WEB’ SEM’ du Collège de Psychiatrie

 Pour une écologie du lien social ?

Lacan, Lévi-Strauss,

La Lettre Envolée

François BENRAIS

Janvier 2025

ARGUMENT :

Qu’est-ce que nommer veut dire ? Dans une première approche de la naissance de la clinique médicale nous avions pu faire la remarque que : « Dieu ou Diable, peu-importe ! Les productions de la Science ne savent pas ce qu’elles veulent ! La vérité de son Efficace et le vide de son Vouloir peuvent aspirer à la réalisation d’une Fiction qui soulage d’exister … » 

Cette fois, ce sera la naissance de la clinique analytique qui interrogera cette Fiction et l’Anthropologie … Sortant de chez le Dr Freud le petit Hans a demandé à son père s’il avait rencontré Dieu ?

Lacan … bien plus tard reprendra la question.

Voici ce qui qui a été moteur pour l’exposé des réflexions qui  suivent. 

Lévi-Strauss reconnait les humanités à partir des méthodes formelles qui dévoilent le sens profond des signes et symboles que les individus utilisent naïvement.

Lévi-Strauss après Freud ne répondra jamais aux nombreux appels de Lacan sur le plan de sa propre élaboration théorique du signifiant, du transfert, de la division du sujet. Il s’en expliquera dans le séminaire II : Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse. Je cite : « il craint qu’après que nous ayons fait sortir Dieu par une porte nous ne le fassions entrer par l’autre. C’est de cela qu’il s’agit. Il ne veut pas que le symbole, et même sous la forme extraordinairement épurée sous laquelle lui-même nous le présente, ne soit une réapparition de Dieu sous un masque. Voilà, je crois, ce qui est à l’origine de l’oscillation qu’a manifesté Lévi-Strauss lorsqu’il pose la question qui mettait en cause celle de la nette séparation méthodique du plan du symbolique d’avec le plan naturel » (J. Lacan)

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La Lettre Envolée

On a pu dire de la naissance de la médecine scientifique que par sa méthode d’observation elle pouvait faire du Réel un signe dans la réalité. D’une certaine façon, l’expérience médicale se présente alors comme une intersection entre la connaissance et le savoir. Pour les médecins, la singularité de ce qu’ils ont à faire collectivement, est conditionnée à l’exigence logique de rendre compte des propriétés complexes d’un vivant dépérissant. Nécessairement ils évacuent un certain artéfact : le vécu du patient. Ceci préside de fait à la naissance de la psychanalyse.

La découverte de l’inconscient freudien a eu ses conséquences.

Au début du XXème siècle, dans l’après coup, nous pouvons dire qu’à son insu l’Homme change et que de manière raisonnée, Il va pouvoir se penser soumis au poids de structures sociales, familiales, gouverné de désirs inconscients.

De manière plus contemporaine qu’en est-il ?

Freud n’a eu recours à aucune science annexe en dehors de l’Anthropologie. Il n’a pas connu les avancées de La linguistique, et de la sociologie. Or, ce sont précisément ces sciences qui ont eu un retentissement direct sur l’anthropologie et la psychanalyse. 

Une première remarque, si Freud a inventé la psychanalyse, prétendument de manière autoréférencée, la correspondance avec Fliess, les observations des patients, son immense culture, sa pratique de la neurologie montrent à quel point il est loin d’être seul et ainsi de cette autoréférence, on peut dire que c’est celle d’un homme qui vit avec son temps et avec l’histoire qui se fait qui n’est pas encore l’histoire.

Plus d’un demi-siècle plus tard, il en est de même pour Jacques Lacan et ce qui nous concerne. Seule notre relation à l’enseignement freudien nous met dans une contemporanéité différente, nous met inévitablement dans un temps d’expérience qui cette fois est tel qu’il n’existait pas pour Freud, nous obligeant à considérer que la psychanalyse vit avec son temps. 

