Collège de Psychiatrie

Samedi 4 février 2023

Journée d’étude sur 

« Les paraphrénies. Paraphrénisation? »

 

Arno : « J’ai un trouble bipolaire »


J’ai choisi d’évoquer la clinique d’un de mes patients que j’ai suivis pendant près de 18 ans. 

Malgré le titre de mon exposé il ne s’agit pas d’un trouble bipolaire, ni même au sens strict du terme d’une paraphrénie

 Mon titre provient des paroles de mon patient, que je vais nommer Niko, qui se portait un auto-diagnostique de  « trouble bipolaire ».

Quand on m’a proposé de parler ici d’un cas clinique de paraphrénie, ma première pensée a été que je n’en n’avais jamais vu, souvenir d’une réflexion de Marcel CZERMAK « la paraphrénie c’est rare »

J’étais bien embêté, je pensais ne pas en avoir dans ma clinique. Alors trouver un cas de paraphrénie m’a semblé mission impossible. C’est un diagnostic auquel je ne pensais pas, en raison de cette idée de rareté et je me suis dit que j’étais passé à côté. Je me suis mis à la recherche parmi mes dossiers sans vraiment trouver cette perle rare.

J’ai donc repris quelques textes.

Dans les séminaires de Lacan, le terme paraphrénie, apparaît par deux fois : dans les écrits techniques et les structures freudiennes. J’y ai lu que pour Freud, la paraphrénie recouvrait toute la clinique de la démence précoce, voire toute la démence. Le terme apparaît deux fois aussi dans les structures freudiennes. Lacan l’utilise dans le sens de la schizophrénie.

Dans les complexes familiaux, il introduit la notion de psychose avec et sans moi, suivant une gradation en fonction du délire, la disparition du moi étant du côté du paraphrène. 

J’ai relu les textes de Dupré et Logre, sur les délires d’imagination. Un délire dont le mécanisme d’éclosion du délire, serait purement imaginatif, sans participation interprétative ou hallucinatoire.

En toute rigueur il est difficile de trancher pour l’un ou l’autre mécanisme, l’association des uns avec les autres chez un même patient est évidemment fréquente. D’ailleurs en relisant le cas modèle de cette mythomane délirante, je me suis demandé s’il n’y avait pas une participation interprétative dans ce délire. Il me semble que les auteurs évoquent aussi ce mécanisme dans leur texte.

Plus récemment, le terme de paraphrénisation a été proposé par Maleval, qui le recentre et le place en fin de la logique évolutive d’un délire.

La paraphrénisation alors comme bricolage permettant un type de nouage qui ne soit pas bancal.

Je rajoute à ces difficultés à chercher un cas, la présence quasi-constante de prescription de médicaments chez ces patients délirants, hospitalisés. Ces molécules, on le dit, n’arrêtent pas vraiment le délire. Ils en empêchent sûrement son évolution, mais permettent un retour à la vie commune, pouvant faire penser à une paraphrénisation pharmacologique. 

Ce patient, Arno, m’est apparu alors comme un bon exemple de toutes ces difficultés dans le cadre de paraphrénisation d’un patient.

Je l’ai rencontré quand qu’il avait 32 ans, au début de ma formation de psychiatre, au cours de sa deuxième hospitalisation sous contrainte.

Il est le deuxième enfant d’une fratrie de trois, il a deux sœurs, la plus importante est sa sœur ainée d’à peine deux ans que Je nommerais Steph.

Je vous propose de vous présenter les éléments cliniques que j’ai retenus, en trois temps. 

Le premier s’étale sur une douzaine d’années avec une alternance d’hospitalisations et de moments de calme, le second est plus court, 4 ans, le début correspond à mon installation en cabinet libéral, et le troisième qui dure encore.

Au cours de premier temps, en dehors des moments délirant, Arno est plutôt un homme se présentant de façon sympathique, physiquement et moralement. 

Sans être affable, il a cette politesse et ce savoir-vivre du milieu bourgeois des petites villes de provinces, sans maniérisme. 

