Introduction et Hommage à Jean Garrabé

pour la journée du 5 février 2022

Bonjour à toutes et à tous et merci de vous joindre à cette journée du Collège de psychiatrie qui a pour intitulé « Leçons cliniques » ce qui nous indique un axe mais pas un thème.  

Alors qu’est-ce qui fera fil rouge ? Dans l’après-coup, nous le saurons. Que chacun y mette du sien, dans son style ou son symptôme et tente de creuser sa question. Le Collège de Psychiatrie conserve une ligne de travail autour de la psychiatrie et de la psychanalyse lacanienne. 

Il s’agira de préciser ce dont nous parlons, les enjeux et le contexte. Ce matin, Nicole Anquetil va nous parler de Victor Tausk en hommage à Jean Garrabé et puis Michel Jeanvoine fera un exposé sur la question de l’énigme et de l’impossible. Marie-Hélène Pont-Monfroy et François Benrais seront les discutants de la matinée. Cet après-midi, avant l’exposé au beau titre de Pierre Marchal suivra un travail de présentation clinique autour de la fabrique du cas par Renée Kalfon et Isabelle Richard, de ces présentations auxquelles nous sommes très attachés au Collège. 

Mon hommage à Jean Garrabé : 

« Je suis tout à fait étonné de voir que … » nous disait -il si souvent pour commencer à parler.   

Monsieur Garrabé, Jean Garrabé est un psychiatre que j’ai rencontré une fois qu’il était à la retraite de ses fonctions de psychiatre et de médecin directeur de la MGEN. 

Je l’ai rencontré la première fois à l’Élan Retrouvé, nous y sommes arrivés la même année, lui comme membre du bureau et moi comme psychiatre dans un service d’alcoologie et dans un service de  consultation, puis lors de ma première réunion comme membre correspondant à l’Évolution Psychiatrique où il m’a expliqué avec ironie que lui-même ne serait pas publié dans la revue avec le système informatisé ajouté à la double lecture et qu’il bénéficiait de son grand âge et puis je l’ai retrouvé au Collège de psychiatrie.

Il est venu à l’Élan Retrouvé à partir de 2002. Il a été successivement administrateur, vice-président, président de 2015 à 2020 puis Vice-Président. Il a soutenu la transformation de l’association en fondation puis en Fondation abritante. Il a toujours été présent dans les réunions de travail sur les orientations de la fondation, sa politique, pour les journées de l’Élan, les vœux. Il y était dans une fonction plus solennelle et sérieuse, je pourrais dire mais avec cette manière calme et simple.  

Il a rejoint Charles Melman pour l’enseignement à l’EPHEP en 2009. 

Il a fondé le Collège de Psychiatrie en 2004 avec Michel Patris, Charles Melman, Yannick Cann et Claude Jeangirard. Et c’est au collège que j’ai pu découvrir sa malice derrière le sérieux. 

Jean Garrabé a animé et participé aux comités de rédaction et de lecture de multiples revues mais je cite les plus grandes, les deux grandes revues : les Annales médico psychologiques et l’Évolution Psychiatrique dont il a été le secrétaire général. Dans le numéro spécial qui lui est consacré, il y a un article de Jean-Louis Chassaing et une interview par Nicolas Dissez.

Place Pinel

Il avait une extrême modestie et un humour discret mais inaltérable. 

Cela l’amusait beaucoup d’être un psychiatre très reconnu et d’habiter sur cette fameuse place PINEL, enrichie par le street art, d’un portait grandeur façade de Philippe Pinel, réalisé par un artiste cubain en 2013. Comme une ironie du destin, il demeurait là. Il se laissait volontiers photographier place PINEL, à l’angle de la place Pinel et de la rue Esquirol et également rue Cabanis devant les plaques de ces rues parisiennes par ses collègues psychiatres étrangers et notamment japonais ou sud-américains. 

Il était profondément attaché aux valeurs humaines de la psychiatrie, c’est le sens de son dévouement sans faille à l’histoire de la psychiatrie comme discipline. Intarissable sur la succession des théories de la schizophrénie, il pouvait dire « les schizophrénies » quand nous mélangeons volontiers Bleuler, Kraeplin et Henri Ey dans l’élan de nos connaissances et dans la  superposition des paradigmes. Lui était sur ces points d’une grande rigueur, une rigueur intelligente que lui autorisait son érudition. 

A l’Élan dans un programme d’initiation à la psychiatrie, il a été conservé ce titre : Les schizophrénies.

Quel est l’objet de la psychiatrie ? L’objet de la psychanalyse c’est l’inconscient, l’objet de la psychiatrie, c’est moins clair, moins sûr, les fous, la folie ? Les TDAH ? les TOP, les patients HPI , les victimes… mais  c’est une question que nous pouvions aborder avec Jean Garrabé.

Il avait une immense culture, une mémoire de très grand lecteur et participait à de très nombreux congrès et séminaires. Je le cite : « C’est peut-être un premier point qui montre mon intérêt pour l’histoire, pour les publications : Où et quand ont-elles été faites et à la limite pourquoi ? Et aussi comment on découvre ces publications, comment on ne les découvre pas dans d’autres pays ? » ( p 6 de l’Évolution psychiatrique, numéro spécial consacré à Jean Garrabé, ambassadeur de la psychiatrie ). Sa pensée se construisait de cette curiosité majeure pour les livres et les documents écrits. 

La psychiatrie et l’histoire,

Pas seulement au sens de l’histoire de la psychiatrie mais bien des rapports entre l’histoire et la psychiatrie. Je cite à nouveau Jean Garrabé : « ce qui m’a beaucoup frappé, c’est que les événements politiques ont beaucoup plus d’impact sur la médecine et la psychiatrie que ce qu’on imagine. » Dans son histoire de la Schizophrénie, il a beaucoup développé la dualité des instants de vie et de mort proposée par Sabina Spielrein notant que cette dualité avait été tout à fait acceptée par Freud mais seulement après la première guerre mondiale durant laquelle ce dernier avait perdu plusieurs membres de sa famille. Rappelons combien il est important de relire l’histoire et avec l’histoire.  

Paul Sivadon et Henri Ey  

Né en 1931, il nous a quitté le 13 septembre 2020.

Étudiant à la faculté de médecine de Paris en 1948. Il a soutenu sa thèse de médecine sous la présidence du professeur Jean Delay, une thèse intitulée « Contribution à l’étude de l’encéphalographie gazeuse en psychiatrie » en 1958.

Interne des hôpitaux de la Seine, en poste à l’hôpital de la Charité sur Loire en 1958, il a ensuite passé le concours de médecin des hôpitaux psychiatriques, et a été nommé au Centre de Taitement et Réadaptation sociale de Hôpital de Ville-Evrard dirigée par Paul Sivadon. 

Le Dr Paul Sivadon, psychiatre et médecin du travail, résistant protestant, fonde l’association l’Élan retrouvé en 1948, avec le premier Hôpital de Jour français ouvert en 1952.

Sivadon sera un des maîtres de Jean Garrabé mais un maître différent d’Henri Ey, un homme d’action, un expert écouté en ce qui concerne l’organisation des services de soins extra hospitaliers, organisateur du premier congrès mondial de psychiatrie à Paris en 1950, un penseur de système de soins, l’initiateur de l’Institut Marcel Rivière, et du dispositif des class thérapies ( Sivadon ).

Pour ceux qui ne connaîtraient pas ce point d’histoire, il faut rappeler que les « class thérapies » ou « thérapeutique par classes » constituent un enseignement ou plutôt une éducation donnée aux malades eux-même, en leur fournissant les informations les plus claires possible sur leurs troubles et leur traitement. La finalité de la thérapie collective était d’obtenir que les malades échangent entre eux les informations à partir de ce qu’ils vivent et qu’ils puissent croiser ces informations générales et avec celles plus singulières issues de leur lien avec leurs soignants. Cette psychothérapie collective était basée sur les rapports de l’individu au groupe et du groupe au savoir. Elle a été conçue et faite avec des patients qui pour beaucoup étaient professeurs, instituteurs, intellectuels, dans un certain rapport à la connaissance donc… C’est une pratique que Jean Garrabé a poursuivi chaque semaine au sein de l’Institut Marcel Rivière qu’il a dirigé jusqu’en 1997 et qui existe encore à l’Élan retrouvé au sein de l’hôpital de jour. Une modalité de psychothérapie institutionnelle qui est très en avance par rapport à tout ce qui est écrit aujourd’hui sur l’éducation thérapeutique des patients. 

De la même façon, il a gardé une activité clinique de présentation de patients alors qu’il était médecin directeur de la MGEN. 

Son aventure psychiatrique a toujours été aussi de pratique clinique à côté de sa grande aventure livresque. 

Jean Garrabé a été un grand élève de Henri Ey,  intéressé par l’organo-dynamisme de Henri Ey et la finesse clinique de l’œuvre entière de Ey. Je vous renvoie au très bel article de Patrice Belzeaux dans l’Evolution psychiatrique sur « Jean Garrabé et la pensée humaniste de Henri Ey ». Mais il a été aussi intéressé par la psychanalyse, et il avait fait une analyse didactique au sein de la SPP sans avoir pensé se consacrer exclusivement à la psychanalyse. 

Entre deux langues, la française langue paternelle, l’espagnol comme langue maternelle, il était parfaitement bilingue et parfaitement à l’aise  dans l’idée d’une psychiatrie internationale, à travers l’OMS, les congrès mondiaux, l’importance accordée à la psychiatrie de l’Amérique latine ou du Japon correspondance et échanges. Cette dimension mondiale et ses voyages à travers la planète lui donnait souvent ce regard distancié et aiguisé face aux disputes et débats nationaux, qu’il considérait comme relativement locaux. Son intérêt pour les classifications des maladies mentales et la classification française a occupé une partie de sa vie. C’est un intérêt pour le maintien des spécificités, de l’hétérogénéité qui permet de lutter contre l’homogénéisation et d’établir des différences, de faire des recherches. 

