WEB’ SEM’ du Collège de Psychiatrie

 Pour une écologie du lien social ?

Qu’est-ce que nommer veut dire ?

François Benrais

 

« Mutando »

Quelques réflexions au sujet de ce qu’implique l’action de nommer en médecine, en psychiatrie et dans la psychanalyse, mais aussi pour les personnes singulières que sont les patients, au centre des prises en charges, n’est-il pas ? 

Les réflexions qui suivent, concernent la fabrication d’un langage médical et à partir de là ce qui a pu s’ouvrir vers une découverte de l’inconscient. Un inconscient qui sera non plus celui de philosophes, mais sera celui issu d’une pratique clinique spécifique. 

L’acte de nomination n’est donc pas là à entendre au sens de nommer quelqu’un à une fonction institutionnelle. Il s’agit d’une nécessité de nommer – verbaliser dit-on aujourd’hui-  faire entendre, interpeller, au travers des temps, une quête individuelle des plus anciennes d’un savoir qui échappe et cependant resterait prometteur.  Nommer ce qu’il en est d’une quête aux fins de résoudre les troubles d’une jouissance … toujours plus interdite. 

Je commence par un banal évènement de prise de RV qui a son importance pour ce soir. 

L’année dernière ayant reçu un document incitant à une formation d’accompagnement soins et santé aux personnes trans, j’en parle à des collègues et j’apprends qu’il s’agit d’une imitation de documents plus officiels, dont nous avons l’habitude. 

Ce que j’avais reçu, était le fait d’une l’initiative d’associations militantes pour la transition sexuelle.

C’est dans ce contexte, que quelques temps après, je reçois un appel pour un rendez-vous. 

La personne me précise au préalable qu’avant même de prendre un RV, elle souhaite savoir si je suis formé pour suivre quelqu’un dans un parcours de Transition de personnes transgenre. Je répondais que j’ignorai qu’il y eu un tel enseignement, et qu’en ce sens, j’étais probablement malformé, je lui proposai cependant un entretien.

Cette personne, à la voix masculine m’a poliment remercié et décliné mon offre de RV. 

On peut rester perplexe.

Il m’avait été demandé d’exécuter un parcours de soins, pour la transition d’un genre sexuel à l’autre ! 

Il ne m’était pas demandé un entretien pour un diagnostic médical ! J’étais supposé n’avoir aucune question à poser !  

Ne sommes-nous pas  interpellé par un détournement de la pratique médicale où la nomination des choses est d’emblée destituée ? on peut se poser la question. 

Depuis longtemps nous savons que de nombreux collègues pourvoient à ces traitements. Ils ne le font qu’au nom de la liberté en leur âme et conscience, ils acceptent d’être partie prenante des enjeux qui concerne les patients, ceci reste une gageure. Ceci, souvent au nom  du droit pour chacun de disposer de son corps comme il l’entend, ce qui est plus d’ordre philosophique que médical. 

Si nous écoutons ce que les associations de ces personnes « trans » veulent nous faire entendre, ils parlent d’erreur de la nature, d’assignation à un sexe, d’une dysphorie de genre, d’une mutation qui est en cours de se faire jour dans l’humanité.

Ces choses sortent totalement de l’accoutumé d’une pratique médicale qui connait une approche différente du genre, car il est d’une vérité courante d’entendre se demander si l’on est ou pas dans le semblant dans le champ de la sexualité. 

Sommes-nous ce que nous sommes ! ? … là, dans une telle démarche un glissement est opéré, ce n’est plus « faut-il être genre » ? de quoi s’agit-il ? d’intervenir médicalement et chirurgicalement sur le fait que ce qu’on ne peut dire il faut le taire … il faut le faire.

En quoi une telle intervention serait censée changer le cours des choses, hormis le triomphe de l’autoérotisme dans un contrat offre/demande, soulagement présumé par  

Une Mane occulte, cependant qu’un prêt à porter en matière de genre pourrait s’afficher. 

De nombreuses spécialités sont convoquées dans une telle démarche.  Un film « petite fille » d’Arte a été très appréciée du Grand Public, a présenté le parcours de transition d’un enfant … Trans/Action.

À partir de quel tableau clinique, de quel diagnostic, quel syndrome  ces collègues s’autorisent-il à intervenir sans aucune consultation de la communauté scientifique ?

Ou sont les recommandations, les formations ? on en trouve aujourd’hui  à l’université de Lyon.

