« POUR UNE ÉCOLOGIE DU LIEN SOCIAL »

Une lecture de la fonction « mythe » ?

Michel JEANVOINE 

 

Mercredi 28 juin 2023 

WEB’ SEM’ du Collège de Psychiatrie

Leçon 3


Pourquoi venir, revenir, voire insister sur l’analyse du mythe? Pourquoi mettre une nouvelle fois cette question sur le métier? La question pourrait se poser, et elle se pose, légitimement. Quelle écriture pour ce qui relève manifestement d’une fonction, la fonction « mythe »?


Nos interrogations sur ce qui fait notre social d’aujourd’hui, sur ce qui l’ordonne et lui donne corps, pourraient-elles trouver avantage à cet éclairage? Nous en faisons l’hypothèse.


Une lecture plus sereine des enjeux de ce social qui nous interroge serait-elle alors possible, ouvrant la voie à de nouvelles pratiques plus justes, voire plus apaisées?


De son côté, comme nous le savons, Freud s’est saisi du mythe, à sa manière. En examiner son usage à tout son intérêt. Tout semble se passer comme si la dimension du mythe était convoquée pour rendre compte, à chaque fois, d’un point précis qui faisait, pour lui, butée. Plus précisément, au lieu même de ce qui se refusait à toute écriture. C’est alors en ce point précis qu’il déplie les termes de ce qui fait mythe et met, ainsi, en place le lieu d’un élément qui prend fonction de cause, au lieu même d’un indicible, qui avec le mythe trouverait à se penser et à se dire, et que, de son côté, Lacan saura prendre autrement en compte. Aussi bien, avec le complexe d’Œdipe – dans le trajet du jeune enfant qui grandit entre père et mère – que dans la constitution du groupe avec cet élément introjecté – morceau du Père de la horde, assassiné, et partagé, dès lors par chacun à égalité – et fondateur pour chacun de cette instance de l’Idéal du Moi.


Là où Freud se trouve devant une impossibilité logique et un indicible, un recours au mythe s’impose, non seulement pour donner sens mais pour introduire le lieu d’un hors sens qui fait butée . Nous soulignons, là, en ce point précis, le pas que Freud ne fait pas et laisse à Lacan. Et il serait spécialement malvenu de dénoncer ce point de butée freudien. Au contraire, il apporte un repérage très précieux à notre travail et ouvre à des enseignements qu’il nous faut prendre en compte.


En effet, si, de la dimension du mythe nous entendons nous passer, nous sommes alors conduits, en suivant Lacan pas à pas, à une topologie qui noue des écritures en coinçant un lieu « cause » qui, lui, n’a pas d’écriture et ne peut se présenter autrement que par la mise en jeu d’un noeud d’écritures, le noeud borroméen. Je résume là, en quelques mots, toute une trajectoire, tout un parcours de travail qui conduit à la prise en compte de non-rapport, dont Freud nous ouvre les portes.Nous y reviendrons.


En effet cette opération de lecture structurale qu’engage Lacan, celui-ci la fait, paradoxalement, en suivant Freud. C’est en suivant Freud qu’il est amené à cette lecture en s’appuyant sur la notion de signifiant, inconnue de Freud, mais active dans sa lecture, démarche qui spécifie l’abord structuraliste, même si celle-ci n’a rien d’univoque. Ainsi Lacan rencontre un bord, le bord d’un réel qu’il nommera freudien. Ce réel freudien, pour Lacan, est celui précisément où Freud fait appel à la dimension, et à la fonction du mythe. Introduit par Freud à ce chemin il donne à sa lecture un quart de tour au point même où Freud, avec son symptôme et son identification au père, pointée par Lacan, résiste. Ainsi grâce au travail de Freud, Lacan est amené à faire son pas en ouvrant un sillon où nous pouvons, aujourd’hui situer notre travail.


Ne vous apparaît-il pas, ce soir, dans le fil de ce séminaire, après avoir été introduit- dans notre dernière séance par Jean- Marc Faucher- à la lecture de « l’Introduction  à l’œuvre de Marcel Mauss » par Claude Lévi-Strauss, ne vous apparaît-il pas qu’il y a là une opération tout-à-fait semblable et qui spécifie la démarche structuraliste? En effet, dans cette introduction publiée en 1950, Claude Lévi- Strauss pointe le lieu devant lequel Mauss, non seulement bute, mais renonce à son travail de scientifique, nous dit-il, en faisant appel à l’interprétation indigène du Hau, là où lui-même pourra faire le pas de soutenir la lecture structuraliste par la mise en place du mythe comme fonction. C’est en cet endroit qu’il invente le « signifiant flottant » essentiel à ce mythe et à sa fonction. J’emploie à dessein, une nouvelle fois, ce terme de structuraliste même si les enjeux, dans leurs destins, en seront très différents pour Lacan et Claude Lévi-Strauss.