Parmi les innombrables productions de Jean Garrabé, on peut retenir trois livres majeurs: 

– le Dictionnaire taxinomique paru chez MASSON en 1989 ;

– l’Histoire de la schizophrénie chez Seghers en 1992 ;

– Henri Ey et la pensée psychiatrique contemporaine paru en 1997 chez l’institut Synthélabo : « Les empêcheurs de tourner en rond » ; 

Et il est impossible de ne pas ajouter l’ouvrage collectif sur Philippe Pinel qu’il a dirigé en 1993, ouvrage dans lequel Jean Garrabé signe un article au sein duquel il émet une critique très fine sur Michel Foucault. Dans un article antérieur datant de 1988 « Pinel et l’assistance aux malades mentaux », Jean Garrabé questionne la lecture de l’œuvre de Pinel faite par Michel Foucauld et il y relève une « fausseté » nous dit Garrabé , puisqu’il note que Foucauld met sciemment de côté des éléments qu’il connaissait ( pour les avoir cité dans un chapitre précédent ) aux fins de  refuser de voir un progrès dans le traitement moral et y lire comme vous le savez le « gigantesque emprisonnement moral » ( c’est la formule de Foucauld dans le chapitre Naissance de l’asile dans Histoire de la folie ). Pas très foucaldien et plutôt du côté de Dora Weiner à propos de Pinel, Garrabé traque l’occultation et l’oubli. Il est en effet très historien, un historien moderne, avec une manière archéologique de dire l’histoire autrement que comme un fait brut. Sa précision lui sert à chasser les préjugés.  

C’est en 2004 que Jean Garrabé est devenu cofondateur et président du collège de Psychiatrie. 

Sur le site du collège de Psychiatrie, il est possible de retrouver une dizaine de publication de Jean Garrabé, également accessibles en version papier dans les actes des journées du collège.

J’en cite quelques-unes qui sont sur le site du collège : 

– « Le délire : approche historique » pour les journées de février 2012, Qu’est-ce qu’un délire ? 

– « Schizophrenia incipiens » pour les journées de février 2014 Conditions et modes d’entrée dans la psychose.

– « les leçons cliniques dans les sciences de l’esprit : approche historique » décembre 2014.

– « Thérapie des troubles thymiques : de la mélancolie hypostatique au Bipolar and depressive Disorders du DSM 5 »

– « De la psychopathologie structurelle des troubles de l’humeur à leur thérapie » donc deux communications pour les journées de février 2016, Comment aborder aujourd’hui mélancolie et dépression.

– « Portrait de la mélancolie dans l’histoire de l’art et celle de la médecine » Janvier 2017, Figures de la mélancolie.

– « Comment Martial a-t-il écrit certains de ses livres ? » À propos de Raymond Roussel et de la théorie de Pierre Janet, Exposé fait pour les journées de février 2018 sur l’imaginaire et ses avatars.

Bien sûr, je n’oublie pas de parler de sa participation régulière aux journées d’Ottignies en Belgique, où il se rendait avec Michel Jeanvoine, Martine Campion, Michel Daudin et Marie-Hélène Pont-Monfroy, la bande du collège de psychiatrie pour retrouver Bernard Delguste, Etienne Oldenhove, et l’Association freudienne de Belgique à la clinique Saint Pierre . 

En 2016, il a ainsi exposé : « L’histoire du concept de mélancolie et le positionnement nosographique aujourd’hui », Le 26 novembre 2016, pour la journée organisée sur « La mélancolie : embarras théorico-cliniques ».

Une partie de ses travaux a été publié dans la collection du Collège de Psychiatrie intitulée : « Actes des colloques » 

Dans le dernier recueil, qui porte le titre « Une clinique de la temporalité ? » Paris, mars 2020, on retrouve un texte confié par Jean Garrabé sur « Temps et temporalité : phénoménologie et psychopathologie du temps ». On peut y relire son inquiétude sur la disparition de la clinique en médecine et en psychiatrie.

Il a également soutenu et préfacé l’ouvrage à quatre mains, écrit avec une patiente Aimée F. avec notre collègue et amie Nicole Anquetil : « Les voix, témoignage » chez Payot en 2014.

Ce livre a reçu le prix de l’Evolution psychiatrique en 2016 « Tout à fait mérité » disait Jean Garrabé, car à la fois document et récit, témoignage et observation. 

Enfin, pourrions-nous ainsi réalisé un recueil des écrits de Monsieur Jean Garrabé, rédigés à l’occasion de toutes ces journées du collège? Ou pourrions poursuivre un travail de recherche et transmission clinique éclairé sans perdre le fil du contexte, du politique et de l’histoire.  

Ce serait lui rendre un hommage sincère. En attendant, au travail ! Pour que cette journée soit un hommage à son érudition généreuse. 

Pascale Moins