Dans l’immédiat, le Diktat du vécu de certains a fait loi coté adulte, mais coté enfant peut –  on parler de Diktat ? 

Si chacun a le droit de disposer de son corps, selon la loi, ceci laisserait à chacun l’espoir d’un mieux jouir… Toujours est-il que la médecine est sollicitée pour une libération de la nature sexuelle par trop binaire de l’humanité… Doit-on conclure qu’une nouvelle ère médicale s’ouvre, elle traiterait à priori de l’ineffable d’un vécu de souffrance de morale sexuelle ? 

Un traitement à partir d’un vécu, sans qu’il ait valeur de symptôme, fait depuis un temps  objet de recherches de nouvelles techniques médicales en divers domaines, sans être apparenté à une entité pathologique au seul argument d’un bien-être à venir. L’ancienne médecine fonctionne toujours.

Nouvellement, il est demandé depuis quelques décénnies, d’intervenir dans la nature même des corps vivants. Nous n’aurions plus à prescrire des soins en conséquence d’un diagnostic, mais à être des techniciens ingénieux modifiant l’ordre naturel, ceci sans aucun rôle expert à jouer sur la reconnaissance d’une pathologie, même si ces nouvelles demandes font symptôme. 

De manière déguisée, n’est-ce pas une atteinte à cette fameuse liberté de chacun à disposer de soi-même, d’autant la dite liberté ne trouverait aucun interlocuteur autre qu’un adepte prenant Pari pour une transformation pour une fiction jusque-là inconnue.

Voilà qui n’est pas sans évoquer ce qu’en pathologie, mais pas seulement en pathologie, on connait d’une fonction du transitivisme dans le langage pour ces adeptes, car la plus part du temps, ils ne soutiennent aucune cause, ils fonctionnent. 

Ces demandes seraient-elles fortement suggérées par les potentialités nouvelles de techniques de soins. 

Les progrès des technologies inventées pour soigner d’authentiques pathologies dans la nature permettent ces fictions pour de nouveau paradis.  Au-delà de l’esthétique nous avançons vers les métamorphoses, la dysphorie de genre fait déjà état d’une mutation politique d’un corps vécu comme fiction politique -J.P. Preciado-  . 

Ce vécu est-il suggéré par une science accélérée qui ne sait plus ce qu’elle veut. La Science laisse-t-elle entrevoir de possibles fonctionnalités qui dépassent celle que l’on a pu jusque-là prévoir ? Quels objectifs comportent de telles demandes. 

Il peut apparaitre à bon nombre d’entre nous que nos corps obsolètes sont rêvés par nos âmes folles de toutes sortes de passions. 

L’un de nos collègues Psychiatre vient de commettre un ouvrage de fictions de la science. Il nous alerte de la survenue possible de nouvelles pathologies en la création de nouvelles technologies. Cependant, il se refuse de parler de transhumanisme, il précise : il s’agit d’un humanisme comme un autre, pourquoi Trans ? Trans comme sibérien ? interroge-il-t-il ? cette seule remarque, est-elle le point de départ d’une recherche pour une nouvelle  pathologie … cela reste  à examiner. (5)

Manifestement, avec ce nouvel humanisme nous ne sommes pas assurés d’être débarrassé d’un attachement sentimental à nos passions tristes. 

Ce dont on ne peut parler il faut le taire … (Wittgenstein) 

Alors qu’est-ce que nommer peut dire

-Comment les choses se sont nommées en médecine ou la médecine antichambre de la psychiatrie …

On peut revenir au Cratyle de Platon : qu’est-ce qu’un signe le nommer. 

Socrate va même parler d’un corps bien plus qu’obsolète : il va parler d’un tombeau !

Cette partie du dialogue se trouve dans la suite leurs échanges, les protagonistes se demandent comment nommer  cette force qui  véhicule et maintient la nature humaine :

HERMOGÈNE : Eh bien, que dirons-nous du mot qui doit suivre ? 

SOCRATE :  Du mot corps, σμα ? 

HERMOGÈNE : Oui.

SOCRATE. Pour peu qu’on touche à sa forme actuelle, je vois à ce mot plus d’une origine. Quelques-uns appellent le corps le tombeau, σμα, de l’âme où elle serait présentement ensevelie. En outre, c’est par le corps que l’âme signifie tout ce qu’elle veut signifier ; et, à ce titre, le nom de σμα, qui veut aussi dire signe, est encore parfaitement convenable. 

