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Frederic SCHEFFLER, « Arno « J’ai un trouble bipolaire » (2023)

 Collège de Psychiatrie

Samedi 4 février 2023

Journée d’étude sur 

« Les paraphrénies. Paraphrénisation? »

 

Arno : « J’ai un trouble bipolaire »


J’ai choisi d’évoquer la clinique d’un de mes patients que j’ai suivis pendant près de 18 ans. 

Malgré le titre de mon exposé il ne s’agit pas d’un trouble bipolaire, ni même au sens strict du terme d’une paraphrénie

 Mon titre provient des paroles de mon patient, que je vais nommer Niko, qui se portait un auto-diagnostique de  « trouble bipolaire ».

Quand on m’a proposé de parler ici d’un cas clinique de paraphrénie, ma première pensée a été que je n’en n’avais jamais vu, souvenir d’une réflexion de Marcel CZERMAK « la paraphrénie c’est rare »

J’étais bien embêté, je pensais ne pas en avoir dans ma clinique. Alors trouver un cas de paraphrénie m’a semblé mission impossible. C’est un diagnostic auquel je ne pensais pas, en raison de cette idée de rareté et je me suis dit que j’étais passé à côté. Je me suis mis à la recherche parmi mes dossiers sans vraiment trouver cette perle rare.

J’ai donc repris quelques textes.

Dans les séminaires de Lacan, le terme paraphrénie, apparaît par deux fois : dans les écrits techniques et les structures freudiennes. J’y ai lu que pour Freud, la paraphrénie recouvrait toute la clinique de la démence précoce, voire toute la démence. Le terme apparaît deux fois aussi dans les structures freudiennes. Lacan l’utilise dans le sens de la schizophrénie.

Dans les complexes familiaux, il introduit la notion de psychose avec et sans moi, suivant une gradation en fonction du délire, la disparition du moi étant du côté du paraphrène. 

J’ai relu les textes de Dupré et Logre, sur les délires d’imagination. Un délire dont le mécanisme d’éclosion du délire, serait purement imaginatif, sans participation interprétative ou hallucinatoire.

En toute rigueur il est difficile de trancher pour l’un ou l’autre mécanisme, l’association des uns avec les autres chez un même patient est évidemment fréquente. D’ailleurs en relisant le cas modèle de cette mythomane délirante, je me suis demandé s’il n’y avait pas une participation interprétative dans ce délire. Il me semble que les auteurs évoquent aussi ce mécanisme dans leur texte.

Plus récemment, le terme de paraphrénisation a été proposé par Maleval, qui le recentre et le place en fin de la logique évolutive d’un délire.

La paraphrénisation alors comme bricolage permettant un type de nouage qui ne soit pas bancal.

Je rajoute à ces difficultés à chercher un cas, la présence quasi-constante de prescription de médicaments chez ces patients délirants, hospitalisés. Ces molécules, on le dit, n’arrêtent pas vraiment le délire. Ils en empêchent sûrement son évolution, mais permettent un retour à la vie commune, pouvant faire penser à une paraphrénisation pharmacologique. 

Ce patient, Arno, m’est apparu alors comme un bon exemple de toutes ces difficultés dans le cadre de paraphrénisation d’un patient.

Je l’ai rencontré quand qu’il avait 32 ans, au début de ma formation de psychiatre, au cours de sa deuxième hospitalisation sous contrainte.

Il est le deuxième enfant d’une fratrie de trois, il a deux sœurs, la plus importante est sa sœur ainée d’à peine deux ans que Je nommerais Steph.

Je vous propose de vous présenter les éléments cliniques que j’ai retenus, en trois temps. 

Le premier s’étale sur une douzaine d’années avec une alternance d’hospitalisations et de moments de calme, le second est plus court, 4 ans, le début correspond à mon installation en cabinet libéral, et le troisième qui dure encore.

Au cours de premier temps, en dehors des moments délirant, Arno est plutôt un homme se présentant de façon sympathique, physiquement et moralement. 

Sans être affable, il a cette politesse et ce savoir-vivre du milieu bourgeois des petites villes de provinces, sans maniérisme. 

Il vivait seul dans un appartement à Lyon avec son chien. 

Son activité professionnelle durant cette première période a été une suite de CDI dont il démissionnait lors de chaque hospitalisation pour en retrouver un autre, à l’issue de ses sorties. Il a travaillé comme commercial dans de petites entreprises, puis dans la logistique. 

Il décrivait sa vie comme « métro-boulot-dodo », Il se plaignait de beaucoup d’ennui, de solitude, se décrivant comme bipolaire, qualification qui lui faisait dire qu’il était incapable et ne faisait que de la merde.

Pourtant il occupait son temps libre par deux activités principales :

Il recherchait, comme il disait « une petite », une femme qui lui aurait convenu, dans l’idéal une hôtesse de l’air. Il me disait qu’une femme lui aurait permis de combler son ennui, de l’arrêter « d’être con », surtout de le guérir.

Il a fait plusieurs rencontres mais malgré toutes ses tentatives, aucune n’a convenue. Cela apparaissait être la recherche folle de La femme, recherche qui apparaissait sans espoir.

Son autre passe-temps était les sorties de Week-ends avec ses amis d’enfance quand il allait chez ses parents. 

L’ennui aidant, il commençait à jouir de quantités impressionnantes de cannabis et d’alcool, je me souviens qu’il avait vidé la cave de son père en à peine quelques mois. Ses excès le jetaient dans un état de délire incontrôlable et dont la seule limite était de le faire ré-hospitaliser, le plus souvent à la demande de sa mère.

Durant les hospitalisations, ce n’était plus ce garçon de bonne famille que je connaissais. Il devenait sûr de lui, arrogant, familier voire méprisant. 

Il ne montrait pas de signes de dissociation importants, il a inventé un ou deux mots comme « Mytopathe », en utilisait d’autres compliqués dans un mauvais sens, et usait d’associations comme « je suis sorti sous décharge publique » mais sa dissociation n’allait pas plus loin.

Ce qui me marquait le plus c’était cette sorte d’interprétation imaginaire.

Dans les premiers temps, il me disait lors de ces épisodes, qu’il était attiré par les statues de la vierge et en particulier par celle, dorée, en haut de la cathédrale. Il décrivait cela comme une attirance, une impulsion, une sorte de commandement inconscient, en tout cas, commandement sans voix. 

Lors d’un voyage au Portugal, cette impression s’est transformée. Il a eu l’impression qu’une vierge noire, serait venue vers lui, le mettant dans un tel état de terreur qu’il est reparti en France, 

Cet épisode a été le dernier avec la vierge excepté un souvenir qu’il m’a relaté par la suite, celui du lit de mort de sa grand-mère paternelle ou un vierge bleue trônait sur la table de nuit. Etait-ce une explication, je ne sais pas. 

En tout cas, cet inversion de sens, de déplacement de lui à la vierge, puis de la vierge à lui, est comme si cette vierge était passée de l’autre côté d’une bande biface, ce qu’il voyait dans la réalité était passé de l’autre côté.

Il parlait aussi des chiffres : 

Ceux des plaques d’immatriculations : certain chiffre, le 1, le 3, le 69, étaient plus important que les autres, il les repérait. Il les recherchait sur les plaques. Il utilisait pour cela des combinaisons les faisant apparaître, par calculs, déplacements, ou inversions. C’est à dire que 66 par retournement du 6 pouvait être 69, mais aussi que 37 signifiait 11 par résultat de l’addition de 3 et 7.

Et une fois sur le compteur de sa voiture : l’apparition du dernier 1 d’une série de 1 identique sur le kilométrage, et cela au moment précis où il finissait de stationner, a été pour lui la preuve évidente et irréfutable que ça ne pouvait pas arriver par hasard.

Il y avait quelque chose qui se passait. Il ne pouvait dire quoi, ni si cela le concernait : ça lui arrivait tout simplement. C’était la seule signification possible.

Les chiffres ne faisaient pas sens, pas plus que signification, C’est l’arrangement des chiffres qui avait une signification personnelle. Cela ne faisait pas sens, il ne savait pas ce que ça disait, ni si ça le concernait, et pour reprendre Lacan, c’était un « moment où les objets transformés par une étrangeté ineffable, se révèlent comme, chocs, énigmes, significations ».

C’était l’arrangement des chiffres, leur combinatoire qui le percutait.

Cette combinatoire, il n’y a pas qu’avec la lettre ou il a été en difficulté :

 Lors d’un de ses emplois, son rôle a été de mettre sur des palettes des paquets identiques et d’emballer le tout à l’aide de film plastique, ce tout étant standardisé pour rentrer dans les camions. Il s’est fâché, persécuté, sur l’incapacité de ses supérieurs à organiser le travail : sur ces palettes le dernier paquet à mettre était trop grand et ne pouvait pas être mis, laissant un dernier espace vide, pour pouvoir emballer l’ensemble.

 Lors de vendange : le viticulteur, décrit comme mal organisé, faisait partir les remorques à moitié vides. 

Ce qui l’interloquait c’était l’impossibilité de combiner les choses :  paquets, palettes, camion, pour qu’il n’y ait pas de manque, de trou, et c’est là qu’il devait se placer pour éviter d’y disparaitre.

Pendant les premières années, il écrivait beaucoup, et bien, il se décrivait comme un homme de lettre maniant bien la langue. Il a pensé un moment à publier. Je me suis dit, que j’allais le soutenir, que peut-être il arriverait comme Joyce à s‘en sortir. Je lui ai demandé de m’amener ses écrits plusieurs fois, il me les a amenés et confiés quelques années après, lors de la deuxième phase de mon suivi : il y avait noté des souvenirs intimes de l’adolescence, fait plusieurs fois la même liste de ses petites amies notant dates, qualités et défauts, quelques textes d’allure poétique, structurés par des associations phonémiques, et des choses plus incompréhensibles écrites au cours de ses hospitalisations. Je l’avais un peu poussé vers cette activité, mais il a plutôt choisi d’arrêter d’écrire.

L’autre facette, c’est les photos.

Lors de sa première hospitalisation, il m’a parlé de photos de sa sœur aînée, Steph, qui vivait alors avec un compagnon à Londres : il m’en a dit, « je suis tombé sur les photos de Steph, avec son mec en Allemagne, ma mère gardait ça dans un tiroir, c’était dégueulasse, des photos de cul, de sexe avec son mec », il s’est montré dans son discours assez possessif avec Steph, presque jaloux. Évidemment ces images n’étaient des photos pornos, j’en ai eu confirmation par sa mère. Je ne pourrais pas trancher sur le mécanisme, Interprétation, hallucination, imagination, ça m’apparaît difficile à définir. Néanmoins, de par son discours, je me demandais si sa sœur ne semblait pas présente en lui.

Il en prenait aussi beaucoup, des photos, avec son portable, du ciel et des nuages, et des photos floues prises en bougeant son appareil. 

Ce qu’il me montrait c’est qu’il y avait la forme de boucs, d’anges, je les ai vu dans les nuages, mais rien de visible sur les photos floues. 

Ce qui m’intéresse le plus, c’est la façon dont il avait de procéder : il prenait une photo, au petit bonheur la chance, sans avoir ce qu’il allait y voir, puis en les regardant sur son téléphone, il y discernait ces personnages d’un autre monde. 

Il imaginait des signes sur l’image vue. Il y recherchait à montrer les preuves de la présence d’Êtres d’un autre monde.

Il se servait de son appareil photo en faisant des clichés presque au hasard, et on l’entend bien sur les photos floues, et il y retrouvait les preuves d’un univers invisible. C’était un peu comme avec un appareil de radiologie, L’appareil photo était l’appareil qui servait à dévoiler le monde invisible.

En ce qui concerne son délire, il avait aussi des éléments de persécution, et de mégalomanie mais qui n’était pas au premier plan dans son discours, c’était difficile surtout pour sa mère qui subissait son agressivité. 

Durant cette période, ça lui faisait signe, et pourtant il arrivait à douter, à s’étonner qu’il pourrait être celui qui est désigné. En l’absence de cause, de raison, il cherchait à me montrer des preuves de certitude que tout cela n’était, ne pouvait être lié au hasard.

Vers l’âge de 36 ans, des évènements familiaux dramatiques sont survenus : sa sœur Steph, dont il parlait d’elle comme de sa jumelle est revenue de Berlin atteinte d’un cancer, elle est décédée en quelques mois, par la suite trois mois plus tard c’est son père meurt lui aussi d’un cancer. Il s’est retrouvé seul avec sa mère, sa petite sœur, elle vivait à distance dans une autre ville.

Sa vie s’est déroulée tout ce temps, rythmé par ces fréquents allez et retour entre l’hôpital et chez lui, il prenait un traitement par période, l’organisant à sa façon.

Le temps passant, nous arrivons à la deuxième période, celle où j’ai quitté mes fonctions dans cet hôpital et débuté une activité en libéral. J’ai lui ai proposé alors de poursuivre le suivi à mon cabinet, ce qu’il a accepté. 

Il vit toujours dans son appartement, il le retape en vue de le louer, sa mère a fait faire un studio pour lui dans la maison familiale.

Il travaille dans la logistique d’une entreprise et il a toujours un chien, mais plus le même.

Son travail se passe bien, il a été promu à un petit poste de responsabilité, c’est lui qui contrôle les lots de colis. Pas sans difficultés puisqu’il me dira qu’il est parfois assez anxieux d’aller travailler car il doit manipuler un scanner sur lequel il doit rentrer des codes chiffrés en fonction du type de colis, et il est souvent perdu dans ce codage.

Assez rapidement, il s’est fait menacé de mort par un de ses collègues et il n’en a pas dormi pendant plusieurs nuits, il se sentait trop menacé. 

Il revient par la suite me dire qu’il « sent » la présence des anges mais aussi des morts, ils décrivaient cette sensation comme une sorte d’onde. Il se pose autrement des questions sur la normalité de son comportement amoureux, il a une relation avec une femme qui a été atteinte de la polio, il couche avec un homme Jeannot alors que lui-même n’est pas homo.

 Les différents éléments de son délire vont progressivement se cristalliser pour s’organiser de façon inventive au cours des mois. 

J’ai pu le rencontrer assez souvent, et si j’ai pu l’écouter, c’est que nous avions établi une sorte de pacte tacite dans lequel était entendu que j’écrivais une ordonnance souvent très simple et qu’il en faisait ce qu’il voulait. 

Mais le lien tacite, je crois a été réalisé à la suite d’un entretien quand il m’a dit « comment un mec aussi intelligent que moi peut être aussi con, je suis sûr de pouvoir m’en sortir, ça ne va pas se passer comme avant », je l’ai cru et je l’ai accompagné sur son chemin personnel, le suivant en tant de garde-fou. 

Ce pacte m’a valu quelques inquiétudes quelques mois plus tard quand il est revenu avec de belles plaies au visage après avoir subi deux agressions physiques, en jouant du Djembé sur les bords du Rhône, ainsi qu’en faisant une remarque sur un chien.

Pendant cette période il a repris son habitude de faire des photos, mais le sujet a changé, il fait à présent des photos de la nature, des cygnes sur l’eau, dont il me dira qu’elles sont de moins bonne qualité qu’avant, il ne va pas les publier sur internet comme il l’avait prévu.

Il m’en montre toutefois deux particulières, celle de son chien, prise dans la pénombre de sa voiture, la mâchoire et les dents aussi blanches que les yeux y sont mis en évidence. C’était une réelle représentation de vision de cauchemar. 

Et puis celle de l’ombre d’un humain projetée sur le mur d’une impasse, la nuit, sans la présence d’humain à proximité, ni d’éclairage pouvant faire de l’ombre. Elle était tout à fait irréelle et étrange. 

Il me dit que ces images montraient qu’il y avait quelque chose de présent à ses côtés, une sorte de monde à côté d’où provenait ces signes, il me dira qu’il en était le destinataire, peut-être une mission, il ne savait pas, ce dont il était certain c’est que ça avait à voir avec sa sœur Steph, il ressentait sa présence dans tout cela. 

Les preuves de l’existence de ce monde a côté, de Steph à ses coté, était aussi dans les lettres, les chiffres et les oiseaux : quand il voyait des oiseaux, il ressentait sa sœur, certains chiffres, 33 11 66 73, étaient des signes de Steph,  et puis les mots : ange, nage, orange, dentressange, l’ordre des lettres importait peu, saint Gervais ou était enterré sa sœur, San Gervaso, mais aussi concierge, pigeon, la carte d’un avocat exerçant rue tronchet, ses signes saturaient son univers et lui donnait le sentiment de la présence constante de Steph. 

Leurs organisations ne faisaient plus signe, comme avant, ils étaient devenus un signal de cet autre monde, de la présence de Steph. L’apparition des chiffres, les lettres ou les clichés ne servait plus à prouver la présence d’un monde à coté, c’étaient des messages de Steph.  

Comme pour la vierge, il y a eu un déplacement, et la certitude porte dorénavant sur la sensation de la présence de sa sœur, les lettres et images ne sont plus qu’artefacts des messages de Steph. 

Il s’est créé un monde imaginaire. Ce n’est plus le réel de la combinatoire, c’est ce monde imaginaire à coté, de Steph qui fait signe. C’est comme s’il avait réalisé une accroche imaginaire à ce réel, de la combinatoire initiale, par cette idée de la présence invisible de sa sœur.

Cet état ne l’empêchait pas de travailler, ni d’avoir une petite vie sociale, Arno avait l’habitude de se faire bronzer sur les plages d’un lac, il y a rencontré Jeannot. 

Jeannot à force d’opiniâtreté a fait céder Arno à ses avances.

Leur relation a duré près de deux ans. Arno me disait qu’il se voyait toutes les semaines, un soir ou deux, parfois les Week-end, il faisait la fête ensemble, Jeannot l’aidait parfois pour les tâches administratives. 

Leurs soirées finissaient au lit, et Arno se laissait faire par son ami. Il ne pouvait pas le toucher : il me dit : « je n’aime pas les poils, je préfère les dentelles » ou bien « je ne suis pas pd, mais non, j’aime les femmes, une belle rousse, une belle blonde ».

Ce qui l’étonne le plus c’est qu’avec Jeannot, il aime ça, il me dira que « tous les hétèros devraient ressentir le plaisir de la sodomie », pour finalement me dire qu’avec cet homme il se transforme en femme, il me dit ressentir le plaisir féminin, comme une femme, ce qu’il veut avec Jeannot, c’est n’être que femme, et surtout ce qu’il ressent c’est la présence de sa sœur en lui pendant les coïts.

C’est quand même un drôle de pousse à la femme, si la féminisation de Schreber passe par l’image et l’éprouvé du corps, chez Arno, seule la jouissance sexuelle était féminine, il luttait évidemment contre cette transformation, contre cette féminisation. Il n’était pas, et ne voulait pas être La femme de tous les hommes, ni même celle de Dieu, ni simplement une femme, seulement celle de Jeannot au lit. 

Jeannot d’une certaine manière, ne lui servait qu’à éprouver la présence de sa sœur en lui au travers de cette Autre jouissance qu’il me décrivait ressentir. Un peu, en parallèle comme l’appareil photo qui lui permettait de voir l’autre monde.

Sa sœur dans ses moments semblait être dans le réel de son corps, comme si de ce monde imaginaire, elle passait avec l’aide de Jeannot du côté du réel du corps, et réalisé une expérience éprouvée de l’incarnation de sa sœur en lui.

Finalement, après toutes ces expériences paranormales, Arno m’a dit son envie de banalité, qu’il avait envie d’une vie banale, d’idées banales et m’a demandé que je lui prescrive un traitement.

Ce que j’ai fait. C’est mon troisième temps.

Cela lui a permis d’apaiser les effets de son délire, les signes se devenus plus lointains, moins présents, il m’a dit durant cette période « je ne sais comment être, sauf qu’il voulait une voiture, un travail, une femme, un ange ». Ses idées me dit ils pulsaient toujours, mais ne l’emportait pas tout autant ;

Il a repris sa vie Il finit par louer son appartement, et a récupéré son permis de conduire. Il a changé de nouveau de travail, cette fois dans la livraison. Il laissé tomber Jeannot.

Il se dit linéaire.

Il cherche toujours une « petite », et puis au bout de plusieurs mois, il me dit qu’il a fait la rencontre d’une jeune étudiante, âgée de 20 ans de moins que lui. 

Elle s’appelle Steph. Il me dit qu’il est heureux, chanceux.  Je lui fais remarquer qu’elle se nomme comme sa sœur, il acquiesce mais n’en dit trop rien. En tout cas il semble l’avoir enfin rencontré cette femme.

Sa seule peur c’est de ne pas être à la hauteur, il a peur qu’elle le quitte, il est prêt à la suivre jusqu’en Australie, il s’est fait refaire ses dents qui attendaient depuis longtemps, et arrive même à arrêter de fumer la garder.

En tous les cas, durant cette période, la position de Steph s’est modifiée, de la même façon que la vierge, Elle a été dedans, pour passer dehors, et c’est lui qui est dedans. Sorte de mouvement d’inversion d’un gant, comme une éversion de la doublure.

Quelques mois après cette rencontre, Il a arrêté de venir me voir. Depuis il m’envoie de temps en temps des SMS, dont le dernier en date a été pour me présenter ses vœux 2023 : il m’y dit qu’il va bien, qu’il prend son traitement, qu’il a changé de travail et est toujours avec sa petite. 

Pour conclure, comme je vous l’ait énoncé au départ, ce n’est pas un trouble bipolaire.

Il ne présente pas de tachypsychie, même s’il a été dans une effervescence. Le délire interprétatif apparaît au premier plan. Il s’y greffe bien sur une mégalomanie avec des éléments percécutifs. Les moments de calme, s’il décrit une impression d’ennui, et a des propos d’auto-reproche, il n’a jamais eu de mélancolie à proprement parler. Il décrivait surtout un ennui et l’incapacité à s’en sortir.

Au premier temps, la conservation de sa personnalité, l’absence de dissociation majeure, mais surtout ce délire d’interprétation, dont il décrivait les caractères évidents, évoque plutôt un délire paranoïaque qu’une schizophrénie. 

En ce qui concerne une paraphrénie, le diagnostic me semble plus difficile. Il y avait conservation du moi, l’apparition de ce monde à coté, de la prépondérance du mécanisme imaginatif, tout en concernant somme toute une vie sociale et professionnelle, m’apparait refléter, non pas une paraphrénie, mais plutôt une paraphrénisation du délire du patient.

Son délire n’était pas constitué d’éléments imaginaires variés, il apparaissait plutôt bien organisé, autour de la présence de Steph. Il n’y avait rien de fantastique, mais le mécanisme, pour moi, c’est modifié, la participation imaginaire m’a semblé devenir plus importante. ;

Ce que je voulais montrer, c’est cet aspect de déplacement dans son délire des thèmes interprétatifs et imaginatifs, ceux-ci ont pris toute la place quand son délire a pu prendre le temps de s’organiser.

J’ai proposé que ce passage du mécanisme de l’interprétation, à l’imaginatif, par la position prépondérante de sa sœur centrant le délire, le basculement de la place des signes, chiffres, groupe de lettres vers une position de message plutôt que de signification, pouvait être vu plutôt comme peut être une sorte d’accrochage de l’imaginaire au réel.

Mon rôle pour ce patient, a été très modeste, celui de garde-fou, j’ai l’impression de seulement l’accompagner la ou il voulait aller, sans vraiment, et j’espère vous l’avoir fait entendre, sans y comprendre grand-chose, dans une confiance mutuelle.

 Frédéric SCHEFFLER

Nicole ANQUETIL, Creation extemporané

Collège de Psychiatrie

Samedi 4 février 2023
Journée d’étude sur
« Les paraphrénies. Paraphrenisation ? »

 

CRÉATION EXTEMPORANÉE

 

       Il m’a semblé opportun de donner ce titre à mon travail ; c’est inspiré de ce que j’ai trouvé chez Ernest Dupré dans l’élaboration de sa clinique du délire d’imagination, quand je suis moi-même aller l’interroger à propos d’une patiente. Cet ouvrage, extrêmement riche et détaillé sur ce qu’il en est de la formation et de la description des délires nous laisse toujours pleins d’admiration.

       Dupré, qui au sein de l’école Française de psychiatrie s’est imposé dans les recherches sur la paraphrénie, il en a isolé les délires d’imagination chroniques en prenant pour principe que tous les délires relèvent de l’imagination dans leur opposition à la réalité. Mais c’est au sein de l’école allemande, avec Karlbaum puis avec Kraepelin que cette entité clinique a été défini en tant que telle. Ce dernier en a véritablement élaboré le concept. Ce concept il le situe entre la schizophrénie et la paranoïa du fait de la contradiction apparente entre un délire très florissant et une adaptation à la réalité, en particulier dans une activité professionnelle. Bien évidemment la difficulté est de s’entendre sur ce qu’il en est de la réalité.