C’est ainsi que l’on peut saisir la pertinence de la formule choisie de Lacan lorsqu’il parle de « son retour à Freud. » 

La psychanalyse se pose-t-elle encore cette question qui la suit au travers des temps : quel est son rapport à la science ?


Avec Freud cette question avait été présente et soutenue. 

Aujourd’hui, cette question nous revient par surprise quand les nominations de choses relatives à la sexualité ne sont plus limitées au fonctionnement libidinal mais par des nominations  du fonctionnement  lui-même en termes de genres catégorisés. 

Comment les praticiens de la psychanalyse avec les enfants et des adolescents peuvent-ils accueillir les demandes de transition sexuelle quand ceux-ci en font la demande. Voilà, au premier chef ce qui interroge l’accueil que font les psychanalystes de tout ce qui se propose d’une humanité augmentée, modifiée, par les recours aux diverses ingénieries partant de la procréation, à diverses réalisations de fictions réservées plus coutumièrement aux mythologies … ce qui est dans le fil de la question posée : quelles sont les relations de la psychanalyse aujourd’hui avec la science?

Une surprise dans un autre temps passé fut par exemple l’arrivée du Structuralisme.

Un chamboulement intellectuel d’après-guerre est réalisé par la rencontre de Claude Lévi-Strauss en ethnologie, de Jacques Lacan en psychanalyse, de Roland Barthes en sémiologie, de Louis Althusser en sociologie et de Michel Foucault en histoire et en philosophie. 

Il s’agit de l’arrivée du structuralisme en France lequel fait entrevoir une possibilité que la psychanalyse entre à l’université dans le regroupement universitaire constitué après 1968 nommé :  Les sciences humaines. 

Elle n’y sera pas intégrée.


Ce qui suit sont des réflexions issues de diverses lectures concernant cette échappée ordinaire de la psychanalyse  des sciences. 

Tentons de repérer comment le retour de Lacan à Freud a été mobilisé par l’arrivée du structuralisme.


On peut y trouver d’une autre manière ce qui fait que la science, est caractérisée par le recueil de cette marque qui fasse signe d’un réel dans la réalité. 

La venue du structuralisme une rencontre :

 Lévi-Strauss, J. Lacan.

Lévi-Strauss et Lacan avec les avancées de la linguistique structurale (Saussure), du Phonème (Phonologie de Troubetzkoy, Jacobson), pensent la possibilité de sortir  leurs champs respectifs d’un excès de sens toujours plus pesant et directif, normatif encombrant le discours des générations précédentes d’anthropologues et de psychanalystes.

Lévi-Strauss applique les découvertes de la linguistique structurale au champ de l’Anthropologie dans sa préface de la publication de : Six leçons sur le son et le sens, collection argument Roman Jacobson p.12, les éditions de minuit, 1976).  Nous citons :

« … avec le passage des ans, je reconnais les thèmes de ses leçons qui m’ont le plus fortement marqué. Si hétéroclites que puissent être des notions comme celle de phonème et de prohibition d’inceste, la conception que j’allais me faire de la seconde s’inspire du rôle assigné par les linguistes à la première. Comme le phonème, moyen sans signification, propre pour former des significations, la prohibition de l’inceste m’a apparu faire charnière entre deux domaines tenus pour séparés. À l’articulation du son et du sens, répondait ainsi, sur un autre plan, celle de la nature et de la culture. Et, de même que le phonème, comme forme, est donné dans toutes les langues au titre de moyen universel, par lequel s’instaure  la communication linguistique, la prohibition de l’inceste, universellement présente si l’on s’en tient à son expression négative, constitue, elle aussi une forme vide, mais indispensable pour que devienne à la fois possible et nécessaire, l’articulation des groupes biologiques dans un réseau d’échange d’où résulte leur mise en communication.

Enfin, la signification des règles d’alliance, insaisissable quand on les étudie séparément, ne peut surgir qu’en les opposant, les unes aux autres, de la même façon que la réalité du phonème, ne résiste pas dans son individualité phonique, mais dans les rapports oppositifs et négatifs qu’offre, les phonèmes entre eux).

Plus tard, interviewé par Didier Eribon, dans  un ouvrage appelé de Près et de Loin, publié chez Odile Jacob en 1988, Lévi-Strauss déclare page 61« Les sciences de l’homme : les lois du langage fonctionnent au niveau inconscient en dehors du contrôle des sujets parlants, on peut donc les étudier comme des phénomènes objectifs, représentatifs à ce titre d’autres faits sociaux ».

Faisons un point avant ce qui suit, point qui a motivé ce travail, malgré l’inquiétude de s’y lancer personnellement en raison de l’absence d’une pratique ancienne et surtout très insuffisante des textes issus de l’anthropologie.  

Essayons de dire ce qui fait déjà distance entre la psychanalyse et l’anthropologie, et éviter une confusion cependant répandue. Essayons de situer Lacan avec ses vains appels à Lévi-Strauss, ses remerciements incessants jusqu’à la fin de sa vie. 

Cette description des sciences de l’homme laisserait entendre la possibilité d’un homme se connaissant lui-même au travers et dans les faits sociaux.


C’est tout à fait opposé à ce qui s’observe du travail analytique dans une cure. Cette remarque et d’autres nous donnerons à entendre un certain perroquetage supposé entre Lacan et Lévi-Strauss au sujet des mythes. Certes Lacan  applique avec succès les recommandations de Lévi-Strauss, mais les comprend-il comme les pense Lévi-Strauss. Par exemple, les faits de l’inconscient représentatifs à ce titre d’autres faits sociaux ne pourraient-il pas s’entendre dans l’aphorisme de Lacan « L’inconscient c’est le social ». Peut-on penser que ce serait dire la même chose ? Le même Dire ?


Il ne s’agit pas du même acte de lecture quand dans une cure on reçoit la fabrication d’un mythe par un patient et le fonctionnement d’un mythe dans un groupe.


Un ouvrage le propose : Les Mythologiques de Lacan, la prison de verre du fantasme : Œdipe roi, Le diable amoureux, Hamlet. Markos Zafiropoulos nous présente dans cet ouvrage un Lacan mythologue qui entre 1957 et 1963 chercherait la même chose que Lévi-Strauss … mettons … cependant l’auteur décrit autre chose de l’écoute de l’analyste Lacan qui récuse de fait la gémellité qu’il venait de leur prêter Lévi-Strauss-Lacan. Ce n’est pas Lévi-Strauss qui remanie le champ freudien, tout en devant une dette immense à ce dernier selon l’auteur cité.


En effet, pour exemple, Lacan place les élucubrations de mythes divers et variés du petit Hans comme une remise en cause de la théorie freudienne de l’Œdipe dont il renverse la dynamique. La fonction paternelle devient une métaphore, une théorie de la sexuation en germe faisant que le garçon certes a le Phallus, cependant que la fille l’est (cf. la mère de Hans). Le fantasme apparait alors comme une défense face à la volonté de jouissance de la mère.


Pour Lacan dès 1955 l’inconscient n’est pas asservi au symbolique, l’inconscient est régi par le sexuel. Fin du perroquetage ! 

Au passage, retenons que pour l’avenir Hans nous annonce l’arrivée d’un plombier pour une homosexuation adéquate. 

La rencontre de Lévi-Strauss et de Lacan, fera beaucoup causer des auteurs dont certains feront une sorte de fabrique du cas Lacan dans son transfert à Lévi-Strauss.

Si la règle est de remettre au patient  le soin de la vérité qui le concerne, écoutons Lacan dans sa conférence de 1975  le 2 décembre 1975 au Massachusetts Institute of Technology, parue dans Scilicet, 1975, n° 6-7, pp. 53-63. 