Mais je crois que les disciples d’Orphée considèrent le nom de (corps)σμα, comme relatif à la peine que l’âme subit durant son séjour dans le corps en expiation de ses fautes. Ainsi cette enceinte corporelle serait comme la prison où elle est gardée, σώζεται. Le corps est donc, comme son nom le porte, sans qu’il soit besoin d’y changer aucune lettre, ce qui conserve, τ σμα[28], l’âme, jusqu’à ce qu’elle ait acquitté sa dette.

  • Ce tombeau prison de l’âme rappelle  Antigone … serait-ce pas ce Créon de Charcot neurologue qui l’y enferme ?… 

Alors on pourrait évoquer la reconnaissance de l’hystérie par Freud comme une ouverture … 

  • Mais aussi à travers les âges, cette âme chargée d’avoir à acquitter une dette ne confère-t-elle pas à l’interlocuteur, au créancier, au sorcier, au médecin, ou au prêtre, une place d’autorité et de prestige.

Si c’est le cas, la fonction de soin est donc porteuse d’une Aura de connaissance en lien avec un au-delà qui touche au sacré, aux pratiques institutionnelles en cours dans la culture propre du patient et du soignant. C’est précisément notre actuelle mise à l’épreuve matière clinique.

Ces deux dialogues montrent que l’investigation privilégiée du Logos en philosophie ne peut permettre une confusion d’avec l’acte de parole en psychanalyse, même si chez les philosophes, le dialogue est porté sur fond  d’Amour grec de beaux garçons. (Lacan, Séminaire VIII, p41, le seuil 1991).

Nommer : 

C’est l’activité d’attribuer un nom à des personnes, à des choses, à des fonctions., à des faits… 

Ajoutons ce qui n’est pas dans le dictionnaire et qui concerne l’activité clinique,  nommer c’est aussi nommer ce qui jusque-là n’a pu encore être nommé… au sens subjectif du terme.

On désigne les choses par un nom et les choses appellent un nom. 

Et il est des choses qui appelle un nom, des choses qui ne sont pas dans le dictionnaire.

 Ainsi la médecine n’a pas arrêté de faire du vocabulaire. Ainsi, fut  réalisé la nomination des pathologies, il fallut écouter, observer, examiner, il fallut un dispositif de dialogue au lit du malade, la consultation individuelle, la présentation de cette consultation individuelle en acte aux fins de l’enseignement et la transmission. Ces dispositifs inciteront par la constitution d’un dossier une transcription source de toutes les activités à visée scientifiques.  

Le façonnement, la formation scientifique de la clinique médicale à l’écoute et au lit du patient, dans ce temps de la consultation a des conséquences sur la conduite du dialogue, le patient parle, le médecin tente de s’orienter, nous devons en tirer quelques conclusions. 

La médecine moderne est née d’une émancipation  des  doctrines religieuses. Force est de constater l’on ne se débarrasse pas pour autant de cette fonction du sacré par un simple vœux. Cette émancipation est le fait du choix d’un humanisme qui commence à se développer  à la Renaissance, dans un esprit où la philosophie  place l’homme au-dessus des autres valeurs de l’époque.

Aux doctrines religieuses se substituent les méthodes expérimentales, qui privilégient les tableaux cliniques formés au lit du malade. Échapper à l’approximation et un souci d’exactitude sont de mise.

Ceci pour dire brièvement comment le corps des patients dans ses différentes parties, organes, fonctionnalités, devient en substance une matière scientifique. 

Le dialogue qui s’organise est un acte séméiologique en cours d’invention auquel le patient sera  directement convié, indirectement écarté. 

On classe, on catégorise, on ordonne les éléments recueillis, découverts par les divers examens, on les range, les redistribue et on crée un tableau qui dans sa relation ordonnée démontre une pathologie par le truchement du diagnostic, d’un syndrome -un syndrome, est ce qui ne forme pas une entité totalement cohérente.  

Que ce soit un corps mort, un corps fonctionnel, ou un corps physiologique, le corps du patient, c’est dans tous les cas un autre corps que celui que se connait le malade. 

La maladie acquérant un statut scientifique se sépare de plus de ce en plus de ce que l’intéressé en éprouve. 

Mais aussi, en conséquence, il se définit une normalité jusque-là inconnue et une physiologie se dégage. 

Notons : cette activité de nomination ne fabrique pas que du vocabulaire nouveau. À défaut d’en fabriquer, c’est le nom du médecin qui aura su faire ce truchement réalisant l’entité clinique qui consacrera la laïcité de l’acte. 

