WEB’ SEM’ du Collège de Psychiatrie

 Pour une écologie du lien social ?

Une introduction à la pensée de René Girard

 Renée Kalfon

 

René Girard né en 1923 meurt en novembre 2015 juste avant la tuerie du Bataclan et la recherche des terroristes tout près de la Basilique Saint Denis. Cette coïncidence est troublante dès lors que la violence et le sacré constituent la trame de son œuvre.

Tout juste sorti à 24 ans de l’école des Chartes, il part aux États-Unis, fuyant une Europe dévastée par la violence de la 2e guerre mondiale et terrifiée par les effets des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki.

Il accomplit à Baltimore et à Stanford l’ensemble de sa carrière non sans venir en Europe transmettre son précieux enseignement. Il entre à l’Académie Française. Un grand nombre d’entretiens radiophoniques et télévisés et d’articles de presse lui sont dédiés.

Un colloque à CERISY lui est consacré en 1983.
Il enseigne à ses débuts la littérature et nous lui devons une 1ère publication : « mensonges romantiques et vérité romanesque » où il met à mal les héros chevaleresques entre autres. (Sancho désire ce que désire Don Quichotte ou encore dans « le rouge et le noir » les rivalités entre les bourgeois que sont Rénal et Valenod sont exacerbées devant les services de Julien Sorel jouant les amoureux de Mathilde).

Selon lui dans le mensonge romantique les héros sont toujours manipulés par le désir de l’autre : le héros désire le désir de l’autre.

Cela constitue la première fondation de sa théorie mimétique (de l’imitation) et ce cheminement le conduit à publier en 1972 son 1er écrit sur la vérité mimétique. Il avait en 1968 retrouvé l’anthropologie et le désir mimétique avec la découverte du sacrifice. N’oublions pas la célébrité de Claude Levi-Strauss.

 
La vérité mimétique selon René Girard
 

Le désir est métaphysique, il correspond à un manque d’être à combler et qui nous met en relation avec autrui et aboutit à la destruction d’autrui.

Il cite Jean-Paul Sartre « Chacun se croit seul c’est ça l’enfer ». L’homme n’a pas de désir propre, le désir est triangulaire médiatisé par le truchement d’un tiers = celui qui le désire est à mes côtés, nous l’associons à une pulsion cannibale, nous imitons l’autre pour s’approprier ce qu’il possède et à travers cela s’approprier son être propre et ses attributs. C’est donc un désir d’appropriation réciproque de nature ontologique puisque « tout désir est désir d’être » écrit René Girard qui se distingue de la théorie Hégélienne basée sur la reconnaissance.

Le désir mimétique ne vise pas l’appropriation d’objets mais toujours en fonction d’une détermination sociale i.e fonction d’un tiers déjà pourvu d’un prestige (par la possession de biens, de ressources intellectuelles ou physiques dans une configuration triangulaire : l’autre est modèle, médiateur).

Cf. imitation très précoce des nourrissons, plus tard apprendra de son ou ses modèles mais interviendra aussi la rivalité. Avec Freud il soutiendra que si le modèle est bon l’imitant le suivra jusqu’à l’étincelle de la création autre. René Girard dira que ce mimétisme existe tant chez l’animal que chez l’humain par inachèvement des apprentissages plus important chez l’humain.

« Si les hommes tout à coup cessaient d’imiter toutes les formes culturelles s’évanouiraient ».
Cette mimésis d’apprentissage sans objet à priori sert de support au désir mimétique à partir duquel va se construire l’implacable logique de la rivalité entre les protagonistes : « le désir est celui d’un individu que nous prenons pour modele parce que nous l’admirons, parce que tout le monde l’admire ».

 
La violence essentielle est fondatrice.
 