Il vivait seul dans un appartement à Lyon avec son chien. 

Son activité professionnelle durant cette première période a été une suite de CDI dont il démissionnait lors de chaque hospitalisation pour en retrouver un autre, à l’issue de ses sorties. Il a travaillé comme commercial dans de petites entreprises, puis dans la logistique. 

Il décrivait sa vie comme « métro-boulot-dodo », Il se plaignait de beaucoup d’ennui, de solitude, se décrivant comme bipolaire, qualification qui lui faisait dire qu’il était incapable et ne faisait que de la merde.

Pourtant il occupait son temps libre par deux activités principales :

Il recherchait, comme il disait « une petite », une femme qui lui aurait convenu, dans l’idéal une hôtesse de l’air. Il me disait qu’une femme lui aurait permis de combler son ennui, de l’arrêter « d’être con », surtout de le guérir.

Il a fait plusieurs rencontres mais malgré toutes ses tentatives, aucune n’a convenue. Cela apparaissait être la recherche folle de La femme, recherche qui apparaissait sans espoir.

Son autre passe-temps était les sorties de Week-ends avec ses amis d’enfance quand il allait chez ses parents. 

L’ennui aidant, il commençait à jouir de quantités impressionnantes de cannabis et d’alcool, je me souviens qu’il avait vidé la cave de son père en à peine quelques mois. Ses excès le jetaient dans un état de délire incontrôlable et dont la seule limite était de le faire ré-hospitaliser, le plus souvent à la demande de sa mère.

Durant les hospitalisations, ce n’était plus ce garçon de bonne famille que je connaissais. Il devenait sûr de lui, arrogant, familier voire méprisant. 

Il ne montrait pas de signes de dissociation importants, il a inventé un ou deux mots comme « Mytopathe », en utilisait d’autres compliqués dans un mauvais sens, et usait d’associations comme « je suis sorti sous décharge publique » mais sa dissociation n’allait pas plus loin.

Ce qui me marquait le plus c’était cette sorte d’interprétation imaginaire.

Dans les premiers temps, il me disait lors de ces épisodes, qu’il était attiré par les statues de la vierge et en particulier par celle, dorée, en haut de la cathédrale. Il décrivait cela comme une attirance, une impulsion, une sorte de commandement inconscient, en tout cas, commandement sans voix. 

Lors d’un voyage au Portugal, cette impression s’est transformée. Il a eu l’impression qu’une vierge noire, serait venue vers lui, le mettant dans un tel état de terreur qu’il est reparti en France, 

Cet épisode a été le dernier avec la vierge excepté un souvenir qu’il m’a relaté par la suite, celui du lit de mort de sa grand-mère paternelle ou un vierge bleue trônait sur la table de nuit. Etait-ce une explication, je ne sais pas. 

En tout cas, cet inversion de sens, de déplacement de lui à la vierge, puis de la vierge à lui, est comme si cette vierge était passée de l’autre côté d’une bande biface, ce qu’il voyait dans la réalité était passé de l’autre côté.

Il parlait aussi des chiffres : 

Ceux des plaques d’immatriculations : certain chiffre, le 1, le 3, le 69, étaient plus important que les autres, il les repérait. Il les recherchait sur les plaques. Il utilisait pour cela des combinaisons les faisant apparaître, par calculs, déplacements, ou inversions. C’est à dire que 66 par retournement du 6 pouvait être 69, mais aussi que 37 signifiait 11 par résultat de l’addition de 3 et 7.

Et une fois sur le compteur de sa voiture : l’apparition du dernier 1 d’une série de 1 identique sur le kilométrage, et cela au moment précis où il finissait de stationner, a été pour lui la preuve évidente et irréfutable que ça ne pouvait pas arriver par hasard.

Il y avait quelque chose qui se passait. Il ne pouvait dire quoi, ni si cela le concernait : ça lui arrivait tout simplement. C’était la seule signification possible.