Avant l’arrivée des Acronymes, le nom propre du descripteur ratifie l’activité médicale par exemple : le trépied de Gaillard pour l’examen du pneumothorax, syndrome de Raynaud pour le nom d’un trouble vasculaire fonctionnel avéré  de l’irrigation des doigts, la maladie de Charcot pour la sclérose latérale amyotrophique est devenue la SLA.  

Sans être encore des ingénieurs, ces médecins n’étaient pas considérés comme des découvreurs au sens moderne. 

La maladie du médecin n’est pas la maladie du malade.

G. Canguilhem dans son ouvrage du Normal et du Pathologique avait même écrit :« On comprend que la médecine ait besoin d’une pathologie objective, mais une recherche qui fait évanouir son objet n’est pas objective »

Oui et même plus ! la maladie du médecin n’est toujours pas celle du malade ! elle est surtout celle des autres malades potentiels. 

Certains malades tiennent à leur maladie, d’autant que ce qui fait signe au malade n’est pas ce qui fait signe au médecin. La médecine est en ce sens l’antichambre de la psychiatrie. Le « il est malade » du médecin n’a plus rien à voir avec le consultant du médecin. La maladie est devenue un attribut médical du sujet. 

Blague : Souvenir de ce chirurgien que je devais assister et qui vient me chercher « bon voilà ce matin, j’ai un rectum…moi ne sachant pas dans quelle salle d’opération je dois  le rejoindre, répond où ça se trouve ?  Petit silence … perplexité …)

Une réduction s’opère entre signe et symptôme en médecine.

En médecine, le signe dit cette même chose qu’est précisément le symptôme. Par exemple la fièvre comme symptôme peut être rapportée à un syndrome ou à une maladie, elle entre dans la constitution de plusieurs diagnostics, entités cliniques. Elle n’est signe que comme symptôme isolé. 

Dans sa matérialité, le symptôme est bien le support indispensable au signe :

– Pas de signe sans symptôme

– tout symptôme est signe

  • Mais ce qui fait que le signe est signe n’appartient pas au symptôme mais à une activité venue d’ailleurs.

Un signe qualifié de pathognomonique en est l’exemple même, trouvé il permet de connaitre toute la temporalité de la maladie, son déroulement qui peut être annoncé au patient. Nous n’aurons pas l’équivalent en psychiatrie, en ce sens nous que nous n’avons pas en psychiatrie une physiopathologie assurée, comme nous nous la souhaite la génétique et les neurosciences, comme également Freud l’a espérée.

En conséquence :

– Tout signe n’est pas symptôme, sauf comme symptôme isolé.

– La réalité du signe recouvre et transforme le symptôme en irréalisant ce que le patient peut en dire. 

Ceci pose un sérieux problème en psychiatrie. 

Ce statut du dire du patient par ce relèvement  du symptôme en signe de …, signe de maladie aux fins d’une cohérence diagnostique, on pourrait avancer que c’est déport d’une jouissance du dire du patient … en ce qui sera celle du médecin. L’interprétation est exclusivement réservée au médecin.

Certains analystes, sensibles au fait, ont pu avancer que cette cohérence du discours médical  fabriquait une censure qui ne laissait aucune place pour le patient. (L’ordre médical, de J Clavreul) Ainsi il paraîtrait plus juste de parler de co-conséquences subjectives issues de la froide technicité mise en œuvre. La question du transfert est nécessairement écartée au cours de cette démarche scientifique sur fond d’humanisme. Problème impensable à l’époque, cette notion de transfert, elle ne sera reconnue qu’en conséquence du temps de cette aventure résolument scientifique. 

Un livre récent, Le Lambeau de Philippe Lançon (2018) est une œuvre littéraire où cette fonction du transfert est mise en évidence. L’auteur rapporte cet échange entre une chirurgienne et son patient : la chirurgienne s’explique  sur ce qu’elle va faire « – La tentation du chirurgien est d’aller le plus loin possible, de s’approcher de retouche en retouche du visage idéal. Évidemment, on n’y arrive jamais et il faut savoir s’arrêter. – C’est pareil avec un livre, lui avais-je répondu. On essaie de rapprocher celui qu’on écrit de celui qu’on imaginait, mais jamais ils ne se rejoignent, et il arrive un moment où, comme vous dites, il faut savoir arrêter. Le patient reste avec sa gueule tordue, ses cicatrices, son handicap plus ou moins réduit. Le livre reste seul avec ses imperfections, ses bavardages, ses défauts. Nous en avions banalement conclu que l’horizon n’est pas fait pour être atteint. »

Ce texte illustre ce contre espace qu’est une consultation organisant un temps réservé au silence entre ce qui se dit et ce dont on dispose.  Seul point commun à la médecine, la psychiatrie, la psychanalyse, si une pratique de consultation se veut telle vraiment. 