Ainsi Claude Lévi-Strauss ouvre la voie qui le conduira à ses travaux et à la formule canonique. Et pour Lacan, avec Freud, une même opération ouvrira la voie qui le conduira aux enjeux de la présentation du noeud borroméen avec la topologie borroméenne et à son « moment de conclure ».


Cependant il faut peut-être préciser un point qui a toute son importance, et que sait prendre en compte Lévi-Strauss avant de souligner où Marcel Mauss, s’est arrêté. Il s’agit de la notion de « fait total ». En effet c’est l’avancée de cette notion par Mauss qui rend possible le tranchant de la lecture structurale Lévi-Straussienne. Jusque-là, et nous le rencontrons encore aujourd’hui, la grande difficulté de ces analyses sociologiques, anthropologiques, ou autres… et qui pouvait les rendre si confuses et insatisfaisantes, était liée au fait que ces analyses voulaient prioriser un facteur ou l’autre, alors que, selon la proposition de Mauss, il s’agirait d’avancer un système d’interprétation rendant compte des aspects, physique, physiologique, psychique, et sociologique de toutes les conduites. Ce qui l’amène à cette proposition, que nous trouvons dans « l’Essai sur le don », de la notion de « fait social total ». Cette notion est en effet capitale puisqu’elle va permettre de ne plus opposer, dans les analyses, l’individuel au social, ou inversement, et le physique au psychique.


Nous pouvons alors mieux situer, en 1950, l’intérêt d’une telle démarche pour Lacan.


Par ailleurs, comment ne pas souligner, que Freud, de son côté, et à sa manière, était déjà, sans le savoir vraiment, un adepte du « fait total », ce que viendra prolonger Lacan, puisque d’emblée dans ses travaux, et tout spécialement avec « Massenpsychologie et Ich analyse », ce sont les mêmes lois qui organisent la vie psychique et la vie collective. Ce qui ouvrira la porte à l’ invention freudienne géniale de l’identification.


Ainsi s’ouvre la voie d’une analyse qui pourra mettre en son cœur une analyse structurale, dont le signifiant, dans sa dimension saussurienne, deviendra l’instrument. Mais la conséquence immédiate de cette promotion du « fait total », assumée par Mauss et Claude Lévi-Strauss, et ceci nous intéresse au plus haut point, en est la suivante : de la même manière que le clinicien, l’anthropologue appartiendra au tableau qu’il décrit, il appartient à ce fait social total dont il fait l’analyse et, ainsi, se compte dans l’opération. Et ceci ne va pas sans avoir quelques effets. Chacun à sa manière en traitera, ou pas, les conséquences.


Essayons, avec cette rapide mise en place, de faire quelques pas. 


Nous le savons, la présence des mythes, de leur usage, mieux de leur fonction est attestée depuis le fond des âges. Ce premier constat, banal en lui-même, mérite cependant que nous nous y arrêtions. Il est, en effet, à prendre au sérieux. Nous pourrions soutenir, en effet, avec ce premier constat, l’hypothèse que cette mise en fonction du mythe est contemporaine de la naissance du langage et qu’il participe, en tant que tel, non seulement à la vie, mais accompagne le développement de tout collectif. Comme si celui-ci lui donnait forme, en lui donnant corps.


Tout semble donc se passer comme si celui-ci donnait étoffe, par son tressage, à ce collectif. Dès lors, celui-ci, avec cette identité « une » qui lui est conférée, peut se penser comme une communauté. Une communauté au travail avec le collectif qui la fonde et l’excède. Ainsi chaque membre en partage le tressage et porte en lui le trait spécifique qui caractérise cet ensemble. Et chacun, alors, partage un même destin, certes toujours singulier, mais commun à la fois. Commun en ceci que chaque membre partage alors une même vectorisation. Il est patent, en effet, que les grands mythes qui ordonnent  ces collectifs valident et rendent compatibles l’ensemble des actes et comportements du quotidien, jusque dans leurs détails. Mais aussi dans ses dimensions les plus générales puisqu’ils donnent au temps son sens, soit un avant et un après. Ainsi le mythe permet d’ordonner une séquence temporelle en mettant en place une réponse, non seulement à la question des origines de la vie, mais à celle de la mort ou de ses fins. Réponse à chaque fois originale, mais réponse toujours présente. Ainsi se met en place, avec cette fonction du mythe et son « signifiant flottant » la spécificité d’un lieu Autre, ex, auquel chacun ne peut que consentir. Ce lieu  règle, commande et valide non seulement les pratiques ordinaires mais aussi ce destin singulier et commun: ce lieu est le lieu d’un sacré.


