GARRABE Jean. Le délire : une approche historique
Le mot délire emprunté au latin delirium, lui-même
dérivé de delirare « sortir du sillon », est très ancien en français puisqu’il apparaît dans notre langue dès le milieu du
XVe siècle, alors qu’il ne sera utilisé dans le langage médical que beaucoup
plus tard. Mais si l’on consulte le Dictionnaire culturel en langue
française dirigé par Alain Rey (1) on a la surprise de lire à l’entrée correspondante
une première définition très technique dont les termes sont discutables :
« Etat d’une personne caractérisé par une perte du rapport normal au réel
et par un verbalisme qui en est le symptôme ». Existe-t-il un rapport
normal au réel ? Et le délire n’a-t-il comme seul symptôme le
verbalisme ? Ce dictionnaire ajoute « Cet état en tant qu’il est
causé par une cause physiologique (fièvre, intoxication, etc.) ou
physique » et renvoie alors à confusion (mentale), divagation et égarement.
Suit ensuite
une liste de délires : Délire onirique, Délire alcoolique aigu
> delirium tremens, Délire de persécution (paranoïa), de grandeur
(mégalomaniaque), hallucinatoire. Délire collectif, délire inducteur, délire
induit. Délire d’interprétation.
Comme on le
voit il s’agit là d’entités nosologiques décrites sur une longue période et sur
des critères psychopathologiques qui ne sont pas homogènes. C’est cette
construction de la nosographie des délires que je voudrai envisager d’un point
de vue l’historique pour tenter de répondre à la question qu’est-ce qu’un délire ?
Ce
dictionnaire culturel renvoie d’ailleurs à Folie et, outre les autres sens de
« délire », comprend aussi les entrées délirer et delirium tremens
ainsi que, ce qui est beaucoup plus important pour mon propos, Délusion, mot
qui est défini de manière surprenante comme un terme de psychologie emprunté à
l’anglais en 1946 : « affirmation fausse faite pour tromper, mais à laquelle le sujet se laisse prendre ». Nous allons voir qu’en anglais
delusion signifie tout autre chose et que cette signification soulève un
point essentiel de la psychopathologie du délire.
Je vais
diviser mon exposé en deux parties : la première correspond à la période
de la psychopathologie descriptive des délires et la seconde à celle de la
psychopathologie structurale avec l’analyse du rapport entre le symptôme et le
signe dans les psychoses délirantes chroniques.
Je fixerai
comme repère chronologique du passage de l’une à l’autre la décennie 1900-1910
où elles se recouvrent ;
I.-
Psychopathologie descriptive du délire.
De William
Cullen à Philippe Pinel.
Le délire
qui accompagne les fièvres est connu des médecins depuis l’Antiquité et l’on
retrouve sa description chez tous les auteurs classique notamment dans la fièvre
lente nerveuse qui se termine par la mort. Mais je commencerai cette approche
historique du délire par les médecins de la fin du XVIIIe qui sont à l’origine
de la naissance de la
psychiatrie. William Cullen (1710-1790) traite du délire dans la 4ème partie
consacrée aux Vésanies ou dérangements de l’esprit de ses Institutions de
médecine pratique, traduites par Philippe Pinel en 1785. Il écrit « je
pense que le délire peut être défini un jugement faux ou trompeur d’une
personne éveillée sur les choses qui se présentent le plus fréquemment dans la
vie, & qui sont de telle nature que les hommes en général en portent le
même jugement ; & particulièrement quand les jugements de cette personne sont
très différents de ceux qu’elle avait, avant cela, coutume de
porter » (2 p.286). Surtout il différencie clairement les deux sortes de délires, celui qui apparaît dans les fièvres où
il marque une « diminution dans l’énergie du cerveau » dont il traite
dans une autre partie de son livre, celle consacrée aux pyrexies ou maladies
fébriles et non dans celle des dérangements de l’esprit et le délire de la folie (insanity) ou manie qui est lié pour
lui à une inégalité dans l’excitation du cerveau. Chez Cullen manie signifie
encore folie en général de sorte qu’il peut parler de la mélancolie comme d’une manie partielle. Bien qu’il ait
écrit ses First Lines of the Practic of Physic en anglais il utilise
pour parler du délire le latin delirium et n’emploie pas encore le mot delusion.
Rappelons, bien
que ce ne soit qu’indirectement en rapport avec notre sujet d’aujourd’hui, que
Cullen consacre la seconde partie de ses Institutions à cette nouveauté
que sont les neuroses comme il l’orthographiait alors c’est-à-dire : «
MXCI : toutes les affections préternaturelles du sentiment
& du mouvement, qui ne sont pas accompagnées de fièvre, comme symptôme de
la maladie primitive ; j’y comprends aussi toutes celles qui ne dépendent
point d’une affection locale des organes, mais d’une affection plus générale du système nerveux,&
des propriétés de ce système sur lesquelles sont fondées surtout le sentiment
& le mouvement ». Dans les névroses, comme on a transcrit le mot en
français, ce sont le sentiment et le mouvement qui sont touchés plus que l’entendement.
Philippe
Pinel (1745-1826) va plus loin que Cullen et substitue au terme manie pour parler
de la folie en général celui d’aliénation mentale. Dans la seconde édition de
son Traité médico- philosophique sur l’aliénation mentale (3)
manie a même disparu du titre de l’ouvrage car ne désigne plus que l’une des
quatre espèces d’aliénation qu’il reconnait alors, le délire général ; les trois autres étant la mélancolie ou délire exclusif, la démence
ou abolition de la pensée et l’idiotisme ou oblitération des facultés
intellectuelles et affectives. Pour Pinel : « 145. La manie…se distingue…par
un délire général plus ou moins marqué, quelques fois avec les jugements les
plus extravagants, ou même un bouleversement de toutes les fonctions de
l’entendement (3 p.172).Mais il insiste sur l’existence d’une « manie sans
délire », c’est-à-dire sans lésion de l’entendement, marquée par une
fureur aveugle (3p.182-183). Pinel fait de la mélancolie un « délire
exclusif car : « 165. Les aliénés de cette espèce sont quelques
fois dominés par une idée exclusive qu’ils rappellent sans cesse dans leurs
propos, qui semble absorber toutes leurs facultés ». (3 p. 187). Pinel commence
à illustrer ses propos de
courtes histoires cliniques, qu’il nomme historiettes de malades maniaques ou mélancoliques,
atteints donc soit de délire général soit de délire exclusif.
Le délire définit la folie.
Pour
Etienne-Jean Georget (1795- 1828) le délire est la définition même de la folie.
Il écrit : « La folie est une affection du cerveau ; elle
est idiopathique, la nature de la cause organique nous est inconnue.
La première
proposition résulte des considérations suivantes :
1° le
symptôme essentiel de cette maladie, celle qui le caractérise et sans lequel
elle n’existerait pas, sur qui reposent les divisions en genres, espèces et
variétés, dépend d’une lésion des fonctions cérébrales ; il consiste en des
désordres intellectuels auxquels on a donné le nom de délire ; il n’y a
pas de folie sans délire » (4 p.30).
Par contre
son maître Jean-Etienne-Dominique Esquirol (1772-1840) entre les bras duquel
Georget mourut de phtisie à l’âge de 33 ans comme cela se faisait à l’époque
romantique, ne parle du délire dans son recueil Des maladies mentales (4)
qu’en deux occurrences : l’une à propos de l’étrange observation d’un jeune
homme qui voit autour de lui les personnes de la cour et auquel il fait bander
les yeux pendant deux jours, « et son délire cesse ; mais le
bandeau étant retiré le délire reparaît » (5 T.I p.10) et l’autre à propos
de l’aliénation mentale des nouvelles accouchées où il écrit : « je
ne parlerai pas non plus du délire de ces femmes qui, dans leur frénésie, tuent
l’enfant qu’elles viennent de mettre au monde » (5 TI p. 115 ). Je pense
que ce silence d’Esquirol à propos du délire tient à ce qu’il a introduit en
psychopathologie deux nouveautés majeures : les monomanies et les
hallucinations. Les monomanies sont pour lui, par opposition à la manie ou
délire général, des délires partiels ne portant que sur une seule idée ce qui
permet d’en distinguer plusieurs dont la fameuse monomanie homicide (5 T.I pp
332-393). Celle de ces monomanies qui va connaître le plus grand succès est la mégalomanie
ou délire des grandeurs, termes n’apparaissent pas encore
sous la plume d’Esquirol mais plus tard ; le dictionnaire d’Alain Rey parle
de son introduction dans la langue française en 1873 mais il y des exemples
d’emploi un peu avant cette date dans le langage des aliénistes qui vont lier
ce délire mégalomaniaque à une des phases évolutive de la paralysie générale,
par exemple Magnan et Sérieux dans leur Aide-mémoire sur cette maladie. Pour
eux les états délirants de la période d’état sont des psychoses véritables.
L’évolution de la paralysie générale en quatre phases, prodromique, d’état, d’affaiblissement
intellectuel et enfin terminale deviendra le modèle paradigmatique pour la
description de l’évolution des psychoses chroniques.
Quant aux
hallucinations c’est après avoir donné la fameuse définition qui est plus
subtile que la formule par laquelle on la résume – « Perception sans
objet » – : « Un homme qui ait la conviction intime d’une
sensation actuellement perçue, alors qu’aucun objet extérieur propre à exciter cette
sensation n’est à portée de ses sens, est en état d’hallucination : c’est
un visionnaire (5.T I p.80) qu’Esquirol écrit : « Le phénomène de
l’hallucination ne ressemble point à ce qui arrive lorsqu’un homme, en délire,
ne perçoit pas les sensations comme il les percevait avant d’être malade, et
comme les perçoivent les autres hommes…Dans les hallucinations il n’y a ni sensation
ni perception, pas plus que dans les rêves et dans le somnambulisme, puisque
les objets extérieurs n’agissent plus sur les sens » (5. TI p.55). Pour
Esquirol c’est donc cet état, comparable à ceux du rêve et du somnambulisme,
comparaison qui vont jouer par la suite un grand rôle dans la construction de
la psychopathologie, état qui n’est pas celui du délire qui est à l’origine des
hallucinations.