En médecine on apprend ainsi que savoir et vérité ne sont pas complémentaire. Mais pas seulement en médecine, c’est ce que manquait de rappeler l’ouvrage de J Clavreul.  

Une scientificité de la clinique médicale se formant, la fiction de la normalité d’un bon état physiologique a pu en son temps autoriser le développement d’une pathologie expérimentale. 

La psychiatrie n’a pas son équivalent.

À  l’inverse de la médecine somatique, en psychiatrie la recherche de l’entité clinique se concerte avec le patient, elle garde son fond d’étude avec le patient. Les patients sont de facto invités à une position énonciative qui cherche la nomination des choses. La pratique de la présentation clinique en était  le témoignage. Espérons qu’elle ne disparaitra pas au profit d’une virtualisation d’un dialogue machine conférant à la machine une compétence supposée langagière et cognitive. N’oubliions pas que le  dialogue machine serait la suppression des questionnaires et surtout des questionneurs. 

La pathologie ne vient pas des seules conclusions de l’examen médical. Les symptômes ont déjà fait irruption pour les patients. La difficulté d’une position énonciative pour le patient renvoie le médecin a établir une nosographie ou le mécanisme de l’agent provoquant la pathologie, à l’inverse de la médecine somatique, préserve au symptôme sa dimension de parole. 

La dimension de parole, c’est-à-dire ce qui est l’acte de nomination du patient. elle préserve le symptôme, le sujet qui se fait entendre se constituant par cet acte. Le patient n’est pas une entité clinique inerte irrévocable, où les symptômes sont réduits à ces objets que sont matériellement des signes. 

L’activité du médecin transformant tout symptôme en signe comme classiquement en médecine est suspendue en psychiatrie, elle n’est plus cette transformation systématique, le sujet se constituant par le symptôme, cependant non pas constitué par lui. 

On peut avoir déjà rencontré dans le champ de la psychose un patient qui énonce cette phrase pathognomonique pour le coup de ce que vous venons de développer.

« Ça commence par un vol, quelqu’un prend votre pensée et ensuite profitant de la crainte qu’il a fait naître, peut se mettre à distance et penser les mêmes choses que vous en étant dans un autre endroit, je ne suis que l’exécutant, un autre a  le képi sur la tête et peut diriger »

Cependant ce trouble se retrouve dans le champ des psychoses sans pour autant faire diagnostic différentiel. 

À ce point l’image de la médecine antichambre de la Psychiatrie a trouvé sa limite.

Les termes d’hygiène ou de santé mentale peuvent laisser rêveur, mais ils ne seront jamais exclus. En conséquence peut-être, l’intérêt pour le dire du malade sera maintenu par une insatisfaction thérapeutique, même masquée par l’adjonction des neuroleptiques. Cette fidélité du médecin à l’écoute ce dire est aujourd’hui récusée.

La personne du malade reste au centre de la prise en charge dit -on aujourd’hui au sens de l’intérêt d’une multiplicité de personnel dans les établissements, ce n’est plus l’institution éclatée c’est le transfert dys-persé. Question : cette dispersion est une dispersion également de ce qui fait sens d’un supposé savoir, en quoi cela ne ferait pas appel au bon sens d’un supposé sachant lequel sera le parieur pour votre bien être, il n’aura rien à vous refuser des merveilles de la technique !

Le DSM va à l’encontre de l’ancienne recherche clinique, il émiette les symptômes. Les catégories cliniques sont simplifiées au détriment de l’intérêt que pouvaient susciter les symptômes comme participant de tel ou tel regroupement pour une entité clinique. Pour exemple : la jalousie de l’hystérie n’est pas celle de la paranoïa. D’ailleurs, la paranoïa disparait comme entité clinique.    

Avec le DSM : fin du dialogue, fin de la présentation clinique. 