Ici l’étymologie vient très justement nous rappeler comment ce mot, issu de « sacer », est porteur de deux sens opposés conjoints. Freud a attiré notre attention sur le double sens des mots primitifs. Ici, pour l’occasion maudit / béni. Comme si la langue, avec son étymologie, était porteuse, et avait le souvenir des enjeux signifiants de la mise en place d’un tel lieu.Un lieu du sacré mis en place par ce type de configuration qui pointe, déjà, si nous savons le lire, les enjeux structuraux qui sollicitent notre lecture.


Un lieu du sacré, dans le social, mis en place par la fonction « mythe » en attente de lecture! C’est ce travail de lecture qu’engage Claude Lévi-Strauss. Il s’y trouve introduit en suivant, avons-nous déjà dit, Marcel Mauss. Au point même où celui-ci faisait à nouveau valoir le mythe Claude Lévi-Strauss propose « le signifiant volant ». Nous l’avons évoqué lors de notre dernière séance avec Jean-Marc Faucher. Ce signifiant a la spécificité de porter avec lui, et d’introduire, le fait qu’il y a là un point de butée devant ce qui résiste à la prise langagière, mieux à la prise par la parole et le signifiant. Un signifiant dont la fonction est de témoigner de la présence d’un impossible. Il vient donc faire bord en mettant en place ce lieu d’où ça commande et avec lequel, dès lors, il va falloir se trouver en paix au prix de quelques sacrifices. Je rappelle que Lacan a pu prendre appui sur cette invention du « signifiant flottant » pour faire valoir ce qu’il a pu nommer « Le Nom du Père ». Ce signifiant du « Nom du Père », dans sa fonction, permettra de découper cet objet a, la cause du désir, capable de diviser le sujet, en donnant étoffe au fantasme. 


La fonction « mythe », selon Claude Lévi-Srauss, peut alors relever  d’une analyse de sa construction. Il pourra en proposer, tel un scientifique, une toute première écriture, fondée sur l’analyse structurale qui nous intéresse.


En effet les mythes, jusqu’alors, avaient, certes, fait l’objet d’études. Mais celles-ci restaient totalement insatisfaisantes et avaient, bien souvent, pour objet des inventaires ou classifications.


La première remarque, essentielle à faire, était que ces mythes prolifèraient, que ceux-ci étaient capables de réaménagements, de réinventions, d’adaptations,… comme si l’effectivité du mythe résidait ailleurs que dans son sens, ou son habit, mais dans ce qui lui donnait vraiment corps, dans ce qui en faisait son architecture, ou son squelette. Quel pouvait donc être ce moule capable de les produire en série ! De quelle fonction pouvaient-ils être le produit?


Une deuxième remarque, tout aussi importante. Claude Lévi-Strauss pointe le fait, très juste, que le mythe ne se traduit pas. L’expérience montre en effet que, si nous traduisons un mythe dans une autre langue, celui-ci y perd l’effectivité qui le rendait opératoire. Comment le comprendre sinon en prenant acte que ce n’est pas par le sens que celui-ci opère, mais avec d’autres enjeux liés à sa nature même et à l’ordonnancement de cette séquence mythique. Ceci n’est pas sans évoquer pour nous le poème et nos embarras quant à une traduction. Comment réanimer, dans une autre langue, l’effet « poésie », si celui-ci ne repose pas sur le sens? Que faut-il prendre en compte pour transmettre cet effet « poésie » sans que celui-ci ne s’évapore dans la traduction. Telle est la question.


C’est seulement avec le signifiant proposé par De Saussures que Claude Lévi-Strauss peut ouvrir la porte d’une lecture des mythes. Une nouvelle fois je vous encourage à en faire la lecture. Je ne suis pas anthropologue et ne suis pas vraiment en mesure de développer ces analyses devant vous ce soir et ne peux que vous proposer quelques raccourcis. Mais le point remarquable, qui conduit au repérage de ce « signifiant flottant », passe par la lecture d’oppositions ! Nous retrouvons là la dimension du signifiant qui ne vaut que par opposition à un autre signifiant. Pas de positivation du signifiant. Celui-ci ne prend sa valeur que dans une opposition. À cette lecture quasiment miraculeuse le foisonnement multiple des mythes s’ordonne et s’illumine. Et il est même possible d’anticiper leurs développements, remarque Claude Lévi-Strauss ! Ceci n’est pas sans rappeler la lecture que nous pouvons faire de notre clinique. Et tout spécialement, par exemple, la lecture des « Mémoires du Président Schreber ». Une même impression de complexité, de multiplicités, commence par nous submerger jusqu’à ce que le fil d’une lecture, en s’imposant, propose et ordonne logiquement ce qui semblait jusqu’alors d’une grande confusion.