Lorsque
François- Emmanuel Fodéré (1764-1835) publie son Traité du délire (6) il
distingue la folie, état très répandu dit-il, et le délire : « Là il y
avait intégrité des sens, et l’esprit était accessible au raisonnement ;
ici les sens sont égarés, les choses se présentent
autrement qu’elles sont réellement ; l’esprit ne peut pas rectifier ses jugements,
parce qu’il est trompé par les images des sens ; c’est un état de maladie
où il n’y a point de liberté. Telle est notre situation sous l’empire de
plusieurs grandes passions (et le mot passion qui vient de pati désigne déjà
un état de souffrance), comme l’amour, le colère ou la fureur, la frayeur,
etc. ; véritables délires temporaires qui peuvent devenir chronique par
leur intensité ou leur répétition ; tels sommes-nous quand nous perdons le
libre usage de nos facultés sous l’effet des substances narcotiques » (6
TI. p. 326).
Délires et psychoses.
Avant
d’avancer dans la discussion qui va s’amorcer sur les relations entre délire et
hallucinations il faut noter que le baron Ernst von Feuchterlesben (1806-1849),
éminent représentant de la médecine
romantique allemande, a introduit en 1845 dans son Lerbuch der
Ärztlichen Seelenkunde » le terme et la notion de
« psychose » pour désigner les manifestations psychiques de la
maladie mentale (Seelekrankheit) alors qu’il dénommait
« névrose », à la manière de Cullen, les altérations du
fonctionnement système nerveux susceptibles de les provoquer, d’où le célèbre
aphorisme : « Toute psychose est en même temps une névrose parce que,
sans intervention de la vie nerveuse, aucune modification du psychisme ne se
manifeste ; mais toute névrose n’est pas une psychose »(7). Cette
conception ne traduit pas un dualisme corps/esprit mais si le terme est
rapidement adopté par les auteurs de langue allemande, malgré l’opposition des
« organikers », il ne sera utilisé par ceux de langue française que
plus tard au début du XXe siècle et d’emblée accompagné d’un qualificatif comme
par exemple dans l’expression psychose hallucinatoire chronique de Gilbert
Ballet (1853-1916) dont nous reparlerons.
Rêve et état hallucinatoire.
C’est dans Du
hachisch et de l’aliénation mentale (8) que Jacques Moreau
(de Tours) (1804-1884) a étudié les huit phénomènes psychiques observés
notamment sur lui-même ou chez les volontaires du Club des assassins après l’ingestion
de hachisch. Le 8ème de ces phénomènes est constitué des illusions
et des hallucinations mais, suivant en cela l’opinion d’Esquirol, il distingue
l’illusion « nécessairement limitée, comme l’action des sens auxquels elle
se
rapporte…L’imagination agit dans les limites de l’activité sensorial ; là
se borne le phénomène » (p.167) et l’hallucination qui « comprend toutes
les facultés de l’âme, elle n’a pas d’autre limites que celles que la nature a
mises à l’activité de ces facultés ; en d’autre termes, toutes les
puissances intellectuelles peuvent être hallucinées.. Aussi
n’existe-t-il pour nous, à proprement parler qu’un état hallucinatoire, et
non pas des hallucinations… L’état
hallucinatoire découle du fait primordial qui est la source
commune de toutes les anomalies de l’esprit. C’est un phénomène d’existence
intérieure, de vie intra -cérébrale, ou, ce qui
revient au même, d’état de rêve » (p.168).
Pour Moreau
(de Tours) « l’aliénation mentale constitue un monde d’existence à part,
une sorte de vie intérieure dont les éléments, les matériaux ont nécessairement
été puisés dans la vie réelle ou positive, dont elle n’est que le reflet et
comme un écho intérieur. L’état de rêve
en est l’expression la plus complète : on pourrait dire qu’il est le type
normal ou physiologique. A quelques égards, l’homme en état de rêve éprouve au
suprême degré tous les symptômes de la folie ». (p.350).
Moreau fait
référence à tout ce qui dans les écrits de ses prédécesseurs Pinel et Esquirol,
mais aussi de ses contemporains Leuret, Lélut et Baillarger, va dans le sens de
cette assimilation totale de l’aliénation et du rêve. Son ouvrage se termine
par la proposition, que je n’ose qualifier de délirante, de traiter
l’aliénation mentale par le haschich en provoquant en somme par ce moyen une
folie artificielle qui en se substituant à la folie naturelle, la guérira par
substitution. Cela lui vaudra les sarcasmes de Baudelaire (1821-1867) dans Les
paradis artificiels. Henri Ey y verra les prémices des Models Psychoses de
la moitié du XXe siècle où les expérimentateurs ne cherchent pas elle à guérir
la folie naturelle mais à reproduire un état comparable au moyen de substances
dysleptiques. Moreau (de Tours) persiste et signe
en publiant en 1855 dans le premier volume des Annales Médico-psychologiques un
mémoire De l’identité de l’état du rêve et de la folie.
La querelle
de priorité entre Jules Baillarger (1809-1890) proposant en janvier 1854, dans
une communication à l’Académie de Médecine de parler de « folie à double
forme » pour ce que Jean-Pierre Falret (1794 -1870) venait de décrire
comme « folie circulaire », fait passer ces délires partiel ou
exclusif qu’étaient jusque-là manie et mélancolie dans un autre champ de la folie,
celui où ce sont les oscillations périodiques ou cycliques de la thymie, plus
que les idées délirantes qui caractérisent le trouble mental.
Délire de l’intelligence et délire
des sensations
Des textes
que cite Moreau ce sont les Fragments psychologiques sur la folie de
François Leuret (1797-1851), où on a pu lire la naissance de la
psychopathologie des psychoses, qui nous intéressent le plus directement puisqu’ils sont entièrement consacrés à
l’étude du délire (8). Leuret en dresse un tableau en diptyque en distinguant
deux grandes classes de délire : le délire de l’intelligence et celui des
sensations. Il décrit dans le premier six phénomènes :
I. – L’incohérence des idées.
II. – La cohésion anormale et fixité d’idées fausses.
III. – Les hallucinations de la vue, de l’ouïe, du
goût, de l’odorat, du toucher et des organes intérieurs.
IV. – Les visions.
V.- Les incubes.
VI. – les inspirations passives.
Et dans le
Délire des passions quatre autres phénomènes :
VII. – La Monomanie d’orgueil.
VIII. – L’ascétisme.
IX. – L’hypochondrie,
X. – La terreur de la damnation.
Chacun de ces
chapitres est illustré d’observations qui sont essentiellement le contenu des
entretiens de Lélut avec les délirants, rapportés textuellement. Remarquons que
c’est dans le délire de l’intelligence que se trouvent associées l’incohérence
des idées et toutes les hallucinations non seulement celles des sens mais aussi celles des organes
intérieurs. C’est à la fin du chapitre sur la cohésion anormale et la fixité
d’idées fausses du délire de l’intelligence que Lélut rapporte l’observation la
plus célèbre de la psychopathologie descriptive celle dite de « la personne de moi-même », réponse donnée
par une aliénée quand il l’interrogeait sur son identité.
Jules Cotard
(1846-1889) la reprendra textuellement dans son article sur le Délire
des négations (10) où il décrit le tableau qui sera connu dans la littérature
comme Syndrome de Cotard, dont on discutera de la situation nosographique
jusqu’à la fin du XXe siècle y compris dans les DSM III et IV où, dans le
Delusional Disorder 297.1, qui constitue une catégorie unique, figure un sous-type Somatic
Type.
Les folies
fin de siècle sont désignées selon le thème de la principale des idées fausses
exprimées et l’on va voir ainsi décrire toute une cohorte de folies ou de
délires qualifiés par cette idée fixe directrice de leur contenu.
C’est dans
son Traité des maladies mentales publié deux ans avant son surprenant
suicide que Louis-Victor Marcé (1828-1864) donne les signes cliniques qui, outre
les signes neurologiques, permettent de faire le diagnostic différentiel entre
la monomanie ambitieuse et les idées délirantes des paralytiques généraux :
« Les monomaniaques orgueilleux qui se disent prophètes, fils de rois,
généraux, ministres, qui s’attribuent une grande fortune, une grande puissance,
sont bien souvent des hallucinés qui, malgré leurs idées délirantes, conservent
de la vigueur et de la logique dans leurs conceptions…et forgent…des histoires,
qui malgré leur invraisemblance, s’enchaînent avec assez de suite …de plus, ils
sont conséquents avec eux-mêmes…Rien de semblable …n’existe chez les paralytiques
dont les idées sont essentiellement mobiles et absurdes ; ils sont à la
fois pape et empereur ; tout en parlant de leurs richesses et de leurs
millions, ils avouent leur profession, quelque humble elle puisse être, et racontent qu’ils gagnent quarante sous par jour. En fin les
monomaniaques ambitieux conservent pendant des années entières leur délire
organisé et systématisé [souligné par nous] ; chez les paralytiques, au
contraire, les idées se dissocient et perdent chaque jour de leur
cohérence » (13 p. 477-78). Je souligne les deux termes par lesquels Marcé
qualifie le délire du monomane ambitieux.
Cette différentiation
est cruciale car elle établit que l’évolution dans le temps permet de diviser
le délire mégalomaniaque en deux entités nosologiques distinctes tes : l’une
dont la genèse apparait comme purement idéologique et l’autre où les idées
délirantes sont le résultat d’altérations encéphaliques connues et décrites macroscopiquement, bien que
leur étiologie ne soit pas encore connue avec certitude même si leur origine
syphilitique est suspectée.