C’est la fin d’une période des plus heureuses et des plus rigoureuses de la neuropsychiatrie depuis la révolution scientifique cartésienne. Cette période est issue de la  rencontre entre des neuropsychiatres fondateurs des grandes nosographies clinique et de Freud neurologue découvreur d’un autre inconscient que celui des philosophes : un inconscient démontrant cliniquement par la découverte de la pratique analytique que les patients ne sont pas maitres dans leur demeure, dans leur soma, à l’inverse de ce que la philosophie portait à faire entendre. 

Lacan de manière concise déclarait dans un colloque à Bonneval, éminent lieu de la psychiatrie organodynamique du Dr. Henri Ey : « l’inconscient est un concept forgé sur la trace de ce qui opère pour constituer le sujet. » (Un pas de plus que Freud !) « l’inconscient  n’est pas une espèce définissant dans la réalité psychique un cercle de ce qui n’a pas l’attribut (ou la vertu) de la conscience. (P. 830 Écrits)

Si Freud n’avait pas été Neurologue, les interlocuteurs des consultations en psychiatrie n’auraient pas été là, jusqu’aujourd’hui pour interroger le savoir : ce que parler veut dire et ce que nommer engage. 

Aujourd’hui seule la psychanalyse engage la pratique d’un dialogue dont la rigueur est d’établir un écart entre la demande et la réponse.

Dans le champ de la pratique médicale Lacan alerte, porte une objection à ce matérialisme scientifique contemporain. Sa remarque est profane et séculière.

Lacan le 16 février 1966, à une table ronde du collège de médecine se tenant à la Salpêtrière, attire l’attention sur le fait que l’élévation de l’homme formalise dans le même mouvement, une exclusion de la nature sexuelle de la jouissance des corps. Citons-le « C’est en omettant  qu’un corps est quelque chose qui est fait pour jouir, jouir de soi-même que la science clinique a pu se construire. » 

Freud avait découvert dans le déchiffrage des manifestations de l’inconscient un pouvoir thérapeutique, une vérité révélant le rôle fonctionnel  de la sexualité dans la formation des symptômes. 

Dans son retour à Freud Lacan marque le pas. Si la vérité conditionne l’efficace de la cure ?  Il recentre la fonction de la Vérité dans la cure, il n’en fait pas le but.

La vérité organise les temps et les scansions de la cures.

Dans Les Écrits Lacan apportent des remarques  précises sur ce point à propos de   la Science et la Vérité. Nous trouvons  :

– qu’il nous faille admettre en cours d’analyse, de renoncer à ce que chaque vérité réponde d’un savoir.

– que nous devons renoncer à connaitre d’autres savoirs que celui de la science, quand nous avons à traiter de la pulsion épistémologique.

Que penser d’un analyste qui dirait à un patient se plaignant de ne pas dormir « vous avez des insomnies» ? ce qui nous guide c’est la vérité du dire comme appel à causer, peut-être à nommer … L’association libre y pourvoit. 

Renoncer à connaitre d’autres savoir que celui de la science ?  Cette question tient à ce que :

– Dans la Religion, « la révélation se traduit comme une dénégation de la vérité comme cause. Elle délie ce  qui fonde le sujet à s’y tenir pour partie prenante… le religieux laisse à Dieu la charge de la cause… » 

Un Dieu qu’il faut séduire, le jeu de l’amour entre par là.

– Dans la Magie. « Elle suppose un signifiant répondant comme tel au signifiant. Le signifiant dans la nature est appelé par le signifiant de l’incantation. Il est mobilisé métaphoriquement. À la chose en temps qu’elle parle répond nos objurgations » l’incantation est une réduction qui néglige le sujet, en l’assignant à une performance. 

Avec Lacan, la nomination du savoir est sous le joug de la vérité dans le registre de l’insupportable ou pas. La vérité appelle à ce que les choses se nomment, se dénomment, se surnomment. En retour si nommer appelle les choses, nommer permet indifféremment l’erreur comme la vérité.  Nommer permet aussi bien d’informer que de désinformer.  La plausibilité dans un message permet de faire passer, mensonge, vérité, elle ne remet pas en question le vrai de la nomination qui ne sera pas sans effets. La vérité si je mens !

La plausibilité est affaire de représentation, de dire. 

On peut espérer que la fin d’une cure en analyse comporte assurément la reconnaissance de l’impensable de ce qui ne se nomme pas.

