LE TEMPS LOGIQUE

Marie-Hélène Pont-Monfroy 

Le bureau du collège de psychiatrie a décidé d’aborder un cycle de travail sur la question de la temporalité dans notre clinique et pour introduire cette phase de travail, je vais vous proposer ce soir, une lecture serrée du texte de Lacan « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipé »  qui me semble être un texte tout à fait fondamental pour aborder cette question. Dès lors qu’on s’intéresse à la clinique et à la subjectivité, on s’aperçoit en effet, que la temporalité ne peut pas être réduite à un temps linéaire et continue, tel qu’on se le représente dans une frise chronologique, par exemple.


Le sujet parlant, d’être constitué par le langage, est pris dans une scansion temporelle liée à la discontinuité du signifiant et on se rend compte que le temps du calendrier ou de la montre sont avant tout des constructions sociales qui ne prennent leur consistance que de la référence phallique. Freud disait d’ailleurs, que l’inconscient ne connaissait pas le temps et son étude du rêve a montré à quel point des strates de mémoire très éloignées les unes des autres peuvent se télescoper dans la vie psychique d’un sujet.


Si la répétition et le fantasme sont au cœur de l’organisation des symptômes dans la névrose, Lacan a souligné que c’est sur le mode du futur antérieur que s’organise notre rapport à la mémoire dans une forme de circularité entre futur, passé et présent. Il a, en effet, insisté sur l’emploi du futur antérieur comme constitutif de cette circularité diachronique de la vie psychique prise dans les rets du langage. Je vais prendre un exemple : « Cela aura été difficile mais j’y suis arrivé », dans cette phrase la forme grammaticale utilisée est le futur, mais ce qu’elle exprime est un événement passé qui se trouve ensuite articulé à l’actualité du sujet. L’utilisation du futur antérieur met donc bien en lumière le nouage qui s’opère pour un sujet entre présent, passé, et futur.


Néanmoins, cela fonctionne-t-il de la même façon pour un sujet psychotique ? Peut-on réellement parler de répétition lorsque le discours d’un sujet vient se désarticuler au point parfois de nous faire perdre tout repère temporel et toute historisation de ses symptômes, ou bien encore, lorsque la fixité de son discours holophrastique empêche toute projection et fige le sujet dans une fixité mortifère. Le rapport à la temporalité d’un sujet est souvent un point de repère clinique très précieux quant au repérage de sa structure et nous aurons probablement l’occasion de décliner cela au cours de la prochaine journée du Collège de Psychiatrie organisée en février prochain.


Mais, arrêtons-nous, tout d’abord, sur le texte de Lacan : « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée ». Ce texte date de 1945, c’est-à-dire de l’immédiat après-guerre. Il est paru dans un premier temps dans la revue « Les Cahiers d’art 1940-1944 » et sera ensuite remanié par Lacan avant d’être publié dans Les Écrits en 1966. Il se situe donc peu de temps avant l’article sur « le stade du miroir » qui date de 1949 et il en constitue d’ailleurs, d’une certaine façon, les prémices.


Dans ce texte assez précoce de son enseignement, Lacan aborde une conception tout à fait nouvelle de la mise en place de la subjectivité qui fait prévaloir la structure temporelle sur la dimension spatiale, bien que ces deux dimensions soient toujours inévitablement associées. Lacan opère d’ailleurs ici, me semble-t-il, un premier nouage entre le langage, l’espace et le temps, nouage inaugural de tout ce qu’il ne cessera d’articuler ensuite avec le graphe du désir, puis la topologie et les nœuds. Le Temps logique est donc un pas décisif dans son enseignement, auquel il ne cessera pas de se référer tout au long de son séminaire.


Le sophisme 

 

Venons-en à la présentation du sophisme qu’il nous propose pour illustrer son propos. J’ai cherché si ce petit problème logique qu’il nous soumet, était l’invention de quelque logicien auquel il se serait référé, mais je n’ai pas trouvé, et d’ailleurs il dit lui-même dans son séminaire sur Le Moi qu’il est de sa propre invention, il le désigne comme « son petit sophisme » :


Le directeur d’une prison réunit trois prisonniers et promet la liberté au premier d’entre eux qui découvrira la couleur du disque qui est fixé dans son dos. Ce disque sera choisi parmi trois blancs et deux noirs (○○○●●). Les prisonniers n’ont aucun moyen d’apercevoir leur propre disque, ni le droit de communiquer entre eux.


