Une clinique de la temporalité ?

C’EST PAS CE QUE J’DIS !

AU REVOIR LÁ-HAUT

François Benrais [1]

 1/Enfants adultes, Ce ne sont pas les mêmes J’eux !

Les enfants ainsi que les adultes peuvent s’exclamer de la sorte, du moment qu’au fil de leurs discours, leurs propos ont été reçus autrement que ce qu’ils auraient voulu faire entendre.

« C’est pas ce que j’dis ! ». Cette exclamation accompagne les manifestations de l’échec d’une d’anticipation de parole, laquelle a trébuché et parfois peut être perçue par le sujet lui-même. Lapsus, actes manqués, peu importe, tous ces ratés de la « psychopathologie de la vie quotidienne » et bien d’autres tout à fait dénombrables, font la série des scansions qui ont porté Freud à émettre l’idée d’une répétition et donc d’un inconscient. Cet inconscient diffère d’avec celui des philosophes. Un Unbewust, que l’on ferait mieux ce me semble, de traduire en français littéralement par « un non-savoir », un inconscient qui ignore le temps, la négation, la contradiction, la mort ! Ces manifestations suggèrent que pour chacun une temporalité lui fait parler d’une histoire propre, au point que parfois sa vie a pu lui apparaître rêvée, interrogée de ses ratages, faisant symptôme et l’on peut rester simplement alors assuré qu’il y a eu un quelque chose….

Sur ce point, la « chose » me semble tout à fait bien explicitée par le philosophe des mathématiques Pierre Simon de Laplace dans son Essai sur les Probabilités : « Les événements actuels ont, avec les précédents, une liaison fondée sur le principe évident, qu’une chose ne peut pas commencer d’être, sans une cause qui la produise. Cet axiome, connu sous le nom de principe de la raison suffisante, s’étend aux actions même que l’on juge indifférentes. La volonté la plus libre ne peut sans un motif déterminant, leur donner naissance ».[2]

Nos connaissances ne sont que probables. Cependant que quelques fables les soutiennent !

Paul Valéry parle de cette puissance d’attraction d’un non–savoir. Au début se trouve la fable, nous dit-il : « C’est une sorte de loi absolue que partout, en tous lieux, à toute période de la civilisation, dans toute croyance, au moyen dequelque discipline que ce soit, et sous tous les rapports, – le faux supporte le vrai ; le vrai se donne le faux pour ancêtre, pour cause, pour auteur, pour origine et pour fin, sans exception ni remède, – et le vrai engendre ce faux dont il exige d’être soi-même engendré. Toute antiquité, toute causalité, tout principe des choses sont inventions fabuleuses et obéissent aux lois simples. » [3]

Ainsi, il nous faudra nous affranchir de l’idée d’une clinique de l’enfance découverte dans le continuum de celle de l’adulte, sans pour autant traiter les enfants de menteurs en puissance comme ce fut souvent le cas dans certains courants d’éducation pas si reculés. Ce rappel me paraît nécessaire ces courants feront retour. 

Ce non-savoir se manifeste avec et dans la répétition : ce qui fait que nous pouvons parler de temporalité subjective d’une relation individuelle telle qu’elle vaut pour le sujet, soit qu’il la rêve, soit qu’il s’adresse à un autre. 

  1. Freud le découvrira et franchira un pas qui inaugurera la pratique analytique de l’association libre, mais pas aussi libre que ça, du fait de la découverte concomitante d’une sexualité qui vient ponctuer. C’est la découverte de la mise en place très tôt d’une fonction libidinale d’avant la maturation sexuelle. Cette découverte permet une autre lecture des symptômes pour chaque cas dans sa singularité historique. Le sexuel est présent inévitable dès ce temps de l’enfance pour un adulte, il n’y échappe pas quand il fait retour sur son histoire propre … cette découverte du jeu d’une séduction, même si elle ne fait pas dogme théorique, restera probablement assurée, pas systématiquement rassurante. Elle positionnera que les certitudes du savoir peuvent parfois bénéficier d’un suspens …

Voilà qui clarifie les notions de temps et de temporalité pour les psychanalystes, les mathématiciens, les philosophes.

 Ainsi l’inconscient se lit, doté d’une connaissance de nos actes et d’un savoir en attente. Toute  réalisation que se propose le sujet aura sa part d’aléatoire. Malgré cela le soleil tourne autour de la terre, au quotidien l’approche du temps nous paraît tous les jours linéaire dans la petite et grande histoire, et aussi en philosophie. Malgré la découverte de Freud, une psychologie avec un début, un milieu et une fin s’est maintenue.  L’inconscient est remisé au rang de l’un des outils grâce auquel se déchiffrerait les « maux de l’âme », c’est l’inconscient des philosophes, inauguré avec le mythe de la caverne de Platon.

Ce pas de Freud ne sera pas perdu pour tous. Lacan avec les notions de Réel, Symbolique, Imaginaire apporte un vrai décalage sur notion de réalité au sens freudien.

D’où mon titre, ce « C’est pas ce que j’dis ! » est proféré fréquemment par les enfants, avec cette élision du « ne ». Je cite cette exclamation pour illustrer que la négation est plus anticipée, précipitée dans la hâte que réalisable. La temporalité me semble devoir être examinée différemment dans l’enfance. Ce n’est pas la même chose qui se passe pour le sujet dans l’enfance que dans la vie adulte historicisée d’une enfance. Le retour de ce qui a été entendu, n’a pas les mêmes effets, ni les mêmes conséquences lorsque ce genre de faux pas des lapsus, des actes manqués etc.… se produisent.

Le « faut pas » est plus fréquemment usité par les enfants que le il ne faut pas. D’ailleurs ce Faut Pas vaut pour commandement.

Dans un groupe de travail portant sur la prévention de la délinquance pédophile en milieu enseignant dans le primaire m’a fait réfléchir sur ce « ne faut pas » dans l’enfance. Le cas rapporté était celui d’une petite fille de huit ans, fille d’une collègue médecin de santé scolaire, très active dans la prévention et les formations en signalements des enfants victimes.  Cette consœur avait pris connaissance par une collègue que le nom de sa fille était inscrit dans une liste d’enfants concernés par les pratiques pédophiles d’un enseignant. Sa fille ne lui en avait rien laissé savoir. Son désarroi a été d’autant plus grand que son activité était connue de la famille, ses enfants étaient avertis et informés, leurs parents avaient pris soin de leur expliquer qu’il ne fallait pas se taire dans de tels cas, qu’il fallait en parler etc…. C’est d’ailleurs de cette façon que le cas m’avait été rapporté en groupe de travail : même des enfants avertis par leurs parents se taisent, qu’en dites-vous ?  D’autant que la réponse de cet enfant interrogée par sa mère avait été la suivante, surprenant tout le monde : « mais c’était ce que tu ne veux pas qu’il arrive, alors je ne t’en ai pas parlé ». J’ai fait remarquer que l’enfant indiquait dans sa réponse à la question, ce qui éclairait et renvoyait à celle qui m’était posée. Les enfants peuvent penser d’abord à protéger leurs parents quand il se passe des choses graves. L’histoire est en construction et la fonction de la négation est contextualisée du moment où le sujet se produit dans l’enfance, l’activité ludique y ayant son rôle. Ceci est à considérer et donne à réfléchir, sur l’usage que nous faisons non seulement de la notion d’immaturité neurologique du petit enfant, mais aussi de l’observation de l’articulation d’un fonctionnement libidinal, également en évolution dans la construction de l’image du corps. 

Les débats récents dans l’actualité quotidienne, font se pencher à nouveau sur la notion de consentement, devant être distingués des faits de soumissions, à propos de relations sexuelles entre enfants, mais aussi adolescents et adultes. Si une temporalité signifiante est produite versus traumatique dans l’enfance, force est de constater à propos de temps vécu, qu’il y faut un deuxième temps dans le fait de le dire. Ceci n’a rien à voir avec un droit prétendument interdisant ou autorisant à dire, quel que soit sa fermeté. Il ne suffit pas de dire que etc… il faut encore que la relation de confiance pour un enfant ne se traduise pas en volonté de protéger son parent. Beaucoup d’enfants anticipent d’éviter la peine qu’un parent éprouverait d’un échec parce qu’il lui serait arrivé, à lui l’enfant, quelque chose. Rappelons-nous des surprises des pédiatres constatant des signes évidents de maltraitance chez des enfants qui dissimulent quasiment cette maltraitance. Que veut dire pour un enfant de devoir passer aux aveux à partir de quoi il serait protégé par des inconnus. Il ne s’agit pas de renoncer à reconnaître les maltraitances et leurs conséquences, mais de trouver les moyens de temps, d’entretiens, pour ce faire et de ne pas pour autant attendre des psychiatres qu’ils répondent de cette part obscure d’un travail d’éducateur. La question du transfert concerne aussi les éducateurs. 

En conclusion, un rappel : les contes de l’enfance sont d’horribles fables, légendes, histoires qui sont les allégories diverses de la vie d’adultes, sans que les choses soient nommées pour ce qu’elles sont comme histoires de mœurs – mot banni aujourd’hui, sa proximité avec morale étant jugée indécente –. Les enfants écoutent ces histoires au mot près quand vous les leur relisez. Ils surveillent ce qui défaillirait dans la narration. Les enfants sont en quête de cet embrayage vers ce qui met en logique une fable en advenir, cette disjonction d’avec la réalité peut les faire rêver dans l’enfance, du moment qu’ils ne sont pas soumis à devoir répondre de ces logiques.

L’essentiel, pour eux, est que soit entendu chez l’adulte, qu’ils ont, eux les enfants, trouvés que personne ne peut garantir un vrai dire sur un dire vrai. Que nous sommes tous, adultes, enfants, happés par une part de non-sens. Part qui n’est pas indépendante de cette fonction libidinale.

2/ Du signe au Signifiant, (a) temporalité ? (a) chacun son temps ?

Revenons aux problématiques posées pour une définition du temps en philosophie, j’en ai retenu une qui s’avançait à distinguer le présent de l’Éternité… :

Répétition, Instant, Éternité…. Où est le sujet ?  Où est le présent !

Ces deux temps, le passé et l’avenir, comment sont-ils, puisque le passé n’est plus, et que l’avenir n’est pas encore ? Pour le présent, s’il était toujours présent… il serait l’éternité.

La répétition se concrétise dans le discours qui interroge littéralement le non savoir du présent.