Les chiffres ne faisaient pas sens, pas plus que signification, C’est l’arrangement des chiffres qui avait une signification personnelle. Cela ne faisait pas sens, il ne savait pas ce que ça disait, ni si ça le concernait, et pour reprendre Lacan, c’était un « moment où les objets transformés par une étrangeté ineffable, se révèlent comme, chocs, énigmes, significations ».

C’était l’arrangement des chiffres, leur combinatoire qui le percutait.

Cette combinatoire, il n’y a pas qu’avec la lettre ou il a été en difficulté :

 Lors d’un de ses emplois, son rôle a été de mettre sur des palettes des paquets identiques et d’emballer le tout à l’aide de film plastique, ce tout étant standardisé pour rentrer dans les camions. Il s’est fâché, persécuté, sur l’incapacité de ses supérieurs à organiser le travail : sur ces palettes le dernier paquet à mettre était trop grand et ne pouvait pas être mis, laissant un dernier espace vide, pour pouvoir emballer l’ensemble.

 Lors de vendange : le viticulteur, décrit comme mal organisé, faisait partir les remorques à moitié vides. 

Ce qui l’interloquait c’était l’impossibilité de combiner les choses :  paquets, palettes, camion, pour qu’il n’y ait pas de manque, de trou, et c’est là qu’il devait se placer pour éviter d’y disparaitre.

Pendant les premières années, il écrivait beaucoup, et bien, il se décrivait comme un homme de lettre maniant bien la langue. Il a pensé un moment à publier. Je me suis dit, que j’allais le soutenir, que peut-être il arriverait comme Joyce à s‘en sortir. Je lui ai demandé de m’amener ses écrits plusieurs fois, il me les a amenés et confiés quelques années après, lors de la deuxième phase de mon suivi : il y avait noté des souvenirs intimes de l’adolescence, fait plusieurs fois la même liste de ses petites amies notant dates, qualités et défauts, quelques textes d’allure poétique, structurés par des associations phonémiques, et des choses plus incompréhensibles écrites au cours de ses hospitalisations. Je l’avais un peu poussé vers cette activité, mais il a plutôt choisi d’arrêter d’écrire.

L’autre facette, c’est les photos.

Lors de sa première hospitalisation, il m’a parlé de photos de sa sœur aînée, Steph, qui vivait alors avec un compagnon à Londres : il m’en a dit, « je suis tombé sur les photos de Steph, avec son mec en Allemagne, ma mère gardait ça dans un tiroir, c’était dégueulasse, des photos de cul, de sexe avec son mec », il s’est montré dans son discours assez possessif avec Steph, presque jaloux. Évidemment ces images n’étaient des photos pornos, j’en ai eu confirmation par sa mère. Je ne pourrais pas trancher sur le mécanisme, Interprétation, hallucination, imagination, ça m’apparaît difficile à définir. Néanmoins, de par son discours, je me demandais si sa sœur ne semblait pas présente en lui.

Il en prenait aussi beaucoup, des photos, avec son portable, du ciel et des nuages, et des photos floues prises en bougeant son appareil. 

Ce qu’il me montrait c’est qu’il y avait la forme de boucs, d’anges, je les ai vu dans les nuages, mais rien de visible sur les photos floues. 

Ce qui m’intéresse le plus, c’est la façon dont il avait de procéder : il prenait une photo, au petit bonheur la chance, sans avoir ce qu’il allait y voir, puis en les regardant sur son téléphone, il y discernait ces personnages d’un autre monde. 

Il imaginait des signes sur l’image vue. Il y recherchait à montrer les preuves de la présence d’Êtres d’un autre monde.

Il se servait de son appareil photo en faisant des clichés presque au hasard, et on l’entend bien sur les photos floues, et il y retrouvait les preuves d’un univers invisible. C’était un peu comme avec un appareil de radiologie, L’appareil photo était l’appareil qui servait à dévoiler le monde invisible.

En ce qui concerne son délire, il avait aussi des éléments de persécution, et de mégalomanie mais qui n’était pas au premier plan dans son discours, c’était difficile surtout pour sa mère qui subissait son agressivité. 