Le délire des persécutions.
Legrand du
Saulle (1830-1886) publie en 1871 Le délire des persécutions (11), écrit
à partir des observations recueillies par son maître Lasègue et lui- même au
Dépôt municipal des aliénés de Paris où finissent bon nombre des persécutés
quand ils viennent porter plainte à la police contre leurs persécuteurs. Pour
Legrand du Saulle il s’agit d’un délire partiel caractérisé par
l’importance, à la période initiale, des hallucinations de l’ouïe mais il
insiste sur le phénomène singulier qui est l’apparition au cours de l’évolution
d’idées de grandeur soit que le sujet pense qu’il doit soit être lui-même un
personnage très important pour expliquer les moyens considérables employés à le
persécuter, soit être protégé par un personnage important de l’Etat pour être parvenu à y échapper. Le délire comporte
donc un travail d’élaboration interne à partir de l’expérience initiale, une
systématisation. Legrand s’intéresse aux écrits des persécutés qui révèlent
parfois leur délire alors qu’ils ne le confient pas verbalement, à la fréquence de leur suicide et en particulier à la valeur
légale de ces testaments des persécutés écrits par ceux-ci avant de se donner
la mort et d’en donner les raisons. Le récent massacre de l’ile norvégienne
d’Utoya dont l’auteur, Anders Behring Breivik, a expliqué dans un long texte
diffusé sur internet les raisons de sa conduite me paraît un excellent exemple
de ce phénomène, alors que l’opinion publique ne parvient pas à comprendre que
les experts aient pu déclarer atteint de psychose paranoïaque un sujet
exprimant aussi clairement ses idées et les raisons de son comportement
criminel.
Il faut
enfin noter que Legrand du Saulle fait suivre Le délire des persécutions
d’un intéressant appendice De l’étal mental des habitants de Paris pendant
les événements de 1870-1871. Il avait pu continuer à exercer ses fonctions
au dépôt des aliénés tant pendant la guerre franco –prussienne et le siège de Paris que pendant la Commune
et sa répression, période où, contrairement à son patron Lasègue, il était
accepté à la fois des communards et des républicains, ce qui lui permit
d’éviter les exécutions de condamnés des deux camps en les déclarant aliénés.
Il fut surpris par contre de constater qu’au cours de ces deux années la
fréquence de l’aliénation et le nombre des suicides diminuèrent notablement à
Paris contrairement à l’opinion admise depuis la Révolution que les convulsions
politiques et sociales peuvent provoquer la folie chez certains individus
prédisposés.
Onirisme et expériences oniroïdes.
Charles
Lasègue (1816-1883) en publiant en 1881 son article « Le délire alcoolique
n’est pas un délire, mais un rêve » (12) écarte en somme cette expérience particulière,
qu’il décrit comme un sommeil pathologique, des expériences délirantes à
proprement parler. A partir de ce moment la dénomination delirium sera, en
français, réservé à ce seul délire toxique, alors que qu’elle continuera d’être utilisée en anglais pour l’ensemble
des délires aigus.
A la suite
de Lasègue Emmanuel Régis (1855-1918) propose en 1894 le terme d’onirisme pour
désigner certains états hallucinatoires aigus comparable au rêve et fait
du délire onirique le type même des troubles mentaux d’origine toxique. On peut
penser que c’est ce qui explique l’accueil favorable qu’il fera, sous
l’influence de son élève Angelo Hesnard (1886-1969) avec lequel il publiera en 1913 et 1914 les premiers ouvrages en
français consacrés à la psychoanalyse, aux idées de Freud lui-même tenant de
l’analogie métapsychologique entre rêve et délire. On parlera désormais de
délire oniroïde et plus tard, avec W. Mayer- Gross, d’expériences (Erlebnis)
oniroïdes.
Le délire d’emblée.
Valentin
Magnan (1835-1916) isole parmi « les psychoses ou folies
proprement dite », la folie des dégénérés, groupe qui comporte les
dégénérés supérieurs cible de la forme la plus spécifique des folies
dégénératives : le délire d’emblée qui fera l’objet de la thèse en 1886 de
Maurice Legrain (1860-1939) (13). Pour Magnan ce sont, par contre, les
sujets ne présentant pas de stigmates de dégénérescence qui sont exposés au
délire chronique systématisé ou à la folie intermittente.
C’est là
l’origine d’une singularité de la psychiatrie française qui a toujours séparé
les « bouffées délirantes », c’est-à-dire les expériences délirantes
aigües, des délires chroniques non seulement en raison de leur durée dans le
temps chronométrique mais de leur structure psychopathologique, leur temporalité ou Temps vécu comme j’ai tenté de l’exposer,
malgré la difficulté de le faire en anglais dans le chapitre Acute and
Transient Psychotic disorders que m’ont demandé de rédiger les
éditeurs de l’Oxford Textbook of Psychiatry (14). Nous voyons s’amorcer là
d’une part l’apport de la psychopathologie phénoménologique et de l’autre le
problème des psychoses endogènes ou exogènes que va soulever l’école allemande
et tout spécialement Kraepelin.
Wahnsin et paranoïa.
En Allemagne
à la fin du XIXe siècle c’est toujours Wahn qui est utilisé pour délire,
bien qu’il existe depuis 1772 un mot savant « paranoïa, » créé par
Rudol-August Vogel (1724-774) à partir du grec para, à côté, et noos,
esprit. Le baron Bernhard von Gudden (1824-1886) pourra ainsi déclarer que
Louis II de Wittelsbach, le « roi fou de Bavière » souffre de
paranoïa. Ce terme ne sera adopté en français que plus tard et selon une autre
conception psychopathologique en ce sens, celle présentée dans le Lerbuch
der psychiatrie de Kraepelin qui va en restreindre l’usage pour désigner le
« développement insidieux, sous la dépendance de causes internes et selon
une évolution continue, d’un système délirant durable et impossible à ébranler, et qui s’instaure avec une conservation complète de la
clarté et de l’ordre dans la pensée, le vouloir et l’action », définition
que reprendra Jacques Lacan dans sa thèse (15 p.23). Celui-ci nous dit, dans le
remarquable historique qui l’ouvre, que le terme paranoïa, déjà employé par les grecs, fut « utilisé par Heinroth en
1818 dans son Lehrbuch des Stôrungen des Seelensleness, inspiré des
doctrines kantiennes » (15 p.21) mais je n’ai pas pu retrouver ce texte.
Lors du
grand Congrès International de Médecine organisé à Paris lors de l’Exposition
Universelle de 1900 furent présentées à la Section de Psychiatrie présidée par
Magnan les positions des écoles françaises et allemandes sur la
psychopathologie des délires chroniques.
II.- La naissance de la
schizophrénie.
Du délire
paranoïde de la dementia praecox au groupe des psychoses schizophréniques.
Emil
Kraepelin (1856-1926) avait à partir de 1883 entrepris de construire son
système nosographique qui, loin d’être rigide comme on le dit, a constamment évolué
au fur et à mesure des huit éditions de son Lehrbuch. Dès la première il
regroupe sous la dénomination générale de dementia praecox, inspirée par
la mention d’une démence précoce des jeunes gens faite par Bénedict –Augustin
Morel (1809-1873), la catatonie que venait de décrire Karl Kahlbaum
(1828-1899), l’hébéphrénie décrite en 1871 par Edward Hecker (1843-1900) et urtout pour ce qui nous intéresse aujourd’hui
un état délirant qu’il qualifie de « paranoïde » le séparant ainsi de
la paranoïa proprement dite. Pour Kraepelin c’est l’évolution progressive vers
un état d’affaiblissement intellectuel terminal (Verblondung) qui
justifie le regroupement de ces trois tableaux cliniques. Il distingue des
symptômes primaires et des symptômes secondaires C’est là un tournant radical
dans l’histoire de ce qui va devenir avec Ernst Bleuler (1857-1939) le groupe des psychoses schizophréniques, dont j’ai retracé l’histoire
il y a quelques années (17) à la suite de la parution du DSM III, manuel
présenté, à tort, comme un retour à Kraepelin.
Si Bleuler
maintient le regroupement en un groupe des trois entités il ne se base plus
uniquement sur l’évolution terminale mais sur une double distinction entre
d’une part des symptômes fondamentaux qui résultent des altérations des
fonctions simples ou complexes et d’autre part les symptôme accessoires,
distinction que faisait déjà Kraepelin, et d’autre part une seconde entre ceux
dits primaires et secondaires notamment le rapport à la réalité :
« nous appelons autisme ce détachement de la réalité combiné à la
prédominance absolue de la vie
intérieure » (18 p.112). Soulignons que dans la conception de Bleuler les
idées délirante font partie, avec la scission (Spaltung), des symptômes
secondaires et qu’elles ne sont présentes que dans la seule forme paranoïde de
psychose schizophrénique. L’essentiel de l’œuvre de Bleuler en ce qui concerne
la psychopathologie structurale du délire paranoïde est pour moi l’introduction
des notions de réalité psychique et de pensée déréistique.
Ernest Bleuler et Sigmund Freud.
On ignore
pour quelles raisons Gustav Aschaffenburg (1866-1944) lui-même opposé à la psychanalyse
et ami de Kraepelin avait confié la rédaction du chapitre Dementia praecox
de son Handbuch der Psychiatrie à ce psychiatre suisse, proche
alors notamment par l’intermédiaire de C.G. Jung des idées de Freud.
Souhaitait-il provoquer une révolution des conceptions psychopathologiques dans
le domaine des formes délirantes de dementia praecox?
Le concept bleulérien de schizophrénie n’eut, au début, pas beaucoup de succès
ni auprès de Kraepelin, qui n’a employé que rarement une seule fois l’adjectif
schizophrénique, ni auprès de Freud qui en publiant également en 1911 ses Remarques
psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa : Dementia paranoides
(Le président Schreber) indique que le délire hallucinatoire décrit
par et chez ce dernier correspond plutôt à une psychose paranoïde qu’à un
délire systématisé paranoïaque (19). Remarquons cependant que le Dr. Guido
Weber, l’expert commis à la suite de la demande de mainlevée de l’interdiction
formulée par le président, dont celui-ci reproduit en annexe à son mémoire
l’expertise (20 ), écrit : « Quant à savoir si, par la suite de
son état mental tel qu’il vient d’être évoqué et qui est à pointer du nom de
paranoïa, M. le docteur Schreber, président de chambre, doit être considéré
comme « ayant perdu l’usage de ses facultés mentales au sens du code, il appartient
à la cour d’en décider ». L’expertise ayant été rédigée le 9 Décembre 1899
« paranoïa » est encore employée dans son sens ancien de folie
délirante ou entendue comme telle par Schreber. Il écrit, lorsqu’il fait appel
du jugement : « Le rapport de M. l’Expert contient donc, quand il conclut dans mon cas à une paranoïa (Verrückheit), un
affront qui heurte la vérité de plein front et il serait difficile d’y porter
un coup plus rude » (20 p.319). le Dr Weber dans une nouvelle expertise
précise : « De ce point de vue scientifique et avéré, il n’est pas question
de dire que l’affection psychique dont souffre le requérant soit le moins du
monde ignorée de la psychiatrie…il faut signaler comme caractéristique que le
centre des représentations morbides est toujours la personne du malade, avec la
combinaison habituelles des idées de préjudice et des idées de surestimation de soi d’autre
part ; caractéristique aussi qu’au moins pour un certain temps, les idées
délirantes sont circonscrites à un domaine limité de représentations, les
autres champs restant relativement épargnés. C’est ce qui a pu autrefois faire parler de délire partiel (Partielle Verruckheit)
et, quoique la conception qui prévalait sous cette rubrique soit actuellement
abandonnée, on ne peut lui refuser complètement de lui accorder encore un certain
droit de cité » (20 p.349).
A partir de
la publication par Freud en 1911 de ses Remarques sur le récit
autobiographie du président Schreber des « évènements
mémorables » qu’il a vécu, elles vont devenir le modèle paradigmatique de
la théorie psychanalytique de la psychose paranoïaque alors qu’il s’agit plutôt
selon la description donnée par le sujet lui-même dans son mémoire pour réfuter
le diagnostic de paranoïa d’un délire paranoïde. Il faut signaler que dans un
«Appendice Freud donne en note la référence à la première thèse de médecine consacrée à la
schizophrénie : celle soutenue par Sabina Spielrein (1885-1942) à Zurich Ueber
der psychischen Inhalt eines Falles von Schizophrénie (20 p. 322).
Nous en avons publié des extraits dans le numéro de l’Evolution psychiatrique que nous lui avions consacré en 1995 avant qu’elle ne
devienne célèbre après le scandale de sa liaison amoureuse avec Jung qui
l’avait traité par une très dangereuse méthode, la psychoanalyse.
Les folies raisonnantes. Le délire d’interprétation
Paul Sérieux
(1864-1947) et Joseph Capgras (1873-1950) venaient de publier Les folies raisonnantes.
Le délire d’interprétation (21), ouvrage qui figurera dans la bibliographie
de la thèse de Lacan. Ils écrivent : « Le délire d’interprétation
est une psychose systématisée chronique caractérisée par : 1° la multiplicité et l’organisation d’interprétations
délirantes ; 2° l’absence ou la pénurie d’hallucinations, leur
contingence ; 3° la persistance de la lucidité et de l’activité psychique ; 4° l’évolution par extension progressive des interprétations,
l’incurabilité sans démence terminale » (p. 9). Soulignons que le
terme psychose apparaît sous la plume de ces aliénistes français pour définir
un délire accompagné des deux qualificatifs « systématisé » et « chronique », définition
très proche de celle qu’avait donnée Kraepelin de la paranoïa, en particulier
pour ce qui est de l’absence d’activité hallucinatoire.
La mythomanie et les délire
d’imagination.
C’est en
1905 qu’Ernest Dupré (1862-1921), médecin de l’Infirmerie Spéciale, crée le
néologisme mythomanie (de mythos, récit imaginaire, fable) pour désigner
« la tendance pathologique, plus ou moins volontaire et consciente, au mensonge et à
la création de fables imaginaires » (p.3). Il va ensuite décrire, avec son
élève B.J. Logre, les Délires d’imagination, ou mythomanie délirante, dont ils
font une de trois catégories des psychoses systématisées, les deux autres étant
les délires hallucinatoires et interprétatifs. Ils rapprochent cette psychose systématisée
chronique de ce que les auteurs allemands, à la suite de Neisser, nomment
« délire de confabulation ». Dupré évoque aussi des psychoses
imaginatives aiguës, délire à éclipse qui serait le propre des sujets « à
constitution mythomaniaque ». Dupré était un tenant de la théorie des
constitutions, avatar de celle de la dégénérescence, dont il a décrit la
variante émotive, théorie à laquelle s’opposeront Henri Ey et Jacques Lacan.
Métapsychologie du rêve et
schizophrénie.
En 1913 dans
le Complément métapsychologique à la doctrine des rêves Freud souligne « la
différence décisive qui existe entre l’élaboration du rêve et la schizophrénie.
Dans cette dernière les mots eux-mêmes par lesquels s’expriment les pensées
préconscientes deviennent objet d’élaboration pour le processus primaire,
tandis que dans le rêve, ce ne sont pas les mots, mais bien les représentations
objectales auxquels les mots sont ramenés qui subissent cette élaboration. Le
rêve connaît une régression topique, la schizophrénie non » (23 p.175).
Pour l’école française le délire a toujours été considéré, comme l’a dit
Séglas, comme une « aliénation du discours ». Mais Freud ajoute que
la formation du fantasme de désir, sa régression vers l’hallucination sont les
parties les plus essentielles de l’élaboration du rêve mais ne lui
appartiennent pas exclusivement. Bien plus, elles existent dans deux états
morbides : dans la confusion mentale hallucinatoire aiguë (amentia de
Meynert) et dans la phase hallucinatoire de la schizophrénie » (23 p177).
Il s’agit là d’états que nous considérerions du point de vue de l’école
française comme des expériences délirantes aiguës plutôt que comme des délires
chroniques systématisés. C’est là que figure la note énigmatique qui a fait couler tant d’encre « qu’une tentative pour expliquer
l’hallucination devrait s’appliquer non à l’hallucination positive, mais bien
plutôt à l’hallucination négative » (23 p.183). Freud fait
ici allusion aux hallucinations visuelles et non aux hallucinations auditives
verbales. En particulier à propos de la confusion mentale hallucinatoire aiguë,
ou psychose de désir qui est selon lui la réaction à une perte que la réalité
affirme, mais que le moi doit nier parce qu’il la trouve insupportable (223 p.
185), il suggère même l’hypothèse audacieuse selon laquelle « les
hallucinations toxiques, le délire alcoolique, par exemple, doivent être
interprétées de la même façon. La perte
intolérable, imposée par la réalité, serait
justement celle de l’alcool. Si l’on redonne de l’alcool au malade, les hallucinations
disparaissent » (p.186).
Hallucinations auditives verbales,
délire comme altération du langage.
Depuis la
description qu’en a faite Jules Séglas (1856-1939) les hallucinations auditives
verbales occupent une place à part dans la clinique mentale qui les démarque
absolument des hallucinations des autres sens. Séglas distingue : a)
celles avec conscience et b) celles avec délire qui correspondent aux phénomènes de double voix, d’hallucinations
bilatérale et unilatérale et enfin d’écho de la pensée. Le diagnostic doit en
être fait d’avec l’interprétation délirante d’une part et de l’autre d’avec les
hallucinations verbales motrices (24 p. 157-89). Il rapproche le phénomène
d’écho de la pensée de celui qu’avait décrit par Morel comme « double
voix » ou d’ « hallucination bilatérale » où les voix
peuvent être menaçantes d’un côté et protectrice de l’autre. Séglas approfondit
ainsi la question discutée à la Société médico- psychologique sur les relations
entre hallucinations et délire, mais en mettant en valeur ce phénomène
singulier que sont les hallucinations auditives verbales il marque un tournant
dans l’histoire du délire hallucinatoire. Celui-ci est désormais considéré
comme une aliénation du langage selon la formule qu’il emploie.
Son ami
Philippe Chaslin (1857-1923), qui a soutenu sa thèse Du rôle du rêve dans l’évolution
du délire en 1887 et décrit en 1895 la « confusion mentale
primitive », consacre plusieurs chapitres de la première partie de ses Eléments
de sémiologie et clinique mentales (25) aux hallucinations (Chapitre XI),
aux idées délirantes (chapitre XI) et l’un, fort bref mais essentiel, à
« la croyance au délire » qui lui paraît être la caractéristique
fondamentales des folies systématisées. C’est dans la seconde partie qu’il
présente le « groupe provisoire des folies discordantes » où, à côté de la folie discordante délirante
il range un type un peu à part qui n’est pas délirant à proprement parler, mais
qui présente une incohérence verbale extraordinaire » (p.803). Il en vient
à se demander si le délire de la forme délirante est bien profond et s’il n’est pas une expression presque verbale. Surtout à propos de
la « folie discordante verbale », dont il nous précise qu’elle est
rare, Chaslin écrit : « dans les cas purs…la folie se résume en un langage
complètement incohérent…en un mot la mimique conservée contrastant avec
l’incompréhensibilité du discours …Pourtant, de loin en loin, une phrase
sensée…indique que peut-être l’intelligence est moins touchée que le langage et
que peut-être celui-ci par son désordre empêche de penser (?) » (24 p.837).