Il y a donc trois combinaisons possibles : deux noirs et un blanc (●●○), un noir et deux blancs (●○○), trois blancs (○○○). Or chacun des trois prisonniers voit dans le dos des deux autres un disque blanc. Après s’être considérés entre eux un certain temps, nous dit Lacan, les trois prisonniers se dirigent ensemble vers la sortie et chacun conclut avec le même raisonnement, qu’il est blanc, ce qui est exact.


Ce raisonnement tient, précise-t-il, en trois étapes :


1 – Chacun des prisonniers va pouvoir se dire : « Etant donné que je vois deux disques blancs (○○), je sais instantanément que la première combinaison, c’est-à-dire deux noirs un blanc (●●○), est fausse étant donné qu’il n’y a aucun noir. » Reste donc deux hypothèses possibles : soit un noir et deux blancs soit trois blancs.


2 – Chacun des prisonniers va alors pouvoir penser : « Si j’étais moi-même noir, chacun des deux autres aurait pu alors se dire : « Si j’étais moi aussi un noir, le troisième voyant alors deux disques noirs, aurait pu reconnaître immédiatement qu’il était blanc et il serait sorti aussitôt» Or aucun des deux autres n’a bougé … » … cela exclut donc la deuxième combinaison (●○○).

 

3 – Je me hâte donc de sortir pour dire que je suis blanc comme eux (○○○).

Et ce n’est, nous dit Lacan, que parce que les trois prisonniers sortent précipitamment, en même temps, qu’ils peuvent avoir la certitude d’être blanc. C’est-à-dire qu’ils ne peuvent avoir la certitude que la deuxième combinaison est fausse qu’à condition que chacun des trois ait eu le même raisonnement et les mêmes temps d’arrêt : le premier temps d’arrêt, immédiatement, puisqu’ils ne voient aucun noir, et le deuxième temps, ensuite, lié au temps de réflexion nécessaire pour aboutir à la conclusion. Cette simultanéité de leur raisonnement suppose donc qu’ils aient le même degré d’intelligence et de déduction logique … ce qui n’est qu’incertain dans une mise en situation réelle! 


Néanmoins, bien que cet apologue constitue un véritable sophisme, ce que Lacan désigne lui-même dans ce texte comme « une erreur logique »  ce qui l’intéresse, c’est qu’il constitue un outil intéressant nous permettant d’appréhender une certaine forme de vérité quant à la constitution du sujet du désir.


Les 3 temps du procès logique

 

Il va donc reprendre, pas à pas, les différentes étapes du « procès logique », comme il l’appelle, qui transforment les trois combinaisons possibles en trois modulations du temps subjectif : La première combinaison correspond nous dit-il à l’instant du regard qu’il l’appelle également l’instant de voir, la deuxième au temps pour comprendre et la troisième au moment de conclure.


La première combinaison : deux noirs et un blanc (●●○) correspond donc, à l’instant du regard, c’est-à-dire à l’évidence que cette hypothèse n’est pas la bonne dès lors que chacun voit que les deux autres sont affublés d’un disque blanc. L’instant du regard, c’est la « valeur instantanée de l’évidence », « ce temps de fulguration égal à zéro où il suffit de voir, pour savoir » dit-il. Il correspond « à un mode du sujet impersonnel, désigné ici par la formule « on sait que » … qui ne nécessite aucune subjectivisation, un petit appareillage, dit-il, pourrait aussi bien faire l’affaire pour aboutir à cette conclusion ». Il ajoutera, néanmoins, dans son séminaire Les problèmes cruciaux pour la psychanalyse en 1965, que « cet instant de voir, constitue le temps inaugural du sujet dès lors qu’il s’insère dans la dimension du langage. »  C’est-à-dire qu’il constitue une première étape logique de la constitution du sujet même si à ce stade il ne relève encore d’aucune subjectivation.


Ce qui intéresse Lacan et sur lequel il va s’arrêter, c’est le fait que cette première étape du raisonnement correspond à un premier temps d’arrêt, puisque les prisonniers ne bougent pas, qui est lié à cette première évidence. Je reviendrai sur la valeur de ces temps suspensifs qui jalonnent le procès logique et qui sont essentiels à la mise en place de la subjectivité. Leur rôle est, en effet, tout à fait crucial.