Retenons que le concept d’imitation désigne deux conduites opposées et co-présentes chez l’imitant (b) exclu et rappelons-nous le MANQUE de l’imitant qui ne peut disparaître que par l’appropriation d’un objet qui lui confère un prestige à (b) qui commande un acte d’exclusion; cet objet est un talisman. Celui qui est imité dispose dès lors d’une autonomie de son propre désir et de la possession de son objet, il doit magiquement devenir un modèle en rejetant le modèle de celui qui l’imite ça rejoint le phénomène du double bind i.e le phénomène d’identification inclut contradictoirement le principe de non identification.

L’imitant échappe à la contradiction entre (a) et (b) dont il ignore qu’elle dérive du désir mimétique lui même et non de l’objet ou de la valeur intrinsèque du modèle, qui devient IDOLE et c’est parce qu’il m’obsède que je désire le même objet que lui a. Le conflit des différences s’origine toujours par la perte des différences, l’identité redoute la perte des différences. Rappelons que la justice selon Sigmund Freud provient de l’égalité La première société sera celle qui accepte le principe d’égalité. René Girard féru de recherches bibliques soutient que l’univers biblique voudrait échapper à cette loi de la différence, au désir et à la rivalité mimétique : nous redoutons, dit-il, les identités ennemies parce que nous avons peur, les cultures échangent tout, elles meurent toutes : ce qui déclenche les rivalités dans ce rapprochement apocalyptique, elles se punissent dans un mouvement cyclique.

Et par la même ce souci de l’autre débouche sur la violence et cette violence réciproque entre deux rivaux laisse la place à la VIOLENCE unanime contre une victime ÉMISSAIRE, victime de tous et forcément arbitraire, coupable de tout et en même temps salvatrice, mais qui est selon René Girard fondatrice des INSTITUTIONS HUMAINES mais n’est pas pour autant fondatrice des RELATIONS HUMAINES.

René Girard en arrive à parler du DON comme CONTRAIRE À LA VIOLENCE de la HAINE toutes ces choses cachées qu’il veut révéler à la conscience humaine.

Déjà la logique de l’ÉGALITÉ engendre la RIVALITÉ qui engendre la VIOLENCE. Elle se propage beaucoup plus au sein des classes dominantes plus sensibles aux logiques de prestige que d’autres groupes sociaux.

Ce qui fonctionne comme une inversion apparente de la conception du DON chez Mauss. Les imitants prennent au lieu de donner cette posture traverse tous les champs de la vie sociale tant celle archaïque que celle contemporaine.

Elle s’étend telle une contagion et peut s’intensifier et conduire au déploiement de la violence. Il en découle un rapport de violence asymétrique sur la base d’une mimésis inversée dans laquelle des rivaux identiques imitent réciproquement leur désir de vengeance polarisé sur un individu qui devient la victime expiatoire ÉMISSAIRE = RÉIFICATION DE LA VIOLENCE COLLECTIVE D’UN GROUPE PACIFIÉ PAR LA RÉSORBTION DE LA CRISE (Ex : le film « M le maudit » où la pègre se joint à la police pour chercher un grand criminel).

 

 
Ce mécanisme victimaire est à l’origine de tout ordre social.
 

ÉMERGENCE DU SACRÉ : Le sacré est dans les temps archaïques équivalent d’impur, consacré aux divinités, aux dieux, vénéré, saint et maudit;  on ne peut toucher le sacré sans souiller ou être souillé.

Il nous amène à la notion de SACRÉ COMME ARTICULATION DE DEUX VIOLENCES DANS LE RITE SACRIFICIEL ET DANS TOUT CE QUI LUI EST ATTENANT AU SEIN DE LA GÉOGRAPHIE SOCIALE

La victime de tous contre tous est un individu innocent sur lequel on va faire retomber tous les torts des autres, la responsabilité collective qu’on lui impute. Un bouc émissaire célèbre, Dreyfus, sur qui rejaillit toute la haine éprouvée contre les juifs. La victime expiatoire paye pour les autres. Rappelons le rite hébraïque mentionné dans la bible : des sacrifices d’enfants ont existé jusqu’à la modification avec Abraham qui est enjoint de sauver son fils en sacrifiant un bouc sur la tête duquel le prêtre posait ses mains. Ainsi les pêchés commis par les juifs étaient transmis à l’animal.