Cette interrogation est pour moi un trait de génie de Chaslin formulant sous
forme interrogative l’hypothèse exactement à l’opposé de la conception de Bleuler selon laquelle les troubles
du langage ne sont que la conséquence de ceux de la pensée, celle qui ferait au
contraire de la désorganisation du langage le primum movens de
l’activité délirante noétique.
Les textes en allemand sur la
paranoïa.
Bleuler
avait dès 1906 abordé dans Affectivité, suggestibilité, paranoïa d’autres
questions que celle de la dementia praecox : celle du fonds psychologique
des délires, paranoïde, paranoïa, de persécution et celle des rapports du
délire et de la constitution. (Cet ouvrage n’a pas été traduit en français mais il figure dans la bibliographie de la thèse de Lacan).
A la suite
de la définition donnée par Emil Kraepelin de 1899, 1ère, à 1915, dernière
édition, de son Lehrbuch de la paranoïa, définition que j’ai déjà citée,
d’autres auteurs de langue allemande vont traiter de cette psychose délirante dans des ouvrages dont
certains auront eux-mêmes plusieurs éditions. C’est le cas notamment de Des
Sentitives Beziehunswahn publié par Ernst Kretschmer (1888-1964) en 1918.
La 3ème édition de 1949 ne sera traduite en français qu’en 1963 sous le titre :
Paranoïa et sensibilité. Contribution au problème de la paranoïa et à la
théorie psychiatrique du caractère (25) de sorte que Krestchmer peut y
citer le livre de Robert Gaupp (1870-1953) sur la « Le cas Wagner »
ainsi que la thèse de Lacan où l’on retrouve cité le texte de Gaupp. On ignorait à l’époque la surprenante
destinée d’Ernst Wagner (1874- 1938), l’instituteur incendiaire-meurtrier de sa
famille, qui adhérera au parti nazi alors qu’il était interné comme
irresponsable à la suite de ses crimes. Il a été publié un dossier avec la
traduction du drame Wahn (Délire) écrit par Wagner en 1921 sur la mort
conjointe de Louis II de Bavière et de von Gudden accompagnée d’articles de
Gaupp (26). Ce dernier étudie l’œuvre dramatique de ce paranoïaque sur le délire royal comme
une contribution à la théorie de la paranoïa. Je soulignerai que dans
l’histoire clinique de Wagner on relève des phénomènes hallucinatoires de type
auditif verbal à tonalité accusatrice de sorte qu’on ne peut considérer qu’il s’agisse d’une paranoïa au sens de Kraepelin à
proprement parle.
Psychoses à base d’automatisme et
psychoses passionnelles.
Lorsqu’en
1927 la question de l’automatisme mental fut inscrite à l’ordre du jour du
Congrès des aliénistes à Blois G. Gatian de Clérambault (1872-1934) réunit les
articles qu’il avait publiés auparavant sur le sujet dans un opuscule que j’ai
pu publier à nouveau quand son œuvre revint à la mode (27). Dès ses premiers
articles il avance la conception d’un
automatisme mental générateur de délire lié à la scission du moi (Clérambault
parle à ce propos de la « personne de moi-même » dont il attribue par
erreur l’observation à Falret). Mais dès 1925 il paraît avoir changé d’opinion
car il écrit : « Les Psychoses Hallucinatoires Chroniques dites Systématiques y compris celles de Persécution sont des résultats
de mécanismes extra- conscients, et non de produits de la conscience ». En
outre ces processus sont eux-mêmes « séquelles de lésions
infectieuses, toxiques, traumatiques ou sclérosantes, les plus subtiles et les
plus systématisées de toutes les séquelles neurologiques. Ces psychose rentrent
ainsi dans la neurologie » (27 p.52). Etant donné la date de publication
je me demande si Clérambault n’était pas, comme beaucoup de médecins de ce
temps, marqué par les séquelles psychiques observées chez les sujets ayant
survécu à l’épidémie qui venait de sévir de 1917 à 1925 d’encéphalite de von Economo
(1867-1931).
Il faut
souligner que les travaux de Clérambault consacrés aux psychoses passionnelles
et en particulier à l’érotomanie, qui lui permettent de définir ce que l’on
doit entendre par passion lorsqu’on parle de « délire passionnel »,
sont antérieurs à ceux sur les psychoses à base d’automatisme. S’il décrit des syndromes érotomaniaques associés à des délires
de revendication il défend l’autonomie de l’érotomanie pure au sein des délires
passionnels et répond en 1928 à des critiques de Capgras qui la rapproche des
psychoses paranoïaques, en affirmant l’« autonomie du syndrome
érotomaniaque. Sa forme paranoïaque n’est pas une entité clinique. Le syndrome n’est pas à base interprétative ni imaginative.
L’érotomanie est irréductible au délire de revendication » (27 T I
p.414).
III- Psychopathologie structurale
des psychoses délirantes chroniques.
Je daterai
le début de la psychopathologie structurale stricto sensu de l’année 1931,
année où sont publiés dans les Annales médico –psychologiques deux
textes importants
Schizographie.
Ce sont deux
communications aux titres surprenants faites par Lévy-Valensi, Migault et Lacan
à la Société médico-psychologique : la première Troubles du langage
écrit chez une paranoïaque présentant des éléments délirants de type paranoïde
(schizophrénie) (28) et la second « Ecrits inspirés :
schizographie » (29). Ils rapportent l’observation étonnante d’une
malade qui exprime verbalement un délire de type paranoïaque mais dont les
écrits sont comparables à ceux d’une schizophrène dissociée, phénomène étrange qu’ils
nomment « schizographie ». Lévy-Valensi dans son Précis de
psychiatrie définit énigmatiquement la schizographie comme « une
incohérence graphique calquée sur la schizophasie. Elle peut d’ailleurs, chez
le schizophrène, être indépendante de la schizophasie » (30 113). Ce n’est donc pas seulement par la parole que s’exprime le délire, il peut le faire
aussi par l’écriture, ces deux modalités d’expression pouvant être dissociées.
Lacan fera figurer cette publication dans les « premiers écrits sur la
paranoïa » qu’il fera figurer à la fin de sa thèse lorsqu’elle sera
rééditée. Il supprimera par contre l’article signé seul paru dans la Semaine
des hôpitaux en Juillet 1931 sur la Structure des psychoses paranoïaques
qui l’avait brouillé avec son « seul maitre en psychiatrie », Clérambault,
que celui –ci a lu comme la divulgation sans son autorisation préalable de ses propres idées sur ce sujet. C’est sans doute en
raison de la proximité de Clérambault avec Kraepelin que Lacan l’a considéré
comme son maître en psychiatrie.
La psychose paranoïaque dans ses
rapports avec la personnalité.
Lacan n’a
fait figurer dans l’abondante bibliographie de sa thèse que trois articles de
Clérambault sur l’érotomanie alors que sa lecture démontre que les idées qui y
sont développées sont influencées par celles de celui qui en a été
l’inspirateur. On retrouve par contre les références aux textes de Sérieux et
Capgras, de Kraepelin, de Gaupp, de Freud et de Kretschmer que j’ai cités ainsi qu’à bien d’autres. Dans le compte-rendu de la
thèse publié dans L’Encéphale par Henri Ey celui-ci formule la question
essentielle qu’elle pose : les troubles qui constituent le délire
paranoïaque peuvent-il se déduire et se déduire seulement d’un développement ou
bien d’une modification de la personnalité ? Ce compte-rendu vient d’être
republié dans les Leçons du Mercredi sur les Délires chroniques et les
psychoses paranoïaques (31). Notons
que la référence de Lacan sur la question de la personnalité n’est pas un texte
écrit par un psychiatre mais l’ouvrage que venait de publier l’écrivain Ramon
Fernandez (1894-1944). Comme je l’ai déjà dit Lacan et Ey voulaient
substituer à la théorie de la constitution dans la psychogénèse des psychoses
délirantes une théorie de la personnalité. La question des relations causales
entre le développement d’une personnalité et les réactions pathologiques que
sont les psychoses a été abordée du point de vue de la psychopathologie
compréhensive par Karl Jaspers (1883-1969) dans sa Psychopathologie générale
dont la traduction en français de la 3ème édition parue en 1928 est celle que
Lacan fait figurer dans la bibliographie de sa thèse. Le deuxième de ses
Premiers écrits sur la paranoïa qu’il fait a figurer dans la réédition
de sa thèse, est l’article que Lacan a publié dans le premier numéro du Minotaure
sur Le problème du style et la conception psychiatrique des formes
paranoïaques de l’existence où il rappelle qu’ « il ne faut pas méconnaître
que l’intérêt pour les malades mentaux est né historiquement de besoins
d’origine juridique. Ces besoins sont apparus lors de l’instauration formulée,
à la base du droit, de la conception bourgeoise de l’homme comme doué d’une
liberté morale absolue et de la responsabilité comme propre à l’individu (lien des
droits de l’homme et des recherches ultérieures de Pinel et d’Esquirol). Dès
lors la question majeure qui s’est posée pratiquement partout, a été celle,
artificielle, d’un tout ou rien de la déchéance mentale (art. 64 du Code
pénal) » (32 p.384). Le troisième est un autre article, paru également
dans le Minotaure Motifs du crime paranoïaque : le crime des sœurs
Papin où justement Lacan prend parti, dans la querelle à propos de
l’application de cet article 64 dans cette affaire. Après avoir précisé
qu’« il est une entité morbide la paranoïa, qui… répond en gros aux traits
cliniques suivants :
a) un délire
intellectuel qui varie ses thèmes des idées de grandeur aux idées de
persécution ;
b) des réactions
agressives très fréquemment meurtrières ;
c) « une
évolution chronique ».
Il précise
« la place des deux sœurs dans la classification naturelle des délires.
Elles ne se rangeraient pas dans cette forme très limitée que, par la voie de telles
corrélations formelles que nous nous avons isolées dans notre travail »
[thèse]. Probablement même sortiraient-elles des cadres génériques de la
paranoïa pour entrer dans celui des paraphrénies, que le génie de Kraepelin
isola comme des formes immédiatement contiguës.
Cette
précision du diagnostic …serait peu utile à notre étude des motifs du crime,
puisque, comme nous l’avons indiqué dans notre travail, les formes de paranoïa
et les formes délirantes voisines restent unie par une communauté de structure qui
justifie l’application des mêmes méthodes d’analyse » (33 p.394).
Il poursuit
sa propre analyse du cas par la défense de la notion de délires à deux (sic)
qui « sont parmi les formes les plus anciennement connues des psychoses. A
propos de la question des relations sexuelles entre les deux sœurs il est
reconnaissant au Dr. Logre, élève et collaborateur de Dupré, de la subtilité du
terme « couple psychologique » (33 p.395).
Pour ce qui
est des échanges entre Lacan et Salvador Dali à propos de l’ « interprétation
paranoïaque » à partir de leurs articles respectifs dans Le Minotaure
j’ai présenté une communication Clérambault, Dali, Lacan et l’interprétation
paranoïaque 1929- 1934 à la séance de la Société médico -psychologique du
25 Octobre 2004 consacrée à l’histoire de la psychiatrie que devait présider
Georges Lantéri-Laura (1930-2004) et qui du fait de la mort de notre ami fut
consacrée à lui rendre hommage (34 ). Le surréalisme a dans les années folles
provoqué, au moins en France, un tournant dans l’histoire des idées sur le
délire.
Hallucinations et délire. Les formes
hallucinatoires de l’automatisme verbal.
Henri Ey
avait publié en 1934 Hallucinations et délire. Les formes hallucinatoires de
l’automatisme verbal (35), ouvrage préfacé par Jules Séglas alors
octogénaire qui se réjouit de voir enfin si bien comprises les idées qu’il avait exprimées bien des années
auparavant. Après avoir étudié les troubles hallucinatoires du langage
intérieur, ce qu’il nomme l’automatisme verbal, Ey insiste sur le fait qu’ils
ne se manifestent que dans « des délires dans le sens le
plus ancien du mot, c’est-à-dire des états de troubles importants de la pensée qui
se manifestent par l’incohérence ». Ces troubles se manifestent par
l’incohérence et par l’incapacité où sont ces malades d’avoir un langage
intérieur (ce qu’Ey nomme exophasie). « Les troubles psychomoteurs
que l’on y rencontre sont des phénomènes étrangers. Ils apparaissent
intiment liés à la pensée délirante » (35 p.123). Ce serait donc le
délire, l’expérience délirante- Ey regrette à ce propos que la langue française
n’ait pas de mot pour Erlebnis- qui entrainerait l’automatisme verbal, les troubles hallucinatoires du langage
intérieur. On trouve déjà dans cet ouvrage les idées qu’Henri Ey va développer
tout au long de son œuvre, en particulier la distinction qui ne se réduit pas à
la seule durée, entre délires aigus liés, dans une perspectives
néo-jacksonienne, à une dissolution de la conscience à un niveau plus ou moins
profond et Délires chroniques où cette dissolution s’accompagne d’une
modification de la personnalité, de la trajectoire existentielle. Nous
reviendrons à ce propos sur les définitions qu’il proposera quarante ans plus tard dans ses ouvrages ultérieurs.
1950 : La psychopathologie des
délires au Premier Congrès Mondial de Psychiatrie de Paris.
Après la
Seconde Guerre Mondiale le Premier Congrès Mondial de Psychiatrie de Paris en
1950 en incluant dans son programme la question de la Psychopathologie des
délires va ouvrir un forum où s’exprimeront quatre auteurs de nationalités et
d’orientations différentes dont les points-de-vue vont s’entrecroiser et même s’enchevêtrer : Paul Guiraud (Paris),
William Mayer-Gross(Dumfries), G.E. Morselli (Novara) et H.C. Rümke (Utrecht)
dont je vais résumer les interventions pour montrer combien elles sont
disparates.
Paul Guiraud
(1882-1974) dans son rapport sur « la pathogénie-étiologie des
délires » passe en revue successivement l’attitude phénoménologique, la
doctrine psychanalytique (en soulignant que la position de Lacan est à la fois psychanalytique
et existentielle), la théorie de Pierre Janet sur la dissociation, la doctrine
de Bleuler, l’automatisme mental de Clérambault, l’organo-dynamisme de H. Ey
qu’il critique sur certains points comme l’assimilation du délire et du
rêve qui ne lui parait valable que pour le délire onirique ou la notion
d’expérience délirante qui, pour Guiraud, est le délire même et non une
condition négative l’expliquant et enfin l’impossibilité d’expliquer par la
libération de niveaux inférieurs sains la systématisation délirante. Guiraud
défend une conception biologique, qu’il situe à la suite de celle de Constantin
von Monakow (1853-1930) et Raoul Mourgue (1886-1950) car pour lui :
« les chocs émotifs, les frustrations, les conflits surtout lorsqu’ils
sont accentués et répétées, altèrent autant le fonctionnement des neurones tout
aussi bien que des toxiques ou des irritations mécaniques » (36 p.45).
W. Mayer-
Gross (1889-1961) en abordant la psychopathology of delusions du point
de vue clinique, dit-il, arrive à des conclusions surprenantes, pour
l’introducteur de la notion d’expérience (Erlebnis) oniroïdes. Il
l’étudie en effet « à la lumière de deux théories opposées : celle de
Bleuler qui propose un mécanisme identique dans les délires, et celle de Gruhle
qui établit le concept de délire primaire comme trouble de la faculté de pensée
et comme symptôme spécifique de la schizophrénie. Pour lui « le
tableau clinique de la maladie délirante chronique systématisé (paranoïa) doit
être inclus dans la schizophrénie. Le délire primaire peut être retrouvé chez
presque tous les malades. De plus, l’étude génétique a démontré la fréquence
significative de schizophrénie typique dans les familles de ces malades. La
paranoïa de Kraepelin demeure un tableau idéalisé, utile à l’orientation du clinicien, mais jamais rencontré dans la réalité clinique » (36 p.87). Je
ne peux m’empêcher de penser que, bien qu’obligé de fuir l’Allemagne pour
échapper aux persécutions raciales nazie, Mayer-Gross partage certaines idées
de la psychiatrie allemande de ce temps, notamment celle sur l’hérédité des
maladies mentales en particulier de la schizophrénie considérée de ce fait comme incurable même si bien sûr il n’en tire pas les
mêmes conséquences. On retrouve aussi l’influence qu’il a eue en incluant la
paranoïa dans la schizophrénie sur la psychiatrie de langue anglaise qui en est
venue à considérer comme Schizophrenia la quasi-totalité des délires
qu’ils soient aigus ou chroniques, l’ensemble des Delusional Disorders.
C’est là sans doute l’occasion de rappeler qu’en anglais delusion signifie
à la fois délire et hallucination.
G.E Morselli
aborde lui la question des psychoses expérimentales à partir des expériences faites avec l’alcaloïde tiré de la Opuntia
cylindrica, cactus originaire du Pérou, faites par les auteurs péruviens,
en 1947-48 et celles avec le LSD faites par W.A. Stoll dans la clinique de Manfred Bleuler qui montrent que le tableau clinique observés dans les toxicoses
lysergiques est moins riche que celui des toxicoses mescalinique. Morselli se
réfère au délire dans l’acception jasperienne de « conviction
délirante », ce phénomène auquel Chaslin donnait tant d’importance. Dans le déclenchement expérimental des manifestations délirantes
il attache beaucoup d’importance aux phénomènes de dépersonnalisation et cite,
à propos des troubles « dépersonnalisants » déclenchés par la
mescaline et d’autres toxicoses expérimentales, les autos descriptions faites
par Serko et rapportées par Jaspers. Mais il reste prudent quant à l’hypothèse, avancée par plusieurs auteurs à partir de ces
expériences, d’une toxicose de nature aminique dans la physio-pathogénèse de la
schizophrénie.
Enfin H.C
Rümke pour montrer la signification de la phénoménologie dans l’étude clinique
des délirants après avoir rappelé les différentes méthodes phénoménologiques,
dont la Dasein analyse de Binswanger, considère qu’elles on eut une grande
importance en clinique : connaissance des syndromes dépressifs
(K.Schneider), de syndromes de béatitude (Mayer-Gross et Bümke),du syndrome
oniroïde, de l’absence du sentiment d’activité du moi dans les syndromes
schizophréniques, la description de l’« être au monde » des malades
schizophrènes (Stroch), les investigations sur l’obsession (von Gebsattel), les
études de l’expérience du temps dans les psychoses (Minkowski, L. Binswanger, etc.)
Cependant en ce qui concerne le délire il arrive à une conclusion surprenante :
« En nous rendant compte que le délire se trouve encore dans le domaine
très étendu des névroses (Je pense au délire des masturbateurs de Kretschmer )
et en ajoutant que l’homme normal est capable d’une idée délirante qui se
distingue seulement du délire pathologique parce ce que parfois elle ne dure
qu’un fraction de seconde, nous pouvons dire : le délire peut arriver dans toutes les
maladies psychiques, le délire est une réaction humaine normale. Ceci
confirme et soutient l’opinion phénoménologique. Le particulier du
délire n’est pas le délire même » (p.169). Il ne nous dit pas
malheureusement où est, du point de vue phénoménologique, le particulier du
délire, dans le délirant même ?