Durant cette période, ça lui faisait signe, et pourtant il arrivait à douter, à s’étonner qu’il pourrait être celui qui est désigné. En l’absence de cause, de raison, il cherchait à me montrer des preuves de certitude que tout cela n’était, ne pouvait être lié au hasard.

Vers l’âge de 36 ans, des évènements familiaux dramatiques sont survenus : sa sœur Steph, dont il parlait d’elle comme de sa jumelle est revenue de Berlin atteinte d’un cancer, elle est décédée en quelques mois, par la suite trois mois plus tard c’est son père meurt lui aussi d’un cancer. Il s’est retrouvé seul avec sa mère, sa petite sœur, elle vivait à distance dans une autre ville.

Sa vie s’est déroulée tout ce temps, rythmé par ces fréquents allez et retour entre l’hôpital et chez lui, il prenait un traitement par période, l’organisant à sa façon.

Le temps passant, nous arrivons à la deuxième période, celle où j’ai quitté mes fonctions dans cet hôpital et débuté une activité en libéral. J’ai lui ai proposé alors de poursuivre le suivi à mon cabinet, ce qu’il a accepté. 

Il vit toujours dans son appartement, il le retape en vue de le louer, sa mère a fait faire un studio pour lui dans la maison familiale.

Il travaille dans la logistique d’une entreprise et il a toujours un chien, mais plus le même.

Son travail se passe bien, il a été promu à un petit poste de responsabilité, c’est lui qui contrôle les lots de colis. Pas sans difficultés puisqu’il me dira qu’il est parfois assez anxieux d’aller travailler car il doit manipuler un scanner sur lequel il doit rentrer des codes chiffrés en fonction du type de colis, et il est souvent perdu dans ce codage.

Assez rapidement, il s’est fait menacé de mort par un de ses collègues et il n’en a pas dormi pendant plusieurs nuits, il se sentait trop menacé. 

Il revient par la suite me dire qu’il « sent » la présence des anges mais aussi des morts, ils décrivaient cette sensation comme une sorte d’onde. Il se pose autrement des questions sur la normalité de son comportement amoureux, il a une relation avec une femme qui a été atteinte de la polio, il couche avec un homme Jeannot alors que lui-même n’est pas homo.

 Les différents éléments de son délire vont progressivement se cristalliser pour s’organiser de façon inventive au cours des mois. 

J’ai pu le rencontrer assez souvent, et si j’ai pu l’écouter, c’est que nous avions établi une sorte de pacte tacite dans lequel était entendu que j’écrivais une ordonnance souvent très simple et qu’il en faisait ce qu’il voulait. 

Mais le lien tacite, je crois a été réalisé à la suite d’un entretien quand il m’a dit « comment un mec aussi intelligent que moi peut être aussi con, je suis sûr de pouvoir m’en sortir, ça ne va pas se passer comme avant », je l’ai cru et je l’ai accompagné sur son chemin personnel, le suivant en tant de garde-fou. 

Ce pacte m’a valu quelques inquiétudes quelques mois plus tard quand il est revenu avec de belles plaies au visage après avoir subi deux agressions physiques, en jouant du Djembé sur les bords du Rhône, ainsi qu’en faisant une remarque sur un chien.

Pendant cette période il a repris son habitude de faire des photos, mais le sujet a changé, il fait à présent des photos de la nature, des cygnes sur l’eau, dont il me dira qu’elles sont de moins bonne qualité qu’avant, il ne va pas les publier sur internet comme il l’avait prévu.

Il m’en montre toutefois deux particulières, celle de son chien, prise dans la pénombre de sa voiture, la mâchoire et les dents aussi blanches que les yeux y sont mis en évidence. C’était une réelle représentation de vision de cauchemar. 

Et puis celle de l’ombre d’un humain projetée sur le mur d’une impasse, la nuit, sans la présence d’humain à proximité, ni d’éclairage pouvant faire de l’ombre. Elle était tout à fait irréelle et étrange. 