« L’arrivée post Freudienne des linguistes Saussure, Troubetzkoy, Jacobson, permettait de reprendre les productions de langage dans leurs structures énonciatives sur un mode matérialiste débarrassé d’une métapsychologie …La linguistique est ce par quoi la psychanalyse pourrait s’accrocher à la science. Mais la psychanalyse n’est pas une science, c’est une pratique ».

Il faut donc rappeler pour la suite que de Lacan et Lévi-Strauss, si le premier suit le second, avant de suivre quelques autres philosophes ou mathématiciens, Lacan et Lévi-Strauss ne concourent ensemble à aucune activité commune.


Pour imager les choses on pourrait se dire que Lacan s’occuperait du langage versus d’une grammaire propre à chacun, alors que Levi Strauss est au recueil des logiques qui forment les groupes  et les codes qui s’ensuivent.


À cela nous présentons le premier échange entre eux faisant preuve que s’ils nagent dans un même fleuve structuraliste, ils ne sont pas du tout dans les mêmes eaux.

Il s’agit d’une discussion pour donner suite à l’intervention de Claude Lévi-Strauss du 26/05/1956 à la Société Française de Philosophie sur les rapports de la Mythologie et des Rituels. Lacan intervient, rappelle combien il doit à Lévi-Strauss pour la reconnaissance de la primauté du signifiant sur le signifié, et se dit interrogé sur l’orientation qu’il donne dans cet exposé d’une coordination entre ce qu’il appelle dans son langage le Symbolique et l’Imaginaire.


La réponse n’en sera pas une. Lévi-Strauss n’accueille pas le terme de signifiant mais répond « le transfert de sens n’a pas lieu de terme à terme, mais de code à code, c’est-à-dire d’une classe … à une autre classe ». Les choses sont dites on ne peut pas dire qu’ils s’entendent sur ce point, alors que Lacan a trouvé sa formule du sujet de l’inconscient : « Le signifiant représente un sujet pour un autre signifiant ».  

En 1975 la question était posée à Lacan de savoir ce qu’il devait à Lévi-Strauss par Willard Van Orman Quine logicien.

Conférences dans les universités nord-américaines : le 2 décembre 1975 au Massachusetts Institute of Technology, parue dans Scilicet, 1975, n° 6-7, pp. 53-63. (53)

« En parlant tout à l’heure avec moi, M. Quine m’a posé la question de ce que je devais à Claude Lévi-Strauss : je lui dois beaucoup, sinon tout. Ça n’empêche pas que j’ai de la structure une tout autre notion que la sienne. Je pense que la structure n’a rien à faire avec la philosophie, qui de l’homme raisonne comme elle peut, mais qui met en son centre l’idée que l’homme est fait pour la sagesse. 

Je n’ai, conformément à la pensée de Freud, aucune amitié pour la sagesse. Je ne fais pas de philosophie, parce que c’est très loin de ce quelqu’un qui s’adresse à nous pour que nous lui répondions par la sagesse. J’ai essayé de densifier, de formuler quelque chose concernant notre pratique, quelque chose qui soit cohérent. Ça m’a amené à des élucubrations qui me tracassent beaucoup. Ça m’a mené à un enseignement que j’ai mené avec beaucoup de prudence. » 


Nous reviendrons sur la position philosophique de Lévi-Strauss.

Naissance de l’Anthropologie

Quelques fictions nécessaires

Rousseau :

Les premières des fictions sont celles des mythes philosophiques aux manières moins  prégnantes que celles de notre culture issue des trois plus grandes religions révélées monothéistes.


C’est toute la présomption de retrouver une origine de l’homme réfléchie hors des formulations religieuses.

Rousseau en est un des principaux acteurs.


Le discours sur le fondement des inégalités de l’homme de JJ Rousseau, pose la problématisation en ces termes : la nature de l’homme innocente est pervertie, corrompue par la société.


On ne peut éviter d’entendre dans cette formulation d’un  homme perverti par la culture la crainte du retour d’une jouissance mauvaise déjà connue en terme religieux. 