Si le
Premier Congrès Mondial de Psychiatrie offre la particularité qu’un certain
nombre de psychanalystes y participèrent, les figures les plus marquantes étant
celles d’Anna Freud et de Mélanie Klein, leurs interventions portèrent sur la
psychanalyse des enfants, thème éloigné de celui des psychoses délirantes de l’adulte. La question de l’abord psychanalytique
de celles-ci ne fut pas abordée en 1950 et les rapports présentés par Franz
Alexander (1881-1964) et Raymond de Saussure (1894-1971) sur les tendances
actuelles de la psychanalyse n’envisagèrent l’évolution de la théorie freudienne que d’un point de vue
général et dans d’autres domaines que celui des psychoses délirantes.
Les questions
concernant la thérapeutique se bornèrent donc aux thérapies de choc qui furent
présentés par leurs les principaux promoteurs (U. Cerletti, L.J. Meduna,
M.Sakel) ; on remarque d’ailleurs qu’elles s’adressent essentiellement à
la schizophrénie. Il en est de même en ce qui concerne les techniques
psychochirurgicales comme la leucotomie pré-frontale dont Walter Jackson
Freeman (1895-1972) présente les résultats obtenus chez 1000 malades dont il tire
des considérations anatomo-physiologiques sur les fonctions du cerveau
préfrontal qui nous paraissent aussi contestables que la valeur éthique de
cette intervention.
Lévy -Strauss : L’efficacité
symbolique.
Plusieurs
auteurs voient dans l’introduction par Lévy-Strauss (1908- 20O9) en 1949 de la
notion d’efficacité symbolique le début du « retour à Freud » que va
effectuer un peu plus tard Lacan. Comme l’écrit l’anthropologue à propos de la
cure chamanique « La relation entre monstre et maladie est intérieure à ce même esprit, conscient ou inconscient :
c’est une relation de symbole à chose symbolisée, ou, pour employer le
vocabulaire des linguistes, de signifiant à signifié. Le chaman fournit à son
malade un langage, dans lequel peuvent s’exprimer immédiatement des
états informulés, et autrement informulables. Et c’est le passage à cette
opération verbale (qui permet, en même temps, de vivre sous une forme ordonnée
et intelligible une expérience actuelle, mais, sans cela, anarchique et ineffable)
qui provoque le déblocage du processus physiologique, c’est-à-dire la
réorganisation dans un sens favorable, de la séquence dont la maladie subit le
déroulement » (37 p.218).
En 1953
Lacan énoncera que le symptôme est signifiant d’un signifié refoulé ou forclos.
1955 :
Les psychoses délirantes chroniques dans le Traité de psychiatrie clinique
et thérapeutique (Encyclopédie Médico-chirurgicale)
Cinq ans
après Henri Ey dirigera la publication en 1955, dans le cadre de l’Encyclopédie
Médico-chirurgicale qui ne comprenait pas jusque-là de volume consacré à notre
spécialité, la première édition d’un Traité de psychiatrie clinique
et thérapeutique rédigé par près de 150 auteurs, la plupart membres de
L’Evolution psychiatrique. Il s’était réservé d’écrire lui-même les
chapitres consacrés au Groupe des psychoses schizophréniques et des
psychoses délirantes chroniques (Les organisations vésaniques de la
personnalité), textes que j’ai republiés dans un recueil intitulé Schizophrénie.
Etudes cliniques et psychopathologique (38).
On remarque
que ne figure dans cette première édition du Traité aucun chapitre traitant de
la psychose paranoïaque, chapitre qu’Henri Ey aurait confié la rédaction à son
ami Jacques Lacan qui ne l’aurait pas écrit. De sorte que le texte sur la
paranoïa n’apparaît dans ce Traité que plus tard lors de mises à jour
ultérieurs, la plus remarquable d’entre elles étant, à mon sens celle, faite en 1985 par Georges Lantéri-Laura
et ses collaborateurs (39) qui rapportent l’histoire du concept dans les
différentes écoles allemande, française, anglo-saxonne et italienne depuis
Heinroth jusqu’au séminaire de Lacan sur les psychoses de 1965-66. Par contre
dans ce traité de psychiatrie, qui voulait mettre en évidence la dimension
thérapeutique de cette spécialité médicale, Jacques Lacan écrivit un chapitre,
signé médecin des hôpitaux psychiatriques, Variantes de la cure-type, texte qui fit scandale dans
les milieux psychanalytiques. On y voit pointer la référence à deux textes de
Freud : celui sur le « rejet (Verwerfung). Le cas de l’homme
aux loups. Ges. Werke, 12,111 » ; et celui sur la « dénégation »
(Verneinung) Ges. Werke, 1925, 14,11-15., deux notions qui vont
prendre une place considérable dans la théorie lacanienne de la psychose (40).
Lacan
propose pour traduire Verwerfung le terme de « forclusion » et
en fait le mécanisme spécifique à l’origine de la psychose. Il consisterait en
un rejet primordial d’un
signifiant fondamental (par exemple le phallus en tant que signifiant du complexe
de castration) hors de l’univers symbolique du sujet ». Les signifiants
forclos ne font pas retour de l’intérieur mais du réel notamment dans le
phénomène hallucinatoire. Dans son article D’une question préliminaire à
tout traitement de la psychose, qui est l’essentiel de son enseignement
du séminaire 1955-56, repris il a repris cette notion dans le cadre de conceptions
linguistiques.
Soulignons
que dans ce séminaire Lacan critique l’analyse qu’a fait Ida Macalpine des Remarques
de Freud sur les mémoires du président Schreber dont elle venait de publier
la traduction en anglais (40). Soulignons aussi que la psychose dont a souffert
le président dont il est question ici correspond plutôt du point de vue
nosographique à ces paraphrénies que Kraepelin avait conservées à côté des
formes paranoïdes de schizophrénie qui paraissaient occuper désormais tout le champ des psychoses délirantes chroniques
hallucinatoires.
Le Congrès Mondial de Zurich sur la
schizophrénie en 1958.
Je me
demande si ce n’est pas le tohu-bohu théorique qui s’était produit lors du
congrès de Paris autour des psychoses schizophréniques ainsi que l’incertitude
quant à leur thérapeutique, quelle que soient les méthodes utilisées qui amena
les responsables de l’Association Mondiale de Psychiatrie à confier à Manfred Bleuler (1903-1994) la tâche difficile
d’organiser à Zurich le deuxième Congrès Mondial avec pour thème unique la
Schizophrénie. Si l’on en juge par le rapport d’ouverture de l’organisateur qui estime que si l’introduction du
concept de « groupe des psychoses schizophréniques » a été féconde du
point de vue psychopathologique, elle a été stérile en ce qui concerne l’étiologie
et qu’il faut se limiter à n’employer le terme que pour parler d’un développement psychotique, c’était là une entreprise particulièrement
délicate. Manfred Bleuler conclut son propos par une série de questions restées
sans réponse depuis l’introduction du concept par son père.
La grande
nouveauté du Congrès de Zurich est une communication de Pierre Deniker
(1917-1998) sur Les médicaments neuroleptiques en thérapeutique
psychiatrique (41 T. p.12) Non seulement il donne la définition des
neuroleptiques et propose une première classification des
« psycho-sédatifs », mais il se demande si l’étude des effets de ces
médicaments neuroleptiques ne devrait pas permettre des progrès dans la
psychopathologie des psychoses : « Il en est ainsi des réactivités
différentes, et pour ainsi dire opposée des psychoses et des névroses à la
thérapeutique neuroleptique. Leur efficacité à l’égard des affections
somatiques tend à séparer celles-ci des névroses, pour les rapprocher, en
quelque sorte, des psychoses, point de vue déjà admis par bien des
psychanalystes. Les éclaircissements fournis par la théorie psychanalytique en
ce qui concerne l’action des neuroleptiques sont limités. En disant que ces médicaments
constituent un excellent réducteur des mécanismes psychotiques engagées par le
Moi dans sa lutte contre l’angoisse, il semble qu’ait exprimé une simple
constatation clinique » (41 p.133). Cette psycho-pharmaco-pathologie dont
Deniker souhaitait en 1958 la naissance n’est pas encore apparue.
Au cours de
ce 2ème Congrès Henri Ey aborda le problème de la définition de la schizophrénie
dans sa structure et son évolution spontanées et de la délimitation du
groupe
avant que les nouvelles thérapeutiques dont on commençait à parler n’en modifient
le cours naturel. Le critère de l’unité du groupe est, pour lui, là où Bleuler
l’a placé, à savoir la dissociation autistique. Il faut donc pour que le groupe
garde son unité « qu’en soient exclus les formes aiguës qui
n’altèrent pas le système permanent de la réalité et de la
personnalité, et le délires chroniques qui ne s’accompagnent pas d’un véritable
désagrégation autistique. Y-a-t-il un trouble fondamental qui permet
cliniquement de reconnaître celle-ci ? « Toutes les analyses
cliniques et phénoménologiques de la dissociation schizophrénique nous
renvoient à la notion de « délire » de « délire primaire ».
Le problème de la schizophrénie est donc impliqué, comme le montre l’histoire,
dans le problème général du délire (41 p.147). Celui-ci « s’impose
cependant comme une évidence au clinicien comme une altération de la réalité
qui reflète dans sa phénoménologie le bouleversement interne de
l’organisation psychique ». Mais « la manière d’être délirant au
monde admet deux modalités fondamentales celle du rêve et celle qui
entrent dans la conception du monde. C’est au premier type de délire
(rêve, expérience oniriques, onirisme, états oniroïdes, etc.) que correspond le
terme « Delirium et ses dérivés. Au deuxième le mot allemand Wahn »
(dont Ey note qu’il a successivement signifié désir, espoir et
suspicion) « et le mot anglais delusion ». La
schizophrénie est essentiellement un délire de ce deuxième type en tant
qu’il exprime un bouleversement de la personne et non pas seulement de la
conscience (41 p.149). « C’est l’évolution du délire décrite par
les classiques qui engendre l’idée qu’il s’agit du processus au sens de
Jaspers. Ce processus se développe comme une forme d’existence qui coupe les communications
avec autrui et qui s’intériorise en cheminant dans les profondeurs
inconscientes et automatiques de l’être…enfin ce processus est une histoire, un
mouvement dialectique qui tend vers la destruction de la réalité ». Ey
concluait que « la schizophrénie n’est pas au début mais à la fin de
cette évolution de cette psychose délirante chronique »,
formule mal comprise par des lecteurs contemporains qui ont cru qu’elle traduisait
dans l’esprit de son auteur l’affirmation du caractère inéluctable d’une
évolution démentielle comme dans la conception de Kraepelin alors qu’elle
affirme la nécessité de traitements au long cours.