       Ce que l’on doit à Dupré :  Il a établi que ces délires d’imagination chroniques qui peuvent également être aigus, procèdent par intuition et invention, c’est ce qui les différencie des délires hallucinatoires et interprétatifs. « Les psychoses imaginatives aboutissent, écrit-t-il, à des fabulations, des projets, des actes impliquant la croyance immédiate du malade aux fictions improvisées par le jeu spontané de l’activité mentale. C’est un jaillissement spontané de l’esprit et d’emblée une foi qui s’affirme par la parole contre toute évidence ou objection. » On remarque donc l’importance de cette histoire de parole qui jaillit d’une idée sans formulation préméditée mais qui prend immédiatement allure de vérité indiscutable. C’est un mécanisme d’idéation de même type que les processus hallucinatoires et interprétatifs. Mais j’ajouterai, pour ma part, que cela n’est pas xénopathique, ce qui est caractéristique est que, dès l’émission verbale, la parole s’impose comme vérité de celui qui parle et qui se reconnait comme tel.

       Pour Dupré la bouffée délirante aiguë est à la fois un état sub-maniaque et une psychose imaginative aiguë est le plus souvent spontanément résolutive ; mais les états sub-maniaques peuvent l’être aussi. La bouffée délirante aiguë peut l’être également comme nous le voyons.

       Pour Ernest Dupré et Benjamin Logre avec lequel il a beaucoup travaillé, le délire d’imagination est la forme la plus courante des paraphrénies.

       Dupré classifie différents états dans son étude clinique. Ce qui nous retient dans notre travail ce sont les délires d’imagination aigus essentiels, c’est-à-dire ceux qui n’accompagnent pas un état morbide sous-jacent. En fait ceux qui ne sont pas dans le cortège de symptômes d’une psychose avérée mais qui surgissent de façon inopinée, sans affection primitive saisissable, mais de façon privilégiée chez l’hystérique. De quoi discuter sur le caractère psychotique de l’affaire ajouterai-je.

       Il y repère à la fois un certain impossible à dire dont le délire est la manifestation et le désir d’être quelqu’un d’autre, on pourrait même préciser d’être quelqu’un tout court, avec une implication massive du corps, complaisance plus que conversion. Ce qui est adressé à l’autre dans le discours sont des révélations dans une intension séductrice et valorisante avec à l’appui une filiation imaginaire toujours noble, dans le but d’être reconnu de l’autre à qui on s’adresse, qu’il soit un ou multiple. S’agit-t-il d’emprunts ou de création ? C’est difficile à démêler. On y repère des thèmes de mythes fondateurs, des thèmes de gestes héroïques, le tabou de l’inceste et quelques horreurs de contes pour enfants et également des éléments disparates actuels ou anciens présentés comme d’authentiques souvenirs d’enfance.

       Ces délires aigus naissent par intuition, par inspiration, les éléments de fabulation sont empruntés au milieu extérieur lui-même, au monde réel, avec ajout ou rejet. Ce qui est le plus remarquable est le caractère extemporané de la fabulation, de l’invention, de la suggestibilité, du mensonge, accompagné d’une crédulité sans le moindre esprit critique. Ils ont le plus souvent une tonalité macabre, aventureuse dans un contexte de filiation fictive à caractère mégalomaniaque.

       La participation corporelle se manifeste par de fréquents accidents hystériques, attaques, spasmes, contractures, attitudes passionnelles, états léthargiques ou cataleptiques. A la mythomanie psychique se surajoute une mythomanie corporelle, voire une pathomimie.

      Ces manifestations délirantes sont compatibles avec une clarté de perception, une lucidité de la conscience, une persistance de l’activité intellectuelle, une activité professionnelle et une vie banale et commune sans comportement pathologique.

       Bref, ce qui caractérise ce discours est son surgissement, sans intention de tromperie, malgré la personne qui l’énonce, mais auquel elle donne immédiatement son adhésion. Ce discours est autant une révélation à elle-même qu’à l’autre à qui il est adressé. Ce dernier élément n’est pas explicite chez Dupré, mais c’est bien ce que j’ai pu observer.

       On y pense assez peu ; ce qui fait que lors nous le rencontrons nous restons assez perplexes et sur le diagnostic sous-jacent et sur la structure. Voilà ce que cela peut donner : ce que j’ai pu observer chez une patiente il y a 20 ans.

J’ai relu mes notes. Je l’avais vue une première fois pour une prescription. Puis ensuite régulièrement.

« J’ai fait un gros travail d’analyse avec le Dr R…, je ne sais pas pourquoi elle ne veut plus me donner de rendez-vous, elle dit qu’il faut que je vous voie maintenant, j’aimais tellement le Dr R., j’ai pris les médicaments que vous m’avez donné quand le Dr R., a demandé à ce que je vous voie il y a deux mois, cela n’a pas fait grand-chose, je dors mieux peut-être. »

       Appelons – là Mme Fabienne D. Elle se dit extrêmement fatiguée, sa tête se penche en arrière, ses yeux se ferment, son cou se tend, sa main droite se met frénétiquement à tapoter sa main gauche, sa figure devient très rouge, des larmes jaillissent de ses yeux : « il a tué le bébé, il l’a découpé avec un grand couteau », elle se met à haleter, « il a tué lalie comme il a tué ma jumelle. Ma maman venait d’accoucher, elle était sous la table, elle avait mis ses pieds contre les pieds de la table pour pousser, elle tenait les autres pieds de la table avec ses mains. Le bébé était sorti, les deux sont sortis. Quand l’assistante sociale est venue, quand Joséphine l’a appelée, sa mère a dit de ne rien dire, elle me tapait tout le temps, pourtant il y avait encore du sang sous la table, c’était mal lavé. La dame a dit : Fayenne il faut tout dire. » Mais je ne pouvais pas ». Elle m’a demandée aussi les choses que me faisait mon papa, « suce, salope » qu’il me disait, « et ne dit rien à personne ». Il me touchait tout le temps.

– Vous me dites que vous avez assisté à tout ça et subi tout cela ?

– Oui, Joséphine au château, c’est en fait ma maman, elle disait à ma mère, « il faut bien traiter Fayenne. Il faut lui apprendre les choses. 

– Quel âge aviez-vous quand cela s’est passé ?

– J’étais toute petite, je ne m’en souviens pas, c’est ma psychanalyste qui a fait revenir tout cela, je ne le savais pas avant.

– Vous me dites que votre père a tué votre sœur jumelle ?                                                                                            

– C’est ce qui est venu dans ma psychanalyse, c’est là que j’ai compris que j’avais une sœur jumelle que mon père a coupé en morceau, ma sœur aussi a une jumelle, elle a été tuée aussi et enterrée comme les autres.

– Beaucoup de jumelles, tout ça.

– Je vois que vous ne me croyez pas, pourtant, c’est vrai, avant je croyais qu’une petite fille parlait en moi, maintenant je sais que c’est ma jumelle qui est morte qui me fait parler. »

– Il y eut plusieurs entretiens de ce type, entretiens relatant toutes sortes de maltraitances et de sévices. Entretiens brefs car il n’était aucunement nécessaire de prolonger les attitudes et les gestes corporels dont le caractère masturbatoire n’échappe à personne. 

       Le docteur R. n’avait plus souhaité poursuivre les entretiens avec cette patiente, le caractère délirant des propos tenus lui avait semblé incompatible avec la profession de Fabienne D., nourrice agréée, chargée d’une petite Coraline alors qu’elle désignait sa « jumelle » trucidée par le père de Caroline. Elle avait souhaité le relais d’un psychiatre pour un traitement médicamenteux approprié auquel s’est très bien pliée la jeune femme. Cette prescription avait atténué le caractère parfois dépressif de ses propos ainsi que ses angoisses sans pourtant éliminer le délire qui les accompagnait.

       Le processus délirant laissait peut-être entrevoir une vérité annonciatrice d’une possible catastrophe tant était grande la force persuasive du discours. J’acceptais alors de tenir ma position de psychiatre sans pour autant laisser de côté celle de l’analyste.

       Au fil des entretiens est apparu dans son discours la participation de tous les objets de mon bureau authentifiés comme des personnages chargés d’authentifier ses dires, dires qui avaient un certain rapport avec des contes de fée (faits ?) où son père pouvait représenter l’ogre, la mère une marâtre ou une sorcière et celle qu’elle appelait sa « vraie » maman, Joséphine ( un feuilleton télévisé se diffusait qui s’intitulait « Joséphine ange gardien) qui la protégeait, veillait sur elle contrairement à sa génitrice, la chatelaine du château dont elle serait l’héritière. Après tout cela aurait pu être une façon imagée de parler de faits réels avec une sorte d’incapacité à procéder autrement. Mais il n’en était rien.

       La patiente donnait l’impression de construire cette histoire et ses souvenirs avec force séduction dans des déclarations d’amour à mon égard avec souhait de passer ses journées avec moi, passant du vousoiement au tutoiement et au parler bébé pour parler d’elle à la troisième personne comme si c’était moi qui s’adressait à elle. Ses larmes coulaient abondamment, tant était forte la charge émotionnelle. Ce qui était étonnant est que tout s’arrêtait net dès que je déclarais l’entretien terminé, sans en faire le moindre commentaire. Invariablement ses derniers propos étaient pour me demander si son rimmel avait coulé.

       Cette jeune femme était bien mise de sa personne, sans ostentation, avec goût, elle est mariée avec homme de dix ans son cadet, c’est elle qui mène le couple qui règle une sexualité absente en étant une bonne cuisinière et en confectionnant souvent pour ce jeune époux du tiramisu (sic) !

      Elle est tout à fait sérieuse dans son travail, j’ai pu l’observer lors d’entretiens où j’ai accepté la présence de la jeune enfant dont elle avait la garde en tant qu’aide maternelle, pour ne pas la priver de ses séances auxquelles elle tenait beaucoup et aussi pour observer son comportement. J’ai eu affaire alors à une femme attentive, mesurant ses propos, très vigilante envers cette jeune enfant de 18 mois, souriante, confiante et détendue.  Fabienne D.  n’avait oublié ni biberon, ni doudou, ni les jouets favoris. Cette séance et une autre du même type lui donnent l’occasion de parler de son désir de devenir aide puéricultrice, et des stages de formation qu’elle suivait avec assiduité et de discuter d’éléments fort bien assimilés.

       Sinon ses entretiens suivants étaient plutôt ceux d’une hystérique bon teint avec ce souci d’enrichir son récit d’extravagances, d’incohérences, à en rechercher des preuves matérielles qui lui revenaient sous formes de démentis dont elle n’avait que faire. Sa psychanalyse (elle n’était nullement sur un divan) lui faisant découvrir tout ce qui pour elle était caché ; La règle principale n’était-elle pas de dire tout ce qui passait par la tête ! Elle ignorait auparavant tout ce qu’elle aurait à dire.

    En particulier elle étoffe son récit de souvenirs en évoquant un suivi psychanalytique par l’intervention de sa vraie maman Joséphine, la chatelaine dont elle devait être l’héritière mais dont l’héritage lui avait été soustrait par le frère de sa mère. Joséphine l’aurait confiée à Anna Freud elle-même. Avec Anna Freud des actes épouvantables se sont passés, elle devait avec elle observer la consigne de tout dire, et cela a eu pour effet de lui faire subir des actes sexuels horribles au niveau de tous les orifices possibles sur le divan avec toute la turpitude imaginable digne d’un roman pornographique de pédophilie. Joséphine s’est mise alors aussi à la protéger en disant « ce n’est pas bien de faire ça à Fayenne ». Je passe sur les descriptions très crument détaillées, polysémies incluses. Discours émis dans la sorte de transe corporelle décrite plus haut. Je n’ai éclaté de rire que lorsqu’elle a introduit dans les scènes mon propre père qui selon elle était psychanalyste et qui m’avait amenée à y participer lorsque j’étais tout enfant. Rire qui dans un premier temps l’a sidérée et la même faite rire puis l’a beaucoup fâchée risquant de compromettre la suite de la prise en charge. Je passe sur beaucoup d’autres éléments. J’ajouterai seulement qu’elle a produit un écrit absolument obscène de ce qu’il s’est passé. Je préciserai qu’elle a une sœur d’un an son ainée qu’elle active dans un discours organisant presque un délire à deux, avec laquelle on peut soupçonner des actes homosexuels actifs. Sœur prise est en charge par une de mes collègues, et comme Fabienne le souhaite pour elle-même, est nourrice agréée. 

       Aujourd’hui « Fayenne » va beaucoup mieux et n’a plus besoin du même mode d’expression en ce sens qu’elle a une meilleure maitrise de ses émotions et qu’elle est capable d’admettre une critique des éléments de son discours en les replaçant dans une chaine associative plus cohérente à la façon d’un puzzle. Une cohérence qui se rétablit à la fois par contiguïté et par similarité de son fouillis incompréhensible et déroutant.

      Qu’une idée de la psychanalyse soit impliquée dans le foisonnement d’idées délirantes chez Fabienne D. n’est pas anodin même si on y reconnait tout à fait la description clinique de Dupré. Celui-ci n’évoque nullement la moindre technique psychanalytique comme embrayeur, mais fait appel à des éléments de discours qui se tenaient dans l’environnement social de l’époque de ses observations.  En effet la patiente Fabienne aborde ses dires sur ce qu’elle subodore de la psychanalyse comme étant la révélation de faits cachés. Son délire se constitue en vertu de ce qui se diffuse dans le public qui serait que la psychanalyse est porteuse d’un savoir sur la vérité et sur le sexe, sur le mystère de l’origine et sur le réel. La question est un peu plus complexe. D’autant plus qu’elle tente d’y intégrer le savoir qu’elle tire de réunions de témoins de Jéhovah dont elle est adepte.

       L’édiction même de la règle fondamentale émet l’hypothèse, à juste titre, du savoir inconscient du sujet qui va se révéler et à l’analyste et à l’analysant – même si l’analyste est supposé savoir déjà- ce qu’il en est de l’inconscient et de ses productions. Le dispositif lui-même de la psychanalyse favorise cette création extemporanée au fur et à mesure des séances. On a plus l’habitude d’entendre parler de paranoïa dirigée à propos de l’acte psychanalytique que de production d’un délire d’imagination. On pourrait s’en étonner, mais il est vrai que la paranoïa, type celle de Sérieux et Capgras, est plus proche de notre fonctionnement mental commun par la réflexion qu’elle implique que le délire d’imagination. Pourtant je me souviens d’une remarque forte de Lacan dans un des Ecrits, peut-être dans La conduite de la cure où parlant de l’analysant, il s’exclame : « si au moins il pouvait s’arrêter de réfléchir » !

       Fabienne D., effectivement abolit tout jugement et tout esprit critique dans la production de son discours créant un délire qui n’est pas sans relation avec la création des mythes et des contes pour enfants et ce n’est pas l’article de Lacan sur Le mythe individuel du névrosé qui viendrait à l’encontre de cela. Elle s’appuie, il faut le noter sur sa qualité de témoin de Jéhovah.

       La présence de tout délire impose de rechercher cet autre phénomène élémentaire de la psychose qui est l’hallucination et qui, elle, signe la structure comme telle ; dans cette observation, jusqu’à ce qu’un démenti survienne ultérieurement elle est remarquablement absente.

       Ce qui est fondamentalement posé à travers ce type de clinique est : qu’est-ce qu’un délire ? N’est-il pas à la base même de la création de notre réalité, n’est-il pas de la même étoffe que la production des mythes et des contes ? Ils procèdent de façon égale de la tentative, qu’elle aboutisse ou non, de donner une explication et un sens à la question énigmatique de l’engendrement, confère Otto Rank, de la filiation et, par la même, de la sexualité humaine prise dans les rets du signifiant. Ils tentent de rendre compte par la mise en mots du mystère de la sexuation assortie de la castration qu’implique non seulement l’accès au langage mais l’acceptation des lois de la parole qui nécessite le refoulement pour échapper à la béance du réel et au foisonnement d’actes d’une sexualité prise sans limites dans des articulations jaculatoires de découpage du réel. Nous y entrevoyons le mystère de la connaissance par la parole et son échec même car la parole ne peut rien dire sur elle-même dès lors qu’elle est émise, refoulement ou pas.

      Ils procèdent de la nécessité de ce découpage pour en fournir le sens caché tout en fixant les interdits tel le tabou de l’inceste pour que puisse s’effectuer le jeu du désir et non pas la jouissance permanente et mortelle des corps qui ne peuvent s’atteindre que découpés en morceaux.

     Ils révèlent la nécessité d’un autre pour surgir et se développer, mettant en évidence que non seulement que l’autre y participe mais s’y construit tout autant.

       On y retrouve le caractère profondément érotomaniaque de la relation à l’autre dans une jouissance à partager où le désir de mort est à peine voilé. 

       La clinique de la paraphrénie s’y inscrit, le délire est inhérent au fait même de parler, de parler à un autre où toujours il y a en sous-jacence la problématique « lui ou moi ».

       L’insistance de Fabienne D. sur le caractère de vérité de son dire est tout à fait à entériner comme tel, à savoir comme un texte recélant un impossible à dire de sa place dans l’histoire de sa famille et de ce qui a constitué dans ce qui ne peut être dit sur la férocité des rapports familiaux et sociaux. Les différents analystes mis en scène par elle, les analystes et elle-même de concert, construisant le mythe qui pourra la sortir de l’impasse dans laquelle elle se trouve pour la constitution de son délire, dans le transfert que non seulement elle vit mais dont elle use en toute bonne foi pour déterminer ses propres contours. Elle constitue ainsi, sur le mode métaphorique, ce que la réalité nécessite de fabrication pour se faire admettre.

       Ainsi chaque élément d’un délire est à analyser comme chaque élément d’un mythe, à savoir comme une question universelle prise dans des signifiants particuliers pour l’assomption d’une histoire.

      Et de plus est réitéré ainsi le questionnement de Jacques Lacan sur le système de la transformation du signifiant dans les différentes manifestations du symbolisme que la psychanalyse a révélé dans le psychisme.

       Comme je l’ai déjà mentionné à quelques-uns, Fabienne a réussi à me retrouver il y a quelques mois, des entretiens téléphoniques ont lieu de façon hebdomadaire, par téléphone car cette patiente est retournée en Dordogne où elle entend terminer ses jours bien qu’elle soit âgé maintenant de 62 ans( née en 1960). Elle reprend quelques éléments de « sa psychanalyse » en reparlant de son histoire sans fioritures, de façon calme, elle a divorcé tout en restant en bons termes avec son ex-mari, son idéal vis-à-vis des autres est d’avoir des relations non conflictuelles, sa foi en Jéhovah la soutient en cela, son installation matérielle se heurte avec des voisins qui ont usé un peu frauduleusement des lieux qu’elle a loué et des problèmes de réhabilitation de ses lieux avec EDF et GDF  Situation banale. Elle se rend aux réunions des témoins de Jéhovah pour supporter ses désagréments et s’est rendu vers moi pour vider son sac.

       Manifestement, elle n’a pas évolué du côté de la psychose, sa façon d’être et de raisonner confirme qu’il n’y a pas de structure de psychose sous-jacente à ce qui relève du délire. Pourquoi a-t-elle été me rechercher ? elle a éprouvé le besoin de m’exposer ses tourments, des relations de voisinage conflictuelles Elle avait bien essayer de trouver quelqu’un à qui se confier car cet état de fait l’affecter beaucoup mais elle avait fui déçue d’ une écoute qu’elle a jugé défectueuse, prescription de médicaments, neuroleptiques, en faite j’ai compris qu’elle avait été classée en tant que paranoïaque. Elle eut la parade de se constituer un toit, un lieu en renforçant ses affinités avec les témoins de Jéhovah, communauté qui lui tient lieu de nom du père, pour revenir aux fondamentaux, mais qui se retrouve très bien dans pas mal de congrégations religieuses. Dans notre scepticisme ambiant, tout recours au religieux est entaché de suspicion, cela peut s’avérer mais ce n’est pas d’emblée à rejeter.

      Dans ce qui nous préoccupe aujourd’hui, de façon inversée, elle pose la question d’une évolution possible de la psychose vers la paraphrénisation. Freud avait noté chez Schreber des éléments de paraphrénie dans son délire tourné vers Dieu, J’avais évoqué cela chez Aimé F. dans la relation établie avec les objets. Tous deux avaient pu poursuivre leurs vies professionnelles, Pour Schreber cela ne l’a pas protégé de son effondrement, effondrement qui n’a pas eu lieu chez Aimée F. Cela pourrait démontrer que la paraphrénie n’est pas du registre de la psychose mais bien un moyen de se trouver une place dans l’Autre tout en conservant le pouvoir de l’imaginaire sur le réel. La paraphrénisation de la psychose peut donc être une issue possible à cette problématique de la place dans l’Autre à condition d’un étayage permanent par un autre qui prend la place et le lieu de l’Autre. Est-cela que va soutenir Michel avec son patient ?

       Je me permets de joindre à cette étude récente qui est un remaniement d’un travail précédent d’il y a une quinzaine d’année la discussion qui en a suivi, assez différente de celle qui a eu lieu le 4 février dernier.

DISCUSSION

Jacqueline Légaut :…Juste, je relevais à propos de cette question qu’elle te pose à l’issue des séances « Est-ce que mon maquillage n’a pas coulé ? » on peut se demander pour cette patiente en prononçant ces mots si elle ne te prends pas à témoin du fait que tout ce qu’elle a dit c’est de l’ordre du maquillage et qu’il y a là une façon de vérifier que tu as bien entendu. Et on peut se demander si dans ce déploiement de tous ces effets, il n’y a pas une tentative de séduction à l’endroit d’une autre femme que tu as ponctué par ce rire qui était si déterminant.

Nicole Anquetil : Oui, absolument. C’est-à-dire qu’elle met d’emblée quelque chose de l’ordre du transfert sur un mode séducteur et érotomaniaque. Et c’est aussi un petit peu ce qui avait effrayé le praticien avec qui elle avait eu à faire auparavant… C’était une femme également. Là il y a tout un tas de femmes mises en scène, les petites jumelles, une femme découpée en morceaux par un homme, elle -même susceptible d’être mise en pièces de fait, par le fric, par la prise en charge. Enfin, c’est quelque chose qui est en arrière-fond.

Jacqueline Légaut : Oui, mais enfin, on entend quand même qu’elle est en partie divisée par rapport à ce qui lui manque…

Nicole Anquetil : Oui, c’est bien pour cela qu’elle n’est pas dans la psychose.

Denise Sainte Fare Garnot : C’est moi qui ai la sœur, pas en analyse, en thérapie. Elle avait beaucoup insisté pour que je la prenne d’une manière itérative, parce que je n’étais pas pressée de le faire, elle habite dans l’Oise, tout semblait très difficile. Bon, puis je l’ai prise. Et évidemment la présence de la sœur est très importante. C’est elle l’ainée, de onze mois, et à un moment donné je me suis vraiment demandé si ce n’était pas une folie à deux parce qu’elle s’est mise aussi à raconter n’importe quoi : les fleurs qui parlaient, chaque fleur avait un nom, une couleur, et les couleurs lui parlaient, enfin, c’était…, j’ai un peu stoppé ça d’ailleurs. L’ainée est sous la domination complète de sa cadette et me raconte les histoires que sa sœur a découverte dans sa psychanalyse, mais puisque c’est sa psychanalyse, c’est forcément la vérité, et donc chez moi j’ai droit à l’écho des séances qui se passent chez Nicole avec une espèce de mensonge qui apparait dès les premiers mots qu’elle maintient, elle pleure, des sanglots épouvantables à ameuter le voisinage, puis ça s’arrête tout d’un coup, puis elle part, ça va bien. Elle veut m’embarrasser bien sûr. Voilà, c’est le genre d’écho de cette psychanalyse que j’ai, pas sur mon divan, bien sûr, en face à face.

Marcel Czermak : Je me rends parfaitement compte de ce type de cas, effectivement isolable, chez les uns et les autres l’idée d’une virtualité hystérique, et y compris, puisque Jacqueline vient de le faire, ce qui y serait là présent comme de l’ordre d’une séduction. Ce n’est pas facile de savoir ce que c’est qu’une séduction voire une virtualité érotomaniaque, mais enfin, si on fait précisément la systématique, je vais me permettre de le faire puisque ce sont des cas que j’avais précisément essayer d’isoler comme étant l’un des pôles de la psychose et que j’avais caractérisé comme étant des pôles d’un imaginaire sans moi. C’est-à-dire des personnes qui produisaient des formations extemporanées, labiles, inconsistantes, et qu’en somme on avait affaire à des gens, dont en aucun cas on pouvait dire qu’ils déliraient – le terme de délire parcourt notre réunion depuis hier – mais qu’il s’agissait de formations imaginatives sans spécificité à proprement parler psychotique. Et qu’au surplus, elles pouvaient aussi bien être bazardées d’un instant à l’autre. En d’autres termes, on avait affaire là à des patients dont on peut dire qui n’ont aucun sérieux. Je veux dire que c’est le comble de la maladie mentale puisqu’on évoquait la question du maquillage, enfin de l’habit. Moi, je me souviens d’une patiente, elle se prenait pour un torchon, c’est-à-dire qu’elle s’offrait à habiller tout ce qui passait à sa portée, et pourquoi pas le thérapeute ? Je crois que c’est un pôle tout à fait fondamental d’une psychose, qui est régulièrement raté parce qu’il passe inaperçu.