Il me dit que ces images montraient qu’il y avait quelque chose de présent à ses côtés, une sorte de monde à côté d’où provenait ces signes, il me dira qu’il en était le destinataire, peut-être une mission, il ne savait pas, ce dont il était certain c’est que ça avait à voir avec sa sœur Steph, il ressentait sa présence dans tout cela. 

Les preuves de l’existence de ce monde a côté, de Steph à ses coté, était aussi dans les lettres, les chiffres et les oiseaux : quand il voyait des oiseaux, il ressentait sa sœur, certains chiffres, 33 11 66 73, étaient des signes de Steph,  et puis les mots : ange, nage, orange, dentressange, l’ordre des lettres importait peu, saint Gervais ou était enterré sa sœur, San Gervaso, mais aussi concierge, pigeon, la carte d’un avocat exerçant rue tronchet, ses signes saturaient son univers et lui donnait le sentiment de la présence constante de Steph. 

Leurs organisations ne faisaient plus signe, comme avant, ils étaient devenus un signal de cet autre monde, de la présence de Steph. L’apparition des chiffres, les lettres ou les clichés ne servait plus à prouver la présence d’un monde à coté, c’étaient des messages de Steph.  

Comme pour la vierge, il y a eu un déplacement, et la certitude porte dorénavant sur la sensation de la présence de sa sœur, les lettres et images ne sont plus qu’artefacts des messages de Steph. 

Il s’est créé un monde imaginaire. Ce n’est plus le réel de la combinatoire, c’est ce monde imaginaire à coté, de Steph qui fait signe. C’est comme s’il avait réalisé une accroche imaginaire à ce réel, de la combinatoire initiale, par cette idée de la présence invisible de sa sœur.

Cet état ne l’empêchait pas de travailler, ni d’avoir une petite vie sociale, Arno avait l’habitude de se faire bronzer sur les plages d’un lac, il y a rencontré Jeannot. 

Jeannot à force d’opiniâtreté a fait céder Arno à ses avances.

Leur relation a duré près de deux ans. Arno me disait qu’il se voyait toutes les semaines, un soir ou deux, parfois les Week-end, il faisait la fête ensemble, Jeannot l’aidait parfois pour les tâches administratives. 

Leurs soirées finissaient au lit, et Arno se laissait faire par son ami. Il ne pouvait pas le toucher : il me dit : « je n’aime pas les poils, je préfère les dentelles » ou bien « je ne suis pas pd, mais non, j’aime les femmes, une belle rousse, une belle blonde ».

Ce qui l’étonne le plus c’est qu’avec Jeannot, il aime ça, il me dira que « tous les hétèros devraient ressentir le plaisir de la sodomie », pour finalement me dire qu’avec cet homme il se transforme en femme, il me dit ressentir le plaisir féminin, comme une femme, ce qu’il veut avec Jeannot, c’est n’être que femme, et surtout ce qu’il ressent c’est la présence de sa sœur en lui pendant les coïts.

C’est quand même un drôle de pousse à la femme, si la féminisation de Schreber passe par l’image et l’éprouvé du corps, chez Arno, seule la jouissance sexuelle était féminine, il luttait évidemment contre cette transformation, contre cette féminisation. Il n’était pas, et ne voulait pas être La femme de tous les hommes, ni même celle de Dieu, ni simplement une femme, seulement celle de Jeannot au lit. 

Jeannot d’une certaine manière, ne lui servait qu’à éprouver la présence de sa sœur en lui au travers de cette Autre jouissance qu’il me décrivait ressentir. Un peu, en parallèle comme l’appareil photo qui lui permettait de voir l’autre monde.

Sa sœur dans ses moments semblait être dans le réel de son corps, comme si de ce monde imaginaire, elle passait avec l’aide de Jeannot du côté du réel du corps, et réalisé une expérience éprouvée de l’incarnation de sa sœur en lui.

Finalement, après toutes ces expériences paranormales, Arno m’a dit son envie de banalité, qu’il avait envie d’une vie banale, d’idées banales et m’a demandé que je lui prescrive un traitement.

Ce que j’ai fait. C’est mon troisième temps.