A propos des « Mémoires »du
président Schreber.
Le choix de
la schizophrénie comme thème unique pour ce congrès a fait qu’aucune
communication n’a été faite propos du délire paranoïaque, sujet qui venait de
revenir d’actualité comme je l’ai dit avec la publication en 1955 par Ida
Malcapine et Richard A. Hunter des Memoirs of my Nervous Illness
du président Schreber (42), la traduction en français sera plus tardive encore
(43).
Lacan a
consacré son séminaire de 1955-1956 à la question de la structure des psychoses
mais le texte imprimé n’ayant été publié qu’en 1981 (44) les éditeurs donneront
les références aux Mémoires de Schreber dans cette tardive traduction.
Dans « l’introduction à la question des psychoses » Lacan revient sur
la question schizophrénie et paranoïa en avançant que Freud, tout en n’ignorant
pas les idées de Bleuler, s’est intéressé surtout à la paranoïa telle que l’a
définie Kraepelin. Ce serait elle qui serait le modèle psychanalytique de la psychose.
Lacan se réfère maintenant explicitement aux travaux de Clérambault sur
l’automatisme mental, absents de sa thèse, pour souligner que celui-ci
insistait sur le caractère anidéique, c’est-à-dire non conforme à une suite
d’idées, des phénomènes délirants. Il critique en ce qui concerne le
développement de la paranoïa aussi bien la notion de relation de compréhension
de Jaspers que celle de constitution paranoïaque de Génil-Perrin. Enfin
revenant sur le texte de Freud à propos de la « courte paranoïa » de l’Homme aux loups Lacan formule
alors que « tout ce qui est refoulé dans l’ordre symbolique au sens de la Verwefüng
(Forclusion), reparait dans le réel ». Notons que la « courte paranoïa »
dont a souffert l’homme aux loups correspond à des phénomènes hallucinatoires
qui, pour Kraepelin, ne font pas partie de la paranoïa telle qu’il l’a définie,
définition que Lacan pourtant rappelle ici. De même d’ailleurs que la
distinction faite cette fois par Clérambault entre psychoses paranoïaques et
psychoses passionnelles. Lacan défend en 1955 que la conception freudienne de
la psychose correspond plus à celle de la paranoïa de Kraepelin qu’à celle du
groupe des schizophrénies de Bleuler.
C’est pourtant
à celles-ci que vont s’intéresser sous l’influence des auteurs nord-américains
les psychanalystes français tels que Sacha Nacht (1900- 1977) et Paul Racamier
(1924-1996) qui proposent en 1958 une théorie psychanalytique des psychoses
(38). Racamier écrit : « la grande majorité des cas de psychose
qu’il est intéressant et utile de traiter par psychothérapie analytique entrent
dans le groupe des schizophrénies » et que « la psychose paranoïaque
la plus rebelle de toutes à la psychanalyse ». En ce qui concerne le
délire il considère que la « connaissance qu’a le psychanalyste de la formation
du rêve lui permet d’intervenir efficacement pour couper court à un délire qui
naît. Il réduit la formation délirante naissante aux stimuli réels à partir
de laquelle elle s’est formée » (p.431) revenant ainsi à
l’identification totale du délire naissant et du rêve, mais on peut se demander
s’il en est de même dans les Délires chroniques et notamment dans la paranoïa
dont l’évolution est marquée par une modification de la personnalité.
Le Manuel de psychiatrie
d’Henri Ey, Paul Bernard et Charles Brisset.
Ces trois
auteurs avancent, dans la partie de l’ouvrage traitant de la séméiologie, que
« l’aliénation de la Personne c’est le Délire en tant qu’il est conception
de son monde et de son existence ».
Dans l’étude
clinique des maladies mentales ils séparent, conformément à la théorie organo-dynamique »
du premier, les maladies mentales aiguës qui constituent la Section I et les
maladies mentales chroniques qui en constituent la II. Cette séparation ne
correspond pas seulement à la durée dans le temps des phénomènes mais au fait
que dans les premières
ils correspondent à une dissolution de la conscience à des niveaux plus ou
moins profond. Parmi elles figurent non seulement les psychoses délirantes
aiguës (bouffées délirantes, psychoses hallucinatoires aiguës et états
oniroïdes) mais aussi les psychoses confusionnelles (psychoses
confuso-oniriques, syndrome de Korsakov et délire aigu) caractérisées par
l’obnubilation de la conscience, la désorientation temporo-spatiale et une
expérience comparable aux rêve, le délire onirique. Pour ce qui est les
maladies mentales chroniques (Section II) la seule dissolution de la conscience
ne permet pas d’en comprendre la structure psychopathologique. Deux chapitres
distincts sont consacrés respectivement l’un aux Délires chroniques et l’autre
aux psychoses schizophréniques. Les premiers
comprennent :
I.- Le groupe
des délires chronique systématisés ou psychoses paranoïaques parmi lesquels figurent :
A) les
délires de revendication, passionnels (délire de jalousie et érotomanie,
l’illusion délirante d’être aimé de Clérambault.
B) le délire
sensitif de relation (Krestchmer).
C.- Le
délire d’interprétation de Sérieux et Capgras
II. – Les psychoses
hallucinatoires chroniques correspondant aux psychoses à base d’automatisme de
Clérambault. C’est ici qu’est abordé le problème de la pathogénie des hallucinations
et des délires
III. – Les
délires fantastiques qui comprennent les délires d’imagination de Dupré et
Logre et les paraphrénies de Kraepelin, notion à laquelle Ey restera, comme
Lacan, attaché. C’est ici que figure une note sur la psychopathologie du
délire, « problème considérable et obscur » : « Tantôt le
Délire est pris dans le sens du mot latin delirium qui implique un désordre, un
trouble négatif, tantôt il est pris dans le sens d’idée délirante, ce
qui correspond au sens positif (Délire et conviction) du mot allemand « Wahn ».
Tous ceux
qui ont tendances à considérer le délire comme secondaire à un trouble
psychique, et en fin de compte à un processus organique, le rattachent à un état
primordial (Moreau de Tours) de bouleversement de la vie psychique ou à des
troubles de la conscience, et ils s’appuient sur les arguments de la pathologie
cérébrale ou des psychoses expérimentales. Tous ceux qui considèrent le délire
comme une idée délirante pour ainsi dire pure ou primaire, le rattachent à l’intuition
erronée ou à la projection de phénomènes affectifs conscients ou inconscients.
Surtout les
psychoses schizophréniques sont étudiées, comme nous l’avons dit, dans un autre
chapitre. Ey considère que dans ce groupe de psychoses la dissolution de la
conscience s’accompagne d’une désorganisation de la personnalité ou mieux de la
personne en tant qu’organisation du Moi. Il fait référence du point de vue
psychologique à cette auto construction qu’est la personnalité (40 p.32) et à
propos de la psychopathologie écrit : « La schizophrénie ne peut se réduire à une pathologie de la conscience.
Si on trouve dans sa « structure négative » et dans ses « symptômes
primaires » des symptômes qui manifestent le bouleversement de
l’expérience sensible …l’essentiel de la pathologie schizophrénique est
constitué par la déformation et la régression de la personnalité. (40 p.464). Le délire, les hallucinations, tous les symptômes que présente le
schizophrène renvoient à une dislocation de son système de la réalité, à la
transformation de son Monde et de sa personne en Monde et personne autistique.
Il renvoie ici aux études de l’être-au-monde de Minkowski et L. Binswanger.
Conclusion
Ey fait
figurer à la fin de son Traité des hallucinations un Lexique des termes
français et étrangers ambigus ou néologiques. On y trouve :
Délire. – Mot
qui, dans les langues latines, désigne soit un état (l’expérience de
l’imaginaire vécue automatiquement comme dans le rêve)-soit un ensemble
chaotique ou systématiques d’idées radicalement fausses mais entraînant
une conviction absolue. En allemand ( deliriöse Zustand) et en anglais (delirious
state), le mot s’est spécialisé dans le premier sens car il existe un autre
mot – en allemand (Wahn) et en anglais (Delusion) – pour désigner
la conviction délirante.
Le délire
sous toutes ses formes se définit et se distingue par son caractère anomique –
des erreurs, des croyances, des représentations intuitives ou irrationnelles
(foi, expériences passionnelles ou esthétique, etc.) qui sont normales (ou
« psychonomes »). Il se constitue sur un mode de connaissance
spécifiquement hétérogène à la pensée commune du groupe et aux lois du système
de la réalité. Il ne contrevient pas seulement à la logique rationnelle, mais il correspond à toute désorganisation ontologique de l’expérience des
croyances et des idées, au contrôle personnel du système de la coexistence et
de la réalité dont le Moi assure normativement l’intégration personnelle. Le
délire est la forme par excellence de l’aliénation au sens psychopathologique
du terme. Souvent « primaire » en tant que manifestation
« isolée » et « lucide », il est toujours « secondaire »
au point de vue pathogénique » (p.1440).
Ey propose
aussi des définitions de delusion, d’hallucination, de psychose, de paranoïa
avec renvoi à Délires Systématisés, de paraphrénie avec renvoi à Délires
fantastiques, de schizophrénie et enfin de Wahn et de ses dérivés Wahneinfall,
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