La psychanalyse est cette discipline qui ne nomme pas, elle se source du trouble de la nomination : un dire qui fait que l’analyse ne consiste pas à être libéré de son symptôme mais « à ce qu’on sache pourquoi on s’y est empêtré […] de sorte que l’analyse est liée au savoir. Ça se produit du fait qu’il y a le symbolique […], le langage. (Moment de conclure séminaire du 10/1/1978.)

Savoir qu’il n’y a pas de savoir du savoir, qu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre dit Lacan, participe à la résolution du transfert. 

En conséquence, une vérité appelle à connaitre que nommer permet à la science de savoir ce qu’elle peut, sans savoir ce qu’elle veut.

Savoir ce qu’elle peut ! toujours dans l’après coup, de ce qu’elle ne pouvait pas penser vouloir… on ne trouve pas ce qu’on cherche, on trouve ! … Sauf si on passe à côté…

Ce qui est propre à chacun des patients qui découvrent qu’ils peuvent désirer sans le vouloir, ou désirer ce qu’ils ne peuvent.  

Dieu ou Diable, peut-importe. Les productions de la Science, ne savent pas ce qu’elles veulent !  La vérité de son Efficace et le Vide de son vouloir, peuvent aspirer à la réalisation d’une fiction qui soulage d’exister. 

La nouvelle médecine à pour devoir parier sur le bien-être. 

Elle fait un discours de semblant. 

La science a recours à l’usage de modèles pour savoir si ses théories sont fondées. Si le modèle ne convient pas, elle en change. 

Pourquoi parle-t-on, de sujet à propos de la science ? 

Cela ne concerne la médecine que dans la mesure où elle serait une science exacte. Pourquoi parlera-t-on de discours quand on parle de sciences exactes ? seules les statistiques les renseignent ? 

D’un point de vue subjectif on peut discerner ce qui est impossible, de ce l’on ignore, on peut vouloir ignorer.  

Ce sont des questions qui viennent aux décours de la pratique de la médecine.

La Fonction de la psychanalyse  est bien définie par cette réflexion de Winnicott, elle traite l’ignorance : notre tâche est  de s’éloigner pas à pas de l’ignorance sans qu’un but nous oriente. » Winnicott, Fear of Breakdown (1974), NRP n°11, printemps 1975, p. 35. C’est ce que nommer veut dire, ce qui interroge le courage de s’y appliquer. 

En psychanalyse comme en médecine, le dispositif de base est la consultation. C’est la rencontre de deux personnes, c’est le minimum obligé et nécessaire aux fins que se produisent dans le langage la nomination effective de quelque chose. La nomination c’est ce qui fait que subjectivement il y a un avant et un après des entretiens. Si une temporalité n’est pas scandée, on ne peut pas prétendre qu’une nomination a pu s’opérer. Ce colloque singulier dégage un contre-espace à l’espace social habituel. 

Ici l’échange, la parole, la nomination font tiers, c’est là où se situe le rapprochement, de la psychanalyse et de la médecine. 

Quelques ruptures dans le champ de la psychanalyse :

Freud prenant le parti de l’écoute, abandonnant le truchement de l’hypnose, a découvert la fonction de l’interdit de l’inceste dans la formation des symptômes.  Ultérieurement, il souhaite apporter une explication globale à l’origine des sociétés, de la religion à partir des données recueillies dans les analyses. Il souhaite donner un fondement historique au complexe d’Œdipe et à l’interdit de l’inceste. Si Freud pense que ses découvertes concourent au travail des Anthropologues, d’autres motifs cependant interviennent. 

On ne peut pas, ne pas lier cette démarche à l’influence qu’a pu avoir pour lui les débats houleux  de la  transmission de la psychanalyse qui agitaient la société psychanalytique viennoise. (1912-1913)  

Les mythes incitent, appellent au désir d’analyse, la vérité ne se dévoile pas immédiatement comme cause. Ils ne modélisent pas l’histoire, ils ne garantissent aucun sens à l’histoire. Dans une intemporalité quelque chose est dit.

Pour Freud le déchiffrage des symptômes des patients met à jour la vérité d’invariants dans la clinique analytique. La pathologie le renvoie à l’histoire des Mythes. Les patients nomment ou ils sont déjà nommés. 

« L’Esquisse » est une hypothèse sur les relations fonctionnelles de la langue parlée et du corps vivant. C’est la tentative de consacrer une physiologie du langage, bien avant l’arrivée des linguistes. 

Ce point pourrait être repris comme amorce d’une réflexion sur l’addiction à la fiction des jeux numériques pour les enfants, et de celles des adultes au dépassement de leur finitudes. La numérisation des scènes animées font verbaliser par les enfants une réponse dans un texte ainsi automatisé. Un simulacre de for-da si cher à Freud.

Remarque qui nous rapproche de ce qui a été le préalable de ce travail. Une virtualisation de l’offre et de la demande en médecine. 

Êtes-vous formé pour une Transition ?  N’est-ce point une question Lacaniste ?  Si elle avait été lacanienne, on m’aurait demandé si j’avais été formé pour une Transmission.

L’argument massue pour autoriser ce préalable est la notion d’un « ressenti » depuis l’enfance d’une erreur de la nature quant au sexe. Une correction doit être faite.

Un pari est engagé sur cette correction dont le médecin sera l’agent d’exécution du transit de genre. 

Pour les enfants, le lieu de la scène parentale animée initialise la pulsion épistémophilique, point central de la libido. C’est le lieu des excès de langage qui échappe à sa propre maitrise. C’est à partir de là, de l’inattendu de la vérité que le sujet appelle ce savoir qui en répond, ce qui donne à la fonction du transfert sa déclinaison. L’irréductible de la différence sexuelle se décline à trois, se partage à deux, la suite est la vie des groupes pour s’estampiller. C’est la découverte d’être fou d’un tour de la folie des autres. N’est donc pas fou qui veut, ni comme il le voudrait.

À propos des relations entre enfance et troubles de jouissance tels que les adultes peuvent les évoquer dans leurs analyses, le poète Jean Grosjean a pu faire une remarque essentielle. « L’enfance n’est pas le passé, elle est le présage. Elle préfigure la vie et s’entête à briser les figures dont la vie se masque » (Jean Grosjean, Clausewitz Gallimard 1987) 

Cette fera peut-être polémique pour certains analystes.

L’enfance est bien un carrefour dangereux quant à sa traversée, quant à son avenir.

En Conclusion :

À quelles réalités engagent de nommer les choses en médecine, en psychiatrie sinon de réaliser une vocation scientifique qui soutient un discours dont le savoir peut prétendre à l’universalité, un savoir dominant. 

Dans le champ de la psychanalyse ce qui se nomme reste singulier et ne peut être transmis pour tous.  Sur ce point, seule la psychiatrie dans son lien à la psychanalyse laisse une ouverture à ce qu’un savoir peut surprendre différent de ce à quoi la science et les technologies peuvent prétendre.

Mais pour cela il faut un dialogue qui institue une écoute sans préalable, ce qui ne veut pas dire une obéissance systématique aux savoirs établis, encyclopédiques.

Cette obéissance est celle que ce patient souhaitant changer de genre, convoquait à sa prise de rendez-vous chez le médecin. Ses vœux sont de changer de genre, comme on change scientifiquement de classe, à la lumière des sciences on peut se faire classer trans classe … 

Changer de groupe est possible. C’est une liberté délibérément délirante, elle reste une affaire singulière, c’est pourquoi j’avais maintenu l’idée d’un rendez-vous.

Sans être Parieur, Adepte, on peut se sentir motivé à se coltiner ce type d’appel après la remarque que Lacan a pu faire d’une psychose sociale d’une psychose sociale qui ne préjuge en rien d’un diagnostic de psychose, ou autre pathologie dans le cas singulier d’un patient.

Je cite : 

« Aussi bien du même belvédère où nous a porté la subjectivité délirante, nous tournerons-nous aussi vers la subjectivité scientifique : nous voulons dire celle que le savant à l’œuvre dans la science, partage avec l’homme de la civilisation qui la supporte. Nous ne nierons pas qu’au point du monde où nous résidons, nous en avons vu assez là-dessus, pour nous interroger sur les critères par où l’homme d’un discours sur la liberté qu’il faut bien qualifier de délirant (nous y avons consacré un de nos séminaires), d’un concept du réel où le déterminisme n’est qu’un alibi, vite angoissant si l’on tente d’en étendre le champ au hasard (nous l’avons fait éprouver à notre auditoire dans une expérience test), d’une croyance qui le rassemble pour la moitié au moins de l’univers sous le symbole du père Noël (ce qui ne peut échapper à personne), nous détournerait de le situer, par une analogie légitime, dans la catégorie de la psychose sociale, – pour l’instauration de laquelle Pascal, si nous ne nous trompons pas, nous aurait précédé.

(p 576 des Écrits)