Des gens sans cristallisation aucune et avec lesquels on ne sait pas à quoi s’attendre, alors ça l’issue… ?  S’il y en avait une ou s’il y en a une, c’est une cristallisation paranoïaque sur quelqu’un, transférentielle, cristallisation en tous cas…Donc c’est un type d’être assez étrange puisqu’il se balade et se sont de purs habits, des porte-manteaux. C’est un pôle que nous ne devons pas seulement à Dupré, hier on évoquait Kraepelin, les paraphrénies confabulantes de Kraepelin, c’est de ce tonneau. Enfin sur la doctrine, c’est ce qu’on fait de mieux en matière de maladie mentale.

Nicole Anquetil : Oui, moi ce que je peux constater cliniquement, du moins dans tout ce qu’elle a amené et dans l’évolution même de son discours, c’est-à-dire chaque point qu’elle amène, qui est organisé comme ça de façon délirante, à partir de chaque point on peut relever, on peut donc remettre en place les signifiants, ses signifiants à elle. C’est-à-dire, par exemple, pour la question de Joséphine, Joséphine sa « vraie maman » qui a un château, une fois la phase terminée des grandes des grandes manifestations somatiques et l’effusion de son discours, nous voyons que ce qui est en train de se mettre en place dans la cure, en prenant un à un chaque élément, ce sont des éléments de sa propre histoire ; ils s’y intègrent parfaitement. On apprend que F. a travaillé dans le Lot et Garonne (elle y habitait dans son enfance), à l’âge de 20  ans dans un château et sa sœur lui aurait fait remarquer ceci : « quand tu travaillais dans ce château on aurait dit qu’il t’appartenait ». Pas tellement loin il y avait le château de Joséphine Baker qu’elle admirait beaucoup avec l’adoption de tous ses enfants. Donc ça avait cheminé finalement dans son esprit « peut-être que mon sort aurait été bien meilleur si j’avais été adopté par Joséphine Baker, dans le sens qu’elle reprochait à ses parents un manque d’amour et une férocité dans la façon dont ils l’ont éduqué, elle les reniait en quelque sorte pour les maltraitances subies. C’est-à-dire que l’on repère les éléments d’une historisation dans ce qu’elle jetait pèle mêle pour nourrir « son analyse ».

Bernard Vandermersch : il y a un aspect également dans ce cas qui est un peu particulier, c’est l’espace de la séance auquel sont réservées ces productions. Ce n’est pas quelque chose qui envahit toute sa vie, ce n’est pas quelqu’un qui est en perpétuelle création de délire imaginatif avec tout le monde, c’est réservé à l’espace de la séance. C’est une utilisation assez curieuse de la séance puisqu’il semble qu’à un moment donné il n’y a plus aucun écart entre l’imaginaire…, comme si elle oubliait d’indiquer l’index du conte, elle ne parle plus au passé simple.

Voilà, c’est pour ça que je ne suis pas sûr qu’on puisse parler d’une psychose sans moi.

Nicole Anquetil ; Moi non plus, je ne suis pas sûre du tout.

           

Une équivoque xénopathique, Michel Jeanvoine

Collège de Psychiatrie

Samedi 4 février 2023
Journée d’étude sur
« Les paraphrénies. Paraphrenisation ? » 

 

Une équivoque xénopathique 

Je ne vais pas reprendre ce qui s’est très bien dit ce matin sur cette plus ou moins vaste question. Tout est fonction du zoom avec lequel nous l’abordons et de la passion classificatoire qui peut animer le clinicien. Ma réflexion de ce matin part d’un constat assez simple, un constat de clinicien, à savoir celui-ci: un tableau clinique s’élabore avec les propos d’un patient adressé à un clinicien. C’est-à-dire, ce que nous avons déjà amplement développé, que le clinicien appartient au tableau. Ceci est un premier point à toujours rappeler. La clinique est freudienne, lacanienne, … C’est-à-dire rappeler qu’avec l’adresse les enjeux du transfert sont toujours à la commande.

Et la question suivante vient alors immédiatement à l’esprit, en quoi et comment un tableau clinique est susceptible de se transformer, car ceux-ci se transforment et évoluent, même si cette transformation se tisse autour de quelques fils initiés dans un premier moment que nous pourrions appeler fécond. Et en quoi le transfert pourrait-il être de la partie? Ma question d’aujourd’hui est celle des conditions de cette transformation qui ne conduit pas, ici, vers un état déficitaire, cette fameuse démence, mais vers un état de pacification qui peut prendre des allures variées à couleur interprétative, paranoïaque, imaginative, fantastique, voire confabulante …. Vous reconnaissez là les différentes catégories de notre sémiologie des paraphrénies mais avec ceci, c’est qu’après un moment dit fécond la chronicisation active engagée peut se faire, dans la pleine conservation des capacités intellectuelles et cognitives du patient, vers un état de pacification progressif. D’où le terme proposé de « paraphrenisation », ou que nous pouvons proposer, pour caractériser ce travail. Quels en seraient alors les enjeux ?

Si tout parcours de ce type commence le plus souvent par une effraction xénopathique, dont nous pouvons à chaque fois, avec le patient, en reconstruire les coordonnées symboliques – ce que nous appelons l’entrée dans la psychose – il peut arriver régulièrement, ou pas , qu’un nouveau moment fécond, voire plusieurs, viennent le rythmer. Occasion pour donner un peu mieux à lire comment ces coordonnées symboliques sont toujours actives, et surtout comment le savoir-faire du patient a pu se développer dans ce type de situation critique, et comment celui-ci peut participer activement à cette pacification. Ce sont donc de nos patients qu’il nous faut apprendre. Et nous comprenons peut-être un peu mieux pourquoi il importe de rappeler que le clinicien participe non seulement du tableau clinique mais de l’invention possible ou pas, d’un savoir-faire. 

1921, Paul GUIRAUD publie son article, désormais célèbre, intitulé « Les formes verbales de l’interprétation ». Il fait le constat, après SÉRIEUX et CAPGRAS, de la présence quasiment constante, et tout spécialement dans le mécanisme même de l’interprétation, mais pas seulement, de jeux verbaux comme le rébus, le double sens des phrases ou des mots, des jeux de mots… Il en relève la fréquence, l’importance, sans pour autant aller au-delà. Dans son article, Paul GUIRAUD apporte de nombreux exemples cliniques. Et il peut conclure que les quelques caractéristiques des interprétations verbales sont, tout d’abord, la polarisation de l’association de mots par l’état affectif, et la perte localisée du sens critique, en pointant un essai d’harmonisation entre la nouvelle certitude affective et l’intelligence. La présence d’une activité hallucinatoire résiduelle, d’une exaltation morbide, voire de l’influence, peut se développer, en empruntant l’image employée par Paul GUIRAUD, tel un néoplasme psychologique habillé par les néologismes, les jeux de langage… 

Ce constat tous les cliniciens attentifs le font avec régularité. LACAN s’y arrêtera et pourra même s’appuyer sur les remarques cliniques, très justes, mais trop courtes de Paul GUIRAUD.

En ce qui nous concerne, comment pouvons-nous lire ces manifestations et quel statut leur donner ?

J’avais pu faire, il y a bien longtemps, un premier travail sur cette question, intitulé « De l’hallucination à l’interprétation », 1993 – vous le trouvez, avec d’autres textes, dans « Parcours d’écriture(s) « – où j’étais sensible à la dimension topologique à l’œuvre dans la construction d’une nouvelle réalité, comme le suggère FREUD dans ses commentaires sur les Mémoires du Président SCHREBER. Je faisais référence à la bande bilatere à double tour (BB2T, celle qui, par recollement donne une bande de Moebius) pour rendre compte de l’organisation structurale du délire schreberien en un dualisme (et non pas dualité) . Et je pouvais alors montrer comment ses interprétations, dites délirantes, relevaient d’un même montage topologique, commandé xénopathiquement. Tout semble donc se passer comme si un certain savoir-faire, dont nous pourrions rendre compte topologiquement, opérait, depuis la très bruyante irruption initiale, et xénopathique, de l’hallucination verbale jusqu’aux manifestations les plus fines de l’influence et de l’interprétation. Il y a là, dans l’évolution d’un tableau clinique – évolution, cependant, que nous ne rencontrons pas toujours, mais habituelle – il y a là un processus de pacification, une manière de faire avec ce qui s’impose et ainsi l’aménagement progressif d’une place dans un tissu social. Là où les coordonnées symboliques évoquées l’avaient introduit à une situation où il s’était avéré qu’il n’y avait pas d’autre recours pour lui que tomber dans le trou qui s’ouvrait, un maelström emporte alors son imaginaire. Avec le consentement à ce qui s’impose à lui, et vient faire écriture d’un nouveau bord, un savoir-faire s’invente. Avec l’assomption de ce consentement, et le savoir-faire qui en tombe, une nouvelle réalité se construit, certes délirante, mais une réalité. Celle-ci possède cette caractéristique d’être toujours au travail, sans cesse en construction, et sans le poinçonnage dont le névrosé se soutient avec son symptôme défensif. Si le tissu de cette réalité « délirante » a toujours comme fil la consistance de ses premiers autres xénopathiques, dans leur entre-deux, prend place, s’élabore et se loge progressivement la dimension de l’énigme. Et la progressive civilisation de son monde se fait du même pas, et au même rythme que cette progressive mise en place.

Une énigme de nature xénopathique !
Une énigme qui cherche son bord, pourrait-on dire,et un bord tout à fait singulier puisqu’en dernier ressort c’est du jeu même de la lettre que celui-ci se constitue.

Examinons ce mécanisme, toujours identique à lui-même. En voici un exemple.
Une patiente est reçue par Paul GUIRAUD dans son bureau. Sur celui-ci se trouve disposé un bouquet de dahlias mis en place par l’infirmière. La patiente pourra évoquer un peu plus tard, en interprétant la présence de ces fleurs, les menaces de mort manifestes dont elle fait l’objet… Tout semble se jouer dans le passage de la parole à l’écrit : en effet comment ce « dahlias » présent sur la table, nommé par la patiente, peut-il se décliner dans l’écriture ? « dahlias » / « dalle il y a ». Tout se passe alors comme si le persécuteur pouvait habiter ce « dahlias », et ainsi ce bouquet faire signe et faire résonner ses menaces. C’est par l’écriture que cette double déclinaison s’ouvre, lieu d’un entre-deux où cette énigme prendra progressivement corps, donnant un instant à la patiente un lieu où habiter. Elle se fait l’énigme. Là est un savoir-faire qui s’impose et la commande par ce trait qui fait bord, et qu’elle ne peut que faire sien. Un double bord, une double boucle dont nous pouvons rendre compte par cette bande bilatere, qui cherche à se boucler en trouvant un destin moebien. Opération à réitérer cependant, car cette néo-coupure qu’elle vient habiter ne peut avoir le statut d’un véritable poinçonnage. L’énigme dont elle se soutient n’a aucunement le statut d’un impossible.

Nous pourrions évoquer en cet endroit les travaux de Claude-Levi-Strauss sur la structure du mythe. Le travail de paraphrenisation, si nous adoptons ce terme, semble posséder les mêmes caractéristiques qu’un mythe: un être verbal, en développement concentrique, avec en son cœur une énigme, et qui se présente dans une structure feuilletée. Comme si la réalité du patient était dédoublée, possédait, au delà de celle qui se présente, une autre dimension, qui peut prendre des dimensions les plus diverses,imaginatives, fabulatrices ou confabulatoires, fantastiques… 

Une même condition entre mythe et psychose: pas d’énonciation collective et pas d’énonciation qui spécifie un sujet parlant. C’est alors le bord, avec sa consistance, qui donne corps, soit le lieu sacré des origines avec le mythe, soit l’autre xénopathique chez ce patient en mettant en place le lieu d’une énigme. Ce patient ne peut qu’en faire la radicale épreuve, là où, équipé du refoulement, nous sommes en mesure de ne rien vouloir en savoir au prix masochiste du symptôme. 

N’êtes-vous pas saisi par la proximité, manifestée ici, avec les propositions freudiennes sur la psychopathologie de la vie quotidienne ? Son analyse du mot d’esprit, par exemple ?

N’êtes vous pas saisi par la proximité, manifestée ici, avec la construction du symptôme ? Construction qui ici échoue, et ne peut que se répéter, avec un peu plus de finesse et précisions. La ponctuation n’est pas un poinçonnage. 

Le symptôme, si nous suivons FREUD avec LACAN, peut se lire comme le retour d’un élément refoulé, voire, plus précisément, du refoulement lui-même, où l’analysant peut lire son propre message qui lui vient de l’Autre. Si nous reprenons, à titre d’exemple, cette même séquence, ce « dahlias » occupe un bord, celui du « je », et ce « dalle y a » sur un autre bord, le bord indexé de « l’autre » d’où lui vient son message. L’interprétation lacanienne, en pointant la répétition, conjoint ces deux bords en révélant leur homogénéité insoupçonnée en les mettant en continuité. C’est le travail même sur et avec l’équivoque. C’est ainsi que, par cette mise en continuité, se dénoue ce qui s’est noué par la parole. Un espace temps fantasmatique retrouve sa dimension signifiante. L’objet, en exclusion, s’avère en exclusion interne: le sujet y reconnaît son message inconscient. Nous en avons là un exemple. La remise en jeu de ce signifiant dans le travail d’une cure lève le Réel du symptôme en en dissolvant le bord et en proposant, de fait, un nouveau bord, une nouvelle écriture. Mais il importe de remarquer que ce type d’interprétation, l’interprétation lacanienne, ne porte aucunement sur le sens à donner à ce qui surgit sur un bord en proposant, de fait un nouveau mythe, mais relève d’une scansion mettant au premier plan ce lieu d’un entre-deux qui commande et qui ne trouve consistance qu’à se donner ces deux bords en opposition, la double boucle. 

Dans ces deux situations nous rencontrons la sollicitation de l’équivoque, mais sur des versants opposés.

L’une, avec l’interprétation, lacaniennne, de l’analyste, dans ses effets inconscients et automatiques, qui surprend le sujet et le déplace,avec ses effets d’après-coup. Qui va d’un poinçonnage à l’autre.

Et l’autre, avec l’interprétation délirante et son équivoque où un savoir-faire, s’impose, dont le patient ne peut que s’accommoder. Ici, pas de véritable poinçonnage, seulement une place faite à une énigme xénopathique qui ne cesse pas de ne pas s’écrire et dont un patient est le produit. Patient qui vient valider auprès de son thérapeute le lieu de cet entre-deux, la doublure qui lui donne corps. Un objet en exclusion externe, internalisé par cette validation, pourrait-on dire, si par le sens, en bon lacanien topologue, il peut ne pas être emporté. Là est sa responsabilité d’analyste. 

Avec ce travail de pacification fondé sur la néo-coupure, la réalité du patient prend alors une possible configuration que nous connaissons bien. À savoir le sentiment d’être habité par une mission vectorisant son monde. Celle-ci peut être soutenue par une élation plus ou moins vive, toujours associée à une mégalomanie plus ou moins latente.

La clinique, mais pas seulement, le champ de la littérature aussi, n’est pas sans nous apporter sur ces mécanismes des éclairages saisissants. Comment lire JOYCE, en effet, et son parcours avec NORA, qui l’amène à réaliser, « dans la forge de son âme, la conscience incréée de sa race », réalisant ainsi sa mission en devenant le plus grand des écrivains. Et faut-il rappeler la place grandissante, dans son œuvre, faite à l’équivoque, par le jeu de mots, le jeu de l’entre-deux langues, jusque dans Finnegans Wake, son dernier livre et le plus abouti, pourra-t-on dire… Comme si son œuvre était emportée par le torrent d’une énigme dont elle ne pouvait que se nourrir ! Mais nous sommes ici dans la littérature, et l’expérience semble bien montrer que la civilisation de certains processus par un savoir-faire n’est pas sans effets et conséquences.

Ainsi, avec nos patients, il apparaît que cette pente qui s’ouvre, depuis les premiers temps bruyants d’une entrée dans la psychose, tisse un parcours que nous pourrions qualifier de « paraphrénisation ». Chaque histoire est singulière, faite de toutes les rencontres contingentes, chaque parcours est singulier, et ouvre un chemin spécifique. Mais serions-nous à même, à chaque fois, d’y lire la mise en jeu d’une logique qui s’impose et qui n’est autre, que la logique du signifiant ?

Peut-être serions-nous plus à même, alors, d’entendre ce que LACAN nous disait dans son séminaire sur « Le sinthome », en disant que nous étions tous parlés, mais que notre statut de névrosé nous le faisait ignorer. Nous ne voulons rien en savoir. Seul le psychotique en fait l’épreuve, sans avoir à son service le refoulement inconscient pour s’en défendre en construisant un symptôme. Là peuvent se lire les effets et conséquences très concrets de ce que LACAN avait pu nommer en son temps, la forclusion du Nom du père, signifiant essentiel à une prise dans l’ordre du signifiant.

La clinique de la psychose nous est donc très précieuse. Et comment aborder de la juste manière celle de la névrose sans cet éclairage ? 

Pour conclure, une question se pose, celle de ce que pourrait être une « psychothérapie des psychoses ». Après ce parcours que je viens de vous proposer, il nous faut rester très modeste. Cette pente qui conduirait un patient à prendre un peu mieux sa place dans le tissu d’une communauté, pourrait quelquefois, donner le sentiment que celle-ci se fait au  » petit bonheur, la chance ». 

Les patients que nous recevons, avec la bonne prise en compte du transfert, s’engagent-ils plus facilement dans cette voie ? La question mérite d’être posée.

Et en quoi, et comment, le juste maniement du transfert pourrait ouvrir, pour un patient, avec un peu plus d’appétence, cette pente ? 

Et quelles autres issues à une possible « psychothérapie des psychoses » pourrait-on mettre en œuvre? Et s’il y en avaient, quelles seraient-elles ? Nous en resterons sur ces questions ce matin.

Michel JEANVOINE

Jean GARRABE, « Les leçons cliniques dans les sciences de l’esprit : approche historique »

Les leçons cliniques dans les sciences de l’esprit :

approche historique.

Jean GARRABE

 

     Michel Foucault a fort justement sous-titré son Histoire de la clinique « archéologie du regard médical ». C’est en effet la méthode de l’observation au lit du malade – n’oublions pas que clinique vient du grec kliniké techné «  médecine exercé au lit du malade » dérivé de klinikos,  « qui concerne le lit » –  des phénomènes pathologiques que sont les symptômes et leur interprétation comme signes  d’une maladie  qui permet d’en faire le diagnostic et de déduire de celui-ci le traitement adapté à la personne qui en souffre. Je vous propose d’explorer les couches archéologiques modernes  de cette médecine  clinique.

      Sous l’Ancien Régime l’enseignement donné dans les Facultés royales de Montpellier et Paris était purement théorique et se bornait à  des cours scholastiques donnés en latin  du haut d’une chaire  et sans que les professeurs donnent aux étudiants des leçons au lit du malade. La seule science d’observation enseignée dans ces facultés prestigieuses était la botanique et elles avaient chacune  pour ce faire un magnifique  Jardin des Plantes. Les premières classifications des maladies se sont faites more botanico.

     Ce n’est qu’à partir de la Révolution que des maîtres comme Corvisart à l’ancien hôpital de La Charité ou à celui militaire du Val-de-Grâce donnent des leçons cliniques à leurs élèves en examinant devant eux des malades. Souvent les assistants prennent  pendant l’examen des notes qui seront ensuite publiées sous le titre Leçons cliniques. Philippe Pinel, nommé en même temps professeur de pathologie médicale à l’Ecole de Santé  créée pour remplacer l’ancienne faculté royale abolie par la Convention  et médecin-chef à la Salpêtrière examine de la même manière des aliénées avec ses premiers élèves Landré-Beauvais  et J .E.D. Esquirol. Ceci lui permettra à partir de l’An IX  de distinguer et de décrire des variétés d’aliénation mentale qu’il décrit dans la 2ème édition (1809) de son Traité Médico-philosophique sur l’aliénation mentale qui a été corrigé par rapport à la premières  en fonction des constatations cliniques  faites  au cours de ces leçons. C’est là l’exemple d’un traité qui n’est pas purement théorique  même si Pinel y formule une théorie de l’aliénation mentale, mais qui  s’appuie sur les constatations faites lors de l’examen clinique du malade, qui essentiellement ce que dit celui-ci sur l’origine de ses troubles. C’est le fameux dialogue avec l’insensé, ancêtre de la psychothérapie verbale. Pour Georges Lantéri-Laura c’est là le premier paradigme de la psychiatrie moderne, celui de l’aliénation mentale.

     Entre les deux éditions du Traité Pinel publie en l’an VI la Nosographie philosophique ou La méthode de l’analyse appliquée à la médecine dont on les historiens datent la naissance de la médecine clinique moderne.

     Pinel signale  en 1809  que son élève Landré-Beauvais publie cette même année sa Séméiotique ou Traité  des signes des maladies. C’est Landré- Beauvais qui lui succédera  à la fois comme professeur de pathologie à la Faculté et comme médecin-chef à La Salpêtrière. Il devait être meilleur élève qu’Esquirol qui est pourtant plus connu que lui, ou plus respectueux de l’enseignement donné par son maître mais son livre qui aura trois éditions sera utilisé pendant tout le début du XIXe siècle pour enseigner aux étudiants en médecine cette nouvelle science des signes. Nous lisons dans l’introduction : « L’enseignement de la médecine clinique, qui est devenu presque général a la fin du siècle dernier, a ramené naturellement à une étude plus suivie et plus judicieuse des signes des maladies. Le professeur qui doit apprendre à reconnaître au lit des malades et à traiter les nombreuses altérations qui surviennent dans notre organise, commence par fixer les sens de ses élèves sur les phénomènes morbides ou symptômes des maladies… il fait distinguer ceux qui sont caractéristiques des maladies, et qui peuvent éclairer sur l’état présent ou futur des maladies. Cette première partie de la médecine clinique, … , était assez négligée, lorsque le professeur Pinel voulut bien, il y a dix ans, m’associer à son enseignement particulier de la médecine clinique » (P. xviij). Cet enseignement particulier est celui des leçons cliniques que Landré-Beauvais cherche ensuite à faire acquérir à ses propres élèves. Dès l’introduction  Landré-Beauvais distingue les phénomènes, les symptômes et les signes et surtout il examine « quelle est la fonction de l’entendement par laquelle un symptôme qui ne frappait que les sens acquiert une signification, et devient un motif de juger de l’existence d’une chose cachée. Cette opération consiste dans recherche du rapport qui unit le symptôme signifiant avec le phénomène signifié, et cette recherche se fait de plusieurs manières : par l’observation physiologique, par l’observation clinique et par l’anatomie pathologique e par l’anatomie » (p.4). Cette expression du  rapport du signifiant et du signifié sera reprise par Ferdinand de Saussure dans son cours de linguistique structurale et ensuite en psychanalyse mais son origine est celle de la séméiologie médicale.

      Dès sa nomination comme médecin-chef des admissions à Sainte-Anne en 1867 Valentin Magnan entreprend d’y donner des leçons cliniques qui seront très suivies par des élèves tant français qu’étrangers ; on peut citer parmi eux le jeune Eugen Bleuler. Elles seront un temps suspendues à la suite d’une campagne de presse dénonçant l’exhibition de fous,  puis rétablies car il n’existe pas d’autres moyens d’enseigner la clinique mentale en train de naître et qu’il ne s’agit plus de fous mais de malades.  Aussi quand est créée à Sainte-Anne même une chaire de Clinique des Maladies Mentales et de l’Encéphale tout le monde s’attend à ce que ce soit Magnan qui en soit nommé titulaire, mais à la surprise générale c’est Benjamin Ball qui l’est. C’est d’autant plus surprenant que le service de Ball à l’Hôpital Laennec étant  un service de médecine où ne sont pas hospitalisés des aliénés, il ne peut enseigner la clinique mentale.

     Dans le système universitaire français apparaît le « chef de clinique » jeune médecin qui à la fin de son internat va transmettre aux internes débutant cette science des signes des maladies qui permet de faire un diagnostic.