LE SOPHISME DES TROIS PRISONNIERS


  Les données de départ 

 

  3 prisonniers et 5 disques : ○○○●●

  Ils se voient mais ne se parlent pas.


  3 combinaisons possibles : 


              ●●○                                    ●○○                                     ○○○

L’instant du regard | Le temps pour comprendre | Le moment de conclure                                                           

           

… correspondants à 3 modulations du temps subjectif :


Sujet impersonnel   |   Sujet indéfini réciproque   |  Assertion subjective


 

  Le raisonnement en 3 étapes

 

1e – Étant donné que je vois ○○, je sais immédiatement que la 1e combinaison ●●○ est fausse car il n’y a aucun noir.


1e scansion suspensive

 

 (Temps de fulguration)

 

2e – Reste donc 2 hypothèses : ●○○ ou ○○○

 

  Chacun des 3 prisonniers va pouvoir penser : « Si j’étais un , chacun des 2 autres aurait pu se dire : « si j’étais moi-même un , le 3e voyant 2 noirs aurait pu reconnaître immédiatement qu’il était et sortir aussitôt». »  (Référence à la première combinaison éliminable immédiatement). Or aucun des 2 autres n’a bougé. 

 

La deuxième hypothèse ●○○ est fausse.


2e scansion suspensive


(Temps de doute et de méditation)

 

 3e – C’est donc que je suis ○ comme eux, je me hâte donc de sortir.

  C’est le mouvement simultané des trois sujets qui confirme la certitude de chacun d’être blanc.


  La 3e hypothèse est la bonne ○○○ !


La deuxième combinaison, un noir et deux blancs (●○○), correspond, nous dit Lacan, au temps pour comprendre c’est-à-dire à l’étape du raisonnement, que je viens de déplier à l’instant : « Si je suppose que je suis noir, alors chacun des deux autres aurait pu se dire à son tour « Si j’étais moi aussi un noir, le troisième voyant deux disques noirs, aurait pu reconnaître immédiatement qu’il était blanc et sortir». Or aucun des deux autres n’a bougé, c’est donc que cette hypothèse est fausse ».  Ce deuxième temps est décrit par Lacan comme un temps de méditation marqué par le doute et le mode du sujet est qualifié ici de « réciproque » parce que c’est le temps où chacun spécule sur le raisonnement de l’autre. Chacun fait l’hypothèse qu’il est noir et règle sa déduction sur la sortie ou l’immobilité des deux autres.


Ce deuxième temps introduit donc non seulement la forme de l’autre, du petit autre, en tant que tel comme pure réciprocité mais également la forme du grand Autre dans la mesure où chaque prisonnier, pour pouvoir résoudre l’énigme, doit en passer par une forme de dialectisation qui convoque la dimension du grand Autre. Ce temps d’hésitation et de réflexion correspond, nous dit Lacan, à l’entrée en jeu du signifiant. Le sujet n’est plus dans un pur jeu de signe comme dans le premier temps du processus logique.


Le temps pour comprendre a souvent été associé, dans le travail de la cure, à ce temps de la perlaboration, de l’association libre où le sujet déplie son histoire et constate les répétitions dans lesquelles il est pris. Mais Lacan pose la question : « ce temps comment en objectiver la limite ? », il peut, en effet, devenir interminable si les trois sujets restent pris dans une oscillation imaginaire. Tant que les trois compères spéculent, ils sont prisonniers, c’est le cas de la dire, du spéculaire, c’est à dire de la logique du stade du miroir.


Car en effet, pour aboutir au résultat, c’est-à-dire au moment de conclure qui correspond à la dernière combinaison des trois blancs (○○○), il est nécessaire de sortir de ce temps de cogitation imaginaire, de ses deux formes transitivistes du sujet que sont le sujet impersonnel et le sujet indéfini réciproque qu’il a désignés précédemment. Cette dernière étape du raisonnement est formulée ainsi par Lacan : « Les autres ne sont pas encore sortis, je me hâte donc de sortir pour déclarer que je suis blanc ». Ce moment de conclure est donc essentiellement marqué par la hâte, il se présente comme « l’urgence de sortir fasse à la peur d’avoir un temps de retard », nous dit Lacan.