Ainsi pour y échapper, il évoque la fiction de retrouver un homme à l’état de nature, elle permettrait de restituer à cet homme ce que la culture lui a ôté.


C’est une fiction nécessaire, un concept opératoire, en supposant  même que cet état n’avait jamais existé.


Cette précision est indispensable sous peine que cette  fiction ne  soit confondue avec un paradis déjà cité. De plus, cela laisse entendre combien Rousseau envisage une réelle expérience pour retrouver cet homme de la nature. Il est du côté des certitudes, pas des hypothèses. Suivons-le.


Cet homme de la nature est doué de raison, si son perfectionnement en a fait la preuve, c’est précisément de la sorte qu’il s’est trouvé dépravé. L’idée d’un progrès qui serait fait de la culture est elle-même récusé par JJ Rousseau. Cependant, les lois naturelles étant universelles, le culturel doit n’être recevable qu’à partir de règles de fonctionnement qui font Contrat Social. Ces règles sont celles qu’établit par nécessité un peuple formant une société ayant pour principe que « nul n’est au-dessus de la loi » l’égalité est la condition de la liberté selon Rousseau, puisque personne ne peut imposer à autrui une contrainte à laquelle il échapperait lui-même.


Ce serait l’Assomption d’une volonté Générale. 

Voilà une assertion passablement hermétique qui viendrait apaiser un dualisme tragique de la nature d’avec la culture, permettant de reconstruire une réalité, il faut bien le dire, utopique délirante de la vie sociale.


Une remarque s’impose si personne ne peut imposer à autrui une contrainte à laquelle il échapperait lui-même : simplement, comment pourrait se nommer les fonctionnements et les places qui réalisent l’organisation d’une famille, l’accueil des enfants, et leur venue naturelle au fonctionnement du langage.


Cela n’est pas sans rappeler un ouvrage « Pour décoloniser l’enfant » Gérard Mendel, 1972. Un ouvrage où l’auteur propose l’alternative entre un consensus fondé sur la force nue et policière de l’État, ou bien un consensus fondé sur l’institutionnalisation du conflit à tous les niveaux, non plus lutte à mort, mais jeu sans fin d’antagonismes eux-mêmes évolutifs.


N’est-ce pas une position spécieuse qui pense l’enfant déjà acquis à une idée de la sagesse ?

Pourtant Gérard Mendel ne devait pas ignorer la démarche d’Itard, où il se découvre que sans culture un enfant n’est pas un homme naturel, pas même un animal car il ne possède aucun moyen d’adaptation que nous connaissons chez les animaux.


Mais plus encore, quoi de plus naturel qu’avec les progrès de la culture, apparaissent grâce à la neuro pédo psychiatrie des enfants, dont la survie d’enfant sera suspendue à cette production culturelle, qu’est un établissement d’accueil.  

Il revient à Rousseau de nous avoir remis d’avoir à résoudre cette tragédie du couple nature et culture. Il nous met sur une voie de recherche : qu’est-ce qui fait passage de la nature à la culture, question qui ne l’avait jamais quitté égrenant toute sa vie cette confession « je coûtai la vie à ma mère et ma naissance fût le premier de mes malheurs ».

Lévi-Strauss :

Sa relation avec JJ Rousseau est une fausse évidence, car d’emblée il récusera la dualité nature culture comme nécessairement conflictuelle. Il élimine tout pathos. Il découvre une loi que l’on peut rapprocher des lois tel que Kant les fait advenir. Nous avons déjà présenté comment Lévi-Strauss initié par Jacobson observe le fonctionnement du phonème. Le phonème, lui-même sans signification, comme forme vide avec un autre phonème, donnent signification dans toutes les langues. De forme vide, le rapprochement de deux phonèmes, devient un moyen universel instaurant la communication linguistique.


Cette observation, évoque pour lui, sur le champ la prohibition de l’inceste comme autre forme vide, mais indispensable pour que devienne à la fois possible et nécessaire l’articulation des groupes biologiques dans un réseau d’échange qui les met en communication.

Avant de développer ce qu’implique au niveau du langage et de la communication le respect de la prohibition de l’inceste, revenons un instant sur les présupposés philosophique de Lévi-Strauss. Nous pourrons constater  qu’il s’agit pour lui d’une disposition d’esprit qui fait préalable à toute observation. 

On peut entendre ceci de lui dans une interview archivée à l’INA consultable par Youtube : L’Homme nu : réhabiliter la pensée « sauvage » selon Claude Lévi-Strauss | INA Culture

Émission Le Fond et la forme | ORTF | 17/12/1971. À la question de l’interviewer : « L’homme nu », c’est la réhabilitation de la pensée sauvage, c’est la réhabilitation des formes ignorées de la vie primitive et c’est cette vie primitive qui vous a fasciné ? », il répond : « Oui, mais je voudrais faire une petite réserve sur votre éclairage quand vous présentez cette expérience, … ce n’était pas dans mes intentions, d’opposer ce que j’ai appelé la pensée sauvage et qui n’est pas exactement à la pensée des sauvages, puisque je crois qu’elle existe chez nous dans nos propres sociétés, comme ailleurs, je n’ai pas voulu l’opposer à la pensée scientifique parce je crois très profondément que le rôle des sciences de l’homme, ce n’est pas de choisir dans l’homme, quelque chose pour l’opposer à autre chose qui est également de l’homme, et la pensée scientifique moderne n’est pas moins humaine que toutes les autres, mais c’est au contraire d’essayer de jeter des ponts et de franchir des barrières et je n’ai pas tant voulu opposer la pensée sauvage à la pensée scientifique, que réhabiliter la pensée sauvage pour montrer qu’il n’y avait pas incompatibilité entre les deux. »


Au fond, il nous propose de reconnaitre qu’un acte de soin est toujours Chamanique ici ou ailleurs. 


Au passage, nous remarquons que Lévi-Strauss ne prête aucune attention aux effets affectifs majeurs que produit le langage articulé sur ses utilisateurs.


En cela il est Kantien, mais Kant ne suivrait pas Lévi-Strauss. La raison en est qu’il exprime une volonté qui lui est particulière, autrement dit bien loin de celle de Rousseau, et de celle du Prince.


Cette volonté est ici d’un principe, d’un préalable de Méthode qui est de ne pas opposer de groupe humain pour, par comparaison, en tirer un savoir. C’est une façon de faire. 

Lévi-Strauss contre Freud :

Développons maintenant la logique interne des structures. La loi universelle qui est celle de la prohibition de l’inceste constitue le caractère rigoureux qui permet de séparer la culture de la nature. Citons p.9/10 « Les Structures élémentaires de La Parenté ». 


« Partout où la règle se manifeste. Nous savons avec certitude être à l’étage de la culture. Symétriquement, il est aisé de reconnaître l’universel, critère de la nature… Posons donc que tout ce qui est universel chez l’homme relève de l’ordre de la nature et se caractérise par la spontanéité, que tout ce qui a trait à une norme appartient à la culture et présente les attributs du relatif et du particulier … la prohibition de l’inceste présente  sans la moindre équivoque et indissolublement réunis, les 2 caractères où nous avons reconnu  les  attributs contradictoires de deux ordres exclusifs : elle constitue une règle mais une règle qui seule, entre toutes les règles sociales, possède en même temps un caractère d’Universalité. 

Mais en un sens aussi elle est déjà la culture agissante et imposant sa règle au sein des phénomènes qui ne dépendent point d’abord d’elle » 


Remarquons qu’ainsi énoncé, il n’apparait rien qui ne fasse appel à une quelconque fonction paternelle et son fonctionnement. Ce n’est pas une fiction, c’est un assertif, posé comme une assertion de certitude anticipée …

La prohibition de l’inceste n’est ni purement d’origine culturelle, ni purement d’origine naturelle. Et elle n’est pas non plus un dosage de l’éléments composites empruntés partiellement à la nature et partiellement à la culture. Elle constitue la démarche fondamentale grâce à laquelle mais surtout en laquelle  s’accomplit le passage de la nature à la culture…. Il ne faut pas s’étonner de la voir tenir de la nature son caractère formel, c’est-à-dire l’universalité.


Voilà qui présente et affirme le caractère anhistorique d’un père. Hors de toute histoire et cependant point d’origine de toute Histoire. 


Mais en arrière-plan il y a pour l’histoire cette jeune fille chargée de transmettre comme mère certaine, les alliances, le langage, la grammaire familiale.


Il fut un temps où dans les tribus du Yémen les jeunes accouchées devaient dans une cérémonie désigner le père de l’enfant parmi les hommes de la tribu. 

Freud, une logique,

Freud a fondé le mythe d’un père violent, gardant toutes les femmes à lui, chassant les fils. 

Rousseau a recours à une fiction qui est d’anticipation. Il échoue car la logique ne remplit pas sa fonction, elle est imaginaire. 


Freud aussi crée une fiction mais antérograde après coup. Il l’invente dans l’après coup, au d’éclairer la dynamique affective et effective de l’Œdipe. 

La logique remplit sa fonction.


Dans l’après coup il envisage un mythe antécédant la venue possible de la pièce de Sophocle, celui du meurtre d’un père commis par des frères, leur union leur permettant de réaliser ce que chacun d’eux pris individuellement aurait été incapable de faire. 


Cette fiction Freudienne fondamentalement éclaire le fait que la culture est issue de l’expression d’un manque… donc de la Nature ? 


De Nature d’une enfant dont la perception est bien plus grande que ce que les adultes en perçoivent ? 


De la triangulation œdipienne, Lacan dira que le complexe d’Œdipe est le symbolique.  La formule de Lacan n’est pas genrée. De là, le concept de l’Autre ne peut être genré.  


C’est ainsi que l’on peut avancer que la psychanalyse aurait pu apporter à Lévi-Strauss ce manque dans sa construction du concept de Nature chez l’homme : 

Le fonctionnement incontournable foncièrement libidinal qui fait revenir le corps essentiellement appréhendé par ce qu’il y a de plus imaginaire : une forme. 


Lévi-Strauss ne tire aucun enseignement de ceux qui sont conçus par la psychanalyse. 

L’admiration de Lévi-Strauss pour la psychanalyse reste une énigme. Il présente la psychanalyse comme une de ces sources intellectuelles à côté du marxisme et de la géologie qui l’ont inspiré. « Quand je connus l’œuvre de Freud, elle m’apparut tout naturellement comme l’application à l’homme individuel d’une méthode dont la géologie représentait le canon. » Probable que ce soit un syndrome des trois couches en géologie : conscient, préconscient et l’inconscient ! C’est tellement de la réalité de la psychanalyse que cela peut en faire hurler plus d’un.


Lévi-Strauss est un homme de méthode, il retient la méthode et non pas ce qui a fait que Freud fut le propre artisan de son invention : un dispositif de travail clinique subvertissant les discours récitatifs, pour une théorisation de la dynamique des effets de parole et de langage propre aux humains.

Il est sidérant et même ahurissant que cet homme savant, génial par beaucoup d’aspect passe totalement à coté de la naissance de la clinique analytique. Il faut consulter l’article sorciers et psychanalyse produit par Lévi-Strauss dans la revue de L’UNESCO de juillet-aout 1956. 

L’article permet de saisir comment il a pu se faire qu’il ne répondit jamais aux questions d’un Lacan devenu analyste. 


Lacan, poursuivant son activité d’analyse personnelle de dé-chamanisassion, après son analyse, se laissant capturer par l’idée bienvenue pour lui et pour nous ! D’un nécessaire éclairage des théories Freudiennes dans le champ clinique des psychoses. C’est en rencontrant, après ses fréquentations des surréalistes, l’enseignement du Structuralisme avec Lévi-Strauss que Lacan s’éloigne après une amicale rencontre qui ne s’est pas trouvée employée à travailler de concert.