Qui est l’auteur de ce « WO ES VAR SOLL ICH VERDEN » ? Ici ce sera Saint– Augustin, dans le Livre XI des Confessions[4], ce n’est pas Freud. Car cette relation logique au passé revient à une psychologie avec un début et une suite. Un instant cette faille qu’engage la réflexion aura été pressentie. Cela présente une « esquisse » de la répétition et d’un non- être ? « Cela est le présent mais ce n’est pas le cas ». Ce que Freud découvre c’est bien au contraire la fonction d’un imprévu du présent. Un Réel dont l’implication est inattendue.

La psychanalyse nous enseigne qu’il est commun aux deux temps de l’enfance et de la vie adulte de se trouver confrontés au fait que la vérité peut faire obstacle au semblant du dire, que le réel ne s’inscrit et ne se manifeste que lors d’une impasse de la formalisation, et ainsi … dès lors : aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années…?

Freud après avoir bataillé à maintenir l’idée d’une continuité temporelle … et corporelle découvre cette impasse de la formalisation. Celle qui rompt avec celles de la philosophie, des religions et du culte des sciences obscures, certes.

Si je rapproche la démarche de Saint–Augustin et le « Soll Ich Verden » de Freud, c’est pour souligner à propos de subjectivité, combien l’idée d’un trouble de la Conscience dans sa majesté, dans sa permanence, leur est problématique mais est traitée différemment. Quand avec Lacan nous avons parlé de déclenchement des psychoses paranoïaques, nous n’étions pas loin d’un contre sens si nous relevons combien la notion de conscience pérenne et linéaire est affichée dans la Paranoïa … en ne résistant pas à cette néantisation du sujet.

Quelles conséquences, en termes d’analyse d’enfant ?

Nous aurions quelques difficultés à suivre ce conseil d’un Freud qui n’a pu résister à sa découverte : Dans son article « Construction en Analyse » Freud énonce : « Ce que nous souhaitons, c’est une image fidèle des années oubliées par le patient, images complètes dans toutes ses parties essentielles »[5] Ce conseil sera revu dans  « Note sur le bloc magique » : « Je supposais en outre que ce mode de travail discontinu du système Préconscient-Conscient […] était au fondement de l’apparition de la représentation du temps. »[6] Et enfin, dans la Métapsychologie : « Les processus du système inconscient sont intemporels, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas ordonnés dans le temps, qu’ils ne sont pas modifiés par l’écoulement du temps, n’ont aucune relation avec le temps. La relation au temps elle aussi est liée au travail de l’inconscient. »[7]

Ceci nous rappelle les temps d’accolement des fleurs au col du vase de la phase du miroir, partant du bouquet de Bouasse, à sa complète réalisation avec la variation du miroir plan. Voilà qui aiguise la réflexion sur ce qu’il y aurait à discerner des troubles autistiques de Kanner, des troubles nommés psychotiques dans une observation hâtive issue de l’application et de la généralisation de la clinique adulte aux enfants (comme l’autisme d’ailleurs). Les outils théoriques forgés par Freud, puis en retour ceux forgés par Lacan, mais aussi par Wallon afin d’expliciter les faits cliniques de l’enfance me semblent devoir être appréciés comme consistants pour les éclairages qu’ils apportent et leurs conséquences dans un travail de prise en charge thérapeutique.

L’embarras subsiste et pèse lourd en pédopsychiatrie d’une pauvreté gênante du langage usité par la transposition qui est faite de diagnostics élaborés et issus d’une séméiologie clinique propre aux adultes sur les sujets de l’enfance et leurs troubles. 

À chacun son temps.

Freud, plus rigoureux a voulu absolument vérifier ses constructions théoriques en visitant in vivo avec le petit Hans, puis l’homme aux loups, ces souvenirs de l’enfance qu’apportent systématiquement les patients.  Freud en vient à constater une solution de continuité entre maturation sexuelle et puberté. Le trajet de l’enfance à la vie adulte ne présente pas un développement chronologique harmonieux et linéaire quand il découvre qu’il s’agit de sexualité et d’expériences singulières – où la phonétique a sa place – d’entrée dans le langage. Il étudie et théorise avec le recueil de ces moments anachroniques et hétérogènes quant aux choses vécues. Au lieu d’une psychogénèse, les faits cliniques témoignent avec Freud de la formation d’un complexe structural où s’intègrent sans difficulté le caractère asynchrone des développements libidinaux et moïques. La structure, il la retrouve également dans la logique d’un mythe : le complexe d’Œdipe.

Après Freud, il y aura deux courants, lesquels tournent autour d’une question de temporalité, laquelle implique différemment la mise en place d’une fonction libidinale chez les enfants :

– celui d’Anna Freud, elle propose une forme nouvelle de pédagogie éclairée par la psychanalyse. Il y est théorisé une psychologie génétique. Elle considère le trajet d’un développement ordonné où une étape est indispensable à la suivante pour une forme définitive et achevée qui conduira à l’adolescence. Le consentement des parents supporte les problématiques du transfert.

– celui de Mélanie Klein, est l’exploration psychanalytique du fonctionnement psychique à la lumière du complexe d’Œdipe qui est présent pour elle très tôt sui generis. Mélanie Klein impose la notion de transfert très tôt chez les enfants. Elle admet la conception de fantasmes précoces, au lieu de faire reculer l’Œdipe jusqu’à la puberté comme Anna Freud, elle en infère les traces in utéro. Elle accorde une interprétation œdipienne précoce, le cas clinique Dick en est l’illustration…

Vite dit, la position de Mélanie Klein interprète d’emblée ce qui fait répétition à la lumière du complexe d’Œdipe reconnu par Freud, Ana Freud organise la répétition des étapes qui permet d’éclairer les phases du complexe d’Œdipe aux parents qui seront aidés par l’enseignement Freudien.