     Egalement pendant le Second Empire le  professeur d’anatomo-pathologie  à la Faculté Jean-Baptiste  Charcot faisait des leçons cliniques sur les maladies dont souffraient les femmes âgées hospitalisées dans  son service de la Salpêtrière. En utilisant la méthode anatomo-clinique, c’est-à-dire en vérifiant à l’autopsie quelles étaient les lésions du système nerveux central  qui les provoquent il fonde en quelques années la neurologie et devient mondialement célèbre, attirant dans le vieil amphithéâtre où il donnait ses leçons des médecins du monde entier. Ses leçons recueillies par ses élèves comme Désiré-Magloire Bourneville sont régulièrement publiées. Elles sont de deux types : soit des cours théoriques sur les maladies du système nerveux, soit des examens cliniques de malades devant des étudiants.

     Mais après la Guerre de 1870, l’effondrement du Second Empire, le siège et la Commune de Paris Charcot va voir adjoindre à son service de personnes âgées un pavillon d’ « épileptiques simples », malades jeunes qui  les unes font  des crises comitiales authentiques, les autres,  peut-être par imitation,  des crises convulsives que l’on rattache à l’hystérie. Les leçons clinique vont être très différentes de celles d’avant 70 comme celle représentée par André Brouillet (857-1914) dans son célèbre  tableau Une leçon clinique à la Salpêtrière (1887) où l’on voit la malade, Blanche Whitman, tomber dans les bras du chef de clinique  Babinski  en présence d’un auditoire où l’on reconnait, entre autres G. Gilles de la Tourette. Mais Charcot va faire venir dans son service un jeune professeur Pierre Janet lequel, pour sa thèse de philosophie, avait utilisé à l’Hôpital du Havre, avec l’autorisation des médecins de cet établissement, l’hypnose pour explorer l’état mental des hystériques. Charcot  conseille à Janet de faire ses études de médecine et crée pour lui à la Salpêtrière un laboratoire de psychologie expérimentale. Le gouvernement de la IIIe  République crée pour Charcot à la Salpêtrière une chaire de clinique des maladies du système nerveux. Vous savez l’étonnement d’un jeune « nervenartz » viennois qui arrive à Paris pour étudier la neurologie avec une lettre de recommandation de Benedikt à son ami Charcot de voir qu’en fait on s’y occupe maintenant d’explorer l’inconscient, lequel a été découvert il y a fort longtemps. Ce qui est curieux  c’est que Benedikt qui parlait déjà de libido, de pulsion a disparu de l’histoire de la neurologie et de la psychanalyse. Malheureusement Charcot meurt inopinément trois semaines après la soutenance de la thèse de médecine de Janet ; son corps est exposé à l’Eglise Saint-Louis de la Salpêtrière avant ses obsèques civiles au cimetière de Montmartre. Quant Jules Déjerine occupera à son tour la Chaire il mettra dehors tous les collaborateurs de Charcot et fermera le laboratoire de Janet. Heureusement celui-ci a été nommé professeur au Collège de France, en remplacement de Théodule Ribot, et pourra y faire ses cours mais pas de leçons cliniques,  car il ne peut présenter de malades. Il peut  seulement y parler de ce qu’il suit à son cabinet rue de Varennes qu’il désigne  par des pseudonymes. Le seul dont nous connaissions l’identité est Raymond Roussel car celui-ci a lui-même révélé dans  » Comment j’ai écrit certains de mes livres » que Janet a parlé de lui sous le nom de Martial qui est celui d’un personnage d’une de ses pièces de théâtre. Effectivement Janet parle dans De l’angoisse à l’extase d’un nommé Martial. Lorsque Janet a cessé de recevoir des malades rue de Varennes  il a détruit leurs dossiers mais a conservé une liste de leurs noms.

    Les cours de Janet étaient eux aussi sténographiés par des médecins qui y assistaient et publiés. L’assistance au cours du Collège de France étant entièrement libre le public est des plus variés. Je citerai parmi les médecins qui ont assisté au cours de Janet  dans l’entre-deux-guerres Henri Ey, Jacques Lacan et Jean Delay. Celui-ci invitera Janet retraité et âgé pendant l’Occupation à présenter des malades à Sainte-Anne à des étudiants.

    Les professeurs de psychologie à la Sorbonne faisaient assister leurs étudiants à des présentations de malades faites dans différents services de  Sainte–Anne. Je ne vois pas d’ailleurs où ils auraient pu apprendre ailleurs la psychopathologie, certainement pas à la faculté de Lettres.

    Un autre lieu d’enseignement réputé de la séméiologie et de la clinique des maladies mentales étaient  dans l’entre-deux-guerres l’Infirmerie Spéciale où assister à l’examen des individus ramassés par la police dans les lieux publics  dans un état faisant penser qu’ils étaient dans un état d’aliénation mentale par  G.G. de Clérambault  devant quelques auditeurs choisis par le maître des insensés était un privilège rare. Lacan qui y a été interne a pu dire que Clérambault avait été son seul maître en psychiatrie. On sait  que l’ouvrage publié en 1943 par ses élèves sous le titre « Œuvre psychiatrique » n’est ni un traité, ni un manuel mais un recueil d’observations cliniques de malades passés par l’Infirmerie, observations  souvent présentées et discutées lors de séances de sociétés de psychiatrie alors existantes comme la médico-psychologique.

    Dupré quand il sera lui-même médecin-chef de l’Infirmerie maintiendra cette tradition d’examens cliniques de malades avec un auditoire plus mondain comme par exemple l’écrivain Paul Bourget. Je me demande si cette ouverture publique ne vise pas à répondre à la crainte répandue d’un internement arbitraire surtout  s’il résulte d’une procédure policière.

    Pour conclure sur une note plus personnelle je dois dire que c’est ainsi que j’ai appris la psychiatrie. Nommé à l’internat des hôpitaux psychiatriques de la Seine en 1958 j’ai assisté aux présentations de malades que faisait Henri Ey à l’ancien amphithéâtre Magnan, qui étaient suivies d’un exposé théorique dont nous avons retrouvé le contenu dans le Manuel de psychiatrie écrit avec Paul Bernard et Charles Brisset dont la 1ère édition est de 1960. Le premier chapitre de la deuxième partie est consacré à la séméiologie avant que le second n’aborde les méthodes para-cliniques en psychiatrie. Par contre  je n’ai assisté pendant mon internat à Sainte-Anne qu’aux examens de malades  que faisait Lacan à la demande des assistants et des internes  dans le service de Daumézon où à l’époque Georges Lantéri-Laura était assistant et Charles Melman interne ; les conclusions que tirait Lacan de ces examens étaient comme on dit classiques. Mais j’ai assisté aussi pendant ces années de formation à des consultations faites devant les internes par Ajuriaguerra, avant qu’il ne parte à Genève, et pour les enfants par Pierre Mâle.

    Après deux ans de formation à la psychiatrie de guerre dans différents hôpitaux militaires j’ai été nommé en 1964 médecin des hôpitaux psychiatriques. Malheureusement depuis la suppression du service militaire obligatoire les médecins ne sont plus formés à la médecine des catastrophes de guerre, naturelles ou industrielles.

   Dans les services où j’ai ensuite pendant trente ans assumé ces fonctions d’abord à Ville-Evrard puis à l’Institut Marcel Rivière et qui étaient considérés comme qualifiants, j’ai continué à faire ces examens cliniques de malades consentants devant un auditoire d’internes, de médecins étrangers, de psychologues et de soignants surtout pour des malades dits « difficiles », même si je me suis toujours étonné que l’on pense qu’il existe des malades faciles que l’on puisse comprendre tout seul et à partir de connaissances purement théoriques acquises à la Faculté ou ailleurs déterminer la conduite thérapeutique adaptée pour le malade examiné cliniquement. La quasi-totalité des malades était satisfaite quand on leur communiquait les conclusions tirées de cette présentation clinique qu’ils vivaient comme une marque d’attention à leur cas.

    Je sais qu’à un certain moment ces présentations de malades ont été critiquées alors même que l’on proposait, pour diverses raisons,  des examens dans une pièce aménagée avec une glace sans tain qui permettait d’enregistrer l’examen pour le revoir ensuite de manière objective. Il ne s’agit plus d’un examen clinique avec un contact direct de personne à personne.  

    Je suis, bien entendu, particulièrement effrayé de voir utiliser les différentes éditions du DSM, manuel qui, à l’instar de celui  de la Classification Internationale des Maladies n’est conçue que pour recueillir des données épidémiologiques statistiques, dont je ne méconnais pas l’utilité pour les autorités sanitaires nationales ou internationales, comme si elles permettaient d’apprendre et d’enseigner la clinique mentale. Il faut au contraire connaître celle-ci très bien pour pouvoir les utiliser correctement.

    J’ai entendu parler des difficultés que fait la Fédération belge des psychologues qui a un code de déontologie pour que ses adhérents participent à de telles présentations cliniques dans les établissements où elles se pratiquent. Mais le site nous dit simplement que ce code a pour finalité de protéger le public et les psychologues contre le mésusage de la psychologie. Peut-on considérer qu’apprendre la clinique des maladies mentales aux psychologues travaillant dans une institution de santé mentale où sont traités des malades est un mésusage de la psychologie ?  

    Cela aurait beaucoup surpris Joseph Guislain (1797-1860) le «Pinel belge » qui a publié en 1852 le recueil de ses Leçons orales c’est-à-dire le cours de clinique mentale qu’il donnait dans son service de l’établissement d’aliénés de Gand.

   Ou les psychiatres contemporains comme mon maître Paul Sivadon qui, lorsqu’il avait été nommé professeur à l’Université libre de Bruxelles, avait obtenu que la psychologie soit enseignée pendant tout le cursus des études médicales. Le Pr. Jacques Schotte (1928-2007), professeur à Louvain et à l’œuvre duquel  Jean-Louis Feys a consacré en 2009 un livre  qui a reçu le prix de L’Evolution psychiatrique cette même année. Je précise que Schotte était outre un remarquable enseignant des sciences de l’esprit un clinicien distingué et qu’il a transmis cet art difficile de l’examen clinique à de nombreux élèves.

Jean GARABE, « Temps et temporalité : phénoménologie et psychopathologie du temps »

TEMPS ET TEMPORALITÉ : 

PHÉNOMÉNOLOGIE ET PSYCHOPATHOLOGIE DU TEMPS 

Jean Garrabé 

Mon ami Alain de Mijolla qui vient de mourir en janvier 2019 m’avait demandé en son temps d’écrire, pour le monumental Dictionnaire international de la psychanalyse  dont il a dirigé l’édition en 2002, les quatre entrées : Évolution psychiatrique, Brokmann-Minkowska Françoise, Minkowski Eugène et Hôpital Sainte-Anne. Il est indiqué que je suis alors président de l’Évolution Psychiatrique et vice-président de la Société Médico-Psychologique, et c’est en effet dans l’entre-deux-guerres, qu’ont été discutées la phénoménologie et la psychopathologie du temps, notamment à travers l’ouvrage publié en 1933 par Eugène Minkowski.


Le Dictionnaire culturel en langue française  dirigé par Alain Rey, définit en 2005  la « temporalité » comme un terme «  philosophique » : « Caractère de ce qui est dans le temps, le temps vécu, conçu comme une succession, considérée dans son ordre « avant-après » (Statique temporelle) et dans le fait que « après » devient un « avant » (Dynamique temporelle) et renvoie sur cette question à L’Être et le Néant, ouvrage que Jean-Paul Sartre (1905-1980) a publié à Paris en 1943, donc  pendant la Seconde Guerre Mondiale et l’Occupation nazie. Nous venons de voir à propos des textes de Heidegger qu’il est important de les situer par rapport à la politique nationale et internationale et pour ceux publiés au XXe siècle par rapport aux deux guerres mondiales.


Ce même dictionnaire culturel définit le « temps », du latin tempus, temporis, comme le « moment où quelque chose se produit » et consacre plusieurs pages à donner des définitions de temps réparties en 3 parties :


A. 1 – Milieu indéfini où paraissent se dérouler irrésistiblement les existences dans leurs changements, les évènements et les phénomènes dans leur succession. 2. – Portion limitée de cette durée globale (avec une citation tirée du livre de Marcel Proust, tirée Du Côté de Guermantes).


B.- Musique : chacune des divisions égales de la mesure.


C.- Le milieu temporel considéré dans sa succession (chronologie) avec de nombreuses significations et à nouveau une citation de Marcel Proust : « Oui, à cette œuvre, cette idée du Temps que je venais de former me disait qu’il était temps de me mettre. Il était grand temps, et cela justifiait l’anxiété qui s’était emparée de moi dès mon entrée dans le salon, quand les visages grimés m’avaient donné la notion du temps perdu, était-il temps encore et même étais-je encore en état ? » in Le Temps retrouvé.


En lisant cette définition de la « temporalité » par Sartre, j’ai aussitôt pensé aux textes sur le « temps vécu » pour situer leur lecture dans ma propre formation de psychopathologue, qui ne s’est pas faite uniquement par la lecture de Marcel Proust (1871-1922) lequel est mort une dizaine d’années avant la parution de l’ouvrage d’Eugène Minkowski.


Car pour nous autres psychopathologues cliniciens « Le temps vécu » évoque d’abord le titre d’un ouvrage plus ancien que celui de Sartre, publié en 1933 à Paris dans la collection de L’Evolution psychiatrique [je souligne ce point car il est important de bien préciser la date et l’éditeur de certains des ouvrages cités] sous le titre Le temps vécu. Etudes phénoménologiques et psychopathologiques par Eugène Minkowski (1885-1972), qui le signe en tant que « médecin consultant à l’Hôpital psychiatrique Henri Rousselle ». Ce psychiatre-philosophe unit donc dans l’étude du temps vécu, la phénoménologie et la psychopathologie et ce texte fondamental va me servir de guide pour explorer le temps vécu, mais aussi l’espace vécu en psychopathologie. Notons que le texte de Minkowski est de dix ans, antérieur à celui de Sartre et qu’il a, lui, été publié dans l’entre-deux-guerres, période où la psychiatrie de langue française a connu de grands changements, en particulier sous l’influence du groupe de L’Évolution Psychiatrique qui va publier une revue sous ce nom, sous-titrée « Cahiers de psychologie clinique et de psychopathologie générale », sous-titre toujours utilisé en 2019. J’ai eu l’occasion lors des réunions du Collège de psychiatrie à l’Hôpital Henri Ey, de parler des articles publiés par Jacques Lacan dans cette revue. 


Lors de cette réunion du Collège de psychiatrie à l’Hôpital Henri Ey en novembre dernier, consacrée à l’article « Le temps logique » publié par Jacques Lacan en 1945 dans les Cahiers des arts, revue qui reprenait alors sa publication interrompue pendant la guerre, article repris ensuite dans Les Écrits . J’ai souligné l’importance de bien préciser la date et la revue où sont publiés, ou republiés plus tard, certains textes. 


Mais y a-t-il des rapports entre le « temps logique » lacanien et le « temps vécu » de Minkowski ?  


Dans l’avant-propos du Temps vécu, Eugène Minkowski prend soin de nous donner quelques éléments biographiques le concernant et nous dit qu’il avait terminé ses études médicales en 1900 (ce qui me paraît un lapsus calami puisqu’il est né en 1885), « mais ensuite, attiré vers les problèmes philosophiques, je m’étais éloigné de la médecine, j’étais même sur le point de l’abandonner entièrement. La guerre me ramena à la médecine et plus particulièrement à la psychiatrie » . En effet, Eugène Minkowski, né à Saint-Pétersbourg en 1885 d’une famille juive, qui a compté plusieurs rabbins, originaire de Vilnius, ville qui faisait partie avant la Première Guerre Mondiale de l’Empire tzariste, a fait avant la Grande Guerre ses études de médecine et de philosophie en Allemagne, car les juifs ne pouvaient pas faire d’études supérieures en Russie. En 1914, à la déclaration de guerre, il se réfugie d’abord dans un pays neutre à Zurich où Eugen Bleuler lui offre un poste d’assistant bénévole à la clinique universitaire du Burghölzli et où il fait la connaissance de sa femme Françoise Minkowska qui y faisait ses études de médecine comme d’autres jeunes femmes juives qui ne pouvaient pas les faire en Russie. Mais Eugène Minkowski considère qu’il ne peut rester neutre dans le conflit mondial et s’engage volontairement comme médecin dans l’armée française – il n’y a rien de tel qu’une guerre pour nous ramener à l’exercice de la médecine quand nous sommes sur le point de l’abandonner. Minkowski racontera d’ailleurs plus tard, comment c’est cette forme de guerre si particulière, dite « de tranchées » qui l’avait ramené à pratiquer à nouveau la médecine. Alors qu’il se cachait dans une tranchée avec un camarade, les allemands déclenchèrent une attaque par les gaz et ils n’avaient qu’un seul masque pour se protéger de la mort par asphyxie. Contrairement à l’adage qui dit que « la médecine militaire est à la médecine ce que la musique militaire est à la musique », laissant entendre qu’elle n’est pas très sophistiquée, elle doit en réalité traiter des situations génératrices de troubles mentaux beaucoup plus graves et complexes que ceux que les psychiatres civils traitent en temps de paix.


Quand il publie Le Temps vécu Minkowski ne se doute pas que la guerre dont il parle est la première des deux guerres dites « mondiales » et que six ans après, il va en éclater une seconde, pendant laquelle la vie de sa famille sera mise en danger en raison de la législation contre les juifs qui sera appliquée en France sous le Régime de Vichy, Eugène Minkowski, sa femme et leur  fille Janine qui vivaient à Paris, échappant miraculeusement à la déportation. Paradoxalement, Minkowski pourra, par contre, en tant qu’ancien combattant de 14-18, conserver sous l’Occupation son poste de consultant à l’Hôpital Henri Rousselle, remplaçant même des collègues empêchés pour diverses raisons et continuant à suivre en psychothérapie des schizophrènes. Il lui sera cependant interdit de publier en France et d’ailleurs L’Évolution Psychiatrique cessa la publication de sa revue pendant l’Occupation, ne la reprenant qu’à la Libération. Plusieurs membres de la vaste famille des Minkowski furent victimes à travers toute l’Europe de massacres commis, soit par les nazis, soit par les Soviétiques pendant la Seconde Guerre Mondiale.


Minkowski s’est installé en France après la Première Guerre Mondiale et il a soutenu à Paris, pour pouvoir exercer dans notre pays, une troisième thèse La schizophrénie, psychopathologie des schizoïdes et des schizophrènes , qui a été publiée à Paris en 1927, donc six ans avant ces études phénoménologique et psychopathologique que je vais tenter d’analyser.


Cette thèse aura une deuxième édition revue et augmentée, publiée en 1953, dans la « Bibliothèque de Neuropsychiatrie de Langue Française » publiée chez Desclée de Brouwer où ont été publiés plusieurs autres textes importants dans l’histoire de la psychiatrie française, révélateurs des modifications qu’elle va connaître pendant la seconde moitié du XXe siècle, notamment les actes de deux des colloques organisés à l’Hôpital psychiatrique de Bonneval par mon maître Henri Ey, qui y avait été nommé juste avant la guerre. Cette Bibliothèque de Neuropsychiatrie de Langue Française nous donne ainsi l’air du temps de la psychiatrie française pendant la seconde moitié du XXe.


 Le Temps vécu


Cet ouvrage fondamental de la psychopathologie française, est construit en diptyque avec deux livres d’importance à peu près égale :


 – le Livre I, plus philosophique, intitulé «Essai sur l’aspect temporel de la vie», est composé de six chapitres :


I.- Le devenir et les éléments essentiels du Temps-qualité.

II.- Les caractères essentiels de l’Élan personnel. (Je souligne ce terme d’Élan).

III.- Le contact vital avec la réalité. Le synchronisme vécu.

IV.- L’avenir (Phénomènes à base de « plus loin » et « d’horizon ». 

V.- La mort.

VI.- Le passé.


Minkowski note en bas de la page 138 : « Le lecteur sera peut-être surpris de voir que je n’étudie pas le passé immédiatement après l’avenir. Mais au fond le passé ne saurait être compris sans le phénomène de la mort, et c’est pourquoi il m’a paru naturel de parler d’abord de celle-ci ». Cette note est très importante, elle me fait penser à cette remarque qu’ont faite plusieurs aliénistes français du XIXe siècle, que certains aliénés au moment de mourir se souviendraient avec une grande exactitude du déroulement chronologique de leur vie passée et d’évènements vitaux qui ont pu contribuer à la genèse de leurs troubles. Cependant, je me demande s’ils ont vraiment observé ce phénomène au lit du malade.


J’avais aussi été très étonné d’apprendre au cours d’un colloque à Melbourne que les aborigènes pensent que l’avenir est derrière nous et le passé devant.


Le livre II, qui est plus clinique que le premier, traite des « structures spatio-temporelles des troubles mentaux ». Je souligne ce terme de « structure » qu’utilise ici Eugène Minkowski qui annonce l’arrivée du structuralisme en psychopathologie. Georges Lantéri-Laura a avancé, dans son Étude sur les paradigmes de la psychiatrie moderne , en 1998, que le troisième paradigme de la psychiatrie moderne était, après le premier, celui de l’aliénation mentale, puis le second, celui des maladies mentales, celui des structures psychopathologiques, paradigme dont mon ami datait ironiquement la fin, à la mort de notre maître Henri Ey en 1977, annonçant qu’il n’y aurait pas de quatrième paradigme à la fin du XXe siècle, prédiction qui s’est avérée exacte.


Dans le chapitre 2 du Temps vécu – Schizoïdie et syntonie – Minkowski dit que pour le diagnostic différentiel entre folie maniaco-dépressive et schizophrénie, « il y avait lieu de tenir compte non pas tant de la présence de tel ou tel symptôme que de toute la façon d’être du malade par rapport à la réalité ambiante. Bleuler traduisait la différence existant de ce point de vue entre le schizophrène et le malade atteint de folie maniaco-dépressive, par une formule devenue célèbre, il disait que nous n’avions plus de contact affectif avec le premier, tandis que ce contact se maintenait avec le second. Cette formule était lourde de conséquences. Elle voulait dire que nous ne pouvions plus nous contenter, pour apprécier la façon d’être de nos malades, de décrire et d’enregistrer en savants les symptômes qu’ils présentaient, mais que nous devions faire entrer en jeu toute notre personnalité, pour confronter avec elle, le caractère particulier qui, du point de vue affectif, se dégageait de l’ensemble de leurs réactions. Le diagnostic par simple observation cédait ainsi le pas au diagnostic par pénétration, dont la portée a surtout été mise en relief par L. Binswanger »  et il renvoie, sur ce point, à sa propre thèse de médecine. Il parle ensuite de « la description par Ernst Kretschmer (1868-1964) sous les noms de schizoïdes et de schizothymes, d’une part, et de cycloïdes et de cyclothymes, d’autre part, de types d’hommes anormaux d’abord et de types normaux ensuite qui, malgré leur variété apparente, peuvent être rattachés, quant à leurs traits saillants, les premiers à la schizophrénie et les seconds à la folie maniaco-dépressive ».

 

Ce livre I du Temps vécu dont j’ai dit qu’il était avant tout phénoménologique, renvoie cependant    fréquemment à des travaux plus cliniques publiés par des psychiatres de langue allemande que Minkowski a connu lors de ses études de médecine à Munich.


Le livre II du Temps vécu, intitulé « Structures spatio-temporelle des troubles mentaux » est composé de sept chapitres :


I.- Orientations générales des recherches.

II. – La notion de trouble générateur et l’analyse structurale des troubles mentaux.

III.- La schizophrénie.

IV.- La psychose maniaco-dépressive.

V.- Quelques formes particulières d’états dépressifs.

VI.- Les hypophrénies (Débilité mentales, états démentiels).

VII.- Vers une psychopathologie de l’espace vécu.


Nous voyons que dans quatre de ces chapitres Minkowski étudie des entités classiques de la nosographie même si le regroupement, sous le terme d’hypophrénies, des débilités mentales et des états démentiels peut surprendre.


Eugène Minkowski publie dans le chapitre I du livre II du Temps vécu, intitulé « orientations   générales des recherches » deux textes qui sont extrêmement intéressants, car ils témoignent de ses propres recherches dans ce domaine, dans les années 1920-1930 de l’après-guerre. Ce sont, en effet, des observations cliniques assez détaillées de malades qu’il a personnellement connus et suivis pendant, comme on dit, « un certain temps » :


–  Dans le premier, intitulé « Nos propres réactions en présence du malade en tant que moyen d’investigations », il explique qu’il était lui-même employé dans une maison de santé lorsque fut admis A.L., ancien colonel de l’armée russe âgé de 49 ans, qui, à son admission, ne présentait aucun trouble mental apparent. Au bout de plusieurs jours, mis en confiance, il confia à Minkowski un délire très étendu qui remontait à plusieurs années. Ce délirant chronique lui adressera ensuite, après sa sortie de la maison de santé, une lettre qui constitue une sorte d’auto-observation. Je me demande dans quelle langue ils échangeaient, vraisemblablement en russe, bien que Minkowski ne le précise pas. La langue utilisée pour parler d’un phénomène psychopathologique à un interlocuteur a une très grande importance et l’on voit des délirants ne confier leur délire qu’à des thérapeutes parlant leur langue maternelle. J’ai eu personnellement l’occasion de recevoir, parfois des années après leur hospitalisation, des lettres de malades qui critiquait, a postériori, les idées délirantes qu’ils avaient eues pendant un temps et qui avaient justifié leur admission dans une institution.

  

– Dans le second chapitre, intitulé « Données psychologiques et données phénoménologiques dans un cas de mélancolie schizophrénique » figure une autre observation faite par Minkowski qui remonte à 1923. Il l’a recueillie après qu’il ait, nous dit-il, « passé deux mois, en tant que médecin particulier, jour et nuit, auprès d’un malade âgé de 66 ans qui manifestait un délire mélancolique accompagné d’idées de persécution et d’interprétations très étendues ». Il explique que « nous ne pouvons conserver 24 heures sur 24 une attitude médicale, aussi réagissons-nous à l’égard du malade comme les autres personnes de son entourage. Compassion, douceur, persuasion, impatience et colère font tour à tour leur apparition […] C’est comme deux mélodies que l’on jouerait simultanément. Ces deux mélodies sont dysharmoniques au possible, toutefois, une certaine équivalence s’établit entre les notes de l’une et de l’autre et nous permet de pénétrer un peu plus avant dans le psychisme de notre malade ». Cette dysharmonie permet cependant à Minkowski de différencier dans les plaintes du malade, des faits de « nature psychologique » de ceux d’« ordre phénoménologique » et d’interpréter d’un point de vue phénoménologique, cette chimère qu’est une « mélancolie schizophrénique » si l’on s’en tient à la nosographie psychiatrique classique de langue allemande qui, depuis Emil Kraepelin au début du XXe siècle, sépare Psychose maniaco-dépressive, d’une part, et Dementia praecox et schizophrénies de l’autre. Notons qu’Eugène Minkowski est toujours resté fidèle à cette nosographie kraepelinienne sur laquelle s’est appuyé Eugen Bleuler pour décrire en 1911 le groupe des psychoses schizophréniques.


On voit que dans ces deux cas rapportés par Minkowski en 1922, le temps physique mesuré en journées et en saisons, a joué un rôle déterminant pour permettre à un malade réticent de confier, au bout d’un certain temps, à un soignant constamment présent auprès de lui le contenu de son délire et même de le mettre par écrit.


La glischroïdie d’après Mme Minkowska 

Minkowski à partir de la question « Pourquoi le délire épileptique revêt-il si souvent un aspect mystique ? » parle ensuite des recherches sur l’hérédité de l’épilepsie faite par Madame Minkowska qui compara sur  six générations l’arbre généalogique de la famille d’un schizophrène, F., et celui de la  famille d’un épileptique, B., qui lui permirent de dégager une constitution épileptoïde (glischroïdie) « qui vient d’une part se ranger en entité équivalente à côté de la schizoïdie de Kretschmer et de la syntonie de Kretschmer et de Bleuler et qui projette de l’autre une lueur  nouvelle sur la pathogénie des troubles épileptoïdes ». Il renvoie, sur ce point, à un article publié par sa femme, Françoise Minkowska dans les Annales médico-psychologiques en 1923, qui contrairement à son mari n’a pas soutenu de thèse en France, n’exerçait pas la médecine à Paris mais se consacrait à l’étude du Test de Rorschach. Elle avait connu à Zurich pendant la Grande Guerre, l’épouse d’Hermann Rorschach (1884-1922) laquelle étudiait, comme elle, la médecine en Suisse. Á l’enterrement au cimetière de Bagneux de Françoise Minkowska, morte en 1950, ce fut Jacques Lacan qui prit la parole au nom de l’Evolution psychiatrique.


L’automatisme mental de M. de Clérambault. 

Dans ce chapitre, Minkowski retrace rapidement l’historique du délire chronique depuis Magnan, puis Séglas, jusqu’à l’automatisme psychologique (sic) de M. de Clérambault qui est selon lui « une notion purement psychiatrique. Il vise des phénomènes que la conscience morbide […] n’arrive plus à rattacher à elle-même et qui lui apparaissent par conséquent comme se déroulant indépendamment d’elle et qu’elle tend à attribuer à des causes extérieures ». Il parle ensuite de l’organicisme de Clérambault, mais pour lui, « derrière le symptôme et encore davantage derrière le syndrome, il existe pour nous la personnalité tout entière », puis il dit qu’ « actuellement avec Bergson les états psychologiques ne sont pas des fragments du moi, mais ils en sont des expressions, car chaque état psychologique, du fait qu’il appartient à une personne, reflète et exprime l’ensemble de sa personnalité ». « C’est ainsi que naît en psychopathologie l’idée de troubles générateurs. Le syndrome mental n’est pas pour nous une simple association de symptômes, mais l’expression d’un modification profonde et caractéristique de la personnalité tout entière ». Henri Bergson (1959-1941) dont le nom apparaît ici sous la plume de Minkowski, était à cette date la grande référence philosophique. Professeur au Collège de France de 1900 à 1914, il était aussi proche d’un autre professeur au sein de ce prestigieux collège, Pierre Janet, philosophe qui a fait comme vous le savez à la fin du XIXe siècle, ses études de médecine sur le conseil de Charcot, soutenant sa thèse devant un jury présidé par celui-ci, trois semaines avant la mort brutale du fondateur de la neurologie en 1893. Henri Bergson avait reçu, en 1927, le Prix Nobel de littérature. De nombreux médecins français du XXe siècle, comme par exemple Henri Ey, Jacques Lacan et Jean Delay ont suivi dans l’entre-deux-guerres les cours de Pierre Janet au Collège de France.


Minkowski nous dit qu’il a surtout étudié la décompensation phénoménologique dans la schizophrénie, groupant ses manifestations dans ce qu’il nomme les attitudes schizophréniques, mais pour lui « c’est dans l’analyse phénoménologique des rapports spatiaux-temporels du moi vivant que nous devons rechercher la base de l’aspect structural des troubles mentaux ». Je souligne cette formule qui souligne que les structures psychopathologiques reposent, d’un point de vue phénoménologique, selon Minkowski, sur ces rapports du moi vivant dans l’espace/temps.


Dans le chapitre suivant, le III, Minkowski traite de « La schizophrénie » et commence par un résumé de sa conception. Je cite l’incipit : « mes premières recherches avaient porté sur la psychopathologie de la schizophrénie. Elles s’inspiraient de l’œuvre de Bergson qui oppose deux principes dans la vie. L’intelligence et l’intuition, le mort et le vivant, l’être et le devenir, l’espace et le temps vécu sont les divers aspects sous lesquels se manifeste cette opposition fondamentale […] J’ai exposé le résultat de mes recherches dans mon livre sur la schizophrénie […] en m’appuyant sur la notion d’autisme, je faisais de la perte de l’élan vital avec la réalité, le trouble essentiel de la schizophrénie ». Il rappelle qu’il a d’abord, avec Rogues de Fursac (1872-1942) parlé de rationalisme morbide puis, en se basant sur un cas étudié avec Mme Minkowska, de géométrisme morbide et de pensée spatiale chez les schizophrènes. Il poursuit : « L’activité des schizophrènes n’avait pas échappé à Bleuler […] C’est ainsi qu’en me basant sur la notion de cycle de l’élan vital, j’ai parlé, chez les schizophrènes, d’actes sans lendemain, d’actes figés, d’actes à court-circuit, d’actes ne cherchant pas à aboutir ». C’est là une intéressante interprétation de l’apragmatisme des schizophrènes.


On va, en France à cette époque, commencer à parler de la schizophrénie dans les manuels français de psychiatrie comme par exemple celui de Maurice Dide et Paul Guiraud, ou bien celui de Joseph Levy-Valensi et présenter, en les opposant ou en les différenciant, la conception d’Eugène Bleuler sur le groupe des psychoses schizophréniques et celle d’Eugène Minkowski sur la schizophrénie. Pour moi, la différence entre ces deux conceptions est que la première repose essentiellement sur la description de signes cliniques dont l’autisme, alors que la seconde repose également sur la phénoménologie. Minkowski définit d’ailleurs dans sa thèse, l’autisme comme la perte de l’élan vital au sens de Bergson.


Dans le chapitre IV du Temps vécu consacré à «La psychose maniaco-dépressive», Eugène Minkowski pose la question : que sont la schizoïdie et la syntonie et quelles en sont les modifications pathologiques ? Puis il fait des suggestions au sujet de l’excitation maniaque, et à propos de la dépression mélancolique, il rapporte une observation publiée en 1928 par Gebsatell, d’une jeune mélancolique de 20 ans qui décrivait ainsi les phénomènes qu’elle ressentait : « J’ai toute la journée un sentiment d’angoisse qui se rapporte au temps. Je suis obligé de me dire sans discontinuer que le temps passe. Maintenant, pendant que je parle avec vous, je pense à chaque mot prononcé : “passé”, “passé ”, “passé” ». Pour analyser le cas de cette malade, Gebsatell oppose à la méthode historique-génétique, la méthode constructivo-génétique, « … le temps ne fait que passer. C’est par cet aspect du temps qu’est dominée la malade ». Minkowski cite, toujours d’après Gebsatell, l’écrivain Dostoïevski (1821-1881) qui, fort de sa propre expérience, décrit un homme qui, sous la menace d’une exécution capitale imminente, enregistre avec une prévision extrême des détails sans la moindre importance : le bouton d’un uniforme, la cravate d’un passant, les pavés.


Minkowski clôt ce chapitre sur la psychose maniaco-dépressive en signalant la parution en 1933, du livre de Ludwig Binswanger (1881-1986), qui avait été l’assistant de Bleuler au Burghölzli, sur la fuite des idées qui a ouvert, en effet, comme il le dit « des voies nouvelles à l’étude des structures des états d’excitation maniaque » , ce qui s’est en effet confirmé plus tard.


Binswanger, dans les années vingt, s’efforçait de faire la synthèse entre les théories phénoménologiques de Edmund Husserl (1859-1838) et celle de Heidegger. On sait que la diffusion des œuvres de Husserl sera, comme celles de Freud, interdite durant l’Allemagne nazie, de sorte qu’elles seront d’abord traduites en français par Paul Ricoeur (1905-2004), alors prisonnier de guerre dans un Oflag dont les gardiens devaient ignorer cette interdiction. Je signalerais volontiers que Paul Ricoeur a été, beaucoup plus tard, membre de l’Évolution psychiatrique. Quant à Martin Heidegger (1889-1976), élève de Husserl, il a fait l’objet en France après la Seconde Guerre Mondiale, notamment de la part de Sartre qui fait référence à L’Être et le Temps (1927), d’un véritable culte, alors qu’il est maintenant considéré comme un philosophe nazi. Je ne sais pas si Eugène Minkowski connaissait l’œuvre de Heidegger. Je me souviens de l’indignation de mon ami Jacques Schotte, psychanalyste et philosophe, grand admirateur de Martin Heidegger et de Jacques Lacan, (qui allait le voir à Gand et à Louvain, villes où Schotte enseignait la philosophie en flamand et la psychiatrie en français) lorsqu’on on traitait Heidegger de philosophe nazi.


Minkowski  parle ensuite de « formes particulières d’états dépressifs » avec toute une série d’observations cliniques concernant des malades de tous âges : dépression presbyophrénique, automatisme mental associé à un délire, dépressions ambivalentes, rappelant ce que Pierre Janet avait dit dans L’évolution de la mémoire et la notion du temps à savoir que « ni les aliénés, ni les psychasthéniques ne connaissait l’ennui et qu’il rapporte  cette particularité à l’absence d’effort qui caractérise leur vie » .

 Minkowski traite dans le chapitre VI  de ce qu’il nomme  « hypophrénies » en se référant à un « Essai sur la personnalité du débile mental » publié en 1932 par E. de Greeff dans le Journal de Psychologie, puis fait quelques remarques sur la psychopathologie de la démence sénile : « Les vestiges de l’activité mentale observés chez les déments séniles, reposent avant tout, sinon exclusivement, sur des facteurs essentiels de la vie ayant trait au temp ».


 Il parle même d’un délire de négation chez un paralytique général à propos d’un malade L. qu’il semble avoir suivi un certain temps puisqu’il reproduit dans les notes qu’il avait prises pendant qu’il suivait ce malade. Ce qui frappe dans cette observation, c’est qu’Eugène Minkowski maintient pendant un certain temps un dialogue, ou une tentative de dialogue avec des malades souffrant de troubles mentaux organiques comme le nommé L., ce que ne ferait de nos jours aucun neurologue avec un patient chez lequel le diagnostic de paralysie générale, évoqué cliniquement pour une mégalomanie, aurait été confirmé par la sérologie. Je dois dire, qu’ayant fait jadis un semestre d’internat dans le pavillon de Sainte-Anne qui abritait les malades femmes souffrant de paralysie générale, avant la découverte de la pénicilline, j’imagine mal quel dialogue j’aurais pu avoir avec elles, si ce n’est d’écouter leur délire mégalomaniaque. On les laissait s’habiller avec des sortes de costumes de scène évoquant les personnes mythiques pour qui elles se prenaient : Cléopâtre, la Reine de Saba ou Marie-Antoinette. Les infirmières, qui avaient pour certaines fait toute leur carrière dans ce pavillon fantasmagorique, évoquaient le souvenir du jeune Jacques-Marie Lacan qui avait, lui aussi, été interne dans ce pavillon dans l’entre-deux-guerres.


Il est curieux de penser que ces malades qui se « prenaient », comme on dit, pour des personnages historiques connus, depuis longtemps disparus, s’habillaient en somme avec des habits ressemblant à ceux que portaient les personnes historiques auxquels ils s’identifiaient dans leur mégalomanie. Au XXe siècle, l’image du fou a été celle de l’aliéné se prenant pour Napoléon, coiffé comme l’Empereur d’un bicorne en papier et glissant sa main dans sa camisole comme si c’était un gilet.


 Des décennies après mon internat dans ce pavillon de Sainte-Anne, un psychiatre en formation m’a demandé d’examiner un chercheur rapatrié du Vietnam qui venait d’être admis dans le service que je dirigeais alors, à l’Institut Marcel Rivière, pour lequel il ne parvenait pas faire de diagnostic, alors que le malade prétendait que la découverte qu’il avait faite allait lui valoir le Prix Nobel. Il fut stupéfait de me voir faire, au premier coup d’œil, celui de délire mégalomaniaque au cours d’une syphilis tertiaire, ce qui fut confirmé par le test de Nelson. Je vous avoue que j’ai un peu triché, car ce n’est pas à la manière d’Eugène Minkowski en parlant longuement avec L.,  mais sur les signes physiques caractéristiques que j’observais, à savoir le  tremblement digital et lingual et le signe d’Argyll- Robertson, que j’ai fait le diagnostic de Paralysie générale, à la grande surprise de cet interne qui n’avait jamais pu auparavant examiner cliniquement de Paralysie générale, puisque cette maladie mentale, la plus fréquente en France chez les hommes au XIXe siècle, a disparu dans la seconde moitié du XXe siècle. Réapparaitra-t-elle au XXIe avec l’augmentation des maladies vénériennes dans le monde occidental ?


 Où en est la pensée médicale en ce début de XXIe siècle ? On est surpris de voir que de nos jours quand un malade consulte un médecin, surtout si c’est un spécialiste et que l’on redoute une  « longue et douloureuse maladie » comme on dit dans les faire-parts de décès, que le praticien se réfère, avant tout, à des examens complémentaires de laboratoire ou d’imagerie médicale, pour faire le diagnostic et que les indications thérapeutiques sont également posées en  fonction des résultats de ceux-ci, qui permettent d’ailleurs de suivre l’évolution sans avoir à procéder à l’examen clinique du malade. Peut-être n’en est-on pas encore arrivé là en psychiatrie, mais on peut craindre une évolution en ce sens.


Le jeune collègue dont je viens de parler, a fait ensuite une brillante carrière à l’ASM 13 de Paris et il a dirigé l’édition en 2012 d’un excellent Manuel de psychiatrie clinique et psychopathologique de l’adulte, où nous lisons : « Désormais exceptionnelle, la paralysie générale était très répandue dans les asiles au XIXe siècle. La folie qu’elle engendrait a influencé plus d’une œuvre des artistes de cette époque, à l’image d’un des personnages de Maupassant (lui-même ?) hanté par Le Horla. Le tableau est celui d’une démence d’installation progressive associée à des troubles de l’humeur, mélancoliques ou mégalomaniaques, des hallucinations, un délire de persécution, et plus tardivement un syndrome neurologique (dysarthrie, tremblement et signe d’Argyll-Robertson ». Guy de Maupassant (1850-1893) a en effet admirablement décrit dans Le Horla, publié en 1887, par auto-observation, les signes cliniques de la paralysie générale dont il souffrait et dont il est mort peu après en 1893 dans la célèbre clinique du docteur Blanche à Passy.


Le dernier chapitre du Temps vécu, intitulé « Vers une psychopathologie de l’espace vécu » est consacré à ce problème, dont Minkowski nous dit qu’il est de date récente, et qui vient d’être traité par Maurice Dide dans un article « Variations psychopathiques de l’intuition durée-étendue » paru dans le Journal de Psychologie de 1929 et par son ami Ludwig Binswanger, dans un article publié en allemand en 1933. Il étudie plus particulièrement le phénomène de distance : « intervalle qui sépare deux points de l’espace ou du temps » mais où il distingue la distance qualité et la distance vécue. Il rappelle ce qu’il avait dit en 1923 avec Rogues de Fursac à propos de l’autisme, sur l’importance de la notion de « hasard » dans la vie. A nouveau, il illustre cette vision phénoménologique d’une vignette clinique : « une schizophrène hallucinée, délirante et entièrement désinsérée de la réalité qui, depuis des années, se trouve dans le même état dans une maison de santé. Un jour, elle me conte ce qui suit : “En me promenant hier au jardin, je constate qu’une des malades de l’établissement a une vague ressemblance avec une personne que j’avais connue jadis. Je suis allée alors vers elle pour lui demander si elle ne connaissait pas cette personne”. Ici, nous nous trouvons, d’une part, en présence d’un des caractères bien connus de la pensée schizophrénique qui souvent se contente d’une « ressemblance vague » pour établir un rapport étroit allant jusqu’à l’identité entre les personnes et les choses, nous voyons, de l’autre, la même tendance que précédemment à la conglomération dans l’espace. […] Cette tendance repose sur une déficience de la distance vécue… ». Un de mes maîtres en psychiatrie le docteur Hélène Chaigneau nous demandait lorsque nous examinions un malade d’indiquer à quelle « distance » de lui nous nous sentions être, distance que l’on ne peut pas mesurer en mètres.


 Minkowski nous dit ensuite «Voici maintenant un schizophrène dont l’affection évolue lentement […] sur un fond de schizoïdie hyperesthésique telle qu’elle a été décrite par Kretschmer mais pour mettre, dirait-on, sa sensibilité excessive à l’abri des heurts possibles de la vie, il s’éloigne progressivement de la réalité, se confinant dans une attitude autistique de plus en plus marquée » . Minkowski nous dit qu’il a parlé dans son livre sur la schizophrénie de ce malade qui « non dépourvu de talent littéraire avait jadis publié quelques essais, à qui deux médecins, appelés par sa mère, avaient prescrit le même sédatif nervin et dont il pensait qu’ils s’étaient concertés au préalable pour cette prescription sans conclure d’ailleurs à une malveillance ». Puis, il nous livre à propos d’un sujet halluciné quelques réflexions sur le problème des hallucinations et le problème de l’espace. « Chacun de ces deux mondes, où vivent les sujets hallucinés, paraît être doué de propriétés d’ordre spatial […] l’idée de deux espaces superposés l’un à l’autre dans les perceptions de notre malade nous vient à l’esprit, comme un reflet naturel en nous de la façon dont il conçoit la réalité ». Pour cela Minkowski essaie de préciser la structure particulière du monde morbide du malade. Et la recherche de ce phénomène l’amène à l’étude des deux façons de vivre l’espace, distinguant non pas au sens sensoriel mais phénoménologique l’espace clair où il voit des objets et l’espace vide de la nuit noire, obscurité qui paraît bien plus matérielle, bien plus « étoffée que l’espace clair qui lui, comme nous l’avons vu, s’efface pour ainsi dire, devant la matérialité des objets qui s’y trouvent. [ … ] Nous pouvons dire que le monde morbide de notre malade est constitué sur le monde de l’espace noir ».


Nous voyons, qu’à cette époque, auteurs de langue allemande et auteurs de langue française, étudiaient en parallèle l’histoire de la schizophrénie ou plus exactement du groupe des psychoses schizophréniques, introduit en 1911 par Eugen Bleuler, en substitution à la Dementia Praecox de Kraepelin.


J’ai publié en 1992, une Histoire de la schizophrénie  ouvrage qui a eu un certain succès puisqu’il a été traduit dans les années suivantes en italien, en portugais et en russe, lorsque mon ami Hector Pérez-Rincon proposa à un éditeur mexicain de le traduire en espagnol pour qu’il soit publié au Mexique celui-ci accepta à la condition qu’on lui donne un titre plus accrocheur. Je proposais alors celui de La noche oscura del Ser, inspiré par celui d’un des poèmes du grand mystique espagnol de la Renaissance, San Juan de la Cruz (1542-1591), titre que la maison d’édition de Mexico trouva excellent car très « commercial ».  Cette nuit noire de l’Être évoquait pour moi, de façon poétique, cet espace vide de la nuit noire dont nous parle Minkowski dans la schizophrénie.


Je voudrais souligner, du point de vue de l’histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse, que dans cette période dite de l’entre-deux-guerres, plusieurs auteurs qui avaient vécu l’expérience de la Première Guerre Mondiale et les traumatismes qu’elles a provoqués, redoutaient la survenue d’un deuxième conflit qui serait encore plus mortifère que le premier. Je pense que c’était le cas de Minkowski et que c’est là une des sources d’inspiration du Temps vécu.


Hommage à Eugène Minkowski

Une dizaine d’années après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, en 1956, L’Evolution psychiatrique qui avait repris sa publication, consacre le premier numéro de l’année à un « Hommage à Minkowski » avec trente-quatre articles signés d’auteurs français et étrangers, notamment de Ludwig Binswanger, Manfred Bleuler, Étienne De Greef, dont nous avons déjà parlé car Eugène Minkowski citait leurs travaux dans Le Temps vécu, et d’autres français plus jeunes, comme Henri Ey, Jacques Lacan et Paul Sivadon. Henri Ey publie un article « Rêve et existence », Jacques Lacan « La chose freudienne ou sens du retour à Freud en psychanalyse, amplification d’une conférence prononcée à la clinique neuro-psychiatrique de Vienne, le 7 novembre 1955 », texte qu’il a repris dans Les Ecrits, et Paul Sivadon « L’investissement de l’agressivité comme technique sociothérapique ».


Dans « Rêve et existence », Ey fait référence au livre publié en 1930 par Ludwig Binswanger Rêve et existence, dont la traduction en français a été publiée en 1955 avec une préface de Michel Foucault.


Quant à Paul Sivadon, il avait pris, à la demande des responsables de la MGEN, la direction médicale du dispositif psychiatrique parisien de cette mutuelle centrée sur l’Institut Marcel Rivière construit sur le domaine du Château de La Verrière dans les Yvelines où j’ai moi-même fait la plus grande partie de ma carrière. Eugène Minkowski curieux de connaître une institution de ce nouveau type est d’ailleurs venu la visiter alors qu’il était déjà très âgé pour voir comment nous comptions utiliser, dans un sens thérapeutique, les relations sociales qui se nouent entre soignants et soignés dans l’espace d’une institution, ce que l’on a nommé le « transfert institutionnel » qui se fait simultanément sur plusieurs des personnes présentes dans l’institution quand le malade y est admis.


Lorsque l’Encyclopédie médico-chirurgicale décida de séparer en deux le Traité de Neuropsychiatrie qu’elle publiait jusque-là, elle confia la direction du Traité de psychiatrie clinique et thérapeutique [je souligne] à Henri Ey qui chargea des membres de L’Evolution psychiatrique d’écrire certains chapitres, Jacques Lacan écrivant dans la partie « psychanalyse », le chapitre « Variantes de la cure type » qui a ensuite été retiré du traité de psychiatrie sans être remplacé lors d’une « mise-à-jour » écrite par un autre psychanalyste.


Conclusion


Je vais en guise de conclusion me permettre de divaguer un peu dans l’espace, le temps et aussi les langues.


En espagnol le même mot « sueño » signifie à la fois « sommeil » et « rêve », comme en plus la langue castillane a gardé le gérondif, je peux dire « estoy soñando » alors que je suis éveillé. Une pièce du théâtre classique espagnol du Siècle d’or, écrite par Pedro Calderon de la Barca et représentée à Madrid vers 1645, est intitulée La vida es sueño. On traduit ce titre en français par « la vie est un songe » mais le héros, le prince Segismundo, rêve-t-il ou délire-t-il ? Un jeune étudiant en lettre classique hospitalisé à l’Institut Marcel Rivière que je suivais en psychothérapie pour un état psychotique et qui me parlait au cours des séances tantôt en français, en latin ou en grec classique m’offrit un jour un exemplaire de La vida es sueño en espagnol, qu’il avait trouvé chez un bouquiniste du Boul ‘ Mich’. Qu’a-t-il voulu me signifier ainsi ?  


Lorsque le 6 mai 1856 naquit dans la ville de Freiberg en Moravie le fils de Jakob Freud, négociant en laines, celui-ci inscrivit dans la Bible familiale en hébreu les prénoms de Sigismund Schlomo pour ce nouveau-né. Mais ce fils n’utilisa jamais ce deuxième prénom qui était celui de son grand-père maternel, et dès ses dernières années au Gymnasium de Vienne et lors de son entrée à l’Université, il utilisa celui de Sigmund. Comme le note Peter Gay dans Freud, Une vie : « Comme il n’a jamais fait de commentaires sur les raisons qui l’incitèrent à raccourcir son prénom, toutes les hypothèses quant au sens que cela a pu avoir pour lui demeurent d’ordre purement spéculatif . Le Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme de Paris vient de consacrer à ce médecin autrichien une exposition « Sigmund Freud. Du regard à l’écoute » avec édition d’un remarquable catalogue illustré.


Quant à mon autre divagation, elle tourne autour de la question de la découverte dans les années cinquante par le psychiatre et psychanalyste nord-américain William Charles Dement, des phases de sommeil avec des mouvements rapides des yeux que l’on a qualifiées de « sommeil paradoxal » puisque c’est lorsque le dormeur est le plus profondément endormi qu’il rêve le plus, découverte qui  a bouleversé complétement la bio-chronologie des espèces animales qui dorment et rêvent, et qui me semble avoir eu, jusqu’à présent, peu d’échos dans la psychopathologie des psychoses délirantes aigües, telles que  la « bouffée délirante polymorphe » des auteurs français ou l’amentia décrite par Meynert. L’étude de la chronobiologie a été, depuis cette découverte, reprise en main par des neurophysiologistes qui ne sont ni des rêveurs, ni des psychopathologues, mais des scientifiques purs ce qui me fait craindre que ce ne soit pas par cette voie que nous ressoudions l’énigme du temps vécu.


Analyse par Lacan du « Temps vécu ». 


Michel Jeanvoine a bien voulu me prêter, pour que j’ai des lectures édifiantes pendant la période de Noël, le numéro 1935-36 de la revue Recherches philosophiques intitulé « Méditations sur le temps » qui contient entre autres, des articles d’E. Minkowski « Le problème du temps vécu », de E. Pichon « Le temps et l’idiome », de P. Klossowski, de G. Dumézil « De quelques aspects du temps », de Lévy-Bruhl « Le fait historique », de G. Bataille « Le labyrinthe et de E. Lévinas « De l’évasion ». 


Mais surtout, on peut lire dans la partie consacrée à « Psychologie et esthétique », une analyse par J.-M. Lacan du Temps vécu de Minkowski, texte qui est plus long que ce qu’est habituellement une analyse de livre dans une revue. C’est, nous dit Lacan, une « œuvre ambitieuse et ambigüe dont le contenu est triple : objectivation scientifique, analyse phénoménologique, témoignage personnel, le mouvement même de notre analyse devant en donner la synthèse, si elle existe ». Lacan critique les communications qui sont alors faites dans les sociétés dites savantes, oubliant sans doute qu’il a lui-même été membre de la Société médico-psychologique et de L’Evolution psychiatrique, mais il note que « la nouveauté méthodique des aperçus du Dr Minkowski consiste dans sa référence au point de vue de la structure, point de vue assez étranger, semble- t-il, aux conceptions des psychiatres français, dont beaucoup croient qu’il s’agit là d’un équivalent de la psychologie des profondeurs […] Il ne s’agit pas là d’enregistrer les déclarations du sujet que nous savons dès longtemps […] ne pouvoir de par la nature même du langage, qu’être étranger à l’expérience vécue que le sujet tente d’exprimer » et il fait référence à « une remarquable étude d’ “un cas de jalousie morbide sur fond d’automatisme mental ” reproduite ici des Annales médico-psychologiques de 1929  ». (Toutes les publications dans cette revue ne sont donc pas sans intérêt). Mais Lacan poursuit son analyse : « aussi bien par son attitude ouvertement hostile à la psychanalyse [ je souligne] M. Minkowski tend à établir dans la recherche psychiatrique un nouveau dualisme théorique qu’il renouvellerait de l’opposition périmée de l’organogénèse et de la psychogenèse, et qui opposerait maintenant la genèse qu’il appelle idéo-affective et qui est celle des complexes qu’a définis la psychanalyse d’une part et d’autre part la subduction structurale qu’il considère comme à tel point autonome qu’il va jusqu’à parler de phénomènes de compensation phénoménologique ».


Une opposition si exclusive ne peut être que stérilisante. Nous avons tenté nous-même dans un travail récent de démonter dans le complexe typique du conflit objectal (position « triangulaire » de l’objet entre le toi et le moi) la commune raison de la forme et du contenu dans ce que nous appelons la connaissance paranoïaque. C’est aussi bien que nous ne croyons pas que ce soit la destination de l’homme à « manier les solides » qui détermine la structure substantielle de son intelligence.


« D’où la fonction quelque peu disparate des diverses intuitions du temps dans les entités nosographiques où elles sont étudiées dans cet ouvrage : ici elle est apparente dans la conscience et décrite comme symptôme subjectif par le malade qui en souffre, là au contraire elle est déduite comme structurale du trouble qui l’exprime très indirectement (mélancolies). Seule apparaît très fondamentale, la subduction du temps vécu dans les états dépressifs : on peut tenir dès à présent ces états pour enrichis d’un certains nombres de types structuraux ». Ici Lacan renvoie aux pages 169-182 et 286-304 de l’ouvrage de Minkowski.


« On ne peut, d’autre part, qu’être reconnaissant à monsieur Minkowski d’avoir démontré la fécondité analytique de l’entité avant tout structurale dégagée par Clérambault sous le titre d’automatisme mental. Les beaux travaux de ce maître dépassent, en effet, de beaucoup la portée de démonstration de la vérité “organiciste ” où lui-même semblait vouloir les réduire et où certains de ses élèves se confinent encore ». Il ne peut s’agir ici de Henri Ey qui ne s’est jamais considéré comme un élève de Clérambault. « Il reste que l’attention du psychiatre en contact clinique avec le malade est désormais sollicitée d’approfondir la nature et les variétés de ces troubles de l’intuition corporelle ».


Lacan poursuit en parlant de la phénoménologie, terme né en Allemagne nous dit-il, et que l’ouvrage de Minkowski tend à fixer, mais sous le mode pratique de l’ « intuitionnisme bergsonien ». Lacan est ensuite plus critique : « La tentative, même pas déguisée de faire surgir d’une pure intuition existentielle, tant le surmoi que l’inconscient de la psychanalyse, “niveaux” incontestablement attachés au relativisme social, nous apparaît une gageure ».


Il discute ensuite de l’élan vital ou personnel qui est pour Minkowski la forme de l’avenir vital. « Nous avons-nous même, dans un travail récent, put démontrer dans le complexe typique du conflit objectal (position « triangulaire » entre le toi et le moi) la commune raison de la forme et du contenu dans ce que nous appelons la connaissance paranoïaque ». Ce travail récent est-il sa thèse de médecine ?


Lacan signale que Minkowski ignorait la pensée de Heidegger, quand il rédigea le Temps vécu. Après avoir regretté à nouveau la méconnaissance de Freud, Lacan nous dit que « tant de parti-pris nous valent pourtant des analyses partielles parfois admirables. […] La structure phénoménologique du désir est bien mise en valeur au degré médiat des relations de l’avenir. Un chef d’œuvre de pénétration nous est offert dans l’analyse de la prière : et c’est sans doute, est-ce là la clé du livre, livre de spirituel dont l’effusion s‘épanche tout entière dans le dialogue qui ne saurait s’exprimer hors du secret de l’âme ».


Á la fin, à propos de la distinction « espace clair » et « espace noir » et d’une citation de Minkowski « une prison, dût-elle se confondre avec l’univers, m’est intolérable », Lacan conclut : « c’est à la nuit des sens, c’est à la « nuit obscure » du mystique que nous croyons pouvoir dire sans abus que nous voilà portés ». Cette référence au poème « la noche oscura » du grand mystique espagnol San Juan de la Cruz que fait Lacan à propos du Temps vécu d’Eugène Minkowski, m’a beaucoup troublé car, comme je l’ai dit, lorsque mon histoire de la schizophrénie publiée en 1992 a été traduite en espagnol, l’éditeur mexicain a demandé un titre plus accrocheur et il a été enchanté de celui que j’ai proposé : « La noche oscura del ser ».


Notre langue ne dispose que d’un seul verbe « être » alors qu’en castillan nous disposons de « ser » et « estar », et ce n’est pas la même chose de dire « estoy loco » ou « soy un loco ». Salvador Dali, pour citer un philosophe célèbre proche de Jacques Lacan dans l’entre-deux-guerres, déclarait en français dans une spot publicitaire télévisé « Je suis fou de chocolat Lanvin » avec un regard qui nous disait que sa pensée était paranoïaque.  

 

Acte des colloques. JANVIER 2017, « figures de la mélancolie »

  
FIGURES DE LA MELANCOLIE

 Journée clinique
Samedi 28 janvier 2017, 9 heures 30
Hôpital Henri EY
15, Avenue de la porte de Choisy 75013 Paris
 

   Le travail du Collège de Psychiatrie se poursuit sur le fil de la clinique, ou les cliniques, de la mélancolie. Notre manière à nous de nous rappeler qu’il y a un siècle FREUD nous avait  mis entre les mains ce texte, toujours d’actualité, intitulé « Deuil et mélancolie ». Véritable exercice freudien de lecture topologique qui fait encore aujourd’hui toute notre admiration.
 
  Cette journée clinique prolonge celles de février 2106 « Comment aborder aujourd’hui mélancolie et dépression ? » à Paris et celle plus récente d’Ottignies en Belgique « La mélancolie : embarras théorico-cliniques ».
 
  Ce sera, une nouvelle fois, l’occasion de présenter le travail de construction et de lecture en jeu dans la clinique. Et celle-ci ne peut être que plurielle puisqu’elle est à chaque fois le produit de l’engagement d’un désir, celui du clinicien, et qu’une écriture singulière en tombe, celle du cas.
 
  Cependant de ce trajet, de ces trajets, de ces lacets, de ces nœuds, une topologie s’impose dont nous avons, après Freud, à faire l’écriture. Cette topologie -et c’est en cela que la mélancolie est exemplaire- traite de la question de l’objet et de sa nature: de cet objet qui commande l’être parlant.
Chacun, du même coup, s’y trouve alors engagé.  
 
   D’où, peut-être, cette place centrale donnée à ces « figures de la mélancolie » dans notre culture.
 
Comité d’organisation: ANQUETIL Nicole, BENRAIS François, BLANADET Françoise, CAMPION Martine, DAUDIN Michel, DELGUSTE Bernard, FROISSARD Josiane, GARRABE Jean, GORGES Pierre, GRINARD Monique, JEANVOINE Michel, MOINS Pascale, PONT-MONFROY Marie-Hélène et WILTORD Jeanne. 
Entrée libre
 
Samedi matin
9 heures 30 à 12 heures 30
 
Présidence : Dr JEANVOINE Michel
Discutant : Dr BLANADET Françoise
– Introduction par le Dr JEANVOINE Michel
– Dr GARRABE Jean : « Portraits de la mélancolie dans l’histoire de l’art et dans celle de la médecine.»
– DELGUSTE Bernard : « Quelques particularités cliniques de la prise en charge du patient mélancolique à l’hôpital.» 
 
Samedi après-midi
14 heures 30 à 17 heures
 
Présidence : Dr MOINS Pascale
Discutants : Dr DAUDIN Michel et Jean Jacques LEPÎTRE
– PONT-MONTFROY Marie Helene : « Rapport au corps et nomination imaginaire dans la mélancolie.»
– Dr ANQUETIL Nicole : « Les voies(les voix) de la mélancolie. »
– Dr JEANVOINE Michel : « Quels enseignements à tirer de cette clinique de la mélancolie ? Remarques et conséquences. »
– Conclusions par le DR Jean GARRABE.
 
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  • Portraits de la mélancolie dans l’histoire de l’art et de la médecine 
Jean GARABE
  • Comment lire la structure du sujet quand la mort se fait contrainte 
Marie-Hélène PONT-MONFROY

Une clinique de la mélancolie


Michel JEANVOINE


Les voix, voies de la mélancolie 


Nicole ANQUETIL


Quelques particularités cliniques


Bernard DELGUSTE

Nazir HAMAD, « L’Autre maternel comme une dynamique du nœud »

L’Autre maternel comme une dynamique du nœud

 Nazir Hamad

 

      J’évoquerai ici trois que des parents biologiques ne s’engagent pas toujours auprès de leur progéniture. Leurs enfants sont habituellement placés ou adoptés et cela les inscrit dans une nouvelle filiation et une nouvelle identité. Ils évoluent normalement et sans trop points qui vont constituer la base sur laquelle je soutiens cette hypothèse. L’enfant est l’enfant de ses parents biologiques, cela va de soi en principe, mais l’expérience nous apprend de séquelles parce que le bébé a ce quelque chose de spécifique en lui qui lui permet de s’adapter aux parents et au milieu dans lequel il est élevé.

 

 

I-           Le bébé humain est l’hypothèse de son Autre maternel. J’entends par là que cet Autre n’a pas besoin d’être la mère biologique. Cet Autre est toute personne qui s’engage auprès d’un enfant et qui l’inscrit dans son histoire et dans sa lignée. Autrement dit, cet Autre est l’incarnation par laquelle passe le Nom, qui est aussi le « non » qui castre autant la mère que l’enfant. Le « non » qui lui interdit d’intégrer l’enfant comme phallus imaginaire, et qui interdit en même temps à l’enfant de venir occuper cette place pour sa mère.

 

II-        Le bébé humain est disposé à apprendre toutes les langues et de se spécialiser dans la langue de son Autre maternel.

 

III-         Le bébé humain parle du fait même qu’on lui parle, et du fait qu’on lui parle, il est l’enfant de la langue et de la culture de son entourage familial.

 

i- La difficulté principale pour le petit d’homme réside dans le fait que son humanité est le pari de son Autre maternel. Le petit d’homme n’accède à son statut de sujet désirant que dans la mesure où son Autre le compte comme sujet désirant et s’adresse à lui en tant que tel.

 

 

       C’est la mère ou la tutrice qui assure par sa présence et par son engagement auprès de son enfant tout-petit la fonction de cet Autre. Cet Autre par son savoir qui lui permet de recevoir tout signe que le bébé envoie en tant que demande inscrit l’enfant dans cette relation particulière que Winnicott appelle « la folie maternelle » une sorte de repli schizoïde qui permet à la mère de s’occuper exclusivement de son bébé. Grace à cette « maladie normale », la mère est en mesure de savoir sur le désir de son enfant. Quand elle lui parle, cette parole qui dit non, le « non que dit le père », elle lui ouvre le champ du symbolique. L’enfant n’accèderait jamais à son statut de « parlêtre », pour emprunter un terme à Lacan, que grâce à ce pari, le pari de son humanité. C’est justement cet Autre qui fait que la pulsion n’est pas que biologique. Elle est déjà une articulation et un montage grammatical.

 

         Il faut donc que quelqu’un incarne pour le bébé cet Autre, la mère en l’occurrence, pour qu’il puisse s’en passer grâce à son entrée dans le langage. Parler se fait au prix de la perte de cet Autre incarné.

 

         Un bébé n’est parlêtre, n’est humain, que de ce pari, le pari de ceux qui le comptent déjà comme sujet désirant et qui l’inscrivent dans leur filiation. Et pour tout dire, notre humanité n’est autre qu’un pari qu’il faut savoir tenir continuellement contre les attaques qui la menacent sans cesse.

 

 

         ii- De ce fait, l’enfant est l’enfant de celle ou de ceux qui lui parlent. Il est un phonéticien universel. Il arrive au monde avec une disposition qui lui permet d’entendre et de retenir ce que l’oreille de l’adulte n’arrive plus à entendre et à cerner. Cette disposition nous dit Steven PINKER in The Language Instinct, (Penguin Books, 2015, PP261/63), n’est pas le fruit de l’apprentissage. Les chercheurs comme Jacques Muller et Peter Jusczyk ont remarqué que les enfants Kikuyu (Une des ethnies du Kenya et qui représente 22% de la population), sont capables d’entendre et de faire la différence entre le son ba de le son Pa de la langue anglaise alors que la langue kikuyu n’a pas ces sons dans le langage parlé de son groupe. Trois groupes d’enfants de 6 à 8 mois, de 8 à 10 mois et de 10 à 12 mois ont été comparés pour leur capacité à discriminer les distinctions « rétro réflexe dental » en hindi comme (Ta/ta) et guttural vélaire/uvulaire (Ki/qi) de l’inslekampx, (Un groupe de natifs d’Amérique du nord). Tous les enfants de 6 à 8 mois étaient capables d’entendre et de discriminer les deux contrastes alors qu’entre 10 et 12 mois, il n’y avait plus qu’un seul enfant sur les dix soumis à ce test qui les a entendus. La même expérience menée auprès d’adultes anglophones révèle qu’ils étaient incapables d’apprendre et de prononcer correctement ce contraste de sons après 500 essais.

 

         Le babil

 

         Ces mêmes psychologues ont démontré qu’un enfant français de 4 jours suce plus énergiquement sa tétine quand il entend la langue française que quand il entend la langue russe par exemple. Le bébé retrouve le même pic de vigueur quand il réentend la langue française après avoir entendu la langue russe. La même expérience démontre que ces bébés préfèrent le français parlé de vive voix au français enregistré. Bien que la voix enregistrée suscite toujours quelques réactions chez eux. En revanche, jouer le texte enregistré à l’envers laisse le bébé indiffèrent comme si, au fond, le bébé était d’emblée sensible à la structure grammaticale de la langue. Le texte joué à l’envers n’a plus sa sonorité habituelle, et ni sa prosodie et surtout, et l’énigme est là, plus son sens. Pour le bébé, le texte joué à l’envers n’est plus que chaos. A l’âge de 6 mois, le bébé ramasse des sons divers et en constitue des phonèmes tout en continuant à pouvoir distinguer les sons de la langue maternelle des autres sons. A l’âge de 10 mois, un bébé n’est plus un phonéticien universel. Il n’est plus capable de distinguer le tchèque de l’inslekampx que s’il était tchèque ou natif de cette tribu nord-américaine. Et bien qu’il fasse cette transition avant de comprendre ou de parler la langue maternelle, tout laisse entendre que le bébé est déjà pris dans un processus de spécialisation initié par la langue de son Autre maternel.

 

 

         Entre 7 et 8 mois, les bébés commencent à babiller en formant de vraies syllabes comme ba-ba-ba, neh, neh, neh, ou encore dé, dé. S. Pinter nous dit : « Les sons sont pareils dans toutes les langues. Ils se constituent en phonèmes et en patterns syllabiques qui sont communs dans beaucoup de langues. A la fin de la première année, les bébés ont une variété de syllabes et mélangent leur usage pour constituer des vraies phrases ‘babilles’ ». P.263

 

 

         Pourquoi le babil est-il important chez les bébés ? L’enfant, nous dit Pinter, est comme une personne adulte à qui on vient de donner un synthétiseur sans le mode d’emploi. Alors, faute de mieux, il se met à toucher aux divers boutons, aux diverses touches, expérimente et joue des sons afin de voir ce que cela va donner. C’est pareil pour le bébé. « Il lui a été donné tout un ensemble de commandes neuronales qui peuvent faire bouger les articulateurs dans n’importe quel sens, produisant des effets totalement variables sur le son. En écoutant leur propre babil, les bébés écrivent en effet leur propre mode d’emploi. Ils apprennent comment bouger un muscle dans un sens ou un autre pour produire un changement de son. C’est une condition première pour pouvoir imiter le discours de leur parent. »

 

         Le babil ne s’arrête pas du fait que l’enfant accède au langage parlé. Le babil est constitué d’une série de sons similaires aux sons du langage précoce que l’enfant aura à parler par la suite. Le cerveau contrôle les deux de la même manière, de sorte que le langage parlé va puiser ses sons dans les bagages des sons du babil.

 

 

         La langue maternelle

 

         Nous avons là une description scientifique de « lalangue » de Lacan. On voit dans ce passage comment le bébé prend la responsabilité d’extraire dans la carrière des sons qui est lalangue, des morceaux qu’il module afin de se signaler comme « parlêtre ».

 

         L’expérience inconsciente chez l’être humain est l’effet de la parole et du discours de l’Autre maternel sur le corps. Cela commence très tôt, bien avant la naissance. L’enfant reçoit le discours de son entourage et s’imprègne du langage, et notamment de celui de la mère. Et nous voilà devant un vrai problème. De qui parle-t-on quand on dit mère ?

 

 

         Les trois niveaux qui font la mère

 

         Dire mère implique déjà une première difficulté. Car elle ne peut transmettre le langage à son bébé que d’une perte. Une perte subie par chacun comme prix à payer pour accéder à son statut de « parlêtre ». Une mère inscrit son bébé dans le lien selon trois modalités : elle est un corps sexué qui jouit, et de ce fait, elle inscrit son enfant dans cette jouissance. Le bébé est aussi l’enfant de cette jouissance. Deuxièmement, Elle parle, répond à ce qu’elle croit recevoir comme demande venant de son bébé, et quand elle répond, elle le fait avec son incomplétude. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il n’y a pas de mère idéale. Troisièmement, « La mère » est un signifiant qui par la spécificité de son lien au bébé : c’est-à-dire satisfaire ses besoins afin de lui préserver la vie, lui parler afin de donner au nourrissage une valeur symbolique autant que jouissive, que le signifiant quelconque prend une haute valeur subjective donnant à une mère son statut de maman, le sien.

 

 

         Nous verrons plus loin qu’il suffit qu’une de ces modalités ne se mette pas en place pour empêcher le lien de parenté de se faire normalement en adoption.

 

 

         Pour qu’un petit enfant devienne « Mon bébé »

 

Comme je l’ai dit en parlant de la mère, le bébé, lui aussi, est pris dans ce lien selon trois modalités : il y est inscrit comme organisme vivant, et en tant que tel, il est objet de médecine. Cet organisme a été longtemps chosifié par les médecins et la médecine. Il est publiquement connu que des bébés ont été opérés sans anesthésie jusqu’à la deuxième moitié du vingtième siècle. En 1987, une publication importante démontre que le nouveau-né souffre de douleur. A cette date le Docteur KJS Anand a mis en évidence que le système nerveux du nouveau-né et du prématuré véhicule les messages nociceptifs de la périphérie jusqu’au niveau cortical. (KJS Anand and Hickey: Pain and its effects in the human neonate and fetus. The new Engel Journal of Medecine No. 317, 1987). Autrement dit, pendant longtemps la médecine a refusé de faire l’hypothèse de la souffrance chez le bébé le réduisant à un organisme dont la mise en place en tant que corps humain n’est pas encore achevée. En 1981, j’ai assisté moi-même dans un célèbre hôpital parisien à une intervention sur les canaux lacrymogènes d’un bébé de 8 mois sans la moindre administration d’un anesthésiant. Quand j’ai fait remarquer au médecin que le bébé souffrait, il m’a répondu qu’il avait seulement peur. Ce qui était vrai en médecine, l’était aussi dans la prise en charge de l’enfant. Je me souviens d’une discussion avec F. Dolto au cours de laquelle elle m’a affirmé que quand elle s’était mise à parler aux bébés, ses collègues médecins l’avaient prise pour une folle.

 

 

      Deuxièmement, se mettre à parler aux bébés et prendre en compte l’hypothèse de leur statut de sujet désirant change complètement notre perception du nouveau-né. Il n’est plus compté comme un organisme en voie de maturation, mais en tant que corps affecté par les symptômes, autrement dit, par le langage et la jouissance.

 

 

         Troisièmement, dire qu’il est affecté par les symptômes veut dire que le nouveau-né s’inscrit dans le discours de son entourage comme sujet défini par les signifiants. Autrement dit, le corps est biologique certes, mais aussi symbolique, affecté définitivement par les récits qui président à sa naissance ainsi que par le discours de ses parents, un discours qui fait de lui « notre bébé ».  Comme il peut aussi faire de lui : « cette chose horrible que j’ai portée dans mon ventre » comme l’avait écrit au sujet de sa grossesse      une célèbre actrice française. Le corps « se corporise de manière signifiante », dit Lacan. Le corps n’est corps que quand il est pris dans le langage et la jouissance dans un lien intime avec le corps maternel et sa parole. L’Autre maternel incarne l’Autre pour un bébé humain certes, mais il s’agit là d’une condition nécessaire pour son humanisation mais pas suffisante pour se sortir de « de la maladie ordinaire » dans laquelle il est pris avec sa mère. Si le corps se corporise par les signifiants, tout dépend alors de comment le signifiant phallique s’introduit-il pour opérer la séparation.

 

 

         Voici un petit résumé que je vous propose en guise de conclusion : la fonction de la mère est complexe et peut paraître contradictoire. C’est elle qui fait de son enfant l’objet d’exception, son trésor, et c’est elle aussi qui l’amène à abandonner cette place pour devenir un sujet désirant qui prend le risque d’aller découvrir le monde de son âge et d’apprendre à l’apprécier. C’est elle qui partage la jouissance avec lui, et c’est elle aussi qui sait mettre des limites à cette jouissance. C’est elle qui introduit l’enfant dans la musique de la lalangue, et c’est elle encore qui insiste pour que l’enfant adopte ses mots pour l’amener à s’inscrire dans le langage parlé. La fonction maternelle apparaît ainsi délicate et paradoxale à la fois. Mais dans cette présence auprès de son bébé, elle n’est pas seule, sauf quand elle cherche à l’être. Son bébé est le fruit de son désir pour un homme, et cet homme a normalement toute sa place auprès d’elle et auprès de leur enfant.

 

 

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– Auteur : HAMAD Nazir 

– Titre : L’Autre maternel et la dynamique du noeud. Les racines du noeud Bo 

– Date de publication : 29-03-2018

– Publication : Collège de psychiatrie

– Adresse originale (URL) : http://www.collegepsychiatrie.com/index.php?sp=comm&comm_id=188

Michel JEANVOINE, « Liaison et déliaison. Etat des lieux…. et propositions. »

Liaison et déliaison 

Etat des lieux…. et propositions

Michel JEANVOINE

 

Ce titre, « L’Imaginaire et ses avatars », se présente tout spécialement comme un titre à entrées multiples. Chacun le lira donc à sa manière, mais comment faire autrement ? Pour ma part je suis en charge d’une introduction. Et le titre qui s’impose est le suivant : « Liaison et déliaison. Etat de lieux ». Je conclurai, après ces quelques points de suspensions, par quelques propositions, un point conclusif au sens structural du terme.


« Liaison et déliaison », ce titre vient pour essayer d’éclairer notre travail de clinicien, à savoir comment dans notre vie de clinicien nous sommes amenés à rendre compte d’un certain nombre d’embarras, mais pas seulement dans notre vie de clinicien avec nos patients, comme vient de le rappeler Nicole ANQUETIL, mais aussi dans la vie de notre collectif. En effet il semblerait que celle-ci soit régie par les mêmes lois de la structure, comme nous l’a appris FREUD dans « Massenpsychologie ». Les lois qui viennent organiser la vie du sujet et de son moi sont les mêmes lois qui organisent la vie de notre collectif. Et le Moi est une affaire bien particulière dans laquelle FREUD est entré pour une première fois, à sa manière.


Cette introduction je vous la propose construite à partir d’un point. L’image qui me vient est celle de la randonnée en montagne. Un exemple topographique. Je suis sur une hauteur, ou pas, et ma position va déterminer et commander la perspective qui se propose à ma vue. J’ai fait le choix d’un de ces points remarquables pour vous proposer cette introduction.


J’ai transmis il y a quelques temps, et à quelques-uns d’entre vous, cette dernière conférence de LACAN, en 1978, chez DENIKER (vous pouvez la trouver sur internet avec « LACAN DENIKER 78 »). Celle-ci est contemporaine de son dernier séminaire « La topologie et le temps ». Ce sera notre point remarquable de la matinée. Elle est intéressante, et ceci à plusieurs titres. En effet pour lui, chez DENIKER en 78, il s’agit d’un deuxième tour. Dans un premier tour en 1953, il était   venu y parler de « Symbolique, Imaginaire et Réel » où il venait exemplifier la manière dont le travail d’une cure est susceptible d’être présenté par le tressage de ces trois cordes. Dans ce deuxième tour, 5 ans après « RSI », il vient nous proposer « SRI » pourrait-on dire. Le R, avec sa consistance, entre S et I comme écriture de ce non-rapport. Ce que nous pouvons retenir ce matin- et ceci est ma lecture, une interprétation en quelque sorte- ce serait ceci. Je n’ai rien entendu au séminaire d’été où était mis au travail ce dernier séminaire « La topologie et le temps », sur cette question pourtant centrale. Et c’est très dommage. En effet LACAN nous dit qu’avec le nœud simple, c’est-à-dire le nœud à trois, il nous a introduit à un abus de métaphore. « Je me suis laissé aller à vous glisser en main cette corde… ». En effet comment faire autrement ? Vous savez qu’il avait pu dire que son seul défaut était d’être là à nous parler. Il faut bien être là à vous parler, et pour vous parler encore faut-il du corps. Même chose avec le nœud. Lui donner corps pour en parler et nous faire rencontrer ses propriétés singulières par la manipulation. Ce qui nous fait immédiatement entrer dans un malentendu. Est-ce que la consistance donnée à R, S et I a une épaisseur, et si oui laquelle, et d’où provient-elle ? Nous sommes en effet sur cette pente qui prête à l’entification de cette corde. Où réside cet abus de métaphore ? Si le nœud Bo relève, par le nouage, d’une fonction cette consistance n’est que le produit du nouage. Elle est générée par le nouage lui-même. LACAN insiste longuement sur le fait que le nœud n’est aucunement une représentation mais une présentation…Cette consistance n’est-elle pas à concevoir comme n’ayant que la seule consistance d’un trait, d’un trait d’écriture mathématique puisque ce nouage relève d’un travail de logique, le travail de l’inconscient. Donner à ce trait le statut d’une corde en nous mettant ce nœud en main est un abus de métaphore et ce malentendu, auquel nous ne pouvons qu’être introduit, ne manque pas de trouver ses fruits. Nous pouvons en juger lorsque nous entendons, quelques fois, parler de topologie. Mais cette question reste difficile et la manière dont le malentendu nous habite est toujours riche d’enseignements.


 C’est à partir de ce point que je vous propose cette lecture et cette introduction.


 Une toute première remarque s’impose. « Liaison et déliaison » ne concerne pas seulement un imaginaire lié ou délié du symbolique. Encore faudrait-il l’écrire avec un grand I. Si celui-ci se trouve délié c’est qu’il ne ferait plus nœud, non seulement avec S mais avec R et qu’à partir de ce dénouage une clinique singulière pourrait trouver sa place. C’est ce que nous allons examiner.


 A cet Imaginaire FREUD a été un des premiers à s’y intéresser. Et vous savez que pour ce faire il invente et nous propose le Moi. De quelle manière y vient-il ? De quelle manière est-il contraint à la logique de cette invention ? Comme pour nous, par les mêmes voies, dans et avec notre clinique. Ceci le mène à des élaborations, à des constructions, que nous nommons freudiennes. Suivons-en le fil. Tout semble partir de cette clinique de la psychose et tout spécialement de ce cas princeps « Les mémoires du Président SCHREBER ». En effet pour un certain nombre de patients le retour du refoulé où FREUD était habitué à lire le retour d’un désir refoulé que le sujet pouvait assumer, et ainsi s’en trouver déplacé, ne s’avère pas pertinent.  FREUD ne pourra dire, devant ce constat de l’hallucination et du phénomène de projection, qu’une chose : il s’agit d’autre chose que d’un retour d’un élément refoulé, comme nous pouvons le rencontrer dans la névrose. Nous sommes dans un autre cas de figure. Les enjeux sont autres. Il y a là quelque chose qui fait défaut et qui introduit le patient à cette impasse, mais quoi ? Dans ses commentaires sur SCHREBER FREUD nous promet que le moment venu il lui faudra, sur ce phénomène de projection, en dire un peu plus et travailler cette question. Quelques-uns, déçus, nous disent que celui-ci n’a pas tenu parole et qu’il n’est jamais revenu sur cette question. Son travail de 1914 intitulé « Pour introduire le narcissisme » n’est-il pas un élément de réponse à ses questions posées précédemment ?


Que nous dit-il ? Dans ce texte il nous propose, pour la toute première fois, de concevoir le « Moi » organisé par le jeu et l’articulation de deux instances l’Idéal de moi et le Moi Idéal. C’est la première fois que FREUD dans ce texte nous en parle de cette manière. Il met en place cet Idéal de Moi pour cette simple raison que chez certains patients cette voix qui commande n’est pas entendue comme la voix du surmoi mais a pris le statut d’une voix xénopathique. Elle se trouve déliée du Moi Idéal. Tout se passe donc comme si l’invention du Moi n’avait son intérêt que pour caractériser un certain nombre de situations où celui-ci, par son défaut, laissait le patient à son destin d’halluciné et de mégalomaniaque. Par opposition il se trouve ainsi dans la nécessité de penser le Moi comme relevant d’une construction qui, le cas échéant peut faire défaut.


 LACAN, avec sa lecture de FREUD, et après Aimée, fait le pas suivant qui va consister à rendre compte de cette étape où le Moi se constitue comme instance : le stade de l’identification spéculaire. Il nous le propose de manière anticipée, pourrait-on dire, en 1936 et donc précipitée. Un peu à la manière dont FREUD travaillait. Celle qui est la nôtre également. De fait, dans un temps logique. Des éléments de réponse sont apportés dans un moment précipité et conclusif ; ceux-ci se trouvent démentis ou contredits. Le travail consiste alors à remettre sur le métier, à retisser ces nouveaux éléments qui viennent dire non à ceux déjà avancés. C’est de cette manière assumée que FREUD travaillait, comme LACAN, et c’est là que nous sommes également conduits : à l’assomption d’un temps logique dont LACAN fera très tôt l’effort d’en dégager la logique.


En ce qui concerne cette identification spéculaire LACAN y reviendra par la suite dans un certain nombre de ses séminaires où il aura l’occasion d’articuler beaucoup plus finement cette question avec le jeu des trois registres, et de dégager ainsi, des premiers liens de cet infans avec ses premiers autres, les enjeux structuraux.


Je ne veux pas revenir sur cette question de l’identification spéculaire que vous connaissez déjà sinon pour rappeler brièvement que celle-ci est une première identification qui fait du corps, et qui confère au corps une unité. Le corps comme un Un troué, un tore pourra-t-il ajouter plus tardivement. En effet c’est au lieu de l’Autre, ici le regard d’un premier Autre, l’Autre maternel, que s’anticipe ce Un avec la jubilation afférente. La précipitation anticipée d’Un troué noue la dimension symbolique de l’Idéal de Moi et celle imaginaire du Moi Idéal. De ce nouage tombe le réel d’une écriture, i(a), qui fait de ce moment un moment structural et donne ainsi à l’identification spéculaire la propriété de devenir le lieu de toutes les identifications dites secondaires qui vont lui succéder.


Ce (a), sans image spéculaire, a cette fonction tout à fait particulière de se trouver en exclusion interne et d’assurer ainsi le passage vers toutes ces identifications. Et la néoténie du jeune infans donne à ce moment structural le statut d’un faire trace qui l’ouvre à faire sien le message inversé qui lui vient de l’Autre. Il l’ouvre ainsi, dans et avec son corps, au mouvement même de la civilisation, c’est-à-dire au langage.


A cette première manière de présenter ce temps structural où le symbolique vient se nouer à l’imaginaire et au réel en faisant écriture LACAN viendra donner une suite ; et toujours dans les modalités de l’anticipation. Il pourra même ajouter beaucoup plus tard que le Moi est un trou. Laissant ouverte, et à chacun, la question centrale de savoir ce qu’est un trou et la question de la consistance de son bord…


En effet en 1953, dans une première conférence intitulée « Symbolique, Imaginaire et Réel » chez DENIKER, LACAN propose à son assistance surprise, mais prête à le suivre dans cette traversée qui s’ouvre, comment il serait possible de rendre compte du travail de la cure par le simple jeu du tressage de ces trois registres : c’est-à-dire le travail de la symbolisation dans le jeu du transfert qui ouvre sur la prise en compte du Réel.


En 1973 LACAN pourra, dans un tour suivant intitulé « RSI », revenir à ce nouage et à ce tressage. Mais cette fois-ci il ne s’agit plus de « Symbolique », « Imaginaire » et « Réel » mais de trois lettres R, S et I qui prennent consistance imaginaire. La différence est de taille et a toute son importance car le nœud va s’avérer avant tout relever d’une nomination : ce nœud il nous faut le faire, et le faire relève d’une écriture, d’un faire trait. D’où les « écritures borroméennes » … En effet ce nœud borroméen qui noue ces trois registres leur donne, par le nouage, consistance commune, sans cependant les mettre en continuité. J’ai insisté tout à l’heure, en introduisant mon propos, sur la nature de la consistance. En effet, un fois encore, c’est le nouage qui génère cette consistance commune au trois et lui donne sa légitimité. Celle-ci relève, dans un après-coup logique, du travail d’écriture du nœud.


 Mais ici dans ce nœud triple, ou dit encore nœud de trèfle, par quelle voie cette légitimité se fonde-t-elle ? Se fonde-t-elle nécessairement du travail du nouage, ou se fonde-t-elle, comme dans la paranoïa (puisque ce nœud triple est le nœud de la paranoïa comme nous le propose LACAN) dans l’appui xénopathique pris, à chaque fois singulier, sur le persécuteur. Toute personnalité relève de ce nœud triple, névrotique ou pas, mais cependant dans la paranoïa pas d’autre appui pour constituer cette consistance que l’appui vital au persécuteur bien-aimé : là où chez le névrosé l’anticipation assumée de l’impossible du Réel ordonne son destin.


Nous sommes là pour poser des questions et celle de ce matin qui m’anime en vous parlant est d’attirer votre attention sur la différence de nature des consistances dans ces deux types de nœuds : nœud bo à trois et nœud triple dit encore nœud de trèfle. Elle est essentielle. J’y reviens. En effet cette consistance générée par le nouage a quel statut ? A-t-elle un autre statut que le statut du trait d’écriture mathématique ? Dans ce nouage qu’il nous faut faire ne s’agirait-il pas de redoubler, d’une certaine manière le travail de l’inconscient puisque l’inconscient répond, dans et avec le travail analytique, à l’efficace du trait symbolique d’écriture ? Entre l’Un et l’Autre, au lieu même d’un non-rapport, venir lire, et donc écrire, un trait qui va permettre l’assomption de ce non-rapport et ouvrir ainsi au travail d’une sublimation ; et non d’un refoulement. Y’a de l’Un nous dit LACAN. Y’a de l’Un qui parle. Et je voudrais vous faire remarquer que ce Un a la propriété d’être un Un en trois. Nous sommes très près des avancées et des réflexions des théologiens chrétiens de la Trinité à ceci près qu’ici, à cette consistance, il est donné le statut d’une « ousia » divine déjà là. Pas question de considérer celle-ci comme produite par l’effet d’une traversée et d’une perte radicale capable de refonder le sujet : un nouage. Elle est déjà là. C’est pourquoi, me semble-t-il LACAN nous dira que nous ne pouvons qu’en rajouter sur ces travaux en présentant la genèse de toute consistance comme le produit de ce nouage dans son statut de pur trait d’écriture.


Et dans l’hypothèse où cette fonction capable de nouer fait défaut le trait d’une consistance déjà là, déjà écrite, soutenue et assumée par un autre ne peut faire que s’imposer, et s’imposer xénopathiquement, du dehors.


Dans ces journées intitulées « L’Imaginaire et ses avatars », et avec ces quelques points de repères avancés que pourrions-nous proposer ? Nous sommes là dans un travail de logique comme pouvaient l’assumer FREUD ou LACAN dans leurs travaux. Il y a ce « grand automatisme mental » de DE CLERAMBAULT avec lequel nous sommes entrés dans la carrière, pourrait-on dire. Et si nous suivons ces quelques remarques nous pourrions poser la question de qu’est-ce qui fait retour, pour le patient, dans des modalité xénopathiques voisées, comme a pu l’isoler très bien DE CLERAMBAULT. En effet la voix a une consistance voisée et l’hallucination est déjà, comme nous l’a appris FREUD – et nous avons pu consacrer des journées à ces questions- une tentative de reconstruction d’une réalité disloquée. Cette voix qui s’adresse à lui, il en a la certitude, prend le commandement de sa vie ; mais un commandement énigmatique. En effet si la certitude porte sur la signification personnelle dont il est l’objet, tout se passe comme si une question lui était posée dont il était, à son insu, la réponse énigmatique. A lui d’en construire, d’en inventer, les éléments de réponse. Cette consistance voisée se présente comme un premier linéament d’une suppléance possible à la déliaison. C’est la formule que je vous propose.


Or s’il est question de suppléer au défaut du nouage et de recomposer la continuité de la corde du nœud de trèfle, s’impose la nécessité d’explorer- après ce qui fait retour dans la consistance symbolique sous la forme de l’hallucination voisée- ce qui fait retour dans la consistance imaginaire, cette-fois-ci. Comment la penser et l’envisager ? La clinique des sosies ne serait-elle pas, et n’apporterait-elle pas quelques éléments de réponse dans ce sens ? De la même manière nous pourrions considérer que nous avons à explorer ce qui est susceptible de revenir xénopathiquement dans les modalités d’une consistance réelle. De quoi s’agirait-il alors et comment cela viendrait-il se présenter ? Je pense que nous aurions à examiner la clinique de la psychose maniaco-dépressive sous cet angle. En effet les phénoménologues ont depuis longtemps évoqués les particularités spatio-temporelles de cette clinique et je soutiens que nous aurions à faire ce pas de nous y intéresser dans cette perspective. Mais nous ne sommes pas là aujourd’hui pour traiter de cette question mais pour seulement nous intéresser à « l’Imaginaire et ses avatars ».


Comment envisager cette consistance imaginaire où ferait retour ce qui n’est pas symbolisé ? Où la repérer dans notre clinique, si elle s’y trouve ? Ne serait-t-elle pas déjà à repérer dans ce qui prend statut de corps, dans une certaine corporéisation que nous pourrions qualifier de xénopathique ? Il n’est pas rare, même assez fréquent, si nous savons y porter attention, que tel patient nous dise que tout se passe pour lui comme s’il se trouvait sur une scène ou s’il habitait un décor, un « dé-corps ». Ceci est très proche de cette clinique des sosies dont nous allons parler en fin de matinée avec un « cas de sosie ».


Cependant cette déliaison a déjà été examinée, mais d’une manière un peu différente. En effet les travaux de Stéphane THIBIERGE prenant en compte l’avancée de CAPGRAS sur l’agnosie d’identification nous propose, d’une manière homogène, une déliaison entre « reconnaissance » et « identification ». La clinique viendrait en témoigner pour un peu que nous sachions la lire. En effet qu’est-ce que le syndrome de FREGOLI sinon l’affirmation xénopathique d’une identité dénouée d’une reconnaissance absente et le syndrome de CAPGRAS, ou encore dit syndrome d’illusion des sosies, une reconnaissance xénopathique dénouée de l’identification ? Nous faisons, avec ce que je vous propose, le pas de lire autrement ces éléments. En effet cette déliaison concerne S et I, bien entendu, et les remarques sur « reconnaissance » et « identification » sont pertinentes mais il faudrait pouvoir les situer dans le contexte plus général d’une déliaison qui concerne également le R ; et plutôt que d’opposer les enjeux attachés aux registres du S et du I savoir mesurer en quoi ils partagent les mêmes éléments de structure. En effet le retour voisé dans le registre du symbolique se caractérise par la dimension de l’injonction et de l’appel. La certitude porte sur la signification personnelle c’est-à-dire sur le fait qu’il est concerné et que cet appel lui est adressé. Cet appel est vide et l’introduit à la dimension d’une énigme dont il a à rendre compte. Et celui-ci est itératif et xénopathique. Le retour corporéisé dans la consistance imaginaire n’a-t-il pas les mêmes propriétés ? Il est xénopathique et énigmatique, il est lu comme un appel qui s’impose, il est itératif. Le sentiment de « dé-corps » fréquemment décrit généralise la question des sosies et donne à ce syndrome une place moins énigmatique. Qu’en dit ce patient dont nous parlerons en fin de matinée ? « Il ressemble à mon père mais ce n’est pas lui ». « Les mains… ses habitudes…il ne se lève plus à la même heure… ». Ce n’est pas, ou plus, cette réalité que j’ai connue. Elle lui ressemble, mais cependant elle a perdu ce caractère de véracité. La vraie réalité est ailleurs. Et pourquoi m’introduire, dès lors, à cette mascarade, à ce scénario déjà écrit ? Ainsi vont les propos des patients. Il nous suffit de relire SCHREBER.


Voilà ce que je voulais mettre en évidence et dégager dans ce travail de logique. Nos maîtres cliniciens, comme CAPGRAS avec le syndrome de « l’illusion des sosies », et beaucoup d’autres, ont isolés des petites perles cliniques en attente, en attente de quoi ? En attente d’un travail de logique capable de leur donner une place. Et c’est avec cette logique que nous lisons notre clinique, et qu’une clinique s’invente. Si cette logique n’est pas autre que le travail de l’inconscient et si elle lui est homogène, nous pouvons penser que ceci n’est peut-être pas sans conséquences pour nos patients : leur permettre, dans le champ du transfert et avec le transfert, de construire et d’inventer leur suppléance, à chaque fois singulière. Voilà pour ces quelques propositions que je voulais soutenir avec vous. 

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– Auteur : JEANVOINE Michel 

– Titre : Liaison et déliaison.Etats des lieux… et propositions 

– Date de publication : 06-03-2018

– Publication : Collège de psychiatrie

– Adresse originale (URL) : http://www.collegepsychiatrie.com/index.php?sp=comm&comm_id=187

Marie-Hélène PONT-MONFROY, « L’extension de mémoire »

« L’extension de mémoire »

 Déliaison et tentative de guérison 

Marie-Hélène Pont-Monfroy 

 

Je vais centrer mon propos sur la question de la fonction de l’imaginaire dans la psychose. Il m’a semblé intéressant pour cela de reprendre le matériel très riche des entretiens réalisés dans le cadre des présentations cliniques que nous organisons depuis de nombreuses années avec Michel DAUDIN et Stéphane THIBIERGE, à l’hôpital Henri EY.


Les transcriptions qui sont établies après chaque entretien permettent, à partir du verbatim, de repérer de façon très précise ce qui organise la structure d’un sujet et cela à chaque fois à travers le propos singulier de chacun des patients interrogés.


Alexandre, est un patient de 31 ans assez fluet et sportif, que Stéphane THIBIERGE a rencontré le 22 mai dernier. Son père est libanais maronite et sa mère française. Ses parents se sont séparés alors que sa mère était enceinte. Elle a alors quitté le Liban et décidé de revenir en France pour élever son enfant. Elle a espéré, dit Alexandre, que son père les rejoigne, mais il ne l’a jamais fait. Il ne connaît pas son père et n’est retourné au Liban qu’une seule fois, à l’âge de 26 ans.


Alexandre a donc été élevé par sa mère et il est assez proche de sa famille maternelle qui habite Paris, et en particulier de son grand père qu’il désigne comme un « grand architecte, précurseur de l’architecture moderne qui utilise le verre, la transparence ».


Il a fait une scolarité brillante. Master d’économie à Dauphine, puis HEC en parallèle avec l’école des Mines. Il a travaillé deux ans dans des start-up en informatique, puis, près de deux ans, pour une banque dans des salles de marché. Il fait, dit-il, du « marketing stratégique » et reste flou sur les raisons de l’interruption de son activité salariée qui date d’environ deux ans et sur son activité professionnelle actuelle.

 

Il a été hospitalisé pour la première fois en psychiatrie le 1e mai 2017, c’est à dire la semaine entre les deux tours de l’élection présidentielle pour des troubles du comportement sur la voie publique. Le certificat médical d’Hospitalisation à la Demande d’un Tiers précise qu’il était dénudé et en position de méditation.