Lacan comme Freud fabrique ses outils conçus qui sont au propre usage de son activité de psychanalyste. Il lui a été reproché souvent malgré son séminaire ouvert à ceux qui voulaient bien y aller, qu’il ne citait pas ses sources. Cela à pu être le cas, Lévi-Strauss ne s’en est jamais plaint, il ne se reconnaissait pas dans les questions que Lacan lui posait … ! 


Lacan lui rappelait les Chamans. Dans la revue de l’Âne N°20 Lévi-Strauss rapporte ce souvenirs du seul séminaire ou il a été « j’ai vu fonctionner pas mal de Chamans … je retrouvais là une sorte de puissance chamanistique … une des réflexions que je me suis faite à cette occasion concernait la notion même de compréhension : n’avait-elle pas évoluée avec le passage des générations ? Quand les gens pensent qu’ils comprennent, veulent-ils dire exactement la même chose que moi quand je dis que je comprends ?» enfin ils se rencontrent sur cette problématique de la compréhension, mais ce fut éphémère et ignoré de chacun !

La Psychanalyse et Le Structuralisme

Un livre: La Modernité manquée du structuralisme Broché – 3 juin 2004 de Maxime Parodi (Auteur, Sociologue à l’Observatoire français des conjonctures économiques) vient appuyer cette remarque qu’avec Lévi-Strauss la fonction du père est anhistorique cependant que son fonctionnement est règlementé par la prohibition de l’inceste. Il écrira « Le structuralisme nait ainsi comme une théorie du contrat social, mais sans sujet qui écrirait ce contrat : le symbole dont s’occupera le structuralisme est ce contrat social sans sujet. » Illusions et désillusions d’une génération. 


Voilà une appréciation légère en regard des véritables mutations en cours difficilement repérables pour l’instant de la physiologie du langage et de l’évolution de ce que Lacan appelait les complexes familiaux.


En revanche, nous pouvons penser que la modernité n’est pas ratée, mais en excès congruente avec cette anhistoricité du père. Ceci, car des mouvements divers actuels exigeant le possible  choix d’identité de genre comme parangon de la nouvelle société font preuve d’une anhistoricité. La sexualité ne serait que culturelle et l’enfance un petit humain auto-construit dans le regard du parent élu. Voilà qui est solidaire des illusions éducatives d’un enfant en mesure de construire ses savoirs par lui-même, dans un rapport objectif à ce qui l’entoure ? N’en est-il pas ainsi aujourd’hui ? 


Qu’est donc devenu cette fonction maternelle organisée autour de la prohibition de l’inceste ? 

La fonction maternelle mise en place par cette prohibition, nouant sexualité et transmission de la culture, n’est-elle pas mise en difficulté par les ingénieries nouvelles de la reproduction déliant sexualité et procréation. Il vient un temps où il est possible que devienne caduque l’adage « mère certaine, père incertain » du fait même que ces techniques peuvent le retourner, voire que de l’adage, on puisse s’en passer !

Pour ce qui est de la psychanalyse Lacan nous a mis sur une piste, autrement plus heureuse. Il a ouvert une piste à la psychanalyse qui n’est pas une science, qui est une pratique parlée, dénaturée par l’écriture comme le furent les mythes des cultures orales. 


Il a encouragé en 1968 une publication : « Scilicet » publication où le principe du non-signé, collectivement annoncé est adopté pour y servir. L’espoir était de « plus de personnel dans la pratique et notamment le trait du cas. … » qui fait écrire, répondre, mettre en circulation ses propres analyses faisant entendre la rencontre avec un trait du cas, lui-même intransmissible à l’écrit … mais moteur de … et permettant d’échapper à l’impasse du mythe fabrique de cas. 

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