Le « C’est pas ce que j’veux dire » n’est toujours pas retenu pour ce qu’il doit être d’une temporalité subjective, dans la version Cornélienne du meurtre du père, où l’acte manqué tiendrait sa place. La question se pose d’ailleurs de savoir s’il est convenable de parler d’acte manqué ainsi dans l’enfance, sans l’intervention de cet Autre dont il n’est pas dit qu’il ait le même statut chez l’enfant que chez l’adulte.

Il faut souligner que ces deux grandes dames ne sont pas sans nous apprendre ce qui fait symptôme dans la pratique : la valeur éducative qu’elles attribuent à la psychanalyse. Cette remarque peut-elle être tenue en réserve de ce qui dans l’avancée de la psychanalyse fait « histoire de la psychanalyse ». Pour Anna Freud, elle adresse aux parents une ressource éducative à partir de l’enseignement de la psychanalyse, pour M. Klein, elle éduque les enfants, guidée par son interprétation de l’Œdipe, assurée d’un transfert du seul fait qu’il s’agit d’enfant, identifiable en place de parent (la Tripière y met ses tripes), elle juge même inutile de préciser que ses publications concernent des personnes de sa parenté directe et familière. Est-ce une position de forçage transitiviste ? Lacan avait déclaré pour le cas Dick : elle le fait passer par le chas de l’aiguille, il accède au symbolique.

Avoir le savoir de l’éducation ou être pratiquante de ce savoir, leur fait méconnaître l’enfant du désir auxquelles elles se réfèrent : celui d’un savoir de Freud. Elles s’illusionnent à reconnaitre ou retrouver celui que Freud supposait et dont Freud demandait à savoir si ses hypothèses étaient fondées. Ce qui soulève une autre remarque pour conclure ce temps : l’enfance plutôt son avatar, l’enfant c’est lui qui est en position d’analyste.

Pour conclure sur cet épisode survenu dans les suites immédiates de l’enseignement de Freud, nous retiendrons que les enfants ont fonctionné d’une place de sujet supposé savoir pour Freud et cependant cette place n’a pas été retenue comme telle pour ces deux célèbres élèves. Voilà un nouage temporo-spatial qui n’est pas sans évoquer le « temps logique », la fonction de la Hâte, comme Lacan nous y invite.

Lacan, lui, ne s’est pas occupé directement d’enfant, toutefois à la lumière de son enseignement ses élèves sortent de cette ornière éducative. C’est d’autant plus surprenant qu’il prend la problématique à bras le corps : « la famille n’est pas naturelle, n’est pas un fait biologique, elle n’est qu’un fait social ». La prématurité de l’enfant est centrale dans la pensée de Lacan pour ce qui est de son avènement au langage.  L’immaturité propre à l’organisation néonatale est confrontée aux positions désirantes de la mère où la libido tient sa place. La mère sollicite l’enfant, implante en lui comme par effraction, par intrusion un environnement de signifiants …

Il ne s’agit pas d’éducation.

La Naissance devient une venue à la parole et au langage, elle est une expérience initiale pour chaque enfant. C’est la séparation inaugurale dont chacun aura à répondre d’une singularité à lui-même inconnue. C’est de la réponse de L’Autre qui transforme le cri en appel, grâce à quoi l’enfant entre dans le langage. Cette idée d’entrée est liée à l’accueil qui a pu être fait à ce supposé petit humain en train d’advenir.

Pareillement c’est une expérience pour la fonction maternelle, une véritable invention et non une expérimentation, sinon ce ne serait pas le meilleur des cas. Une venue au monde est le fruit de deux expériences qui n’ont aucun protocole d’expérimentation dans le champ éprouvé du savoir : celle de l’enfant, celle des parents : on ne sait pas ce qui tient au hasard. En aucun cas elle ne reproduit l’exactitude d’une expérience scientifique où rien n’est laissé au hasard. Dans une expérimentation, rien n’est laissé au hasard, elle vérifie la certitude du savoir. S’expérimenter à faire venir scientifiquement des enfants désirés (dit–on !) est une recherche contemporaine.

Et cependant, dans une maternité malgré le savoir, bien qu’il soit présent ce savoir, il ne permet pas pour autant de prévoir.  Chaque naissance est une expérience chaque fois renouvelée qui tient aussi du hasard. Du point de vue philosophique et clinique, le fait de la naissance est une répétition intemporelle et il n’est pas assuré qu’elle se produise ! Avec Freud la naissance est un trauma, vivre est un détour avant le retour à l’inanimé, la répétition signe de l’existence d’une pulsion de mort.

Si la répétition est au cœur de ce qui scande une temporalité subjective, je fais maintenant remarquer une différence de la fonction du signifiant symbolique chez Freud et chez Lacan.

Freud mettait l’accent sur un rapport unissant le symbole à ce qu’il représente. Il engagea à faire reconnaître un mode de représentation indirecte et figuré d’une idée, d’un conflit, d’un désir inconscient, mais restera sur une retenue que Lacan va utilement franchir. Freud notait une symbolique. Il restera dans la logique d’une symbolique où la sexualité humaine trouve son fonctionnement. Le symbole avec Freud est donc à prendre dans une acception qui évoque le symbolisme, tel qu’il était dans un déploiement littéraire et philosophique de son époque.