René Girard en fait un système interprétatif global visant à expliquer le fonctionnement et le développement des sociétés humaines.

Le sacrifice permet à la fois de libérer l’agressivité collective et de ressouder la communauté autour de la paix retrouvée.

La victime se voit divinisée pour avoir ramené la paix tout à la fois comme responsable de la crise tout autant que auteur de ce miracle de la sérénité retrouvée, Elle devient sacrée, elle se voit divinisée pour avoir ramené la paix. La collectivité se réconcilie sur le dos de la victime ou bouc émissaire.

Elle invente des rituels de reproduction des sacrifices dans le calme mais aussi des interdits dont l’inceste devenu universel.

« Le sacré c’est la violence » car nait de lui la volonté d’éradiquer la violence.

Il cite la violence intestine originelle qui aurait accouché du sacré, placé dans le bouc émissaire sacrifié pour ressouder les communautés.

Il définit la guerre comme paradoxalement vouée à maitriser la violence, à l’instar de Plutarque qui remarquait qu’elle était le meilleur moyen d’éteindre les querelles intérieures et de retremper la légitimité des dirigeants politiques dans des circonstances neuves.

Si Levi-Strauss affirmait que la violence se fait discrète dans les mythes, René Girard dit qu’elle revient sans arrêt.

Il s’oppose aux idées rousseauistes selon lesquelles l’homme est bon par nature, citant l’exemple des Aztèques qui procédaient à des sacrifices humains, l’anthropologie les justifiant par la construction d’une construction sociale, et donne des exemples de monarchies sacrées en AFRIQUE où l’on fait au roi tout ce qui est détestable en en faisant une victime en attente domestication des animaux : les hommes vont chercher des

anomaux pour qu’ils leur ressemblent quand on va les immoler
l’origine du langage les règles qui nous régissent viennent de la violence

le langage articulé viendrait de la sidération de la communauté devant une immolation et qui découvrirait ainsi la notion de dedans et dehors en identifiant une différence.

En 1972-1973 René Girard est considéré comme blasphématoire de Levi Strauss, et anti scientifique et une polémique perdure chez les intellectuels.

Il y répond qu’il intègre seulement les concepts anthropologiques du 19e et 20e siècle « vous êtes sorti de la science». À quoi il répond, je suis le 1er à avoir formulé une théorie athée du religieux.

Il conçoit le sacrifice comme une relation entre les hommes et les dieux, que les hommes se sont mis à croire aux dieux en raison de la violence faite aux victimes « cette victime est dotée de pouvoirs magiques.»

La religion nous parle de quelque chose de réel. Il combat la discontinuité entre l’archaïque et le moderne.

Il ajoute réconcilier la science et la pensée religieuse : « c’est ce qui nous met en route vers le réel « un humaniste prend au sérieux ce que les vestiges archéologiques nous disent.»

Chrétien sincère, apologète du christianisme, il dira que le Christ n’est pas une victime, il se sacrifie par la révélation c’est à dire le verbe.

La révélation étant dans l’apocalypse le versant opposé à la prédiction de la catastrophe.

« Je cherche à montrer que le monde actuel est impensable sans le christianisme »

Il ajoute : « la pensée apocalyptique n’est pas un fatalisme » et il évoque la résistance des dreyfusards et notamment celle de Peguy. 

« Parce que je suis apocalyptique, je refuse toute forme de providentialisme : il faut se battre jusqu’au bout même si l’on pense qu’il s’agit d’une vaine tentative.» 

Et pour la fin de cette approche de l’oeuvre de René Girard, gageons qu’il ne serait pas contre cette ultime parole de Mitsak Manouchian le 23 février 1944.

« Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps »