Auteur/autrice : Emeline

Actualisation, avec Jacques Lacan, de – Massenpsychologie und Ich-analyse-« 

Web’sem’ du Collège de Psychiatrie

22 mars 2023

 
Actualisation, avec Jacques Lacan, de  » Massenpsychologie und Ich-analyse ».
Ou
Quelle lecture faire, aujourd’hui, de notre social ?


Voilà un premier titre, avec « Actualisation, avec Jacques Lacan, de « Massenpsychologie et analyse du moi », et un deuxième, « Quelle lecture faire, aujourd’hui, de notre social ? ».
Deux titres pour un séminaire, ce qui signe un certain embarras. De fait ce projet est ambitieux, très ambitieux, trop ambitieux ?
Et c’est seulement, encouragé par mes amis et collègues que j’ouvre cette première soirée.
J’ai usé du terme de séminaire. En effet un séminaire n’est pas une conférence sur tel ou tel sujet. Le discours qui le soutient n’a pas les mêmes coordonnées qu’un discours universitaire qui place au commandement un savoir. Un savoir dont le destin serait, alors, de se dupliquer.

Ici, avec un séminaire, c’est de ses échos, embarras, butées rencontrées, que celui-ci va se nourrir, se développer, se déployer, se réinventer. Il s’agit là, et vous l’entendez certainement, de tout autre chose, il s’agit là d’un enseignement qui met chacun au travail, à sa manière, depuis la place où il se trouve, en ouvrant la porte à l’éventuelle surprise.

C’est pourquoi, de fait, avec ces quelques-uns qui m’ont encouragé à faire ce pas, ce séminaire ne pourra qu’être à multiples voix.
Et il revenait, tout spécialement, au Collège de Psychiatrie, de faire une place à ce travail d’interrogation de notre social d’aujourd’hui.

En effet sa transformation, son évolution, voire ses mutations, nous questionnent. Celles-ci se présentent nombreuses, diverses,multiples.

Et pourtant s’il nous faut interroger cette diversité, cette variété, notre lecture aimerait pouvoir en dégager un ressort et une logique. Nous restons freudiens, et avec J. Lacan non seulement des médecins, psychologues,… mais aussi des analystes et de cette lecture ordonnée nous nous faisons un devoir. Comment pourrait-il en être autrement ?

Ceci avait déjà été le projet de Freud avec son travail sur « Massenpsychologie et analyse du moi ». Déjà pour lui, à cette époque, les lois de l’inconscient et celles qui organisent la vie collective étaient les mêmes . Et il lui avait fallu essayer d’en rendre compte. Ce qu’il fait à sa manière. Et Jacques Lacan reprend et part de ce qu’il a estimé être les points de butée freudiens pour nous proposer sa lecture qu’il nous faudra alors, le moment venu, revisiter. L’inconscient c’est le politique, pourra t-il dire !

Cependant cette question d’un social en transformation n’est pas nouvelle. Freud y était déjà sensible, je viens de l’évoquer. Et il pouvait même nous donner à entendre comment dans sa clinique, avec le petit Hans, et sa famille, les mutations débutantes d’un équilibre familial fondé jusqu’alors sur le patriarcat, pouvaient se payer d’un prix, celui de l’invention d’un symptôme, ici la phobie d’un jeune enfant, de son jeune analysant, Hans. Un papa aimant et attentionné, n’assumant pas tout-à-fait sa fonction, et conduisant ainsi son fils à prendre à son compte ce X laissé en déshérence dans la famille, par l’invention d’une phobie.

Cette thèmatique de la mise en question de l’autorité, celle dite du « père humilié » , occupe une place croissante dans la vie collective du XX ème siècle, avec ses conséquences dans le champ du politique. Et tout le parcours de J. Lacan, depuis les années 30, se fait sur ce fond, amenant ainsi celui-ci à faire l’effort de préciser ce que pourrait être le statut d’un père dans une famille, soit l’assomption d’une fonction, la fonction paternelle; mais pas seulement, en ordonnant, autour de la castration de chacun, les conditions d’un meilleur équilibre familial. Certes le terme de castration est un terme freudien qui emporte avec lui un certain nombre de connotations. Le travail de J. Lacan pourra amener à des formulations autres, et plus précises, en mettant au cœur de cette même vie de famille ce qu’il a appelé « le non rapport sexuel ». De ces difficultés nous ne sommes pas vraiment sortis. Elles forment toujours notre actualité. Mais aujourd’hui un peu autrement. À titre d’exemple, nous sommes passés du bord de la plainte nostalgique avec le « père humilié », à l’autre bord, celui de la dénonciation active du virilisme…

Cependant ce qui semble caractériser l’actualité de la transformation de ce social c’est sa rapidité et son accélération. Quelques-uns pourraient même la qualifier d’asymptotique. Et s’en inquiètent. Pas seulement dans le milieu analytique où les analystes savent depuis Freud que l’élément refoulé se paie toujours d’un prix, le prix du refoulement, soit le prix du symptôme. Et qu’à ne pas consentir à faire une place au semblant c’est le « sang rouge » qui nous menacerait… Inquiets tout autant, ces intellectuels, cultivés, humanistes, évoquant un tournant civilisationnel devant la remise en cause de repères qui, par leur prise en compte, depuis le fond des âges, semblaient avoir permis et ordonné le développement de ce qui s’appelle, jusqu’alors, une civilisation.

Nous en serions donc là, dans un tissu social en voie de désagrégation, de remaniement, voire de renouvellement, avec le projet explicite de participer de la création d’un homme nouveau…
Et alors ce qu’il nous faudrait pouvoir examiner c’est en quoi et comment ce renouvellement opère. Sur quelles méconnaissances, denis, voire forclusion celui-ci se construit, et de quelles conséquences insoupçonnées nous aurions alors, le moment venu, à en assumer, à nouveau, le prix ?

Ces mécanismes sont-ils semblables et animés de la même logique que les précédents ? Relèvent-t-ils d’une même lecture ?
Voilà, aujourd’hui, les premières questions qui pourraient être les nôtres?

Elles peuvent, en effet mettre en perspective nos futurs travaux. Et il nous faudra tenter de les déplier.

Cependant, s’engager dans un tel travail se fait d’une manière très concrète. Et ce concret ne peut être que le tissu même de nos discussions. Aussi, dernièrement, à l’occasion de nos derniers échanges, toujours assez vifs et francs, un terme est revenu, celui de « psychose sociale ». De quoi parle t-on lorsque ce mot nous vient à la bouche ? N’est ce pas toujours avec un peu de facilité, comme si cela suffisait au titre d’une explication.

C’est donc à partir de ce fil, celui de la « psychose sociale » que ce soir je vais, si vous le voulez bien, engager nos travaux et notre réflexion.
Ce terme de « psychose sociale », il me faut le souligner d’emblée, et ceci fera très certainement l’objet de nos discussions, ne m’apparaît pas adéquat. Là où il aurait pu introduire un peu de lisibilité, il semble déplier, avec facilité, un voile cotonneux qui nous introduit à un monde organisé autour de la plainte, et des regrets devant un monde en voie de désagrégation.

Nous avons, en ce point précis, à faire un effort de pensée, un effort d’écriture.

À ma connaissance le terme de « psychose sociale » vient sous la plume de J. Lacan dans le post-scriptum de son article intitulé « Du traitement possible de la psychose ». Là où, une nouvelle fois, il nous rappelle les conditions structurales susceptibles d’introduire un sujet à ce type de maelström, soit l’entrée dans la psychose, il peut pointer, dans le social, les éléments proprement délirants qui constituent celui-ci et le tissent , sans pour autant que cela ne vienne troubler outre mesure le parcours de chacun. En effet une bonne moitié de l’humanité croit au Père Noël, ou ses équivalents, et le discours de la liberté soutenu par le discours de la science s’avère dans son fond proprement délirant. J. Lacan a pu longuement s’en expliquer dans son séminaire sur « Les structures freudiennes des psychoses »,y consacrant une leçon entière.

Si l’entrée dans la psychose relève de coordonnées symboliques très précises c’est tout simplement parce qu’à l’occasion de cette rencontre il est fait appel, chez le sujet, à un élément qui s’avère en défaut et spécifiant sa prise dans l’ordre du signifiant, défaut l’introduisant, du même coup, à tous ces remaniements imaginaires sous la poussée de l’effraction xénopathique qui spécifie l’entrée dans la psychose. J. Lacan avait pu faire de ce défaut l’effet de ce qu’il avait appelé après Freud, une Verwerfung, soit la forclusion d’un élément signifiant essentiel à cette prise dans l’ordre du signifiant, le signifiant du Nom-du-Père. Peut-être n’est-il pas complètement vain de rappeler ces éléments, même brièvement. En effet c’est de cette première manière, que celui-ci va faire lecture de sa clinique de la psychose. Là où il est manifeste que le patient psychosé ne dispose pas du trope de la métaphore, J. Lacan y lit un défaut qui introduit celui-ci à un monde organisé autour d’une persécution xénopathique ,avec tous ses développements. Pour un tel patient, là où il se trouve sollicité dans son énonciation, la réponse qu’il ne peut assumer va lui venir dans ces modalités xénopathiques. C’est un autre, radicalement étranger, qui prend le commandement. Pas de division du sujet, mais au mieux un clivage comme l’évolution paraphrénique peut venir l’exemplifier.

Avec ces quelques premiers repères nous pourrions en effet suivre J. Lacan et faire quelques pas en soutenant que si il n’y a pas d’énonciation collective, et que si il n’y a d’énonciation que d’un sujet, le social se trouverait contraint et livré à des élaborations qui mettraient en jeu la même logique que celle qui règle la constitution d’un délire… D’où ce terme- devant cette absence d’énonciation collective- qui pourrait alors sembler tout à fait approprié, de « psychose sociale », …. sans lien de causalité avec la genèse éventuelle de cette forclusion lue comme étant au principe de cette effraction xénopathique. Le social ne pourrait,

alors, depuis toujours, malgré des différents ordonnancement, que se présenter dans les modalités d’un délire. Ce que nous dit J. Lacan dans cet écrit évoqué. Je propose que nous prenions le temps, un prochain soir, et dans le cadre de ce séminaire, d’examiner cette question, soit celle de la proximité structurale de la construction délirante et celle, par ailleurs, de la construction d’un mythe. Dire « proximité » n’est pas très juste, d’ailleurs, puisqu’il s’agit d’une même logique, celle du signifiant. Alors une voie d’abord, entre autre, se propose, celle de l’étude de la constitution du mythe, organisation sociale et symbolique, avec l’étude de la logique du délire. Il nous faudra ainsi faire le point sur l’apport, essentiel à ces questions, de Claude Levi-Strauss.

Or, depuis ces années 50, date où surgit pour la première fois ce signifiant de « psychose sociale » sous la plume de J. Lacan, ce social, je viens de le dire, s’est transformé, et poursuit sa transformation d’une manière accélérée. Il se trouve animé de discours dont les effets interrogent et déplacent les analyses et les premières conclusions dont nous venons de faire état.

Il y a déjà quelques temps quelques analystes, Charles Melman avec Jean-Pierre Lebrun, Marcel Czermak, avaient pu attirer très justement notre attention sur la transformation de la clinique analytique. Les demandes n’étaient plus les mêmes et le symptôme ne se présentait plus dans les mêmes coordonnées . Et ceci n’était pas sans interroger. Là où les repères freudiens, d’un certain freudisme fondé sur l’interprétation appuyée sur la mise en valeur du mythe œdipien, s’avéraient plus ou moins en impasse, une lecture lacanienne permettait de s’orienter en prenant appui sur des repères structuraux. Telle était, en acte, la puissance de ces quelques écritures lacaniennes nées, il y avait déjà quelques temps, des impasses déjà pointées par J. Lacan d’un certain freudisme. Le clinicien d’aujourd’hui, pourrait-on dire, devant le renouvellement des mythes qui tissent notre social, averti de la structure du mythe, de sa constitution, et de sa fonction, pourrait peut-être s’y trouver un peu moins égaré. Le fait nouveau, majeur, qui s’impose à l’orée de cette nouvelle clinique semble porter sur le fait que le refoulement qui, jusqu’alors, ordonnait et commandait notre vie sociale, soit non seulement questionné, mais en partie levé. Une autorité contestée, une asymétrie du lien social déniée, un égalitarisme forcené ignorant de ce qui fonde tout lien social, un savoir qui perd son articulation avec la dimension de la vérité, c’est-à-dire pensé comme se trouvant écrit depuis toujours,… tels pourraient être les premiers traits et caractéristiques de ce renouvellement, voire mutation. Un homme sans gravité, à pu dire Charles Melman.

Cependant y aurait-il là matière à forclusion de ce signifiant primordial susceptible d’ouvrir sur la psychose ? N’y aurait-il là que matière à transformer le symptôme, la demande, et à désorienter l’analyste freudien? Nous pourrions évoquer là la question des « border-line ». Où comment un diagnostic s’invente au lieu même d’une incapacité du clinicien de prendre des repères plus justes, et plus efficients, dans cette clinique de la psychose.

La question peut se poser. La question se pose.
Une réponse se propose cependant au clinicien que nous sommes.Si la clinique que nous rencontrons avec les propos de nos analysants s’éloigne des standards que nous avons pu rencontrer dans d’autres temps il n’est pas du tout avéré, cependant, et jusqu’alors, qu’il y ait là un pousse à la psychose particulier. Tout au plus pourrait-on dire que les tableaux cliniques qui se proposent sont comme en attente de s’animer devant la rencontre éventuelle de ce qui fonde tout lien social, à savoir un trou, dont ce nouveau « lien social » vient écrire le bord. Ce savoir semble être bien souvent là, inscrit, mais dans l’attente de sa mise en fonction. Comme dans un état de friche. Il y suffit bien souvent d’une parole adressée, où un transfert s’épanouit, pour qu’une dynamique s’engage venant témoigner d’une juste assise dans cet ordre signifiant. Ce qui se traduit, dans le lien de langage proposé par l’analyste, par une redistribution assez rapide des termes de l’enjeu, et par une issue favorable.

J. Lacan, je l’ai rappelé il y a un instant, ne semblait pas dire autre chose chose dans les années 50. Les délires du social et les conditions qui peuvent introduirent un sujet en particulier à cette forclusion ne sont pas sur un même plan. Celui-ci avait pu faire de la nature du lien symbolique ordonnant le lien entre une femme et son autre un des éléments essentiel à la dynamique familiale. Dans ses travaux ultérieurs, il a pu apporter un ensemble d’éléments, un ensemble de repères, qui permettent de pouvoir y faire notre chemin. Tout son propos tourne autour de cette question du « non rapport sexuel », dont il nous a dit, d’ailleurs, avoir été une de ses questions principales, question qui qui l’avait conduit sur le divan. Qu’est-ce qu’un lien amoureux, qu’est ce qu’un couple, en effet? Qu’est-ce qu’une famille? Le nouage de deux fantasmes où chacun, à sa manière, et de son côté, va faire l’épreuve du réel d’une butée ? À ceci près, peut-être, qu’avec cette rencontre du « non rapport » une invention est possible, pour ce couple, en le mettant au travail et pouvant, ainsi, en faire le moteur de son devenir. Dans ces conditions il est assez facile de penser qu’un enfant, plutôt que d’être seulement l’objet béni venant en lieu et place d’un objet manquant pour une mère, vient aussi, dans le même temps, se construire et se tisser au lieu même de ce trou du non-rapport dont un couple peut se soutenir et se réinventer. C’est-à-dire au lieu d’une différence vivante, au lieu d’une différence sexuelle susceptible de prendre corps…

Cependant ces mutations du social, dans leur destin(?) asymptotique insistent et portent sur des éléments de plus en plus structuraux. C’est là où ces quelques-uns, philosophes, anthropologues, simplement humanistes, sans être spécialement avertis de notre clinique, s’inquietent et tentent d’alerter le politique. En effet aujourd’hui, la différence des sexes est elle-même mise en question au nom d’un égalitarisme forcené où l’appartenance sexuelle se trouve rabattue sur la dimension du genre. L’appartenance sexuelle, au genre masculin, ou féminin, ne serait qu’une question d’éducation et de traitement social. Il suffirait donc de gommer, ou d’abraser la spécificité de l’un ou l’autre acquise par l’éducation, pour ouvrir sur un monde où chacun serait à égalité et l’appartenance sexuelle reléguée à la catégorie d’un trait quelconque . Une différence des sexes conçue comme hors symbolique et ne relevant que du simple effet du travail du genre, ouvrirait enfin l’éventualité d’un 9type de lien social rêvé : un lien enfin symétrique, susceptible de transitivité, c’est-à-dire totalement en miroir. Un monde orwellien en attente de son maître, pourrions ajouter.

Aujourd’hui ces discours traversent notre social avec leurs conséquences. Les politiques, pas tous, toujours en quête  » d’idées neuves » et de « progrès » donnent aux militants de ces nouvelles causes une audience et des échos législatifs qui peuvent légitimement questionner…

Dans ce contexte les technologies médicales, appuyées par la puissance du numérique, s’ouvrent un nouveau champ d’action, et de profits pour un monde toujours en quête de nouveaux territoires et de nouveaux eldorados où prospérer.

Encore une fois, si cela suffit à générer une nouvelle ère pour une « psychose sociale » , cela suffirait-il à générer de la psychose? Je n’en suis pas si sûr, surtout si nous considérons que c’est du « non-rapport », et de sa symbolisation, que le sujet trouve sa place et s’y constitue…

La question reste ouverte.

Dans ce contexte évolutif ce qu’il nous faudrait pouvoir soutenir, et proposer, demande véritablement à être questionné. Anthropologues, humanistes,..

avancent un « non » plus ou moins vif ou argumenté. Et ce d’autant plus que ces prises de position valent, de fait, comme des actes de résistances où, chacun, certes, n’engage pas sa vie, mais où il met en jeu sa survie sociale.Il faut être précis sur ce point. Combien un destin professionnel peut s’en trouver compromis, comment un harcèlement sur les réseaux sociaux, ou une simple impossibilité de soutenir son propos ne peuvent qu’évoque les heures les plus sombres de notre histoire, et tout ceci au nom d’un bien…

Du côté des trois religions du monothéisme les prises de position, avec les bonnes réponses apportées, sont fermes, et un repli sur un certain intégrisme étroit pointe.
Que faire ?

Si ce mot d’ordre était déjà celui de Lénine en 1917 il pourrait être le nôtre aujourd’hui !
Pouvoir déjà soutenir l’espace d’un questionnement est essentiel.
Une position militante, qui s’appuierait sur des réponses déjà construites, relèverait, dans son fond, d’un même exercice fondé sur le mythe, œdipien ou autre, soit fondamentalement une position religieuse,…ou délirante.

La position de l’analyste voudrait au contraire, plutôt que faire valoir et défendre un nouveau mythe (ou plus ancien, comme celui, freudien, de l’oedipe) donner à entendre cette logique du mythe, cette logique délirante, donner à entendre que ce qui, dans ce vœux d’égalitarisme, n’est pas pris en compte, fait inexorablement retour et se fait payer d’un certain prix. Ce qu’il nous faudrait pouvoir pointer est cette simple logique, dont chacun fait pourtant fait l’épreuve, non seulement dans sa vie personnelle, mais aussi dans la vie du collectif auquel il appartient en tant qu’être parlant.

Nous pourrions évoquer ce qu’a pu faire Lacan lui-même, confronté à l’efflorescence de 1968. Qu’ a t-il fait ? Est-il allé démagogiquement auprès des étudiants les soutenir dans leurs luttes ? Certains lui ont reproché cette abstention. Qu’at-il fait? Leur a-t-il fait la leçon? Il a poursuivi son travail, avec ses petites lettres, ses ronds de ficelle, et a fait une interprétation, lancée à la cantonade à Vincennes, « vous ne le savez pas, mais c’est un maître que vous cherchez ! » C’est ainsi qu’il s’est adressé à eux, avec une interprétation quasiment topologique. De cette révolution espérée, dont cette génération avait déjà sous les yeux les oripeaux de 1917, Lacan faisait un envers dans sa lecture topologique! Une interprétation source de transfert.

Pour conclure mon propos d’aujourd’hui ce projet, et ces perspectives, pourraient être celles de ce séminaire à plusieurs voix. J’ ai pu dire, tout à l’heure, combien il était indispensable, bien entendu, de réinterroger les travaux de Claude Lévi-Strauss . En quoi, et comment, une même logique anime le mythe du collectif, le refoulement et la constitution du fantasme, et la construction délirante? En quoi les lectures topologiques de Lacan peuvent-elles nous apporter quelques éclairages ?

Et puis, et surtout, en quoi et comment, une même séquence logique animerait et réglerait ces remaniements de notre social, ceux passés, comme ceux d’aujourd’hui?

Les années 70 avaient vu la mort d’un certain marxisme-leninisme dont il ne nous reste, aujourd’hui, que des dépouilles mafieuses. Et dans le même temps, plus ou moins discrètement, avec la vague structuraliste, se trouvaient posées les premières écritures d’une séquence logique qui emporte notre social d’aujourd’hui. Je veux évoquer là les enseignements de Michel Foucault, ou de Jacques Derrida, sur lesquels il nous faudra prendre le temps de nous arrêter. Le programme est vaste, à la mesure de ce mouvement profond, de ce « wokisme » qui infiltre avec une étonnante facilité les institutions qui paraissaient les plus solides et les moins prêtes à vaciller. Il fut un temps où la guerre devorait des générations entières, il en fut un autre,plus récent, où ces mêmes générations, sont venues nourrir l’appétit de ces mythes vivants que sont les idéologies (marxisme-léninisme, fascisme,.. )? Aujourd’hui à quels appétits faudrait-il satisfaire ?

C’est avec un peu de tranquillité, mais avec détermination, que nous abordons ces questions et ce questionnement.

Ce projet pourrait se résumer sous un titre, qui me vient en travaillant les lineaments de ce séminaire. Un peu comme Balzac qui avait décliné la longue série de ses écrits sous le titre de « La comédie humaine », un titre qui pourrait aller comme un gant à ce séminaire: « Pour une écologie du lien social ? « .

Michel JEANVOINE

La Ménopause, Belot-Fourcade

La ménopause

Regards croisés entre gynécologues et psychanalystes

Pascale BELOT-FOURCADE, Diane WINAVER

La féminité s’inscrit dans une temporalité marquée par des crises impliquant des remaniements subjectifs, des modifications de l’image corporelle et du réel du corps dans sa physiologie. Au long de ces textes, se déroulent et se développent des questions cliniques précises, ordonnées autour de la sexualité, de l’identité des femmes à l’épreuve du temps.

Des hypothèses et de réelles avancées sont proposées ici conjointement par les gynécologues et les psychanalystes, dans la nomination, la définition de ce temps physiologique, alors que nous savons que le désir n’est pas réglé par le réel du corps mais par une organisation du langage qui fait de l’humain un animal si loin de la nature, et de l’homme et de la femme des êtres si peu en symétrie.

Sur quelle légitimité et quelle reconnaissance peut se fonder, pour les femmes, cette autre période de la vie ? Dans quel échange leur sexualité peut-elle s’inscrire, alors même que la maternité ne recouvre plus ni ne limite la féminité ? Ne risquent-elles pas de se confronter à une nouvelle intolérance sans limite, où ce qui était permis devient obligatoire dans une injonction à rester jeune à tout prix dans le registre de la consommation mais aussi dans la haine des âges de la vie ?

Pascale Bélot-Fourcade est psychiatre, psychanalyste (Paris), membre de l’Association lacanienne internationale, membre fondateur de l’AMCPSY (Association de clinique et médecine psychanalytique).

Diane Winaver est gynécologue, membre fondateur de la Société de gynécologie et d’obstétrique psychosomatique.

Avec la participation de : Nicole Anquetil, Marianne Buhler, Ana Costa, Daniel Delanoë, Madeleine Gueydan, Annemarie Hamad, Cécilia Hopen, Hélène Jacquemin-Levern, Michèle Lachowsky, Marie-Christine Laznik, Martine Lerude, Eliane Michelini Maraccini, Charles Melman, Sylvain Mimoun, Gérard Pommier, Kathy Saada, Jacqueline Schaeffer, Nicole Stryckman, Elisabeth Weissman.

ANQUETIL Nicole, ESSAIS CLINIQUES

ESSAIS CLINIQUES (2023)

Nicole ANQUETIL

Dans le droit fil de la création de la revue du Collège de Psychiatrie, Ecole pour l’enseignement et la recherche en septembre 2016, je me suis autorisée à colliger la plupart de mes interventions lors de colloques dans différents lieux ou d’écrits dans différentes revues depuis mon engagement dans la psychiatrie et la psychanalyse qui remonte à l’année 1971. Cette année-là je fus ce qu’on appelait « Médecin traitant » à l’Institut Marcel Rivière de la MGEN et commençais une analyse. Mes premiers essais cliniques ont débuté avec le Docteur Garrabé et je lui suis fort reconnaissante de m’avoir donné cette impulsion. De façon Chronologique j’ai fait et je fais partie d’associations diverses, l’École Freudienne de Paris (1977) devenue École Lacanienne de Paris puis Association Lacanienne Internationale (1984), tout en m’engageant à l’AMCPSY (Association Médecine et Clinique PSYchanalytique) et au Collège de Psychiatrie dès leurs créations, l’une en 1998, l’autre en 2003.

De façon parallèle j’ai assuré au Centre Hospitalier Paul Guiraud à Villejuif toutes les fonctions hospitalières jusqu’en 2002. Ma participation à l’enseignement et à la transmission de la psychiatrie et de la psychanalyse s’est faite dans l’animation de présentations cliniques au centre Paul Guiraud depuis 1984 m’inscrivant dans l’importance qu’il y a pour la clinique à puiser autant chez nos maîtres en psychiatrie que chez nos maîtres en psychanalyse. Ce recueil en est un témoignage.

Nicole ANQUETIL

Les Voix: Témoignage

Les Voix

Livre d’Aimée F. et Nicole Anquetil
Témoignage 

Aimée F. a 70 ans et le regard bleu très vif. Elle est drôle, délicieuse, menue, élégante. Ancienne institutrice, elle est mariée à un écrivain philosophe, un homme très doux et affectueux. Imprégnée d’amour et de foi, ouverte et gentille, elle n’est ni mystique, ni érotomane, ni paranoïaque. Mais elle entend des « voix ». Des oiseaux lui « parlent », la raillent, l’insultent, la harcèlent. Aimée mène contre ces voix une lutte épuisante. Pour sortir de ce cauchemar qui n’en finit pas, elle se décide à rencontrer un psy – mais à ses conditions à elle : devant Nicole Anquetil, elle sort de son sac une liasse de feuilles et se met à lui lire, séance après séance, le texte des Voix… 

Est-il anormal d’entendre des « voix » ? Peut-on les « déjouer » ? Un témoignage exceptionnel, d’une rare puissance, sur le sens de la folie, sur le sens de la « folie » et les pouvoirs de l’écriture.

Ce livre a reçu le prix de l’Evolution psychiatrique 2015.

Lien de l’éditeur

 

Frederic SCHEFFLER, « Arno « J’ai un trouble bipolaire » (2023)

 Collège de Psychiatrie

Samedi 4 février 2023

Journée d’étude sur 

« Les paraphrénies. Paraphrénisation? »

 

Arno : « J’ai un trouble bipolaire »


J’ai choisi d’évoquer la clinique d’un de mes patients que j’ai suivis pendant près de 18 ans. 

Malgré le titre de mon exposé il ne s’agit pas d’un trouble bipolaire, ni même au sens strict du terme d’une paraphrénie

 Mon titre provient des paroles de mon patient, que je vais nommer Niko, qui se portait un auto-diagnostique de  « trouble bipolaire ».

Quand on m’a proposé de parler ici d’un cas clinique de paraphrénie, ma première pensée a été que je n’en n’avais jamais vu, souvenir d’une réflexion de Marcel CZERMAK « la paraphrénie c’est rare »

J’étais bien embêté, je pensais ne pas en avoir dans ma clinique. Alors trouver un cas de paraphrénie m’a semblé mission impossible. C’est un diagnostic auquel je ne pensais pas, en raison de cette idée de rareté et je me suis dit que j’étais passé à côté. Je me suis mis à la recherche parmi mes dossiers sans vraiment trouver cette perle rare.

J’ai donc repris quelques textes.

Dans les séminaires de Lacan, le terme paraphrénie, apparaît par deux fois : dans les écrits techniques et les structures freudiennes. J’y ai lu que pour Freud, la paraphrénie recouvrait toute la clinique de la démence précoce, voire toute la démence. Le terme apparaît deux fois aussi dans les structures freudiennes. Lacan l’utilise dans le sens de la schizophrénie.

Dans les complexes familiaux, il introduit la notion de psychose avec et sans moi, suivant une gradation en fonction du délire, la disparition du moi étant du côté du paraphrène. 

J’ai relu les textes de Dupré et Logre, sur les délires d’imagination. Un délire dont le mécanisme d’éclosion du délire, serait purement imaginatif, sans participation interprétative ou hallucinatoire.

En toute rigueur il est difficile de trancher pour l’un ou l’autre mécanisme, l’association des uns avec les autres chez un même patient est évidemment fréquente. D’ailleurs en relisant le cas modèle de cette mythomane délirante, je me suis demandé s’il n’y avait pas une participation interprétative dans ce délire. Il me semble que les auteurs évoquent aussi ce mécanisme dans leur texte.

Plus récemment, le terme de paraphrénisation a été proposé par Maleval, qui le recentre et le place en fin de la logique évolutive d’un délire.

La paraphrénisation alors comme bricolage permettant un type de nouage qui ne soit pas bancal.

Je rajoute à ces difficultés à chercher un cas, la présence quasi-constante de prescription de médicaments chez ces patients délirants, hospitalisés. Ces molécules, on le dit, n’arrêtent pas vraiment le délire. Ils en empêchent sûrement son évolution, mais permettent un retour à la vie commune, pouvant faire penser à une paraphrénisation pharmacologique. 

Ce patient, Arno, m’est apparu alors comme un bon exemple de toutes ces difficultés dans le cadre de paraphrénisation d’un patient.

Je l’ai rencontré quand qu’il avait 32 ans, au début de ma formation de psychiatre, au cours de sa deuxième hospitalisation sous contrainte.

Il est le deuxième enfant d’une fratrie de trois, il a deux sœurs, la plus importante est sa sœur ainée d’à peine deux ans que Je nommerais Steph.

Je vous propose de vous présenter les éléments cliniques que j’ai retenus, en trois temps. 

Le premier s’étale sur une douzaine d’années avec une alternance d’hospitalisations et de moments de calme, le second est plus court, 4 ans, le début correspond à mon installation en cabinet libéral, et le troisième qui dure encore.

Au cours de premier temps, en dehors des moments délirant, Arno est plutôt un homme se présentant de façon sympathique, physiquement et moralement. 

Sans être affable, il a cette politesse et ce savoir-vivre du milieu bourgeois des petites villes de provinces, sans maniérisme. 

Il vivait seul dans un appartement à Lyon avec son chien. 

Son activité professionnelle durant cette première période a été une suite de CDI dont il démissionnait lors de chaque hospitalisation pour en retrouver un autre, à l’issue de ses sorties. Il a travaillé comme commercial dans de petites entreprises, puis dans la logistique. 

Il décrivait sa vie comme « métro-boulot-dodo », Il se plaignait de beaucoup d’ennui, de solitude, se décrivant comme bipolaire, qualification qui lui faisait dire qu’il était incapable et ne faisait que de la merde.

Pourtant il occupait son temps libre par deux activités principales :

Il recherchait, comme il disait « une petite », une femme qui lui aurait convenu, dans l’idéal une hôtesse de l’air. Il me disait qu’une femme lui aurait permis de combler son ennui, de l’arrêter « d’être con », surtout de le guérir.

Il a fait plusieurs rencontres mais malgré toutes ses tentatives, aucune n’a convenue. Cela apparaissait être la recherche folle de La femme, recherche qui apparaissait sans espoir.

Son autre passe-temps était les sorties de Week-ends avec ses amis d’enfance quand il allait chez ses parents. 

L’ennui aidant, il commençait à jouir de quantités impressionnantes de cannabis et d’alcool, je me souviens qu’il avait vidé la cave de son père en à peine quelques mois. Ses excès le jetaient dans un état de délire incontrôlable et dont la seule limite était de le faire ré-hospitaliser, le plus souvent à la demande de sa mère.

Durant les hospitalisations, ce n’était plus ce garçon de bonne famille que je connaissais. Il devenait sûr de lui, arrogant, familier voire méprisant. 

Il ne montrait pas de signes de dissociation importants, il a inventé un ou deux mots comme « Mytopathe », en utilisait d’autres compliqués dans un mauvais sens, et usait d’associations comme « je suis sorti sous décharge publique » mais sa dissociation n’allait pas plus loin.

Ce qui me marquait le plus c’était cette sorte d’interprétation imaginaire.

Dans les premiers temps, il me disait lors de ces épisodes, qu’il était attiré par les statues de la vierge et en particulier par celle, dorée, en haut de la cathédrale. Il décrivait cela comme une attirance, une impulsion, une sorte de commandement inconscient, en tout cas, commandement sans voix. 

Lors d’un voyage au Portugal, cette impression s’est transformée. Il a eu l’impression qu’une vierge noire, serait venue vers lui, le mettant dans un tel état de terreur qu’il est reparti en France, 

Cet épisode a été le dernier avec la vierge excepté un souvenir qu’il m’a relaté par la suite, celui du lit de mort de sa grand-mère paternelle ou un vierge bleue trônait sur la table de nuit. Etait-ce une explication, je ne sais pas. 

En tout cas, cet inversion de sens, de déplacement de lui à la vierge, puis de la vierge à lui, est comme si cette vierge était passée de l’autre côté d’une bande biface, ce qu’il voyait dans la réalité était passé de l’autre côté.

Il parlait aussi des chiffres : 

Ceux des plaques d’immatriculations : certain chiffre, le 1, le 3, le 69, étaient plus important que les autres, il les repérait. Il les recherchait sur les plaques. Il utilisait pour cela des combinaisons les faisant apparaître, par calculs, déplacements, ou inversions. C’est à dire que 66 par retournement du 6 pouvait être 69, mais aussi que 37 signifiait 11 par résultat de l’addition de 3 et 7.

Et une fois sur le compteur de sa voiture : l’apparition du dernier 1 d’une série de 1 identique sur le kilométrage, et cela au moment précis où il finissait de stationner, a été pour lui la preuve évidente et irréfutable que ça ne pouvait pas arriver par hasard.

Il y avait quelque chose qui se passait. Il ne pouvait dire quoi, ni si cela le concernait : ça lui arrivait tout simplement. C’était la seule signification possible.

Les chiffres ne faisaient pas sens, pas plus que signification, C’est l’arrangement des chiffres qui avait une signification personnelle. Cela ne faisait pas sens, il ne savait pas ce que ça disait, ni si ça le concernait, et pour reprendre Lacan, c’était un « moment où les objets transformés par une étrangeté ineffable, se révèlent comme, chocs, énigmes, significations ».

C’était l’arrangement des chiffres, leur combinatoire qui le percutait.

Cette combinatoire, il n’y a pas qu’avec la lettre ou il a été en difficulté :

 Lors d’un de ses emplois, son rôle a été de mettre sur des palettes des paquets identiques et d’emballer le tout à l’aide de film plastique, ce tout étant standardisé pour rentrer dans les camions. Il s’est fâché, persécuté, sur l’incapacité de ses supérieurs à organiser le travail : sur ces palettes le dernier paquet à mettre était trop grand et ne pouvait pas être mis, laissant un dernier espace vide, pour pouvoir emballer l’ensemble.

 Lors de vendange : le viticulteur, décrit comme mal organisé, faisait partir les remorques à moitié vides. 

Ce qui l’interloquait c’était l’impossibilité de combiner les choses :  paquets, palettes, camion, pour qu’il n’y ait pas de manque, de trou, et c’est là qu’il devait se placer pour éviter d’y disparaitre.

Pendant les premières années, il écrivait beaucoup, et bien, il se décrivait comme un homme de lettre maniant bien la langue. Il a pensé un moment à publier. Je me suis dit, que j’allais le soutenir, que peut-être il arriverait comme Joyce à s‘en sortir. Je lui ai demandé de m’amener ses écrits plusieurs fois, il me les a amenés et confiés quelques années après, lors de la deuxième phase de mon suivi : il y avait noté des souvenirs intimes de l’adolescence, fait plusieurs fois la même liste de ses petites amies notant dates, qualités et défauts, quelques textes d’allure poétique, structurés par des associations phonémiques, et des choses plus incompréhensibles écrites au cours de ses hospitalisations. Je l’avais un peu poussé vers cette activité, mais il a plutôt choisi d’arrêter d’écrire.

L’autre facette, c’est les photos.

Lors de sa première hospitalisation, il m’a parlé de photos de sa sœur aînée, Steph, qui vivait alors avec un compagnon à Londres : il m’en a dit, « je suis tombé sur les photos de Steph, avec son mec en Allemagne, ma mère gardait ça dans un tiroir, c’était dégueulasse, des photos de cul, de sexe avec son mec », il s’est montré dans son discours assez possessif avec Steph, presque jaloux. Évidemment ces images n’étaient des photos pornos, j’en ai eu confirmation par sa mère. Je ne pourrais pas trancher sur le mécanisme, Interprétation, hallucination, imagination, ça m’apparaît difficile à définir. Néanmoins, de par son discours, je me demandais si sa sœur ne semblait pas présente en lui.

Il en prenait aussi beaucoup, des photos, avec son portable, du ciel et des nuages, et des photos floues prises en bougeant son appareil. 

Ce qu’il me montrait c’est qu’il y avait la forme de boucs, d’anges, je les ai vu dans les nuages, mais rien de visible sur les photos floues. 

Ce qui m’intéresse le plus, c’est la façon dont il avait de procéder : il prenait une photo, au petit bonheur la chance, sans avoir ce qu’il allait y voir, puis en les regardant sur son téléphone, il y discernait ces personnages d’un autre monde. 

Il imaginait des signes sur l’image vue. Il y recherchait à montrer les preuves de la présence d’Êtres d’un autre monde.

Il se servait de son appareil photo en faisant des clichés presque au hasard, et on l’entend bien sur les photos floues, et il y retrouvait les preuves d’un univers invisible. C’était un peu comme avec un appareil de radiologie, L’appareil photo était l’appareil qui servait à dévoiler le monde invisible.

En ce qui concerne son délire, il avait aussi des éléments de persécution, et de mégalomanie mais qui n’était pas au premier plan dans son discours, c’était difficile surtout pour sa mère qui subissait son agressivité. 

Durant cette période, ça lui faisait signe, et pourtant il arrivait à douter, à s’étonner qu’il pourrait être celui qui est désigné. En l’absence de cause, de raison, il cherchait à me montrer des preuves de certitude que tout cela n’était, ne pouvait être lié au hasard.

Vers l’âge de 36 ans, des évènements familiaux dramatiques sont survenus : sa sœur Steph, dont il parlait d’elle comme de sa jumelle est revenue de Berlin atteinte d’un cancer, elle est décédée en quelques mois, par la suite trois mois plus tard c’est son père meurt lui aussi d’un cancer. Il s’est retrouvé seul avec sa mère, sa petite sœur, elle vivait à distance dans une autre ville.

Sa vie s’est déroulée tout ce temps, rythmé par ces fréquents allez et retour entre l’hôpital et chez lui, il prenait un traitement par période, l’organisant à sa façon.

Le temps passant, nous arrivons à la deuxième période, celle où j’ai quitté mes fonctions dans cet hôpital et débuté une activité en libéral. J’ai lui ai proposé alors de poursuivre le suivi à mon cabinet, ce qu’il a accepté. 

Il vit toujours dans son appartement, il le retape en vue de le louer, sa mère a fait faire un studio pour lui dans la maison familiale.

Il travaille dans la logistique d’une entreprise et il a toujours un chien, mais plus le même.

Son travail se passe bien, il a été promu à un petit poste de responsabilité, c’est lui qui contrôle les lots de colis. Pas sans difficultés puisqu’il me dira qu’il est parfois assez anxieux d’aller travailler car il doit manipuler un scanner sur lequel il doit rentrer des codes chiffrés en fonction du type de colis, et il est souvent perdu dans ce codage.

Assez rapidement, il s’est fait menacé de mort par un de ses collègues et il n’en a pas dormi pendant plusieurs nuits, il se sentait trop menacé. 

Il revient par la suite me dire qu’il « sent » la présence des anges mais aussi des morts, ils décrivaient cette sensation comme une sorte d’onde. Il se pose autrement des questions sur la normalité de son comportement amoureux, il a une relation avec une femme qui a été atteinte de la polio, il couche avec un homme Jeannot alors que lui-même n’est pas homo.

 Les différents éléments de son délire vont progressivement se cristalliser pour s’organiser de façon inventive au cours des mois. 

J’ai pu le rencontrer assez souvent, et si j’ai pu l’écouter, c’est que nous avions établi une sorte de pacte tacite dans lequel était entendu que j’écrivais une ordonnance souvent très simple et qu’il en faisait ce qu’il voulait. 

Mais le lien tacite, je crois a été réalisé à la suite d’un entretien quand il m’a dit « comment un mec aussi intelligent que moi peut être aussi con, je suis sûr de pouvoir m’en sortir, ça ne va pas se passer comme avant », je l’ai cru et je l’ai accompagné sur son chemin personnel, le suivant en tant de garde-fou. 

Ce pacte m’a valu quelques inquiétudes quelques mois plus tard quand il est revenu avec de belles plaies au visage après avoir subi deux agressions physiques, en jouant du Djembé sur les bords du Rhône, ainsi qu’en faisant une remarque sur un chien.

Pendant cette période il a repris son habitude de faire des photos, mais le sujet a changé, il fait à présent des photos de la nature, des cygnes sur l’eau, dont il me dira qu’elles sont de moins bonne qualité qu’avant, il ne va pas les publier sur internet comme il l’avait prévu.

Il m’en montre toutefois deux particulières, celle de son chien, prise dans la pénombre de sa voiture, la mâchoire et les dents aussi blanches que les yeux y sont mis en évidence. C’était une réelle représentation de vision de cauchemar. 

Et puis celle de l’ombre d’un humain projetée sur le mur d’une impasse, la nuit, sans la présence d’humain à proximité, ni d’éclairage pouvant faire de l’ombre. Elle était tout à fait irréelle et étrange. 

Il me dit que ces images montraient qu’il y avait quelque chose de présent à ses côtés, une sorte de monde à côté d’où provenait ces signes, il me dira qu’il en était le destinataire, peut-être une mission, il ne savait pas, ce dont il était certain c’est que ça avait à voir avec sa sœur Steph, il ressentait sa présence dans tout cela. 

Les preuves de l’existence de ce monde a côté, de Steph à ses coté, était aussi dans les lettres, les chiffres et les oiseaux : quand il voyait des oiseaux, il ressentait sa sœur, certains chiffres, 33 11 66 73, étaient des signes de Steph,  et puis les mots : ange, nage, orange, dentressange, l’ordre des lettres importait peu, saint Gervais ou était enterré sa sœur, San Gervaso, mais aussi concierge, pigeon, la carte d’un avocat exerçant rue tronchet, ses signes saturaient son univers et lui donnait le sentiment de la présence constante de Steph. 

Leurs organisations ne faisaient plus signe, comme avant, ils étaient devenus un signal de cet autre monde, de la présence de Steph. L’apparition des chiffres, les lettres ou les clichés ne servait plus à prouver la présence d’un monde à coté, c’étaient des messages de Steph.  

Comme pour la vierge, il y a eu un déplacement, et la certitude porte dorénavant sur la sensation de la présence de sa sœur, les lettres et images ne sont plus qu’artefacts des messages de Steph. 

Il s’est créé un monde imaginaire. Ce n’est plus le réel de la combinatoire, c’est ce monde imaginaire à coté, de Steph qui fait signe. C’est comme s’il avait réalisé une accroche imaginaire à ce réel, de la combinatoire initiale, par cette idée de la présence invisible de sa sœur.

Cet état ne l’empêchait pas de travailler, ni d’avoir une petite vie sociale, Arno avait l’habitude de se faire bronzer sur les plages d’un lac, il y a rencontré Jeannot. 

Jeannot à force d’opiniâtreté a fait céder Arno à ses avances.

Leur relation a duré près de deux ans. Arno me disait qu’il se voyait toutes les semaines, un soir ou deux, parfois les Week-end, il faisait la fête ensemble, Jeannot l’aidait parfois pour les tâches administratives. 

Leurs soirées finissaient au lit, et Arno se laissait faire par son ami. Il ne pouvait pas le toucher : il me dit : « je n’aime pas les poils, je préfère les dentelles » ou bien « je ne suis pas pd, mais non, j’aime les femmes, une belle rousse, une belle blonde ».

Ce qui l’étonne le plus c’est qu’avec Jeannot, il aime ça, il me dira que « tous les hétèros devraient ressentir le plaisir de la sodomie », pour finalement me dire qu’avec cet homme il se transforme en femme, il me dit ressentir le plaisir féminin, comme une femme, ce qu’il veut avec Jeannot, c’est n’être que femme, et surtout ce qu’il ressent c’est la présence de sa sœur en lui pendant les coïts.

C’est quand même un drôle de pousse à la femme, si la féminisation de Schreber passe par l’image et l’éprouvé du corps, chez Arno, seule la jouissance sexuelle était féminine, il luttait évidemment contre cette transformation, contre cette féminisation. Il n’était pas, et ne voulait pas être La femme de tous les hommes, ni même celle de Dieu, ni simplement une femme, seulement celle de Jeannot au lit. 

Jeannot d’une certaine manière, ne lui servait qu’à éprouver la présence de sa sœur en lui au travers de cette Autre jouissance qu’il me décrivait ressentir. Un peu, en parallèle comme l’appareil photo qui lui permettait de voir l’autre monde.

Sa sœur dans ses moments semblait être dans le réel de son corps, comme si de ce monde imaginaire, elle passait avec l’aide de Jeannot du côté du réel du corps, et réalisé une expérience éprouvée de l’incarnation de sa sœur en lui.

Finalement, après toutes ces expériences paranormales, Arno m’a dit son envie de banalité, qu’il avait envie d’une vie banale, d’idées banales et m’a demandé que je lui prescrive un traitement.

Ce que j’ai fait. C’est mon troisième temps.

Cela lui a permis d’apaiser les effets de son délire, les signes se devenus plus lointains, moins présents, il m’a dit durant cette période « je ne sais comment être, sauf qu’il voulait une voiture, un travail, une femme, un ange ». Ses idées me dit ils pulsaient toujours, mais ne l’emportait pas tout autant ;

Il a repris sa vie Il finit par louer son appartement, et a récupéré son permis de conduire. Il a changé de nouveau de travail, cette fois dans la livraison. Il laissé tomber Jeannot.

Il se dit linéaire.

Il cherche toujours une « petite », et puis au bout de plusieurs mois, il me dit qu’il a fait la rencontre d’une jeune étudiante, âgée de 20 ans de moins que lui. 

Elle s’appelle Steph. Il me dit qu’il est heureux, chanceux.  Je lui fais remarquer qu’elle se nomme comme sa sœur, il acquiesce mais n’en dit trop rien. En tout cas il semble l’avoir enfin rencontré cette femme.

Sa seule peur c’est de ne pas être à la hauteur, il a peur qu’elle le quitte, il est prêt à la suivre jusqu’en Australie, il s’est fait refaire ses dents qui attendaient depuis longtemps, et arrive même à arrêter de fumer la garder.

En tous les cas, durant cette période, la position de Steph s’est modifiée, de la même façon que la vierge, Elle a été dedans, pour passer dehors, et c’est lui qui est dedans. Sorte de mouvement d’inversion d’un gant, comme une éversion de la doublure.

Quelques mois après cette rencontre, Il a arrêté de venir me voir. Depuis il m’envoie de temps en temps des SMS, dont le dernier en date a été pour me présenter ses vœux 2023 : il m’y dit qu’il va bien, qu’il prend son traitement, qu’il a changé de travail et est toujours avec sa petite. 

Pour conclure, comme je vous l’ait énoncé au départ, ce n’est pas un trouble bipolaire.

Il ne présente pas de tachypsychie, même s’il a été dans une effervescence. Le délire interprétatif apparaît au premier plan. Il s’y greffe bien sur une mégalomanie avec des éléments percécutifs. Les moments de calme, s’il décrit une impression d’ennui, et a des propos d’auto-reproche, il n’a jamais eu de mélancolie à proprement parler. Il décrivait surtout un ennui et l’incapacité à s’en sortir.

Au premier temps, la conservation de sa personnalité, l’absence de dissociation majeure, mais surtout ce délire d’interprétation, dont il décrivait les caractères évidents, évoque plutôt un délire paranoïaque qu’une schizophrénie. 

En ce qui concerne une paraphrénie, le diagnostic me semble plus difficile. Il y avait conservation du moi, l’apparition de ce monde à coté, de la prépondérance du mécanisme imaginatif, tout en concernant somme toute une vie sociale et professionnelle, m’apparait refléter, non pas une paraphrénie, mais plutôt une paraphrénisation du délire du patient.

Son délire n’était pas constitué d’éléments imaginaires variés, il apparaissait plutôt bien organisé, autour de la présence de Steph. Il n’y avait rien de fantastique, mais le mécanisme, pour moi, c’est modifié, la participation imaginaire m’a semblé devenir plus importante. ;

Ce que je voulais montrer, c’est cet aspect de déplacement dans son délire des thèmes interprétatifs et imaginatifs, ceux-ci ont pris toute la place quand son délire a pu prendre le temps de s’organiser.

J’ai proposé que ce passage du mécanisme de l’interprétation, à l’imaginatif, par la position prépondérante de sa sœur centrant le délire, le basculement de la place des signes, chiffres, groupe de lettres vers une position de message plutôt que de signification, pouvait être vu plutôt comme peut être une sorte d’accrochage de l’imaginaire au réel.

Mon rôle pour ce patient, a été très modeste, celui de garde-fou, j’ai l’impression de seulement l’accompagner la ou il voulait aller, sans vraiment, et j’espère vous l’avoir fait entendre, sans y comprendre grand-chose, dans une confiance mutuelle.

 Frédéric SCHEFFLER

Nicole ANQUETIL, Creation extemporané

Collège de Psychiatrie

Samedi 4 février 2023
Journée d’étude sur
« Les paraphrénies. Paraphrenisation ? »

 

CRÉATION EXTEMPORANÉE

 

       Il m’a semblé opportun de donner ce titre à mon travail ; c’est inspiré de ce que j’ai trouvé chez Ernest Dupré dans l’élaboration de sa clinique du délire d’imagination, quand je suis moi-même aller l’interroger à propos d’une patiente. Cet ouvrage, extrêmement riche et détaillé sur ce qu’il en est de la formation et de la description des délires nous laisse toujours pleins d’admiration.

       Dupré, qui au sein de l’école Française de psychiatrie s’est imposé dans les recherches sur la paraphrénie, il en a isolé les délires d’imagination chroniques en prenant pour principe que tous les délires relèvent de l’imagination dans leur opposition à la réalité. Mais c’est au sein de l’école allemande, avec Karlbaum puis avec Kraepelin que cette entité clinique a été défini en tant que telle. Ce dernier en a véritablement élaboré le concept. Ce concept il le situe entre la schizophrénie et la paranoïa du fait de la contradiction apparente entre un délire très florissant et une adaptation à la réalité, en particulier dans une activité professionnelle. Bien évidemment la difficulté est de s’entendre sur ce qu’il en est de la réalité.

       Ce que l’on doit à Dupré :  Il a établi que ces délires d’imagination chroniques qui peuvent également être aigus, procèdent par intuition et invention, c’est ce qui les différencie des délires hallucinatoires et interprétatifs. « Les psychoses imaginatives aboutissent, écrit-t-il, à des fabulations, des projets, des actes impliquant la croyance immédiate du malade aux fictions improvisées par le jeu spontané de l’activité mentale. C’est un jaillissement spontané de l’esprit et d’emblée une foi qui s’affirme par la parole contre toute évidence ou objection. » On remarque donc l’importance de cette histoire de parole qui jaillit d’une idée sans formulation préméditée mais qui prend immédiatement allure de vérité indiscutable. C’est un mécanisme d’idéation de même type que les processus hallucinatoires et interprétatifs. Mais j’ajouterai, pour ma part, que cela n’est pas xénopathique, ce qui est caractéristique est que, dès l’émission verbale, la parole s’impose comme vérité de celui qui parle et qui se reconnait comme tel.

       Pour Dupré la bouffée délirante aiguë est à la fois un état sub-maniaque et une psychose imaginative aiguë est le plus souvent spontanément résolutive ; mais les états sub-maniaques peuvent l’être aussi. La bouffée délirante aiguë peut l’être également comme nous le voyons.

       Pour Ernest Dupré et Benjamin Logre avec lequel il a beaucoup travaillé, le délire d’imagination est la forme la plus courante des paraphrénies.

       Dupré classifie différents états dans son étude clinique. Ce qui nous retient dans notre travail ce sont les délires d’imagination aigus essentiels, c’est-à-dire ceux qui n’accompagnent pas un état morbide sous-jacent. En fait ceux qui ne sont pas dans le cortège de symptômes d’une psychose avérée mais qui surgissent de façon inopinée, sans affection primitive saisissable, mais de façon privilégiée chez l’hystérique. De quoi discuter sur le caractère psychotique de l’affaire ajouterai-je.

       Il y repère à la fois un certain impossible à dire dont le délire est la manifestation et le désir d’être quelqu’un d’autre, on pourrait même préciser d’être quelqu’un tout court, avec une implication massive du corps, complaisance plus que conversion. Ce qui est adressé à l’autre dans le discours sont des révélations dans une intension séductrice et valorisante avec à l’appui une filiation imaginaire toujours noble, dans le but d’être reconnu de l’autre à qui on s’adresse, qu’il soit un ou multiple. S’agit-t-il d’emprunts ou de création ? C’est difficile à démêler. On y repère des thèmes de mythes fondateurs, des thèmes de gestes héroïques, le tabou de l’inceste et quelques horreurs de contes pour enfants et également des éléments disparates actuels ou anciens présentés comme d’authentiques souvenirs d’enfance.

       Ces délires aigus naissent par intuition, par inspiration, les éléments de fabulation sont empruntés au milieu extérieur lui-même, au monde réel, avec ajout ou rejet. Ce qui est le plus remarquable est le caractère extemporané de la fabulation, de l’invention, de la suggestibilité, du mensonge, accompagné d’une crédulité sans le moindre esprit critique. Ils ont le plus souvent une tonalité macabre, aventureuse dans un contexte de filiation fictive à caractère mégalomaniaque.

       La participation corporelle se manifeste par de fréquents accidents hystériques, attaques, spasmes, contractures, attitudes passionnelles, états léthargiques ou cataleptiques. A la mythomanie psychique se surajoute une mythomanie corporelle, voire une pathomimie.

      Ces manifestations délirantes sont compatibles avec une clarté de perception, une lucidité de la conscience, une persistance de l’activité intellectuelle, une activité professionnelle et une vie banale et commune sans comportement pathologique.

       Bref, ce qui caractérise ce discours est son surgissement, sans intention de tromperie, malgré la personne qui l’énonce, mais auquel elle donne immédiatement son adhésion. Ce discours est autant une révélation à elle-même qu’à l’autre à qui il est adressé. Ce dernier élément n’est pas explicite chez Dupré, mais c’est bien ce que j’ai pu observer.

       On y pense assez peu ; ce qui fait que lors nous le rencontrons nous restons assez perplexes et sur le diagnostic sous-jacent et sur la structure. Voilà ce que cela peut donner : ce que j’ai pu observer chez une patiente il y a 20 ans.

J’ai relu mes notes. Je l’avais vue une première fois pour une prescription. Puis ensuite régulièrement.

« J’ai fait un gros travail d’analyse avec le Dr R…, je ne sais pas pourquoi elle ne veut plus me donner de rendez-vous, elle dit qu’il faut que je vous voie maintenant, j’aimais tellement le Dr R., j’ai pris les médicaments que vous m’avez donné quand le Dr R., a demandé à ce que je vous voie il y a deux mois, cela n’a pas fait grand-chose, je dors mieux peut-être. »

       Appelons – là Mme Fabienne D. Elle se dit extrêmement fatiguée, sa tête se penche en arrière, ses yeux se ferment, son cou se tend, sa main droite se met frénétiquement à tapoter sa main gauche, sa figure devient très rouge, des larmes jaillissent de ses yeux : « il a tué le bébé, il l’a découpé avec un grand couteau », elle se met à haleter, « il a tué lalie comme il a tué ma jumelle. Ma maman venait d’accoucher, elle était sous la table, elle avait mis ses pieds contre les pieds de la table pour pousser, elle tenait les autres pieds de la table avec ses mains. Le bébé était sorti, les deux sont sortis. Quand l’assistante sociale est venue, quand Joséphine l’a appelée, sa mère a dit de ne rien dire, elle me tapait tout le temps, pourtant il y avait encore du sang sous la table, c’était mal lavé. La dame a dit : Fayenne il faut tout dire. » Mais je ne pouvais pas ». Elle m’a demandée aussi les choses que me faisait mon papa, « suce, salope » qu’il me disait, « et ne dit rien à personne ». Il me touchait tout le temps.

– Vous me dites que vous avez assisté à tout ça et subi tout cela ?

– Oui, Joséphine au château, c’est en fait ma maman, elle disait à ma mère, « il faut bien traiter Fayenne. Il faut lui apprendre les choses. 

– Quel âge aviez-vous quand cela s’est passé ?

– J’étais toute petite, je ne m’en souviens pas, c’est ma psychanalyste qui a fait revenir tout cela, je ne le savais pas avant.

– Vous me dites que votre père a tué votre sœur jumelle ?                                                                                            

– C’est ce qui est venu dans ma psychanalyse, c’est là que j’ai compris que j’avais une sœur jumelle que mon père a coupé en morceau, ma sœur aussi a une jumelle, elle a été tuée aussi et enterrée comme les autres.

– Beaucoup de jumelles, tout ça.

– Je vois que vous ne me croyez pas, pourtant, c’est vrai, avant je croyais qu’une petite fille parlait en moi, maintenant je sais que c’est ma jumelle qui est morte qui me fait parler. »

– Il y eut plusieurs entretiens de ce type, entretiens relatant toutes sortes de maltraitances et de sévices. Entretiens brefs car il n’était aucunement nécessaire de prolonger les attitudes et les gestes corporels dont le caractère masturbatoire n’échappe à personne. 

       Le docteur R. n’avait plus souhaité poursuivre les entretiens avec cette patiente, le caractère délirant des propos tenus lui avait semblé incompatible avec la profession de Fabienne D., nourrice agréée, chargée d’une petite Coraline alors qu’elle désignait sa « jumelle » trucidée par le père de Caroline. Elle avait souhaité le relais d’un psychiatre pour un traitement médicamenteux approprié auquel s’est très bien pliée la jeune femme. Cette prescription avait atténué le caractère parfois dépressif de ses propos ainsi que ses angoisses sans pourtant éliminer le délire qui les accompagnait.

       Le processus délirant laissait peut-être entrevoir une vérité annonciatrice d’une possible catastrophe tant était grande la force persuasive du discours. J’acceptais alors de tenir ma position de psychiatre sans pour autant laisser de côté celle de l’analyste.

       Au fil des entretiens est apparu dans son discours la participation de tous les objets de mon bureau authentifiés comme des personnages chargés d’authentifier ses dires, dires qui avaient un certain rapport avec des contes de fée (faits ?) où son père pouvait représenter l’ogre, la mère une marâtre ou une sorcière et celle qu’elle appelait sa « vraie » maman, Joséphine ( un feuilleton télévisé se diffusait qui s’intitulait « Joséphine ange gardien) qui la protégeait, veillait sur elle contrairement à sa génitrice, la chatelaine du château dont elle serait l’héritière. Après tout cela aurait pu être une façon imagée de parler de faits réels avec une sorte d’incapacité à procéder autrement. Mais il n’en était rien.

       La patiente donnait l’impression de construire cette histoire et ses souvenirs avec force séduction dans des déclarations d’amour à mon égard avec souhait de passer ses journées avec moi, passant du vousoiement au tutoiement et au parler bébé pour parler d’elle à la troisième personne comme si c’était moi qui s’adressait à elle. Ses larmes coulaient abondamment, tant était forte la charge émotionnelle. Ce qui était étonnant est que tout s’arrêtait net dès que je déclarais l’entretien terminé, sans en faire le moindre commentaire. Invariablement ses derniers propos étaient pour me demander si son rimmel avait coulé.

       Cette jeune femme était bien mise de sa personne, sans ostentation, avec goût, elle est mariée avec homme de dix ans son cadet, c’est elle qui mène le couple qui règle une sexualité absente en étant une bonne cuisinière et en confectionnant souvent pour ce jeune époux du tiramisu (sic) !

      Elle est tout à fait sérieuse dans son travail, j’ai pu l’observer lors d’entretiens où j’ai accepté la présence de la jeune enfant dont elle avait la garde en tant qu’aide maternelle, pour ne pas la priver de ses séances auxquelles elle tenait beaucoup et aussi pour observer son comportement. J’ai eu affaire alors à une femme attentive, mesurant ses propos, très vigilante envers cette jeune enfant de 18 mois, souriante, confiante et détendue.  Fabienne D.  n’avait oublié ni biberon, ni doudou, ni les jouets favoris. Cette séance et une autre du même type lui donnent l’occasion de parler de son désir de devenir aide puéricultrice, et des stages de formation qu’elle suivait avec assiduité et de discuter d’éléments fort bien assimilés.

       Sinon ses entretiens suivants étaient plutôt ceux d’une hystérique bon teint avec ce souci d’enrichir son récit d’extravagances, d’incohérences, à en rechercher des preuves matérielles qui lui revenaient sous formes de démentis dont elle n’avait que faire. Sa psychanalyse (elle n’était nullement sur un divan) lui faisant découvrir tout ce qui pour elle était caché ; La règle principale n’était-elle pas de dire tout ce qui passait par la tête ! Elle ignorait auparavant tout ce qu’elle aurait à dire.

    En particulier elle étoffe son récit de souvenirs en évoquant un suivi psychanalytique par l’intervention de sa vraie maman Joséphine, la chatelaine dont elle devait être l’héritière mais dont l’héritage lui avait été soustrait par le frère de sa mère. Joséphine l’aurait confiée à Anna Freud elle-même. Avec Anna Freud des actes épouvantables se sont passés, elle devait avec elle observer la consigne de tout dire, et cela a eu pour effet de lui faire subir des actes sexuels horribles au niveau de tous les orifices possibles sur le divan avec toute la turpitude imaginable digne d’un roman pornographique de pédophilie. Joséphine s’est mise alors aussi à la protéger en disant « ce n’est pas bien de faire ça à Fayenne ». Je passe sur les descriptions très crument détaillées, polysémies incluses. Discours émis dans la sorte de transe corporelle décrite plus haut. Je n’ai éclaté de rire que lorsqu’elle a introduit dans les scènes mon propre père qui selon elle était psychanalyste et qui m’avait amenée à y participer lorsque j’étais tout enfant. Rire qui dans un premier temps l’a sidérée et la même faite rire puis l’a beaucoup fâchée risquant de compromettre la suite de la prise en charge. Je passe sur beaucoup d’autres éléments. J’ajouterai seulement qu’elle a produit un écrit absolument obscène de ce qu’il s’est passé. Je préciserai qu’elle a une sœur d’un an son ainée qu’elle active dans un discours organisant presque un délire à deux, avec laquelle on peut soupçonner des actes homosexuels actifs. Sœur prise est en charge par une de mes collègues, et comme Fabienne le souhaite pour elle-même, est nourrice agréée. 

       Aujourd’hui « Fayenne » va beaucoup mieux et n’a plus besoin du même mode d’expression en ce sens qu’elle a une meilleure maitrise de ses émotions et qu’elle est capable d’admettre une critique des éléments de son discours en les replaçant dans une chaine associative plus cohérente à la façon d’un puzzle. Une cohérence qui se rétablit à la fois par contiguïté et par similarité de son fouillis incompréhensible et déroutant.

      Qu’une idée de la psychanalyse soit impliquée dans le foisonnement d’idées délirantes chez Fabienne D. n’est pas anodin même si on y reconnait tout à fait la description clinique de Dupré. Celui-ci n’évoque nullement la moindre technique psychanalytique comme embrayeur, mais fait appel à des éléments de discours qui se tenaient dans l’environnement social de l’époque de ses observations.  En effet la patiente Fabienne aborde ses dires sur ce qu’elle subodore de la psychanalyse comme étant la révélation de faits cachés. Son délire se constitue en vertu de ce qui se diffuse dans le public qui serait que la psychanalyse est porteuse d’un savoir sur la vérité et sur le sexe, sur le mystère de l’origine et sur le réel. La question est un peu plus complexe. D’autant plus qu’elle tente d’y intégrer le savoir qu’elle tire de réunions de témoins de Jéhovah dont elle est adepte.

       L’édiction même de la règle fondamentale émet l’hypothèse, à juste titre, du savoir inconscient du sujet qui va se révéler et à l’analyste et à l’analysant – même si l’analyste est supposé savoir déjà- ce qu’il en est de l’inconscient et de ses productions. Le dispositif lui-même de la psychanalyse favorise cette création extemporanée au fur et à mesure des séances. On a plus l’habitude d’entendre parler de paranoïa dirigée à propos de l’acte psychanalytique que de production d’un délire d’imagination. On pourrait s’en étonner, mais il est vrai que la paranoïa, type celle de Sérieux et Capgras, est plus proche de notre fonctionnement mental commun par la réflexion qu’elle implique que le délire d’imagination. Pourtant je me souviens d’une remarque forte de Lacan dans un des Ecrits, peut-être dans La conduite de la cure où parlant de l’analysant, il s’exclame : « si au moins il pouvait s’arrêter de réfléchir » !

       Fabienne D., effectivement abolit tout jugement et tout esprit critique dans la production de son discours créant un délire qui n’est pas sans relation avec la création des mythes et des contes pour enfants et ce n’est pas l’article de Lacan sur Le mythe individuel du névrosé qui viendrait à l’encontre de cela. Elle s’appuie, il faut le noter sur sa qualité de témoin de Jéhovah.

       La présence de tout délire impose de rechercher cet autre phénomène élémentaire de la psychose qui est l’hallucination et qui, elle, signe la structure comme telle ; dans cette observation, jusqu’à ce qu’un démenti survienne ultérieurement elle est remarquablement absente.

       Ce qui est fondamentalement posé à travers ce type de clinique est : qu’est-ce qu’un délire ? N’est-il pas à la base même de la création de notre réalité, n’est-il pas de la même étoffe que la production des mythes et des contes ? Ils procèdent de façon égale de la tentative, qu’elle aboutisse ou non, de donner une explication et un sens à la question énigmatique de l’engendrement, confère Otto Rank, de la filiation et, par la même, de la sexualité humaine prise dans les rets du signifiant. Ils tentent de rendre compte par la mise en mots du mystère de la sexuation assortie de la castration qu’implique non seulement l’accès au langage mais l’acceptation des lois de la parole qui nécessite le refoulement pour échapper à la béance du réel et au foisonnement d’actes d’une sexualité prise sans limites dans des articulations jaculatoires de découpage du réel. Nous y entrevoyons le mystère de la connaissance par la parole et son échec même car la parole ne peut rien dire sur elle-même dès lors qu’elle est émise, refoulement ou pas.

      Ils procèdent de la nécessité de ce découpage pour en fournir le sens caché tout en fixant les interdits tel le tabou de l’inceste pour que puisse s’effectuer le jeu du désir et non pas la jouissance permanente et mortelle des corps qui ne peuvent s’atteindre que découpés en morceaux.

     Ils révèlent la nécessité d’un autre pour surgir et se développer, mettant en évidence que non seulement que l’autre y participe mais s’y construit tout autant.

       On y retrouve le caractère profondément érotomaniaque de la relation à l’autre dans une jouissance à partager où le désir de mort est à peine voilé. 

       La clinique de la paraphrénie s’y inscrit, le délire est inhérent au fait même de parler, de parler à un autre où toujours il y a en sous-jacence la problématique « lui ou moi ».

       L’insistance de Fabienne D. sur le caractère de vérité de son dire est tout à fait à entériner comme tel, à savoir comme un texte recélant un impossible à dire de sa place dans l’histoire de sa famille et de ce qui a constitué dans ce qui ne peut être dit sur la férocité des rapports familiaux et sociaux. Les différents analystes mis en scène par elle, les analystes et elle-même de concert, construisant le mythe qui pourra la sortir de l’impasse dans laquelle elle se trouve pour la constitution de son délire, dans le transfert que non seulement elle vit mais dont elle use en toute bonne foi pour déterminer ses propres contours. Elle constitue ainsi, sur le mode métaphorique, ce que la réalité nécessite de fabrication pour se faire admettre.

       Ainsi chaque élément d’un délire est à analyser comme chaque élément d’un mythe, à savoir comme une question universelle prise dans des signifiants particuliers pour l’assomption d’une histoire.

      Et de plus est réitéré ainsi le questionnement de Jacques Lacan sur le système de la transformation du signifiant dans les différentes manifestations du symbolisme que la psychanalyse a révélé dans le psychisme.

       Comme je l’ai déjà mentionné à quelques-uns, Fabienne a réussi à me retrouver il y a quelques mois, des entretiens téléphoniques ont lieu de façon hebdomadaire, par téléphone car cette patiente est retournée en Dordogne où elle entend terminer ses jours bien qu’elle soit âgé maintenant de 62 ans( née en 1960). Elle reprend quelques éléments de « sa psychanalyse » en reparlant de son histoire sans fioritures, de façon calme, elle a divorcé tout en restant en bons termes avec son ex-mari, son idéal vis-à-vis des autres est d’avoir des relations non conflictuelles, sa foi en Jéhovah la soutient en cela, son installation matérielle se heurte avec des voisins qui ont usé un peu frauduleusement des lieux qu’elle a loué et des problèmes de réhabilitation de ses lieux avec EDF et GDF  Situation banale. Elle se rend aux réunions des témoins de Jéhovah pour supporter ses désagréments et s’est rendu vers moi pour vider son sac.

       Manifestement, elle n’a pas évolué du côté de la psychose, sa façon d’être et de raisonner confirme qu’il n’y a pas de structure de psychose sous-jacente à ce qui relève du délire. Pourquoi a-t-elle été me rechercher ? elle a éprouvé le besoin de m’exposer ses tourments, des relations de voisinage conflictuelles Elle avait bien essayer de trouver quelqu’un à qui se confier car cet état de fait l’affecter beaucoup mais elle avait fui déçue d’ une écoute qu’elle a jugé défectueuse, prescription de médicaments, neuroleptiques, en faite j’ai compris qu’elle avait été classée en tant que paranoïaque. Elle eut la parade de se constituer un toit, un lieu en renforçant ses affinités avec les témoins de Jéhovah, communauté qui lui tient lieu de nom du père, pour revenir aux fondamentaux, mais qui se retrouve très bien dans pas mal de congrégations religieuses. Dans notre scepticisme ambiant, tout recours au religieux est entaché de suspicion, cela peut s’avérer mais ce n’est pas d’emblée à rejeter.

      Dans ce qui nous préoccupe aujourd’hui, de façon inversée, elle pose la question d’une évolution possible de la psychose vers la paraphrénisation. Freud avait noté chez Schreber des éléments de paraphrénie dans son délire tourné vers Dieu, J’avais évoqué cela chez Aimé F. dans la relation établie avec les objets. Tous deux avaient pu poursuivre leurs vies professionnelles, Pour Schreber cela ne l’a pas protégé de son effondrement, effondrement qui n’a pas eu lieu chez Aimée F. Cela pourrait démontrer que la paraphrénie n’est pas du registre de la psychose mais bien un moyen de se trouver une place dans l’Autre tout en conservant le pouvoir de l’imaginaire sur le réel. La paraphrénisation de la psychose peut donc être une issue possible à cette problématique de la place dans l’Autre à condition d’un étayage permanent par un autre qui prend la place et le lieu de l’Autre. Est-cela que va soutenir Michel avec son patient ?

       Je me permets de joindre à cette étude récente qui est un remaniement d’un travail précédent d’il y a une quinzaine d’année la discussion qui en a suivi, assez différente de celle qui a eu lieu le 4 février dernier.

DISCUSSION

Jacqueline Légaut :…Juste, je relevais à propos de cette question qu’elle te pose à l’issue des séances « Est-ce que mon maquillage n’a pas coulé ? » on peut se demander pour cette patiente en prononçant ces mots si elle ne te prends pas à témoin du fait que tout ce qu’elle a dit c’est de l’ordre du maquillage et qu’il y a là une façon de vérifier que tu as bien entendu. Et on peut se demander si dans ce déploiement de tous ces effets, il n’y a pas une tentative de séduction à l’endroit d’une autre femme que tu as ponctué par ce rire qui était si déterminant.

Nicole Anquetil : Oui, absolument. C’est-à-dire qu’elle met d’emblée quelque chose de l’ordre du transfert sur un mode séducteur et érotomaniaque. Et c’est aussi un petit peu ce qui avait effrayé le praticien avec qui elle avait eu à faire auparavant… C’était une femme également. Là il y a tout un tas de femmes mises en scène, les petites jumelles, une femme découpée en morceaux par un homme, elle -même susceptible d’être mise en pièces de fait, par le fric, par la prise en charge. Enfin, c’est quelque chose qui est en arrière-fond.

Jacqueline Légaut : Oui, mais enfin, on entend quand même qu’elle est en partie divisée par rapport à ce qui lui manque…

Nicole Anquetil : Oui, c’est bien pour cela qu’elle n’est pas dans la psychose.

Denise Sainte Fare Garnot : C’est moi qui ai la sœur, pas en analyse, en thérapie. Elle avait beaucoup insisté pour que je la prenne d’une manière itérative, parce que je n’étais pas pressée de le faire, elle habite dans l’Oise, tout semblait très difficile. Bon, puis je l’ai prise. Et évidemment la présence de la sœur est très importante. C’est elle l’ainée, de onze mois, et à un moment donné je me suis vraiment demandé si ce n’était pas une folie à deux parce qu’elle s’est mise aussi à raconter n’importe quoi : les fleurs qui parlaient, chaque fleur avait un nom, une couleur, et les couleurs lui parlaient, enfin, c’était…, j’ai un peu stoppé ça d’ailleurs. L’ainée est sous la domination complète de sa cadette et me raconte les histoires que sa sœur a découverte dans sa psychanalyse, mais puisque c’est sa psychanalyse, c’est forcément la vérité, et donc chez moi j’ai droit à l’écho des séances qui se passent chez Nicole avec une espèce de mensonge qui apparait dès les premiers mots qu’elle maintient, elle pleure, des sanglots épouvantables à ameuter le voisinage, puis ça s’arrête tout d’un coup, puis elle part, ça va bien. Elle veut m’embarrasser bien sûr. Voilà, c’est le genre d’écho de cette psychanalyse que j’ai, pas sur mon divan, bien sûr, en face à face.

Marcel Czermak : Je me rends parfaitement compte de ce type de cas, effectivement isolable, chez les uns et les autres l’idée d’une virtualité hystérique, et y compris, puisque Jacqueline vient de le faire, ce qui y serait là présent comme de l’ordre d’une séduction. Ce n’est pas facile de savoir ce que c’est qu’une séduction voire une virtualité érotomaniaque, mais enfin, si on fait précisément la systématique, je vais me permettre de le faire puisque ce sont des cas que j’avais précisément essayer d’isoler comme étant l’un des pôles de la psychose et que j’avais caractérisé comme étant des pôles d’un imaginaire sans moi. C’est-à-dire des personnes qui produisaient des formations extemporanées, labiles, inconsistantes, et qu’en somme on avait affaire à des gens, dont en aucun cas on pouvait dire qu’ils déliraient – le terme de délire parcourt notre réunion depuis hier – mais qu’il s’agissait de formations imaginatives sans spécificité à proprement parler psychotique. Et qu’au surplus, elles pouvaient aussi bien être bazardées d’un instant à l’autre. En d’autres termes, on avait affaire là à des patients dont on peut dire qui n’ont aucun sérieux. Je veux dire que c’est le comble de la maladie mentale puisqu’on évoquait la question du maquillage, enfin de l’habit. Moi, je me souviens d’une patiente, elle se prenait pour un torchon, c’est-à-dire qu’elle s’offrait à habiller tout ce qui passait à sa portée, et pourquoi pas le thérapeute ? Je crois que c’est un pôle tout à fait fondamental d’une psychose, qui est régulièrement raté parce qu’il passe inaperçu.

Des gens sans cristallisation aucune et avec lesquels on ne sait pas à quoi s’attendre, alors ça l’issue… ?  S’il y en avait une ou s’il y en a une, c’est une cristallisation paranoïaque sur quelqu’un, transférentielle, cristallisation en tous cas…Donc c’est un type d’être assez étrange puisqu’il se balade et se sont de purs habits, des porte-manteaux. C’est un pôle que nous ne devons pas seulement à Dupré, hier on évoquait Kraepelin, les paraphrénies confabulantes de Kraepelin, c’est de ce tonneau. Enfin sur la doctrine, c’est ce qu’on fait de mieux en matière de maladie mentale.

Nicole Anquetil : Oui, moi ce que je peux constater cliniquement, du moins dans tout ce qu’elle a amené et dans l’évolution même de son discours, c’est-à-dire chaque point qu’elle amène, qui est organisé comme ça de façon délirante, à partir de chaque point on peut relever, on peut donc remettre en place les signifiants, ses signifiants à elle. C’est-à-dire, par exemple, pour la question de Joséphine, Joséphine sa « vraie maman » qui a un château, une fois la phase terminée des grandes des grandes manifestations somatiques et l’effusion de son discours, nous voyons que ce qui est en train de se mettre en place dans la cure, en prenant un à un chaque élément, ce sont des éléments de sa propre histoire ; ils s’y intègrent parfaitement. On apprend que F. a travaillé dans le Lot et Garonne (elle y habitait dans son enfance), à l’âge de 20  ans dans un château et sa sœur lui aurait fait remarquer ceci : « quand tu travaillais dans ce château on aurait dit qu’il t’appartenait ». Pas tellement loin il y avait le château de Joséphine Baker qu’elle admirait beaucoup avec l’adoption de tous ses enfants. Donc ça avait cheminé finalement dans son esprit « peut-être que mon sort aurait été bien meilleur si j’avais été adopté par Joséphine Baker, dans le sens qu’elle reprochait à ses parents un manque d’amour et une férocité dans la façon dont ils l’ont éduqué, elle les reniait en quelque sorte pour les maltraitances subies. C’est-à-dire que l’on repère les éléments d’une historisation dans ce qu’elle jetait pèle mêle pour nourrir « son analyse ».

Bernard Vandermersch : il y a un aspect également dans ce cas qui est un peu particulier, c’est l’espace de la séance auquel sont réservées ces productions. Ce n’est pas quelque chose qui envahit toute sa vie, ce n’est pas quelqu’un qui est en perpétuelle création de délire imaginatif avec tout le monde, c’est réservé à l’espace de la séance. C’est une utilisation assez curieuse de la séance puisqu’il semble qu’à un moment donné il n’y a plus aucun écart entre l’imaginaire…, comme si elle oubliait d’indiquer l’index du conte, elle ne parle plus au passé simple.

Voilà, c’est pour ça que je ne suis pas sûr qu’on puisse parler d’une psychose sans moi.

Nicole Anquetil ; Moi non plus, je ne suis pas sûre du tout.

           

Une équivoque xénopathique, Michel Jeanvoine

Collège de Psychiatrie

Samedi 4 février 2023
Journée d’étude sur
« Les paraphrénies. Paraphrenisation ? » 

 

Une équivoque xénopathique 

Je ne vais pas reprendre ce qui s’est très bien dit ce matin sur cette plus ou moins vaste question. Tout est fonction du zoom avec lequel nous l’abordons et de la passion classificatoire qui peut animer le clinicien. Ma réflexion de ce matin part d’un constat assez simple, un constat de clinicien, à savoir celui-ci: un tableau clinique s’élabore avec les propos d’un patient adressé à un clinicien. C’est-à-dire, ce que nous avons déjà amplement développé, que le clinicien appartient au tableau. Ceci est un premier point à toujours rappeler. La clinique est freudienne, lacanienne, … C’est-à-dire rappeler qu’avec l’adresse les enjeux du transfert sont toujours à la commande.

Et la question suivante vient alors immédiatement à l’esprit, en quoi et comment un tableau clinique est susceptible de se transformer, car ceux-ci se transforment et évoluent, même si cette transformation se tisse autour de quelques fils initiés dans un premier moment que nous pourrions appeler fécond. Et en quoi le transfert pourrait-il être de la partie? Ma question d’aujourd’hui est celle des conditions de cette transformation qui ne conduit pas, ici, vers un état déficitaire, cette fameuse démence, mais vers un état de pacification qui peut prendre des allures variées à couleur interprétative, paranoïaque, imaginative, fantastique, voire confabulante …. Vous reconnaissez là les différentes catégories de notre sémiologie des paraphrénies mais avec ceci, c’est qu’après un moment dit fécond la chronicisation active engagée peut se faire, dans la pleine conservation des capacités intellectuelles et cognitives du patient, vers un état de pacification progressif. D’où le terme proposé de « paraphrenisation », ou que nous pouvons proposer, pour caractériser ce travail. Quels en seraient alors les enjeux ?

Si tout parcours de ce type commence le plus souvent par une effraction xénopathique, dont nous pouvons à chaque fois, avec le patient, en reconstruire les coordonnées symboliques – ce que nous appelons l’entrée dans la psychose – il peut arriver régulièrement, ou pas , qu’un nouveau moment fécond, voire plusieurs, viennent le rythmer. Occasion pour donner un peu mieux à lire comment ces coordonnées symboliques sont toujours actives, et surtout comment le savoir-faire du patient a pu se développer dans ce type de situation critique, et comment celui-ci peut participer activement à cette pacification. Ce sont donc de nos patients qu’il nous faut apprendre. Et nous comprenons peut-être un peu mieux pourquoi il importe de rappeler que le clinicien participe non seulement du tableau clinique mais de l’invention possible ou pas, d’un savoir-faire. 

1921, Paul GUIRAUD publie son article, désormais célèbre, intitulé « Les formes verbales de l’interprétation ». Il fait le constat, après SÉRIEUX et CAPGRAS, de la présence quasiment constante, et tout spécialement dans le mécanisme même de l’interprétation, mais pas seulement, de jeux verbaux comme le rébus, le double sens des phrases ou des mots, des jeux de mots… Il en relève la fréquence, l’importance, sans pour autant aller au-delà. Dans son article, Paul GUIRAUD apporte de nombreux exemples cliniques. Et il peut conclure que les quelques caractéristiques des interprétations verbales sont, tout d’abord, la polarisation de l’association de mots par l’état affectif, et la perte localisée du sens critique, en pointant un essai d’harmonisation entre la nouvelle certitude affective et l’intelligence. La présence d’une activité hallucinatoire résiduelle, d’une exaltation morbide, voire de l’influence, peut se développer, en empruntant l’image employée par Paul GUIRAUD, tel un néoplasme psychologique habillé par les néologismes, les jeux de langage… 

Ce constat tous les cliniciens attentifs le font avec régularité. LACAN s’y arrêtera et pourra même s’appuyer sur les remarques cliniques, très justes, mais trop courtes de Paul GUIRAUD.

En ce qui nous concerne, comment pouvons-nous lire ces manifestations et quel statut leur donner ?

J’avais pu faire, il y a bien longtemps, un premier travail sur cette question, intitulé « De l’hallucination à l’interprétation », 1993 – vous le trouvez, avec d’autres textes, dans « Parcours d’écriture(s) « – où j’étais sensible à la dimension topologique à l’œuvre dans la construction d’une nouvelle réalité, comme le suggère FREUD dans ses commentaires sur les Mémoires du Président SCHREBER. Je faisais référence à la bande bilatere à double tour (BB2T, celle qui, par recollement donne une bande de Moebius) pour rendre compte de l’organisation structurale du délire schreberien en un dualisme (et non pas dualité) . Et je pouvais alors montrer comment ses interprétations, dites délirantes, relevaient d’un même montage topologique, commandé xénopathiquement. Tout semble donc se passer comme si un certain savoir-faire, dont nous pourrions rendre compte topologiquement, opérait, depuis la très bruyante irruption initiale, et xénopathique, de l’hallucination verbale jusqu’aux manifestations les plus fines de l’influence et de l’interprétation. Il y a là, dans l’évolution d’un tableau clinique – évolution, cependant, que nous ne rencontrons pas toujours, mais habituelle – il y a là un processus de pacification, une manière de faire avec ce qui s’impose et ainsi l’aménagement progressif d’une place dans un tissu social. Là où les coordonnées symboliques évoquées l’avaient introduit à une situation où il s’était avéré qu’il n’y avait pas d’autre recours pour lui que tomber dans le trou qui s’ouvrait, un maelström emporte alors son imaginaire. Avec le consentement à ce qui s’impose à lui, et vient faire écriture d’un nouveau bord, un savoir-faire s’invente. Avec l’assomption de ce consentement, et le savoir-faire qui en tombe, une nouvelle réalité se construit, certes délirante, mais une réalité. Celle-ci possède cette caractéristique d’être toujours au travail, sans cesse en construction, et sans le poinçonnage dont le névrosé se soutient avec son symptôme défensif. Si le tissu de cette réalité « délirante » a toujours comme fil la consistance de ses premiers autres xénopathiques, dans leur entre-deux, prend place, s’élabore et se loge progressivement la dimension de l’énigme. Et la progressive civilisation de son monde se fait du même pas, et au même rythme que cette progressive mise en place.

Une énigme de nature xénopathique !
Une énigme qui cherche son bord, pourrait-on dire,et un bord tout à fait singulier puisqu’en dernier ressort c’est du jeu même de la lettre que celui-ci se constitue.

Examinons ce mécanisme, toujours identique à lui-même. En voici un exemple.
Une patiente est reçue par Paul GUIRAUD dans son bureau. Sur celui-ci se trouve disposé un bouquet de dahlias mis en place par l’infirmière. La patiente pourra évoquer un peu plus tard, en interprétant la présence de ces fleurs, les menaces de mort manifestes dont elle fait l’objet… Tout semble se jouer dans le passage de la parole à l’écrit : en effet comment ce « dahlias » présent sur la table, nommé par la patiente, peut-il se décliner dans l’écriture ? « dahlias » / « dalle il y a ». Tout se passe alors comme si le persécuteur pouvait habiter ce « dahlias », et ainsi ce bouquet faire signe et faire résonner ses menaces. C’est par l’écriture que cette double déclinaison s’ouvre, lieu d’un entre-deux où cette énigme prendra progressivement corps, donnant un instant à la patiente un lieu où habiter. Elle se fait l’énigme. Là est un savoir-faire qui s’impose et la commande par ce trait qui fait bord, et qu’elle ne peut que faire sien. Un double bord, une double boucle dont nous pouvons rendre compte par cette bande bilatere, qui cherche à se boucler en trouvant un destin moebien. Opération à réitérer cependant, car cette néo-coupure qu’elle vient habiter ne peut avoir le statut d’un véritable poinçonnage. L’énigme dont elle se soutient n’a aucunement le statut d’un impossible.

Nous pourrions évoquer en cet endroit les travaux de Claude-Levi-Strauss sur la structure du mythe. Le travail de paraphrenisation, si nous adoptons ce terme, semble posséder les mêmes caractéristiques qu’un mythe: un être verbal, en développement concentrique, avec en son cœur une énigme, et qui se présente dans une structure feuilletée. Comme si la réalité du patient était dédoublée, possédait, au delà de celle qui se présente, une autre dimension, qui peut prendre des dimensions les plus diverses,imaginatives, fabulatrices ou confabulatoires, fantastiques… 

Une même condition entre mythe et psychose: pas d’énonciation collective et pas d’énonciation qui spécifie un sujet parlant. C’est alors le bord, avec sa consistance, qui donne corps, soit le lieu sacré des origines avec le mythe, soit l’autre xénopathique chez ce patient en mettant en place le lieu d’une énigme. Ce patient ne peut qu’en faire la radicale épreuve, là où, équipé du refoulement, nous sommes en mesure de ne rien vouloir en savoir au prix masochiste du symptôme. 

N’êtes-vous pas saisi par la proximité, manifestée ici, avec les propositions freudiennes sur la psychopathologie de la vie quotidienne ? Son analyse du mot d’esprit, par exemple ?

N’êtes vous pas saisi par la proximité, manifestée ici, avec la construction du symptôme ? Construction qui ici échoue, et ne peut que se répéter, avec un peu plus de finesse et précisions. La ponctuation n’est pas un poinçonnage. 

Le symptôme, si nous suivons FREUD avec LACAN, peut se lire comme le retour d’un élément refoulé, voire, plus précisément, du refoulement lui-même, où l’analysant peut lire son propre message qui lui vient de l’Autre. Si nous reprenons, à titre d’exemple, cette même séquence, ce « dahlias » occupe un bord, celui du « je », et ce « dalle y a » sur un autre bord, le bord indexé de « l’autre » d’où lui vient son message. L’interprétation lacanienne, en pointant la répétition, conjoint ces deux bords en révélant leur homogénéité insoupçonnée en les mettant en continuité. C’est le travail même sur et avec l’équivoque. C’est ainsi que, par cette mise en continuité, se dénoue ce qui s’est noué par la parole. Un espace temps fantasmatique retrouve sa dimension signifiante. L’objet, en exclusion, s’avère en exclusion interne: le sujet y reconnaît son message inconscient. Nous en avons là un exemple. La remise en jeu de ce signifiant dans le travail d’une cure lève le Réel du symptôme en en dissolvant le bord et en proposant, de fait, un nouveau bord, une nouvelle écriture. Mais il importe de remarquer que ce type d’interprétation, l’interprétation lacanienne, ne porte aucunement sur le sens à donner à ce qui surgit sur un bord en proposant, de fait un nouveau mythe, mais relève d’une scansion mettant au premier plan ce lieu d’un entre-deux qui commande et qui ne trouve consistance qu’à se donner ces deux bords en opposition, la double boucle. 

Dans ces deux situations nous rencontrons la sollicitation de l’équivoque, mais sur des versants opposés.

L’une, avec l’interprétation, lacaniennne, de l’analyste, dans ses effets inconscients et automatiques, qui surprend le sujet et le déplace,avec ses effets d’après-coup. Qui va d’un poinçonnage à l’autre.

Et l’autre, avec l’interprétation délirante et son équivoque où un savoir-faire, s’impose, dont le patient ne peut que s’accommoder. Ici, pas de véritable poinçonnage, seulement une place faite à une énigme xénopathique qui ne cesse pas de ne pas s’écrire et dont un patient est le produit. Patient qui vient valider auprès de son thérapeute le lieu de cet entre-deux, la doublure qui lui donne corps. Un objet en exclusion externe, internalisé par cette validation, pourrait-on dire, si par le sens, en bon lacanien topologue, il peut ne pas être emporté. Là est sa responsabilité d’analyste. 

Avec ce travail de pacification fondé sur la néo-coupure, la réalité du patient prend alors une possible configuration que nous connaissons bien. À savoir le sentiment d’être habité par une mission vectorisant son monde. Celle-ci peut être soutenue par une élation plus ou moins vive, toujours associée à une mégalomanie plus ou moins latente.

La clinique, mais pas seulement, le champ de la littérature aussi, n’est pas sans nous apporter sur ces mécanismes des éclairages saisissants. Comment lire JOYCE, en effet, et son parcours avec NORA, qui l’amène à réaliser, « dans la forge de son âme, la conscience incréée de sa race », réalisant ainsi sa mission en devenant le plus grand des écrivains. Et faut-il rappeler la place grandissante, dans son œuvre, faite à l’équivoque, par le jeu de mots, le jeu de l’entre-deux langues, jusque dans Finnegans Wake, son dernier livre et le plus abouti, pourra-t-on dire… Comme si son œuvre était emportée par le torrent d’une énigme dont elle ne pouvait que se nourrir ! Mais nous sommes ici dans la littérature, et l’expérience semble bien montrer que la civilisation de certains processus par un savoir-faire n’est pas sans effets et conséquences.

Ainsi, avec nos patients, il apparaît que cette pente qui s’ouvre, depuis les premiers temps bruyants d’une entrée dans la psychose, tisse un parcours que nous pourrions qualifier de « paraphrénisation ». Chaque histoire est singulière, faite de toutes les rencontres contingentes, chaque parcours est singulier, et ouvre un chemin spécifique. Mais serions-nous à même, à chaque fois, d’y lire la mise en jeu d’une logique qui s’impose et qui n’est autre, que la logique du signifiant ?

Peut-être serions-nous plus à même, alors, d’entendre ce que LACAN nous disait dans son séminaire sur « Le sinthome », en disant que nous étions tous parlés, mais que notre statut de névrosé nous le faisait ignorer. Nous ne voulons rien en savoir. Seul le psychotique en fait l’épreuve, sans avoir à son service le refoulement inconscient pour s’en défendre en construisant un symptôme. Là peuvent se lire les effets et conséquences très concrets de ce que LACAN avait pu nommer en son temps, la forclusion du Nom du père, signifiant essentiel à une prise dans l’ordre du signifiant.

La clinique de la psychose nous est donc très précieuse. Et comment aborder de la juste manière celle de la névrose sans cet éclairage ? 

Pour conclure, une question se pose, celle de ce que pourrait être une « psychothérapie des psychoses ». Après ce parcours que je viens de vous proposer, il nous faut rester très modeste. Cette pente qui conduirait un patient à prendre un peu mieux sa place dans le tissu d’une communauté, pourrait quelquefois, donner le sentiment que celle-ci se fait au  » petit bonheur, la chance ». 

Les patients que nous recevons, avec la bonne prise en compte du transfert, s’engagent-ils plus facilement dans cette voie ? La question mérite d’être posée.

Et en quoi, et comment, le juste maniement du transfert pourrait ouvrir, pour un patient, avec un peu plus d’appétence, cette pente ? 

Et quelles autres issues à une possible « psychothérapie des psychoses » pourrait-on mettre en œuvre? Et s’il y en avaient, quelles seraient-elles ? Nous en resterons sur ces questions ce matin.

Michel JEANVOINE

WEB’Séminaire février 2023 – Paraphrénies. Paraphrénisations?

Web’ Journée Nationale d’étude

Samedi 4 février 2023

de 9 heures 30 à 16 heures 30

 

« Les paraphrénies. Paraphrénisation»

Au-delà de l’entité clinique, la paraphrénie, qu’ont pu identifier et décrire nos prédécesseurs, peut-on considérer que le mécanisme imaginatif et productif du délire peut être une évolution possible de la ou des psychoses, en particulier lorsque le sujet s’engage dans un travail thérapeutique. Quels effets produisent la rencontre avec un analyste à l’écoute de leur parole? Quels sont les matériaux cliniques qui nous orientent? Que peut-on en faire? Comment éviter une évolution possible vers un syndrome de persécution en repérant la fonction d’étayage que le délire peut avoir pour s’assurer une place dans l’Autre qui le maintienne en vie et dans son rapport au social?

Programme

 
Samedi Matin :

   Présidente de séance : Marie-Hélène PONT-MONFROY 

   Discutants : Jean-Marc FAUCHER et Jean-Jacques LEPITRE

9h30    Marie-Hélène PONT-MONFROY : Introduction  

9h50    Nicole ANQUETIL : « Elaborations sur la Paraphrénie » 

11h30   Michel JEANVOINE : « Une équivoque xénopathique »

Samedi Après-midi :

   Présidente de séance : Pascale MOINS 

   Discutants : Bernard DELGUSTE et Alain HARLY

14h30   Frédéric SCHEFFLER : « Arno : “ j’ai un trouble bipolaire“ ».

15h30   Pascale MOINS : Conclusion  

à 16 heures 30

ASSEMBLEE GENERALE DU COLLÈGE DE PSYCHIATRIE

Réservée aux membres à jour de leur cotisation 2022 ou souhaitant devenir membre en 2023

Adhérer au Collège de Psychiatrie est une manière de soutenir son action de réhabilitation de la clinique.

Cotisation 80 euros.

 

Jean GARRABE, « Les leçons cliniques dans les sciences de l’esprit : approche historique »

Les leçons cliniques dans les sciences de l’esprit :

approche historique.

Jean GARRABE

 

     Michel Foucault a fort justement sous-titré son Histoire de la clinique « archéologie du regard médical ». C’est en effet la méthode de l’observation au lit du malade – n’oublions pas que clinique vient du grec kliniké techné «  médecine exercé au lit du malade » dérivé de klinikos,  « qui concerne le lit » –  des phénomènes pathologiques que sont les symptômes et leur interprétation comme signes  d’une maladie  qui permet d’en faire le diagnostic et de déduire de celui-ci le traitement adapté à la personne qui en souffre. Je vous propose d’explorer les couches archéologiques modernes  de cette médecine  clinique.

      Sous l’Ancien Régime l’enseignement donné dans les Facultés royales de Montpellier et Paris était purement théorique et se bornait à  des cours scholastiques donnés en latin  du haut d’une chaire  et sans que les professeurs donnent aux étudiants des leçons au lit du malade. La seule science d’observation enseignée dans ces facultés prestigieuses était la botanique et elles avaient chacune  pour ce faire un magnifique  Jardin des Plantes. Les premières classifications des maladies se sont faites more botanico.

     Ce n’est qu’à partir de la Révolution que des maîtres comme Corvisart à l’ancien hôpital de La Charité ou à celui militaire du Val-de-Grâce donnent des leçons cliniques à leurs élèves en examinant devant eux des malades. Souvent les assistants prennent  pendant l’examen des notes qui seront ensuite publiées sous le titre Leçons cliniques. Philippe Pinel, nommé en même temps professeur de pathologie médicale à l’Ecole de Santé  créée pour remplacer l’ancienne faculté royale abolie par la Convention  et médecin-chef à la Salpêtrière examine de la même manière des aliénées avec ses premiers élèves Landré-Beauvais  et J .E.D. Esquirol. Ceci lui permettra à partir de l’An IX  de distinguer et de décrire des variétés d’aliénation mentale qu’il décrit dans la 2ème édition (1809) de son Traité Médico-philosophique sur l’aliénation mentale qui a été corrigé par rapport à la premières  en fonction des constatations cliniques  faites  au cours de ces leçons. C’est là l’exemple d’un traité qui n’est pas purement théorique  même si Pinel y formule une théorie de l’aliénation mentale, mais qui  s’appuie sur les constatations faites lors de l’examen clinique du malade, qui essentiellement ce que dit celui-ci sur l’origine de ses troubles. C’est le fameux dialogue avec l’insensé, ancêtre de la psychothérapie verbale. Pour Georges Lantéri-Laura c’est là le premier paradigme de la psychiatrie moderne, celui de l’aliénation mentale.

     Entre les deux éditions du Traité Pinel publie en l’an VI la Nosographie philosophique ou La méthode de l’analyse appliquée à la médecine dont on les historiens datent la naissance de la médecine clinique moderne.

     Pinel signale  en 1809  que son élève Landré-Beauvais publie cette même année sa Séméiotique ou Traité  des signes des maladies. C’est Landré- Beauvais qui lui succédera  à la fois comme professeur de pathologie à la Faculté et comme médecin-chef à La Salpêtrière. Il devait être meilleur élève qu’Esquirol qui est pourtant plus connu que lui, ou plus respectueux de l’enseignement donné par son maître mais son livre qui aura trois éditions sera utilisé pendant tout le début du XIXe siècle pour enseigner aux étudiants en médecine cette nouvelle science des signes. Nous lisons dans l’introduction : « L’enseignement de la médecine clinique, qui est devenu presque général a la fin du siècle dernier, a ramené naturellement à une étude plus suivie et plus judicieuse des signes des maladies. Le professeur qui doit apprendre à reconnaître au lit des malades et à traiter les nombreuses altérations qui surviennent dans notre organise, commence par fixer les sens de ses élèves sur les phénomènes morbides ou symptômes des maladies… il fait distinguer ceux qui sont caractéristiques des maladies, et qui peuvent éclairer sur l’état présent ou futur des maladies. Cette première partie de la médecine clinique, … , était assez négligée, lorsque le professeur Pinel voulut bien, il y a dix ans, m’associer à son enseignement particulier de la médecine clinique » (P. xviij). Cet enseignement particulier est celui des leçons cliniques que Landré-Beauvais cherche ensuite à faire acquérir à ses propres élèves. Dès l’introduction  Landré-Beauvais distingue les phénomènes, les symptômes et les signes et surtout il examine « quelle est la fonction de l’entendement par laquelle un symptôme qui ne frappait que les sens acquiert une signification, et devient un motif de juger de l’existence d’une chose cachée. Cette opération consiste dans recherche du rapport qui unit le symptôme signifiant avec le phénomène signifié, et cette recherche se fait de plusieurs manières : par l’observation physiologique, par l’observation clinique et par l’anatomie pathologique e par l’anatomie » (p.4). Cette expression du  rapport du signifiant et du signifié sera reprise par Ferdinand de Saussure dans son cours de linguistique structurale et ensuite en psychanalyse mais son origine est celle de la séméiologie médicale.

      Dès sa nomination comme médecin-chef des admissions à Sainte-Anne en 1867 Valentin Magnan entreprend d’y donner des leçons cliniques qui seront très suivies par des élèves tant français qu’étrangers ; on peut citer parmi eux le jeune Eugen Bleuler. Elles seront un temps suspendues à la suite d’une campagne de presse dénonçant l’exhibition de fous,  puis rétablies car il n’existe pas d’autres moyens d’enseigner la clinique mentale en train de naître et qu’il ne s’agit plus de fous mais de malades.  Aussi quand est créée à Sainte-Anne même une chaire de Clinique des Maladies Mentales et de l’Encéphale tout le monde s’attend à ce que ce soit Magnan qui en soit nommé titulaire, mais à la surprise générale c’est Benjamin Ball qui l’est. C’est d’autant plus surprenant que le service de Ball à l’Hôpital Laennec étant  un service de médecine où ne sont pas hospitalisés des aliénés, il ne peut enseigner la clinique mentale.

     Dans le système universitaire français apparaît le « chef de clinique » jeune médecin qui à la fin de son internat va transmettre aux internes débutant cette science des signes des maladies qui permet de faire un diagnostic.

     Egalement pendant le Second Empire le  professeur d’anatomo-pathologie  à la Faculté Jean-Baptiste  Charcot faisait des leçons cliniques sur les maladies dont souffraient les femmes âgées hospitalisées dans  son service de la Salpêtrière. En utilisant la méthode anatomo-clinique, c’est-à-dire en vérifiant à l’autopsie quelles étaient les lésions du système nerveux central  qui les provoquent il fonde en quelques années la neurologie et devient mondialement célèbre, attirant dans le vieil amphithéâtre où il donnait ses leçons des médecins du monde entier. Ses leçons recueillies par ses élèves comme Désiré-Magloire Bourneville sont régulièrement publiées. Elles sont de deux types : soit des cours théoriques sur les maladies du système nerveux, soit des examens cliniques de malades devant des étudiants.

     Mais après la Guerre de 1870, l’effondrement du Second Empire, le siège et la Commune de Paris Charcot va voir adjoindre à son service de personnes âgées un pavillon d’ « épileptiques simples », malades jeunes qui  les unes font  des crises comitiales authentiques, les autres,  peut-être par imitation,  des crises convulsives que l’on rattache à l’hystérie. Les leçons clinique vont être très différentes de celles d’avant 70 comme celle représentée par André Brouillet (857-1914) dans son célèbre  tableau Une leçon clinique à la Salpêtrière (1887) où l’on voit la malade, Blanche Whitman, tomber dans les bras du chef de clinique  Babinski  en présence d’un auditoire où l’on reconnait, entre autres G. Gilles de la Tourette. Mais Charcot va faire venir dans son service un jeune professeur Pierre Janet lequel, pour sa thèse de philosophie, avait utilisé à l’Hôpital du Havre, avec l’autorisation des médecins de cet établissement, l’hypnose pour explorer l’état mental des hystériques. Charcot  conseille à Janet de faire ses études de médecine et crée pour lui à la Salpêtrière un laboratoire de psychologie expérimentale. Le gouvernement de la IIIe  République crée pour Charcot à la Salpêtrière une chaire de clinique des maladies du système nerveux. Vous savez l’étonnement d’un jeune « nervenartz » viennois qui arrive à Paris pour étudier la neurologie avec une lettre de recommandation de Benedikt à son ami Charcot de voir qu’en fait on s’y occupe maintenant d’explorer l’inconscient, lequel a été découvert il y a fort longtemps. Ce qui est curieux  c’est que Benedikt qui parlait déjà de libido, de pulsion a disparu de l’histoire de la neurologie et de la psychanalyse. Malheureusement Charcot meurt inopinément trois semaines après la soutenance de la thèse de médecine de Janet ; son corps est exposé à l’Eglise Saint-Louis de la Salpêtrière avant ses obsèques civiles au cimetière de Montmartre. Quant Jules Déjerine occupera à son tour la Chaire il mettra dehors tous les collaborateurs de Charcot et fermera le laboratoire de Janet. Heureusement celui-ci a été nommé professeur au Collège de France, en remplacement de Théodule Ribot, et pourra y faire ses cours mais pas de leçons cliniques,  car il ne peut présenter de malades. Il peut  seulement y parler de ce qu’il suit à son cabinet rue de Varennes qu’il désigne  par des pseudonymes. Le seul dont nous connaissions l’identité est Raymond Roussel car celui-ci a lui-même révélé dans  » Comment j’ai écrit certains de mes livres » que Janet a parlé de lui sous le nom de Martial qui est celui d’un personnage d’une de ses pièces de théâtre. Effectivement Janet parle dans De l’angoisse à l’extase d’un nommé Martial. Lorsque Janet a cessé de recevoir des malades rue de Varennes  il a détruit leurs dossiers mais a conservé une liste de leurs noms.

    Les cours de Janet étaient eux aussi sténographiés par des médecins qui y assistaient et publiés. L’assistance au cours du Collège de France étant entièrement libre le public est des plus variés. Je citerai parmi les médecins qui ont assisté au cours de Janet  dans l’entre-deux-guerres Henri Ey, Jacques Lacan et Jean Delay. Celui-ci invitera Janet retraité et âgé pendant l’Occupation à présenter des malades à Sainte-Anne à des étudiants.

    Les professeurs de psychologie à la Sorbonne faisaient assister leurs étudiants à des présentations de malades faites dans différents services de  Sainte–Anne. Je ne vois pas d’ailleurs où ils auraient pu apprendre ailleurs la psychopathologie, certainement pas à la faculté de Lettres.

    Un autre lieu d’enseignement réputé de la séméiologie et de la clinique des maladies mentales étaient  dans l’entre-deux-guerres l’Infirmerie Spéciale où assister à l’examen des individus ramassés par la police dans les lieux publics  dans un état faisant penser qu’ils étaient dans un état d’aliénation mentale par  G.G. de Clérambault  devant quelques auditeurs choisis par le maître des insensés était un privilège rare. Lacan qui y a été interne a pu dire que Clérambault avait été son seul maître en psychiatrie. On sait  que l’ouvrage publié en 1943 par ses élèves sous le titre « Œuvre psychiatrique » n’est ni un traité, ni un manuel mais un recueil d’observations cliniques de malades passés par l’Infirmerie, observations  souvent présentées et discutées lors de séances de sociétés de psychiatrie alors existantes comme la médico-psychologique.

    Dupré quand il sera lui-même médecin-chef de l’Infirmerie maintiendra cette tradition d’examens cliniques de malades avec un auditoire plus mondain comme par exemple l’écrivain Paul Bourget. Je me demande si cette ouverture publique ne vise pas à répondre à la crainte répandue d’un internement arbitraire surtout  s’il résulte d’une procédure policière.

    Pour conclure sur une note plus personnelle je dois dire que c’est ainsi que j’ai appris la psychiatrie. Nommé à l’internat des hôpitaux psychiatriques de la Seine en 1958 j’ai assisté aux présentations de malades que faisait Henri Ey à l’ancien amphithéâtre Magnan, qui étaient suivies d’un exposé théorique dont nous avons retrouvé le contenu dans le Manuel de psychiatrie écrit avec Paul Bernard et Charles Brisset dont la 1ère édition est de 1960. Le premier chapitre de la deuxième partie est consacré à la séméiologie avant que le second n’aborde les méthodes para-cliniques en psychiatrie. Par contre  je n’ai assisté pendant mon internat à Sainte-Anne qu’aux examens de malades  que faisait Lacan à la demande des assistants et des internes  dans le service de Daumézon où à l’époque Georges Lantéri-Laura était assistant et Charles Melman interne ; les conclusions que tirait Lacan de ces examens étaient comme on dit classiques. Mais j’ai assisté aussi pendant ces années de formation à des consultations faites devant les internes par Ajuriaguerra, avant qu’il ne parte à Genève, et pour les enfants par Pierre Mâle.

    Après deux ans de formation à la psychiatrie de guerre dans différents hôpitaux militaires j’ai été nommé en 1964 médecin des hôpitaux psychiatriques. Malheureusement depuis la suppression du service militaire obligatoire les médecins ne sont plus formés à la médecine des catastrophes de guerre, naturelles ou industrielles.

   Dans les services où j’ai ensuite pendant trente ans assumé ces fonctions d’abord à Ville-Evrard puis à l’Institut Marcel Rivière et qui étaient considérés comme qualifiants, j’ai continué à faire ces examens cliniques de malades consentants devant un auditoire d’internes, de médecins étrangers, de psychologues et de soignants surtout pour des malades dits « difficiles », même si je me suis toujours étonné que l’on pense qu’il existe des malades faciles que l’on puisse comprendre tout seul et à partir de connaissances purement théoriques acquises à la Faculté ou ailleurs déterminer la conduite thérapeutique adaptée pour le malade examiné cliniquement. La quasi-totalité des malades était satisfaite quand on leur communiquait les conclusions tirées de cette présentation clinique qu’ils vivaient comme une marque d’attention à leur cas.

    Je sais qu’à un certain moment ces présentations de malades ont été critiquées alors même que l’on proposait, pour diverses raisons,  des examens dans une pièce aménagée avec une glace sans tain qui permettait d’enregistrer l’examen pour le revoir ensuite de manière objective. Il ne s’agit plus d’un examen clinique avec un contact direct de personne à personne.  

    Je suis, bien entendu, particulièrement effrayé de voir utiliser les différentes éditions du DSM, manuel qui, à l’instar de celui  de la Classification Internationale des Maladies n’est conçue que pour recueillir des données épidémiologiques statistiques, dont je ne méconnais pas l’utilité pour les autorités sanitaires nationales ou internationales, comme si elles permettaient d’apprendre et d’enseigner la clinique mentale. Il faut au contraire connaître celle-ci très bien pour pouvoir les utiliser correctement.

    J’ai entendu parler des difficultés que fait la Fédération belge des psychologues qui a un code de déontologie pour que ses adhérents participent à de telles présentations cliniques dans les établissements où elles se pratiquent. Mais le site nous dit simplement que ce code a pour finalité de protéger le public et les psychologues contre le mésusage de la psychologie. Peut-on considérer qu’apprendre la clinique des maladies mentales aux psychologues travaillant dans une institution de santé mentale où sont traités des malades est un mésusage de la psychologie ?  

    Cela aurait beaucoup surpris Joseph Guislain (1797-1860) le «Pinel belge » qui a publié en 1852 le recueil de ses Leçons orales c’est-à-dire le cours de clinique mentale qu’il donnait dans son service de l’établissement d’aliénés de Gand.

   Ou les psychiatres contemporains comme mon maître Paul Sivadon qui, lorsqu’il avait été nommé professeur à l’Université libre de Bruxelles, avait obtenu que la psychologie soit enseignée pendant tout le cursus des études médicales. Le Pr. Jacques Schotte (1928-2007), professeur à Louvain et à l’œuvre duquel  Jean-Louis Feys a consacré en 2009 un livre  qui a reçu le prix de L’Evolution psychiatrique cette même année. Je précise que Schotte était outre un remarquable enseignant des sciences de l’esprit un clinicien distingué et qu’il a transmis cet art difficile de l’examen clinique à de nombreux élèves.