Lacan a fait un autre trajet. Il vient à la psychanalyse par la clinique de la psychose paranoïaque. Il rend compte autrement des faits, il ne s’embarrasse pas de l’insuffisance d’un symbolisme qui ne dépouille pas un idéalisme de principe. Lacan s’applique à respecter l’aridité et la chronologie des faits de langage. C’est sa thèse du cas Aimée, qui permet, me semble-t-il, de dire le pas qu’il franchit. Il enlève tout pathos à une histoire familiale, tout idéalisme ou effet de style littéraire, non plus pour parler d’une symbolique, mais pour nommer le registre symbolique lié à la libido. Plus encore, une castration symbolique fait défaut dans la genèse des troubles à partir de l’histoire familiale. Lacan analyse les troubles du langage de la psychose dans leur défaite symbolique, laquelle ouvre le chemin à une relecture symbolique susceptible de discerner une élaboration délirante. Avec Lacan le délire est saisi dans son a temporalité.

Avec Lacan, le registre symbolique est premier et le lien avec ce qui est symbolisé est second. Si avec Freud, nous avons eu La symbolique de ce qui est produit, avec Lacan nous aurons le symbolique.

Lacan, dans les complexes familiaux, nous débarrasse de la compassion et de la sympathie débilitante pour un nouveau-né égaré dans la jungle et nous fait entendre d’emblée que son immaturité est débordée par la fonction anticipative des Imagos : « c’est notre privilège que de voir se profiler, dans notre expérience quotidienne, la pénombre de l’efficacité symbolique ».

 J’ai peut-être fait un assez long détour sur les différences d’analyse entre Freud et Lacan sur la temporalité subjective, donc sur la notion de répétition, j’ai aussi voulu faire remarquer les approches différentes de l’enfance avec l’enseignement de Freud et de Lacan, pour en situer les implications pratiques dans une clinique propre à l’enfance qui impliquent la notion de la répétition.

Cette clinique de la répétition dans la psychanalyse est dotée, à la différence de tous les cycles de la nature, de quelque chose qui brise la circularité des philosophes et donne une temporalité pour le sujet. Freud observe à chaque tour qu’il y a un après coup, le jeu de la bobine repéré par Freud a donné statut de ce qui fait Acte. C’est l’institutionnalisation d’une perte, acte fondamental où le sujet s’engendre comme tel de la répétition du signifiant, d’autant qu’il est clair que la bobine ne revient pas dans un état identique à son départ. 

L’enfance c’est le jeu de cette découverte. La vie adulte c’est sa continuation par d’autres moyens et avec d’autres conséquences. L’infantile de la névrose de l’adulte serait-il quasiment la récusation de ce que l’enfance poursuit son chemin, même à l’âge adulte ? Plus simplement, Lacan nous dit : « à partir du moment où l’enfant a su appeler “ouah-ouah” un chien, il appellera “ouah-ouah” un tas de choses qui n’ont absolument rien à faire avec un chien, montrant donc tout de suite, par là, que ce dont il s’agit, c’est bien effectivement de la transformation du signe en signifiant qu’on met à l’épreuve, de toutes sortes de substitutions par rapport à ce qui, à ce moment-là, n’a pas plus d’importance, que ce soient d’autres signifiants ou des unités du réel. Ce dont il s’agit, c’est de mettre à l’épreuve le pouvoir du signifiant. » [8]

En conclusion, dans l’enfance le symbolique introduit ce qui est de l’ordre du jeu de cette discontinuité du rapport du sujet au réel, ce n’est pas pour autant qu’il en surgit de manière semblable un trébuchement, celui sur lequel nous nous arrêterons pour entendre ce que nous nommons le sujet dans la clinique adulte. Avant l’adolescence : les enfants nous enseignent une clinique de l’inter-dit, c’est un forçage de parler de leur liberté de parler vrai. Les enfants n’ont pas le même recul à l’endroit de la langue que les adultes. Ce recul perdu chez les adultes nous fera diagnostiquer l’automatisme mental. 

 3/ Déclinaison d’une « Tuile », c’était pas ça … !

Lacan souligne « La tuile » pour les enfants, que sont les parents qui les réprimandent pour ce qu’ils expérimentent du langage. S’ils lui disent que c’est autre chose qu’il y a à dire, et bien les parents forcent le sens là où il n’y a pas lieu de le faire. « Ils prennent le risque de déclencher les choses insurmontables dont ils auront à se plaindre ». Je me permets de prolonger l’affirmation : l’apparition du plombier dans le rêve de Hans n’aurait-il pas valeur d’acting out consommé dans le groupe familial. D’ailleurs, il est rare de constater chez les enfants des passages à l’acte, du moment qu’ils n’ont pas été concernés directement sur leur personne, par ceux des adultes.

Ceci, je le précise pour ajouter que la clinique en exercice avec les enfants, peut nous permettre d’apprécier les conditions dans lesquelles une énonciation est en advenir. Le jeu de la logique couvre le paradoxe du sens. Ce qui est désigné n’est pas forcément signifié, c’est ça le jeu. Par là, le jeu illustre le rapport du sujet au réel, comme pure discontinuité.