Où est le génie de cette lecture, sur quels éléments repose t-il ?


Ceci n’est pas sans évoquer pour nous la genèse de l’einziger Zug, ce trait de la pure différence, que Lacan a su prélever chez Freud dans ses travaux sur l’ identification. Comment procède Lévi-Strauss ? Il liste ces oppositions, et en tant qu’opposition ne peut que constater l’identité de l’opposition à elle-même, jusqu’à ce qu’un élément soit en mesure de présenter cette opposition elle-même. Élaboration qui, pour nous, n’est pas sans évoquer un lointain équivalent du néologisme et de son usage dans la construction du délire. Ainsi apparaît une architecture, un véritable tissage, qui donne lecture au mythe, avec la mise en place de cet élément qui prend en compte, et témoigne d’une dimension Autre: le lieu d’un sacré qui, par ce tissage donne sens et valide l’ensemble des pratiques de la communauté et de chacun de ses membres. C’est par ce type de voie que s’ordonne et circule toute une économie. Peut-être comprend t-on beaucoup mieux comment ces communautés vivent et peuvent aussi bien disparaître, peut-être aussi pouvons-nous mieux comprendre comment la vie de chacun de ses membres, et sa validation, n’est possible qu’au prix de son partage, par chacun. Y déroger équivaut à une mort. Nous avons, là, un témoignage de la puissance du symbolique et du comment celui-ci ordonne les voies même du vivant.


De cette lecture Claude Levi-Strauss  propose une première formulation


d(b)   d(a) 

-—- : —–

c(a)   c-1(b) 


De cette première formule, non publiée, Lacan semble avoir eu connaissance très tôt, dès 1950. Mais, une deuxième écriture, prenant en compte une complexification de la première, sera publiée en 1956 dans son article sur « La structure des mythes », celle dite de la formule « canonique » :


Fx(a) :Fy(b) :: Fx(b) :Fa-1(y) 


Celle-ci se propose, à la lecture, comme un rapport d’équivalence du type A est à B, ce que C est à D. Avec, ici, un double échange des termes de l’argument et de la fonction, et le passage de a à son inverse (a-1).


J’avais pu remarquer et noter, il y a bien longtemps, comment la succession de ces oppositions avec l’inversion des termes, étaient peut-être à lire, en fait, comme des doubles torsions, qui ne pouvaient évoquer, au topologue averti, qu’une bande biface à double tour (la BB2T, obtenue par la coupure en son milieu d’une bande de Moebius?). Cette intuition, qui semble s’imposer, reste à vérifier.


Quel devenir pour cette « formule canonique »?


Claude Lévi-Strauss ne l’évoquera qu’une fois, dans la suite de ses travaux, et bien plus tard, dans « la potière jalouse ». Il retrouve, à cette occasion, la validité de cette écriture.


De ces écritures, et de cette analyse du mythe, Lacan ne peut pas s’en désintéresser. En effet, il retrouve là, chez Claude Lévi-Strauss, appliqué au domaine de l’anthropologie, une lecture qu’il n’est pas sans pratiquer dans sa clinique et dont il a, en suivant Freud, et la clinique freudienne, l’intuition. Vaines, et sans grands intérêts, sont les discussions qui voudraient ranger l’un sous la coupe des avancées de l’autre. Chacun est dans son champ spécifique, et chacun fait le même pas d’une même lecture structurale. Comment, dans ces conditions, ne pas se rencontrer et échanger. Cependant l’un et l’autre n’ont pas la même définition, et le même usage, du signifiant. Si Claude Lévi-Strauss fait un usage très fidèle à De Saussure de la notion de signifiant, et ceci peut se discuter, Lacan, de son côté, en inverse les termes en mettant le S au commandement, venant ainsi témoigner que le tressage du signifié n’est que le produit du jeu signifiant.


Par ailleurs tout un travail sur la question de la lettre serait à développer. Claude Levi-Strauss a l’usage de la lettre qu’a le scientifique. Elle a un même statut. Il ne se préoccupe pas de son reste, reste essentiel pour Lacan, puisque de ce reste Lacan fera le lieu même de son objet a. Nous ne pouvons ce soir que pointer cette question dont il nous faudrait tirer, cependant, quelques développements.


Revenons au fil de notre travail.