Cela lui a permis d’apaiser les effets de son délire, les signes se devenus plus lointains, moins présents, il m’a dit durant cette période « je ne sais comment être, sauf qu’il voulait une voiture, un travail, une femme, un ange ». Ses idées me dit ils pulsaient toujours, mais ne l’emportait pas tout autant ;

Il a repris sa vie Il finit par louer son appartement, et a récupéré son permis de conduire. Il a changé de nouveau de travail, cette fois dans la livraison. Il laissé tomber Jeannot.

Il se dit linéaire.

Il cherche toujours une « petite », et puis au bout de plusieurs mois, il me dit qu’il a fait la rencontre d’une jeune étudiante, âgée de 20 ans de moins que lui. 

Elle s’appelle Steph. Il me dit qu’il est heureux, chanceux.  Je lui fais remarquer qu’elle se nomme comme sa sœur, il acquiesce mais n’en dit trop rien. En tout cas il semble l’avoir enfin rencontré cette femme.

Sa seule peur c’est de ne pas être à la hauteur, il a peur qu’elle le quitte, il est prêt à la suivre jusqu’en Australie, il s’est fait refaire ses dents qui attendaient depuis longtemps, et arrive même à arrêter de fumer la garder.

En tous les cas, durant cette période, la position de Steph s’est modifiée, de la même façon que la vierge, Elle a été dedans, pour passer dehors, et c’est lui qui est dedans. Sorte de mouvement d’inversion d’un gant, comme une éversion de la doublure.

Quelques mois après cette rencontre, Il a arrêté de venir me voir. Depuis il m’envoie de temps en temps des SMS, dont le dernier en date a été pour me présenter ses vœux 2023 : il m’y dit qu’il va bien, qu’il prend son traitement, qu’il a changé de travail et est toujours avec sa petite. 

Pour conclure, comme je vous l’ait énoncé au départ, ce n’est pas un trouble bipolaire.

Il ne présente pas de tachypsychie, même s’il a été dans une effervescence. Le délire interprétatif apparaît au premier plan. Il s’y greffe bien sur une mégalomanie avec des éléments percécutifs. Les moments de calme, s’il décrit une impression d’ennui, et a des propos d’auto-reproche, il n’a jamais eu de mélancolie à proprement parler. Il décrivait surtout un ennui et l’incapacité à s’en sortir.

Au premier temps, la conservation de sa personnalité, l’absence de dissociation majeure, mais surtout ce délire d’interprétation, dont il décrivait les caractères évidents, évoque plutôt un délire paranoïaque qu’une schizophrénie. 

En ce qui concerne une paraphrénie, le diagnostic me semble plus difficile. Il y avait conservation du moi, l’apparition de ce monde à coté, de la prépondérance du mécanisme imaginatif, tout en concernant somme toute une vie sociale et professionnelle, m’apparait refléter, non pas une paraphrénie, mais plutôt une paraphrénisation du délire du patient.

Son délire n’était pas constitué d’éléments imaginaires variés, il apparaissait plutôt bien organisé, autour de la présence de Steph. Il n’y avait rien de fantastique, mais le mécanisme, pour moi, c’est modifié, la participation imaginaire m’a semblé devenir plus importante. ;

Ce que je voulais montrer, c’est cet aspect de déplacement dans son délire des thèmes interprétatifs et imaginatifs, ceux-ci ont pris toute la place quand son délire a pu prendre le temps de s’organiser.

J’ai proposé que ce passage du mécanisme de l’interprétation, à l’imaginatif, par la position prépondérante de sa sœur centrant le délire, le basculement de la place des signes, chiffres, groupe de lettres vers une position de message plutôt que de signification, pouvait être vu plutôt comme peut être une sorte d’accrochage de l’imaginaire au réel.

Mon rôle pour ce patient, a été très modeste, celui de garde-fou, j’ai l’impression de seulement l’accompagner la ou il voulait aller, sans vraiment, et j’espère vous l’avoir fait entendre, sans y comprendre grand-chose, dans une confiance mutuelle.

 Frédéric SCHEFFLER