« Le «je» psychologique se dégage d’un transitivisme spéculaire indéterminé, par l’appoint d’une tendance éveillée comme jalousie » …  ajoute-t-il, c’est-à-dire que c’est la subjectivation de la concurrence avec l’autre, de la jalousie qui permet de sortir de l’agressivité spéculaire. Cette concurrence avec l’autre, est d’ailleurs, représentée ici par la mise en place même du sophisme, qui ordonne une situation de rivalité entre les prisonniers. Le directeur leur dit que seul l’un d’entre eux pourra sortir de prison. Or, ce que dit ce sophisme c’est que la résolution du problème ne peut s’opérer que si les trois sujets sortent de la pièce tous ensembles simultanément, c’est-à-dire se reconnaissent mutuellement « en tant qu’ils sont autres les uns pour les autres » ajoute-t-il.

La certitude d’être blanc repose, donc avant tout sur l’acte qui est nécessaire à ce que la déduction arrive à son terme. C’est-à-dire que c’est l’acte qui anticipe la certitude et non pas le contraire. Car faute d’agir, c’est-à-dire de sortir, chacun des trois prisonniers ne pourrait pas conclure et resterait dans l’hésitation.


Cette émergence du sujet, du « je » en première personne, ce que Lacan appelle ici « l’assertion subjective » nécessite donc une coupure dans le défilé autrement infini de la répétition signifiante. Coupure propre à toute forme d’engagement subjectif qui procède également d’une séparation vis-à-vis de l’Autre. 


Cette question de l’acte constitue une indication quant à la direction de la cure. On sait, en effet, que se remémorer les événements du passé est un temps nécessaire de la cure mais pas suffisant. Il faut un acte pour que la jouissance corrélée à cette répétition signifiante cesse de s’écrire et dans la cure, c’est la scansion interprétative de l’analyste qui peut permettre qu’est lieu cet acte.


La valeur du sophisme

 

Pour tenter d’aller un peu plus loin dans la lecture de ce texte, j’ai cherché les références que Lacan fait au Temps logique dans ses différents séminaires.

Dans Le désir de son interprétation, il parlera de « précipitation identificatoire », pour aborder ce qu’il nomme ici assertion subjective, c’est-à-dire que ce processus du Temps Logique n’est pas sans lien avec la question de la mise en place des identifications : cette transformation produite chez un sujet lorsqu’il assume une image et peut dire « je suis blanc » ou plus exactement, « je suis un homme » ou « je suis une femme », c’est-à-dire lorsqu’il peut se compter comme un. Et il ajoute : « La subjectivation de chacun est la transformation qui se vérifie à la suite de cette succession d’oscillations, de scansions par où le sujet se repère, en fonction de ce que les autres voient de lui-même, dans ses trois formes de temps qui sont fondamentalement trois formes de manque. »


Cet acte, cette émergence du sujet suppose donc la mise en place de l’objet a, c’est-à-dire de la perte, du manque qui est ici représenté par les deux scansions successives, les deux temps d’arrêt qui scandent les trois temps du Temps logique.


En effet, avec le premier temps, ce que les prisonniers savent positivement vient de « ce qu’ils ne voient pas de disque noir ». C’est donc d’une certaine façon, ce manque à voir aucun noir qui constitue la première scansion suspensive. Le deuxième temps suspensif, celui qui est lié à l’étape du raisonnement, est marqué par le doute. Il renvoie à une deuxième forme du manque, un manque à comprendre.

 

D’ailleurs, dans le séminaire Les non-dupent-errent Lacan dira : « C’est curieux que j’aie mis au second temps, le temps pour comprendre, car la seule chose à comprendre dans ce Temps logique … c’est que le temps pour comprendre ne va pas sans les deux autres, ça ne vaut rien s’il n’y a pas les trois : à savoir l’instant de voir, puis la chose à comprendre, et enfin le moment de conclure… » et il ajoute « de conclure de travers ».


Dans Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, il ajoutera que « l’émergence du sujet de l’identification procède avant tout d’une structure scandée par ce battement de la fente ». Le sujet n’est « qu’apparition évanouissante entre les deux temps, initial et terminal, de ce Temps logique, entre cet instant de voir où quelque chose est toujours élidé, voire perdu […] et ce moment élusif où la saisie de l’inconscient ne conclut pas, où il s’agit toujours d’une récupération leurrée ».