Un exemple de ce genre de bévue se trouve dans l’article du Monde qui s’appelle « Dépêche-toi … » [9] : Injonction qui souligne pour les parents, leur difficulté à supporter ce qu’ils supposent chez leurs enfants d’avoir une capacité à jouir de l’instant présent, d’une manière qui oblitère leurs décisions présentes aux intérêts de l’enfant. Le corollaire à cette injonction est « A cause de toi on va être en retard ». Je note que le rapprochement des deux phrases, instaure une fausse parité quant à la jouissance du présent tout en appelant à une question : quel est cet usage d’un ON lequel désigne des sujets indéfinis réciproques d’un temps logique.

Jouir de l’instant présent nous renvoie à Saint-Augustin là où Josiane Froissart a fait très justement remarquer que ce temps présent fait témoignage des relations entre le Je et un non savoir.

Si les enfants expérimentent les jeux de langage, voire en sont captifs, ils ont la particularité de ne pas apprécier tant ce qui nous en amuse, que le fait que nous intervenions à parité. Un philosophe contemporain Giorgio Agamben a produit un ouvrage qui interroge cette disparité de la temporalité enfant/adulte, Enfance et Histoire[10] :dépérissement de l’expérience et origine de l’histoire, je le recommande vivement car il est d’actualité. Il remarque que la Science a pu unifier en un nouvel ego science et expérience … qu’il a été fondé un sujet unique, celui de la science expérimentale. En quoi les enfants échappent aujourd’hui à ce que les adultes organisent un avenir qui ne doit rien au hasard et s’organisent autour de l’expérimentation d’un savoir qui ignore le passé.

Un ami m’a fait remarquer qu’il y avait différentes manières de qualifier ce qui est passé, ainsi les Celtes auraient été résolument tournés vers l’avenir, car les Celtes auraient compté le temps en référence aux nuits sous prétexte que la nuit donne naissance au jour. Au moins, si les jours passés n’entrent pas en ligne de compte, on aura pu espérer que les hasards de leurs nuits feront l’Aube de leurs jours.

Restons près de cette expérience du langage chez l’enfant, elle est d’emblée sexuelle, sa réalisation symbolique est consécutive à l’impuissance native à être saisie d’un fonctionnement qui déborde la fonction. L’immaturité neurologique fonde une expérience du langage précoce où la libido intervient : « La libido n’est que la notation symbolique de l’équivalence entre les dynamismes que les images investissent dans le comportement. C’est la condition même de l’identification symbolique… sans pouvoir être rapportée à une unité de mesure, l’efficience des images est déjà pourvue d’un signe positif ou négatif et peut s’exprimer par l’équilibre qu’elles se font. » Rappelons l’issue de cette phase du miroir où l’image spéculaire semble être le seuil du monde invisible, c’est là qu’un enfant trouvera une reconnaissance par la nomination qu’un tiers symbolique va opérer. Lacan parle de jubilation à cette découverte.

Cette jubilation aura d’autant lieu d’être qu’elle alternera avec des moments où ce tiers aura autre chose à faire ; et là, si l’inscription symbolique n’est pas faite, il perdra l’image cependant il peut avoir aussi acquis le jeu de la bobine. Je pense que les jeux langagiers de logique d’Alice au pays des merveilles jouent sur ce registre.

Lacan la présente : « Alice au Pays des Merveilles, quand serviteurs et autres personnages de la Cour de la Reine se mettent à jouer aux cartes en s’habillant de ces cartes, et en devenant eux-mêmes le roi de cœur, la dame de pique et le valet de carreau, vous êtes engagés à partir d’une parole, […] et quand bien même la Reine changerait à tout moment la règle, que ça ne changerait en rien la question, c’est à savoir qu’une fois introduit dans le jeu des symboles, vous êtes tout de même toujours forcés de vous comporter selon une certaine règle. En d’autres termes, chacun sait que quand une marionnette parle, ce n’est pas elle qui parle, c’est quelqu’un qui parle derrière. »

Ce n’est plus à l’ordre du jour : il fut une époque où enfants nous jouions au docteur, à la famille, au marchand, à la guerre …. Nous savions, selon les places définies, quel rôle tenir, pouce levé la suspension était possible pour reprendre avec plus d’énergie, là où nous supposions en avoir été … Dans ces jeux, le choix de places était déjà un enjeu. Mais la formalisation était de pouvoir se comporter selon les règles d’un jeu. Là, nous sommes dans un idéal. Le transitivisme est moteur dans ces jeux de rôle.  Le temps logique de Lacan pourrait-il être joué par des enfants ? Je n’en suis pas sûr, surtout tel que présenté par Lacan. Cependant, je m’interroge à partir du Temps logique [11] sur ce que je retrouve d’un nouveau transitivisme avec les jeux vidéo et numériques. Ce qui pousse à la jouissance avec les ordinateurs probablement, se joue sur la pérennisation d’« un temps pour comprendre » organisée par les créateurs de ces jeux. Au fur et à mesure où justement les joueurs auraient compris la symbolique de la marionnette, avatar de celui qui écrit et remanie les jeux, leurs victoires permettent d’écrire leurs prochains échecs. Tant est si bien que dans l’absolu, le moment de conclure est mis en perspective inatteignable ce me semble. Ce point de perspective est une illusion réelle, pas symbolique, car ce n’est pas un point inatteignable pour tous, ce n’est pas une négativité communément partagée, bien au contraire. C’est une organisation qui pousse à la répétition, à la masturbation. Le joueur a transmis ce qu’il sait faire pour déjouer le piège logique tendu par le concepteur. Autrement dit cette carotte fait fonctionner la motricité de l’âne en lice d’un prochain jeu. Ce sont des jeux participatifs au travail supposé des créateurs de jeu.  Voilà une illusion de temporalité, une temporalité virtuelle. Sauf que nous ignorons à quel point nous les produisons nous-même en entrant dans cette collectivité de producteurs et de joueurs. Ces jeux parlent de nous sans que nous ayons à le savoir. On saisit la réponse active motrice constante de ces enfants qu’on ne peut pas interrompre … comme justement l’a dit l’auteur de l’article : « Bon petit soldat faisant mine de donner le change, l’enfant mouline, sous sa casquette Pokémon, les mêmes préoccupations corrosives qu’un quadra flippé », je reviendrai sur cette conclusion miroir sur laquelle dévisse l’auteur.

