux de Derrida et de quelques autres. Que chacun puisse suivre son fil. Une place lui sera faite dans le tressage de ce web’sem.

Voilà pour ce soir.