Aussi, de la première formule, produite par Claude Lévi-Strauss, au début des années 50, il n’y a pas de publication. Pourtant Lacan évoque ces travaux en citant Claude Lévi-Strauss dans sa conférence sur « Le mythe individuel du névrosé ». Le fantasme du névrosé, obsessionnel ou hystérique, relèverait, comme tout fantasme, d’un tel tressage et d’une telle construction. Il suivra ce fil dans les séminaires qui vont suivre avec l’analyse, et la reprise détaillée de l’analyse freudienne de « l’homme au rat », de Dora, de la phobie du petit Hans, et de la « jeune homosexuelle ». Il nous montre, nous présente, comment la construction du symptôme névrotique repose sur la promotion masochiste d’un signifiant spécifique qui met en place le lieu d’un objet du désir. Là où la fonction du Nom du Père n’est pas en mesure de soutenir le lieu d’un impossible, le patient se sacrifie masochiquement à la mise en place d’un tel lieu. Et le dénouage, avec l’ analyste , d’un tel noeud, ne pourra, en conséquence, que passer, non pas par le sens, mais par la scansion qui portera sur la structure de la séquence organisatrice de ce mythe individuel actualisé jusque dans le transfert. D’où, non seulement, une certaine conception de l’interprétation, mais un certain usage de la ponctuation de la séance, ponctuation signifiante, spécifiquement lacanienne contribuant à donner à entendre la nature de ce tissage et à rappeler la division du sujet.


Il y a là un fil de lecture pour relire et retravailler ces premiers séminaires de Lacan, jusqu’en 1966, date d’une ponctuation dans son parcours qui l’a conduit à fonder, en 1964, l’E.F.P.


Peut-être l’entendez-vous? Ce que je vous propose, en fait, est un certain abord topologique du parcours de Lacan. En effet, pendant toute ces années, jusqu’en 1966, Lacan élabore toute une topologie qui trouve sa maturité avec la topologie des surfaces, tout spécialement le crosscap, la bande de Moebius et la bouteille de Klein: plusieurs manières, voisines, d’aborder la question de la spécificité des enjeux de la coupure et de la découpe de l’objet a. 1966 marque dans son parcours, l’assomption d’une ponctuation. De ce point, avec la publication des « Écrits », une lecture rétroactive s’engage: réécriture du texte sur le temps logique, commentaires sur la « lettre volée » et la chaîne L. Cette réécriture et ces commentaires nous donne un indice sur les enjeux lacaniens du moment : faire et affirmer, en le précisant, du temps logique une séquence ordonnée par deux scansions qui ont valeur signifiante. Comment ne pas trouver, là, l’écho de cette double torsion en jeu dans la BB2T? Comment ne pas lire, dans les derniers développements sur la construction de la chaîne L, de semblables échos?


Il y a là, et c’est notre lecture, notre intuition, et notre hypothèse, il y a, là, la voie et les indices d’une topologie au travail chez Lacan : cette même topologie capable d’ouvrir le mythe en le dépliant.


Examiner le tissage de ces travaux entremêlés n’est pas vain, cet examen répond à nos préoccupations exposées lors de notre première séance sur la « psychose sociale ». J’avais pu souligner, et rappeler, comment l’énonciation supposait toujours un sujet, un sujet de l’énonciation, et qu’il n’y avait pas d’énonciation collective. Ce que nous rencontrons, dans cette étoffe du social, ce sont les lieux d’un sacré, qui depuis le fond des âges règlent l’économie- à partir d’un collectif- des communautés. Or notre monde, dit civilisé, et organisé selon les lois d’un progrès techniques débridé, se spécifie de ne plus consentir à ces lieux du sacré… Quelles peuvent être les conséquences d’un tel déni, et où cette dimension du sacré, va t-elle aujourd’hui se réfugier? Où serait-elle à lire? Quel prix à payer pour ne plus mettre au cœur du social cette dimension de l’impossible avec lequel la communauté se tissait?


Ce sont les questions qui, aujourd’hui, s’imposent à nous, et avec lesquelles je vais conclure.


Et pour terminer mon propos de ce soir pourquoi ne pas vous inciter  à faire quelques lectures estivales. Bien entendu Claude Lévi-Strauss, « La structure des mythes » que vous trouvez numérisé sur internet; Derrida, à qui nous consacrerons une soirée sur la  la lettre et sa manière, à lui, toute particulière de traiter cette question, et puis ce très beau livre, exemplaire, de Marcel Gauchet, intitulé « Robespierre », manifestement sensible à nos préoccupations actuelles et questions du moment.


Bon été, bonnes lectures !