 Avec le Temps logique, Lacan nous fait saisir que le sujet impersonnel, c’est celui dont on se dégage par l’acte de l’assertion par un moment de conclure, « il faut que je sois pour penser ». C’est ainsi que l’on s’extirpe d’un transitivisme spéculaire, pour appeler des conclusions qui ne sont pas vraiment là !  C’est notre penchant naturel pourrait-on dire, assurément celui de cet enfant auquel on dit « dépêche-toi » que de rester suspendu à ce temps pour comprendre.

Le commentaire de Michel Jeanvoine sur le temps logique insistait pour faire entendre que dans le collectif s’organise pour chacun de nous, sans le savoir, une répétition à partir du fait qu’inévitablement, nous sommes amenés à partager ce qui y fait commune mesure. Ce qui annonce quelque chose d’une automaticité partagée inévitable dans ce collectif. Ce terme de collectif surprend. Une famille n’est pas une collectivité à moins que l’on tienne une collectivité pour ce que Blanchot appelle communauté inavouable … celle qui a perdu le trait qui oblige à la réciprocité.

La justesse de ces remarques est primordiale pour ceux qui s’occupent d’enfants. Car elles conduisent à repérer ce qui dans le transitivisme se charrie d’identification en gésine. C’est un fait, dans les consultations d’enfant, cela tranche dans ce qui fait querelle entre d’Anna Freud et Mélanie Klein. Avoir la chance de recevoir des parents qui élaborent leurs questions au cours d’un suivi de l’enfant autorise ce jeu des identifications, permet aux signifiants de se constituer au carrefour des jeux du transfert. Dans ces cas nombreux, on a pu se poser des questions sur le statut psychopathologique des symptômes de l’enfant. Des symptômes de l’ordre de voix entendues s’imposaient-ils à partir d’une radicale extériorité ou bien trouvaient-ils leur source dans l’ère transitionnelle d’un lien ? L’accueil de tels symptômes méritent d’être déplié avec ce que des parents peuvent en recevoir et en dire dans l’accompagnement de leur enfant. Il est connu que des entretiens familiaux, « Il y a une négation propre à la pensée transitiviste qui est toujours la négation du réel éprouvé de l’autre afin que l’autre éprouve spéculairement et réellement ce qu’il est supposé devoir éprouver de la part de celui qui le situe dans son transitivisme. » Fabrique de rapport réciproque de mêmeté ….

Je voudrais ainsi terminer sur ce qui est un réel abandon de l’enfance dans sa temporalité. Son trait clinique c’est de déjouer la transitivité dans l’exercice ludique. J’ai rappelé que dans les Ecrits techniques Lacan pose ce fond de l’identification symbolique comme liée à la réponse qui est faite au cri reconnu dans sa fonction d’appel, ce qu’il en est de la reconnaissance du cri.

Valère Novarina assidu du séminaire de Lacan, l’a bien entendu. Son œuvre se résume pour l’essentiel à un théâtre de paroles, il fait dire dans l’opérette imaginaire, à l’un de ses personnages : « Nous n’appelons les choses ainsi, que parce que nous ne pouvons pas nommer – nous ne faisons qu’appeler. Nous n’appelons les choses que parce qu’elles ne sont pas vraiment là. » À écouter son théâtre en notre for intérieur nous éprouvons ce qui ne se dit pas … de manière constante…

Que se passe-t-il en jouant pour les enfants ?

Le morcellement dans l’enfance conduit à une scansion d’unités virtuelles successives dans les rencontres enfantines, celle d’un semblant, toujours appelé, rappelé, et non ressemblant dans les retours qui lui en sont faits, non conforme à l’image qu’il s’en faisait, à l’idée qui lui est venue. C’est une jubilation du jeu qui n’est pas un rêve et qui est empreint de sérieux dans l’enfance.  Le sérieux du Jeu est une jouissance qui illustrant la quête de faire correspondre de manière biunivoque et amboceptive à la fois ce qui manque pour soi et pour l’autre. Le symbolique intervient en levant la confusion qui pourrait en résulter.