Dans les relectures successives de son sophisme Lacan met donc l’accent sur le fait que la mise en place de la subjectivité s’opère dans les interstices de ces différents temps logiques et il insiste sur l’incomplétude du sujet qui ne peut jamais se saisir totalement et procède toujours d’une forme de certitude leurrée. Dans ce « je suis un homme », l’être dont il s’agit, renvoie donc plus à un « manque à être » qu’à une affirmation existentielle assurée.


Je me suis d’ailleurs demandé pourquoi Lacan utilise le terme de « certitude anticipée » pour évoquer cette naissance du sujet. Il me semble que la certitude dont il parle ici pourrait être de l’ordre de la bejahung, c’est-à-dire de cette affirmation nécessaire à la mise en place du Moi, affirmation qui n’est peut-être pas sans lien, d’ailleurs, avec la dimension paranoïaque du Moi. Mais cela n’empêche pas que ce Moi soit fondamentalement un leurre puisque qu’il s’appuie, avant tout, comme il le déclinera dans le stade du miroir, sur l’image de l’autre, qui peut tout aussi bien être sa propre image spéculaire, qui relève fondamentalement de l’imaginaire.


Cette possibilité de se compter comme Un, de dire « je » dépend donc de l’ensemble des trois temps, qui ne sont nullement à prendre comme une succession d’évènements chronologiques mais bien comme une nécessaire coexistence de trois temps logiques indissociables les uns des autres ; coexistence qu’il illustrera dans Les problèmes cruciaux pour la psychanalyse par la figure de la Bouteille de Klein, cet objet topologique qui se caractérise par son auto-pénétration. C’est-à-dire que c’est dans cette circularité entre les trois temps qu’il faut penser la naissance du sujet. L’acte conclusif, dont il parle ici, ne peut avoir un effet de subjectivation qu’à condition de se renouer avec les deux autres temps du processus logique. C’est probablement, d’ailleurs, ce qui fait la différence entre le passage à l’acte et un acte qui produit un effet de sujet au sens de l’engagement subjectif. Nous pourrions d’ailleurs peut-être, nous servir de cet outil pour aborder la clinique de l’acte.


D’une logique collective

 

Enfin, en dernier lieu, ce sophisme des prisonniers éclaire de façon saisissante, l’interdépendance subjective des sujets, c’est-à-dire à quel point la subjectivité de chacun s’articule dans son rapport à l’(A)autre (l’autre avec un petit a, mais tout autant avec un grand A) . En effet, chacun pour résoudre son énigme doit en passer par le raisonnement qu’il suppose aux deux autres, et il ne peut fonder son raisonnement que sur leur réaction et leurs temps d’arrêts. Lacan souligne combien, dans cette course à la vérité, tous dépendent de la rigueur de chacun, et … aucun n’y arrive sinon par les autres. »


Cet apologue démontre que la mise en place du sujet, son assomption n’est pas qu’affaire privée mais dépend d’une « intelligence collective et concurrente » comme il dit. On sait bien en effet, combien dans les familles par exemple mais également dans le lien social en général l’un règle sa position sur la position de l’autre. Lacan conclut d’ailleurs, son article sur la valeur de son sophisme comme forme fondamentale d’une logique collective.


Ces trois personnages à eux seul représentent, en effet, déjà une collectivité dit Lacan, et il va déplier rapidement comment cette logique peut tout aussi bien fonctionner pour quatre, cinq ou plus d’individus à condition de prévoir toujours un rond blanc de plus qu’il n’y a de noir.


Il définit « La collectivité comme un groupe formé par les relations réciproques d’un nombre défini d’individus » s’opposant, en cela, à la conception jungienne d’un inconscient collectif qui se fonderait sur la généralité, c’est-à-dire sur « une classe comprenant un nombre indéfini d’individus. »


Et Lacan de conclure sur ceci : « cette appréhension d’une collectivité, donne la forme logique de toute assimilation humaine en tant précisément qu’elle se pose comme assimilatrice d’une barbarie ». N’oublions pas que ce texte a été écrit au sortir de la guerre. C’est-à-dire que « cette assertion subjective anticipante », dont il parle, est le seul processus qui puisse permettre que les « hommes se reconnaissent entre eux pour être des hommes » et puissent lutter par-là même, contre la part de barbarie qui peut surgir à tout moment.