Plus que la répétition pour les enfants, il y a réédition dans le jeu. Elle n’est pas lassante, car elle est toujours variée et jamais identique, même si elle apparaît à l’adulte comme répétitive. Ce qui prime dans l’échange, ce qui fait circuler les objets, ce n’est pas qu’ils aient valeur marchande. Enfin, oui, mais toutefois pas en tant qu’objets. Ils sont reconnus que pour ce qu’ils manquent pour l’un et/ou pour l’autre, pour chacun, de manière donc univoque l’objet manque, il s’appelle revient à cet autre. Un rappel : nombreux, nous avons pu symboliser cela en écrivant sur sa gomme « elle s’appelle Reviens ». Ce qui est une manière métonymique d’évoquer le manque, précisément cette communauté du manque. Habituellement, la gomme que l’on prêtait, ne revenant jamais, on apprenait alors le prix du manque, de ce travail intime étrange d’avoir supposé que l’autre vous rendrait quelque chose, à l’identique.

Ce que l’on a donc appelé valeur d’usage concerne des objets quant au manque. C’est un prix de revient qui est reconnu. Très exactement ce qui ne sera jamais décidable et appréciable pour sa valeur pour chacun dans le futur monde du travail. A travail égal, salaire égal, c’est un jeu d’enfant. Un jeu sérieux, car reconnu pour ne pas être automatique, mécanique, allant de soi, un jeu très vivant, mortifiant certes mais pas mortifère.

J’insiste sur ce mortifiant. Car, la figuration d’un manque à jouer, c’est ce que trichent les machines numériques qui organisent la perte sur un manquer à réussir binaire entre soi et une machine miroir formée à nous distraire de votre manque car tout doit vous revenir. Au fond la machine calcule votre répétition à manquer et ne vous permet pas de rééditer un jeu où l’oubli, l’erreur, le hasard ont leur place chez l’autre ; car en vrai il n’y a rien qui vous regarde dans ce qu’on appelle la phase du miroir pour être trompé. Elles vous réduisent à votre propre appel : « Nous n’appelons les choses ainsi, que parce que nous ne pouvons pas nommer-nous ne faisons qu’appeler. Nous n’appelons les choses que parce qu’elles ne sont pas vraiment là. »[12]

Conclusion

J’ai essayé de dire et de préciser comment une réflexion sur ce qui fait la différence entre clinique des cures avec les enfants et clinique des cures avec les adultes, peut nous conduire à suivre ce qui ne fait linéarité dans une « histoire » de la psychanalyse.

 Et pourtant ce ne sont que le fait de ruptures successives …

Ce retour des adultes vers l’enfance est marqué d’un probable savoir qui souligne combien il n’est que probable. C’est ce « je parle » de l’adulte, ce je embrayeur, souligné par Lacan dans la fonction de shifter qui désigne le sujet de l’énonciation mais ne le signifie pas, celui qui a soif de vérité se présente marqué par les signes de la tromperie. Il n’y a pas d’unité antérieure du sujet à la discontinuité que manifeste le discours du patient. Freud, rapporté par Lacan, dit à propos de la prise de parole en analyse « quoi qu’il en soit il faut y aller »[13].

L’hypothèse d’une particularité dans l’enfance d’une énonciation suspendue à une fonction de shifter qui ne se met pas en place dans l’instant, est-elle envisageable ? Elle semble représenter l’impossible effacement d’une disparité d’avec ses parents. Il y a dans la phase du miroir de J. Lacan ce temps essentiellement moteur de retour où le sujet peut se trouver absenté mais reconnu « dans l’échange des regards, (qui se) manifeste lorsque l’enfant se retourne vers celui qui de quelque façon l’assiste, fût-ce seulement de ce qu’il assiste à son jeu. »[14]

À l’adolescence la parité entre adultes se met en place, et remarquons que les adolescents s’appuient rarement sur leurs souvenirs si ceux-ci ne sont pas marqués d’un traumatisme. Le type même de mémoire que les enfants s’étaient précédemment appliqués à faire disparaître.

Pour terminer, il me semble important de reconnaître que ce temps de conclure reste prématuré, précoce…  En suspend avec les cures d’enfants.

[1]Psychiatre, psychanalyste.

[2]Pierre-Simon de LAPLACE.  Essai philosophique sur les probabilités, Édition numérique européenne, Édition du Kindle, p.7.

[3]Paul VALÉRY, Variété I et II, Editions Gallimard, Édition du Kindle.

[4]SAINT–AUGUSTIN (353-430), Livre XI, Les Confessions, Édition du Kindle, p.97.

[5]FREUD Sigmund, Constructions dans l’analyse (1937), in Résultats, idées, problèmes, PUF, Tome II, p. 269.

[6]FREUD Sigmund, Note sur le bloc magique (1925), in Résultats, idées, Problèmes, PUF, Tome II, P 124.

[7]FREUD Sigmund, Métapsychologie, Folio, Gallimard, (1968), p.9.

[8]LACAN Jacques, Le désir et son interprétation, Séminaire VI, Ed. Seuil, p.135.

[9]Article du Journal le Monde du 25 Janvier 2020.

[10]AGAMBEN Giorgio, Enfance et histoire, Payot, 2002.

[11]LACAN Jacques, « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée » in Les Écrits, Seuil, 1966, p. 197-213.

[12]NOVARINA Valère, L’Opérette imaginaire1998.

[13]LACAN Jacques, Le séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Seuil, p.33-p.37.

[14]LACAN Jacques, De nos Antécédents in Les Écrits, Seuil, p.70.



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– Auteur : BENRAIS François
– Titre : « C’est pas ce que j’dis »
– Date de publication : 17-07-2020
– Publication : Collège de psychiatrie
– Adresse originale (URL) : http://www.collegepsychiatrie.com/index.php?sp=comm&comm_id=200