A son arrivée dans le service, Alexandre explique qu’avant son hospitalisation, il était en formation à Lyon et préparait l’une des certifications professionnelles les plus reconnues dans le monde de la finance. Il a quitté brusquement cette formation pour revenir à Paris parce qu’il a ressenti : « de l’hostilité qui s’exprimait par le biais de l’eau, du café, de la température« . « On pouvait avoir l’intention de m’empoisonner, dit-il, comme cela est arrivé à Mozart avec Salieri, c’est à dire par jalousie. »


Cette ambiance persécutive transparaît également, lorsqu’il évoque les questions familiales. Il se dit très attaché à son grand-père maternel mais ne l’a pas vu depuis longtemps parce qu’un oncle, frère de sa mère, l’empêche de le voir. Il dit avoir été très perturbé par un débat politique tendu entre sa mère et cet oncle, mais il ne veut pas en dire davantage parce que s’il parle, « il risque d’être en danger de mort », « on lui a fait des menaces de mort ».

 

Il explique également qu’il était épuisé. Il a fait une chute dans la rue parce qu’il avait beaucoup marché. Très concerné par le débat politique et les résultats du premier tour de la présidentielle, il évoque « l’avenir menacé de l’humanité« . Il a voulu faire son « devoir citoyen » et « s’est mis en marche pour la France« . Il a marché jusqu’à épuisement, suivant ainsi à la lettre le slogan du candidat Macron : « En marche ».


A propos de son dénudement sur la voix publique, il précise qu’il a fait cela « parce qu’il se sentait surveillé » et ne comprend pas pourquoi cela l’a amené à être hospitalisé.

  

Au cours de l’entretien avec Stéphane THIBIERGE lorsque celui ci lui demande son nom, il précise que son 2e prénom est Joseph : « Alexandre c’est ma mère qui me l’a donné et Joseph c’est qu’au Liban, on a souvent un deuxième prénom qui est celui du père ou du grand-père. Là en l’occurrence c’est celui d’un aïeul, le père Youssef, Youssef qui veut dire Joseph en libanais, et donc c’est de lui que j’ai hérité ce prénom ».


Un peu après, il poursuit : « Je suis un peu comme Descartes c’est-à-dire je me trouve un pied en France qui est la terre qui m’a adopté et un pied au Liban qui est la terre de mon ancêtre qui s’est sacrifié pour la cause du Liban. Mon arrière grand père était un des Martyrs du Liban, le père Youssef H. dont j’ai hérité le nom… »


Cet arrière grand-père paternel était effectivement religieux et il a fait partie des martyrs du Liban exécutés en mai 1916, pendant la première guerre mondiale, par Djemal Pacha, dit « le sanguinaire ». Une place des martyrs à Beyrouth commémore cet épisode de l’histoire libanaise.


A propos de son hospitalisation, lorsque Stéphane THIBIERGE lui demande : « qu’est ce qui vous est arrivé, comment les choses ont commencé ? » il répond :  » … elles ont commencé quand j’étais tout petit. J’ai quelques très vagues souvenirs de l’enfance, c’est-à-dire du moment où je suis né …. je me souviens d’avoir été porté par un père qui m’a envoyé pour accomplir une certaine tâche qui est très spéciale et que d’ailleurs je ne connais pas moi-même. »


Il ne sait pas précisément qu’elle est le statut de ce qu’il appelle ce souvenir, qui date de la naissance et, il explique dans un emboîtement de signifiants :   » C’était peut-être un rêve, peut-être une pensée, peut-être un rêve-pensée, peut-être quelque chose qui finalement est resté marqué imprimé dans la mémoire … si fortement, qu’aujourd’hui je continue de suivre ce chemin qui a été tracé devant moi.« 


Et il ajoute : « le meilleur souvenir que j’en ai … c’est quand je vois le Roi Lion : je me rappelle à la fin, on voit la figure d’un bébé devant toute une assemblée, eh bien c’est un peu ça si vous voulez ce qui s’est produit. »


Alors qu’il n’a rencontré son père que tardivement à 26 ans, Alexandre dit ici avoir été  » porté par un père » ce en quoi ce propos est incohérent avec la réalité historique. Néanmoins, il dit assez précisément combien toute son affaire date du moment où il est né et où lui a été transmis le prénom de cet aïeul mort en martyr.


D’une certaine façon, Alexandre dit ici la vérité de ce que chacun traverse à sa naissance, d’être assigné à une certaine place par les signifiants qui lui sont transmis, exposé au fantasme parental.  Son père, s’il a été absent de sa vie, ne lui a pas moins transmis avec ce prénom, le poids de son histoire. On mesure ici combien le discours et la position d’un sujet, son symptôme ou son sinthome selon les cas, ont une structure signifiante.


Il déploie, de façon très juste, la façon dont la lettre fonctionne pour chacun. Il sait, que quelque signifiant a un effet réel, qui insiste pour le sujet. C’est ce que Freud désignait sous le terme d’immixtion des sujets et que Lacan a repris, après lui, avec la fonction de la lettre.


Néanmoins, ce qui spécifie le rapport d’un sujet psychotique à cette lettre, c’est qu’elle agit à ciel ouvert et en direct, sans le filtre du fantasme qui, pour le névrosé, opère un refoulement de ce réel. Le névrosé, est pris par un texte dont il ne sait rien et il lui faut souvent le long trajet d’une analyse pour en entr’apercevoir quelque chose.


A défaut d’avoir, précisément, été porté par un père, le fait de porter ce prénom Joseph, Youssef en arabe, constitue pour lui, la trace réelle de l’horreur vécue par sa famille paternelle avec cet arrière grand-père martyrisé, du fait de sa religion. Et au moment précis où le Front National est au deuxième tour des élections présidentielles, Alexandre se trouve percuté de façon directe par le réel de cette lettre qui sous-tend une extermination annoncée : on veut l’empoisonner et il se met « en marche » pour faire son devoir citoyen.


Alexandre, va également construire un imaginaire délirant, qui bien que désarrimé, car non noué aux autres registres, n’est pas sans lien avec cette question.


Cette figure d’un bébé porté devant une assemblée dans le Roi Lion qu’il évoque comme constitutif de son souvenir, nous permet de mesurer la prégnance, fréquente dans la psychose, d’un imaginaire emprunté au champ social, avec des raboutages surprenants mais néanmoins significatifs de ce à quoi le sujet a affaire. Alexandre dit, ici, combien il se sent exposé au regard le l’Autre mais cela j’y reviendrai un peu plus tard.


Bien qu’il n’ait pas été hospitalisé à ce moment là, il semble que sa première décompensation soit survenue à l’âge de 26 ans. Il habitait alors à Lyon, où il a vécu « une relation courte mais passionnée, dit-il, avec une femme qui se prénomme Manon. » C’est à cette période, qu’il décide de faire un voyage au Liban pour rencontrer son père suite aux discussions qu’il a eu avec cette femme et pour suivre son exemple dit-il, « parce que Manon est une fille qui suit la volonté de son père jusqu’au bout.« 


Il poursuit : « C’est grâce à une femme, que j’ai trouvé la force de couper tous les liens que j’avais à 26 ans…. que j’ai trouvé la force de repartir au Liban et de recommencer à zéro »  et lorsque Stéphane THIBIERGE lui demande :  » C’est grâce à une femme ? » il répond : « C’est la Grâce de cette femme. »


La substantification du mot « grâce », n’est ici pas un simple lapsus. C’est par ce type de glissements sémantiques que se signale, assez souvent la psychose, et Alexandre nous signifie d’emblée qu’il a affaire à un don, qui n’est autre que le don de Dieu.


Par ailleurs, il ne dit pas qu’il a rencontré son père, mais il formule les choses ainsi : « à vingt-six ans j’ai eu la force de partir au Liban pour voir tout le côté paternel de ma famille et j’ai vu pour la première fois le visage de mon père ».

 

Il ne dit pas « j’ai rencontré mon père », mais « j’ai vu le visage de mon père » ce qui est sensiblement différent. Cette formulation qui insiste sur l’image, rend sensible la prégnance de l’imaginaire pour lui, mais surtout, son absence d’articulation aux autres registres. Cette mise en présence de son père, ne lui permet pas de symboliser pour autant la fonction paternelle qui se révèle alors forclose. Il a affaire à une pure image et non pas à une rencontre, qui supposerait un nouage des trois registres.


Cette dissociation des trois registres a probablement été accentuée par la réaction de son père qui, au cours de cette première rencontre, lui aurait demandé de faire un test ADN, pour vérifier sa filiation. Alexandre a, en effet, deux demi frère et soeur d’un premier lit du père et il semble qu’il y ait eu des tensions au sujet de questions d’héritage qu’il ne va évoquer que de façon allusive au cours de la présentation, je le cite :


  » … Supposons que vous héritiez d’un hôpital, dit-il à Stéphane THIBIERGE, et que vous-même vous ayez des frères et des sœurs, eh bien à partir de là, chacun va tirer dans son sens pour obtenir la répartition la plus équitable pour chacun et à ce moment-là il faut un arbitre. Je pense qu’il n’y a pas eu d’arbitre … et c’est ce qui a créé cette crise familiale et ça s’est fait au moment où je suis né. »


On peut s’arrêter sur cette formulation  » … chacun va tirer dans son sens pour obtenir la répartition la plus équitable pour chacun » qui constitue un exemple clinique très précis de la discordance propre à la psychose. Il ne s’agit nullement d’un lapsus ou d’un contre sens. Il dit exactement une chose et son contraire dans la même phrase : sa naissance a été l’occasion d’une crise familiale avec la première femme de son père et ses enfants, mais au lieu de dire « chacun veut tirer dans son sens pour avoir la plus grosse part »…. il dit « chacun tire dans son sens pour obtenir la répartition la plus équitable ».


On mesure ici combien ce propos a pour fonction de boucher l’absence de reconnaissance symbolique de son père qui rabat le lien père/fils au registre biologique, c’est à dire à un pur réel. Ce trou au champ du regard de l’Autre le menace d’anéantissement et il tente, à sa façon, avec cette formulation d’un « partage équitable » de se restaurer une place dans la fratrie. C’est en cela que, cette construction, bien que discordante et délirante, est une tentative de guérison, au sens où FREUD l’entendait.


C’est également à partir de ce trou dans le symbolique qu’il va construire cette « extension de mémoire » que j’ai évoqué dans mon titre. En effet, peu de temps avant son voyage au Liban, Alexandre décrit la survenue d’une crise alors qu’il vivait à Lyon :


 » … lorsque j’étais à Lyon il s’est produit quelque chose place Bellecour. C’est comme si un éclair …  était intervenu et je suis tombé à la renverse sur le sol la tête la première, ici là » dit-il en touchant l’arrière de son crâne. « Il n’y a aucune lésion, aucune marque mais … ça s’est ouvert. Je m’en souviendrai toute ma vie, parce que lorsque je me suis endormi ce soir-là, j’étais dans un foyer rue Pasteur, et quand je me suis réveillé j’ai vu le coussin de l’oreiller ensanglanté et … après, j’avais l’air parfaitement normal je me sentais bien, mais j’avais en plus une nouvelle mémoire une extension de mémoire. » Et lorsque Stéphane THIBIERGE lui demande : « Pourquoi êtes-vous tombé ? » il répond :  » Parce que le moment de la chute était venu ».


Cette description met en évidence l’importance du corps propre dans la survenue de cette crise. Lorsqu’ Alexandre dit qu’il a senti « une ouverture » dans son crâne alors qu’il n’y avait « aucune lésion« , il témoigne d’une expérience de modification corporelle qui constitue ce que Lacan appelle les phénomènes élémentaires dans la psychose.


Ce phénomène hypochondriaque témoigne de la persistance du réel de la lettre incarcérée dans la chaîne signifiante, et cette chute à défaut d’avoir lieu dans le symbolique s’opère dans le réel : « le moment de la chute était venue. »


Alexandre va expliquer qu’avec cette extension de mémoire, il s’est senti « devenir une nouvelle personne. » Il a « la faculté de comprendre à quel point l’existence est merveilleuse. »


 » Je suis passé, dit-il, d’un individu centré sur lui-même, un peu enfermé, isolé, à une extension fabuleuse, tourné vers les autres. » Il ressent « un sentiment d’amour envers son prochain et la volonté de connecter le plus possible avec ceux qui le souhaitent, parce qu’on ne peut pas soigner tout le monde » ajoute-t-il.

 

Il se sent visé par cette lettre qui lui a été transmise et construit à partir de là, ce à quoi il se trouve assigné. Il se sent investi d’une mission quasi messianique d’avoir à sauver le monde, à guérir les autres. Son propos est truffé d’allusions à un amour océanique et universel. Il considère l’hôpital comme « une grande famille« , « c’est un endroit « merveilleux« , « il aime tous les autres patients »


Il recherche l’harmonie entre les hommes et même son activité de marketing stratégique consiste, dit-il, à « faire passer des messages aux gens pour rassembler, pour unifier… »


Cette ouverture à tout, lui fait apprécier le changement, la nouveauté …  Il veut « sauter à deux pieds joints dans la modernité ».


La tache à laquelle il se sent assigné, dont il dit au début de l’entretien tout ignorer, se révèle finalement assez précise. Elle prend la tournure d’une mission qui n’a pas ce caractère énigmatique que l’on retrouve dans la névrose avec le « Que Voi », qui renvoie le névrosé à l’énigme du désir d’un grand Autre barré, mais prend un caractère de certitude, malgré le flou avec laquelle il l’exprime. Le grand Autre l’a assigné à une place qui ne fait aucun doute et c’est probablement cela « la signification personnelle » que l’on retrouve chez bon nombre de psychotiques.


Cette extension de mémoire est donc à entendre comme un amour extensif, infini, sans limite, qui opère une forclusion totale de la question de l’hostilité et de la haine, qui ne manque pas, néanmoins de se retourner en persécution.

 

Cet imaginaire d’un monde merveilleux qu’il déploie, cette nouvelle mémoire à laquelle il aspire, auraient selon son vœu la possibilité d’effacer l’ancienne mémoire, celle de la persécution de son aïeul. Mais, d’être évacuée, cette question de la haine lui revient dans le réel, sous la forme de menaces de mort.


Cette ouverture à la modernité le confronte au sentiment d’être surveillé, contrôlé par l’intermédiaire de son téléphone :  » J’ai la passion pour les technologies, je sais que les nouvelles technologies peuvent effectivement donner une extension de mémoire, mais si on est dépendant de la technologie, notre liberté est atteinte …. on joue au cœur de la liberté, …  jusqu’à quel niveau doit-on utiliser nos téléphones pour écouter, pour surveiller, pour contrôler les individus ? »


Il explique qu’il a perdu bon nombre de ses téléphones portables et apprécie plutôt, dit-il, « de se détacher de l’utilisation de ces machines, parce qu’on a besoin aussi, ajoute-t-il, chacun, d’un jardin secret, on a besoin d’une zone d’intimité ». Il aspire « au calme, à un retour à la discrétion ».


Alexandre témoigne ici de façon assez touchante de cette difficulté, plus ou moins grande selon les cas, de mise en place d’un « heim » dans la psychose, d’un lieu où le sujet puisse se sentir protégé, en sécurité. Il exprime la porosité de sa vie psychique et la perte de toute zone d’intimité. Il se sent exposé sans limite au regard et à l’hostilité de l’autre.


Cette absence de constitution du Moi, transparaît également dans son rapport au langage. Très régulièrement au cours de l’entretien, il parle de lui-même à la 3e personne :  « des gens secourables se sont aperçus qu’il y avait une personne (pour parler de lui) qui était anormalement fatiguée qui était anormalement exposée », ou bien autre exemple : « la mère a tellement souffert pour éduquer son fils » et régulièrement, il utilise le « on » pour parler de lui : « on a longtemps essayé d’apprendre le libanais, dit-il, mais le truc c’est que ça ne venait pas ».


L’imaginaire délirant qu’il met en place ne permet pas la mise en place de cette instance du Moi, qui bien qu’illusoire, procure au névrosé un semblant d’unité et un sentiment de sécurité plus ou moins stable.


Le sujet psychotique est de façon plus directe qu’un autre en butte au morcellement du sujet qui, de fait, n’ex-siste que dans la chaîne signifiante qui organise son rapport au langage et que rien ne vient garantir, tant il se trouve toujours entre deux signifiants. Seule la reconnaissance symbolique du regard de l’Autre peut lui assurer un point d’arrimage, un point de capiton.


Faute de cela, cette « extension de mémoire » qu’Alexandre emprunte, à l’univers informatique nous signale, son identification réelle à un objet technologique qui exprime sa chosification et la menace de mort subjective à laquelle il est confronté.


Le cas de ce patient m’a paru tout à fait intéressant pour aborder la fonction de l’imaginaire dans la psychose, qui tout en étant désarrimé des autres registres, est sans limite, ouvre sur un propos où tout est possible.


Confronté à un trou dans le symbolique, le sujet psychotique tente, avec la construction du délire, de se ménager une place au champ symbolique, là où le regard de l’Autre dans le miroir n’a pas assuré sa fonction d’articulation entre le Réel du corps de l’enfant et la place qui lui a été assigné par les signifiants parentaux. De ce point de vue, le délire constitue bien, comme le propose Feud, une tentative de guérison.


Néanmoins, cette place qu’il tente de construire est éminemment fragile, ne tient pas, elle est sans cesse à recommencer. Cet imaginaire n’assure aucune stabilité à un sujet dont l’errance subjective se manifeste souvent par une errance géographique.


Ce désarrimage de l’imaginaire laisse, le sujet en prise directe avec le réel de cette lettre dont Lacan dit qu’elle arrive toujours à destination, et qui, de n’être pas chue de la chaîne signifiante, se trouve incarcérée dans le corps, et provoque un retour dans le Réel de ce qui n’a pas pu être symbolisé.


Cela apparaît ici assez clairement chez Alexandre qui nous dit comment la persécution réelle de son aïeul lui revient dans le réel sous forme persécutive et provoque son errance, dans un moment de notre histoire collective où la montée de la xénophobie se manifeste par la présence au deuxième tour des élections présidentielles, d’une candidate du Front National. 

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– Auteur : Marie Helene PONT-MONFROY 

– Titre : « L’extension de mémoire » Déliaison et tentative de guérison. 

– Date de publication : 07-02-2018

– Publication : Collège de psychiatrie

– Adresse originale (URL) : http://www.collegepsychiatrie.com/index.php?sp=comm&comm_id=186

Jean GARABE, « Comment Martial a-t-il écrit certains de ses livres ? »

COMMENT MARTIAL A-T-IL ECRIT CERTAINS DE SES LIVRES? 

Jean Garrabé

 

Si je vous  parle aujourd’hui  de  comment Martial a écrit certains de ses livres  il se peut que certains d’entre vous se demandent qui est l’écrivain de ce nom et pourquoi je m’interroge au cours de cette journée du Collège de psychiatrie  consacrée à l’imaginaires sur l’étrange procédé qu’il a utilisé pour écrire certains de ses livres   qui peut faire   penser à la « schizographie » qu’avait décrite Joseph Lévy-Valensi et le jeune Jacques Lacan dans une communication à la Société médico-psychologique qui a été publié dans les Annales médico-psychologiques .Pascale Moins m’a dit qu’elle avait découvert qui était « Martial » en lisant une communication que j’ai faite en 2008  à la Société médico-psychologique sur ce que nous a dit sur cet écrivain Pierre Janet.

J’ai  en effet personnellement découvert  qui était  Raymond Roussel (1877-1923) à travers ce que nous a dit Pierre , alors professeur de philosophie au Collège de France , dans De l’angoisse à l’extase publié en 1926,  soit trois ans après la mort de l’écrivain, où il   rapporte l’observation de l’expérience pathologique vécue par Roussel lorsque celui-ci  était jeune ; Janet pour des raisons de discrétion le désigne sous le pseudonyme de Martial, nom d’un personnage d’une des pièces de théâtre qu’à écrites Raymond Roussel et dont les premières représentations provoquèrent autant de scandales que la publication de ses autres écrits, des romans.

Janet traite dans un chapitre sur les « caractères psychologique de l’extase » de différents expériences ou états psychopathologiques tels que la mythomanie mais aussi de ce qu’il nomme le « délire psychasthénique » et le « délire religieux » et c’est là qu’il consacre plusieurs pages (133-137) à rapporter l’observation clinique de « Martial » lequel « a présenté à l’âge de dix-neuf ans, pendant cinq ou six mois un état qu’il juge lui-même extraordinaire. S’intéressant à la littérature…il avait entrepris d’écrire un grand ouvrage en vers et voulait le terminer avant l’âge de vingt ans. Comme ce poème devait comprendre plusieurs milliers de vers, il travaillait assidûment, presque sans arrêt le jour et la nuit et n’éprouvait aucun sentiment de fatigue. Il se sentit envahir peu à peu par un étrange enthousiasme…En même temps Martial se désintéressait de tout le reste et avait grande peine à interrompre son travail pour aller manger un peu…il restait des heure entières la plume à la main immobile absorbé dans sa rêverie et dans le sentiment de sa gloire.

Cet enthousiasme et ces sentiments avant des oscillations se prolongèrent tant qu’il composa ses vers, pendant cinq ou six mois ; ils diminuèrent beaucoup pendant l’impression du volume. Quand le volume parut, quand le jeune homme, avec une grande émotion sortit dans la rue et s’aperçut que l’on ne se retournait pas sur son passage, le sentiment de gloire et la luminosité s’éteignirent brusquement. Alors commença une véritable de dépression mélancolique avec une forme bizarre de délire de persécution, prenant la forme de l’obsession et de l’idée délirante du dénigrement universel des hommes les uns par les autres.

Mais de cette crise de gloire et de lumière Martial a conservé la conviction inébranlable qu’il a eu la gloire, qu’il possède la gloire, que les hommes le reconnaissent ou pas peu importe.

Martial écrit d’autres volumes, il est vrai, mais ce n’est pas pour faire quelque chose de supérieur au premier ouvrage, il n’y a pas de de progrès dans l’absolu et il a eu du premier coup l’absolu de sa gloire. Tout au plus ces nouveaux volumes aideront ils le public ignorant et retardataire à lire et à voir le rayonnement du premier.

Il a en effet conservé un second sentiment, c’est le désir intense, la passion folle de retrouver, fut-ce   cinq minutes les sentiments qui ont envahis son cœur pendant ces quelques mois à 19 ans …Je suis Tannhäuser regrettant le Venus berg. Il espère qu’un certain succès effectif au dehors pourrait renforcer cette sensation interne de gloire et c’est pour cela qu’il se livre quelques fois à des manifestations retentissantes.de sa gloire future (p.136)

Janet compare ensuite cette extase qu’il qualifie de « laïque » aux extases religieuses et donne, comme autres exemples d’extase laïque celles de Jean-Jacques Rousseau et de Nietzche qui ont été, elles aussi, considérées comme pathologiques.

Je pense aussi que l’on peut faire un parallèle entre cette conviction qu’a eu Raymond Roussel qu’il pourra retrouver ce sentiment de gloire éprouvé lorsqu’il écrivait son poème   et celle de Sainte Thérèse d’Avila qui a elle aussi écrit des textes décrivant les épisodes extatiques religieux qu’elle a vécus.

Raymond Roussel est né en 1877 à Paris et est mort à Palerme en 1933 donc sept ans seulement après la parution du livre de Janet. Un évènement marquant de sa biographie est la mort en 1894 de son père   dont il va hériter avec sa mère et sa sœur d’une importante fortune qui a été évaluée par le père de Michel Leiris avant la Grande Guerre à 40 millions de francs- or ce qui serait de l’ordre de 1600 millions d’euros. Il avait   fait des études de piano au Conservatoire mais n’a pas poursuivi une carrière musicale pour se consacrer à l’écriture de textes littéraires ; Martial , le pseudonyme utilisé par Janet pour en parler  est le nom d’un des personnages d’une des pièces de théâtre  qu’il a écrites et qu’il a fait représenter dont les premières provoquaient des scandales , comme par exemple celle en 1911  Impressions d’Afrique ,tiré d’un feuilleton qu’il avait publié dans le Figaro ; ce qui devait surprendre les spectateurs par exemple dans ce cas  c’est que peu d’éléments dans le texte ou la mise en scène  paraissaient en rapport avec la réalité africaine telle qu’on pouvait l’imaginer à une époque où l’Afrique restait mystérieuse. (C’est d’ailleurs Roussel qui a subventionné sur sa fortune personnelle l’expédition dans ce continent, en compagnie de Marcel Griaule   de Michel Leiris (1901-1960) qui oubliera en 1934 ses notes sous le titre L’Afrique fantôme.  Cet ouvrage a fait l’objet de rééditions après la Seconde Guerre Mondiale avec des préambules précisant que la première édition avait été mise au pilon sous l’Occupation.  

Raymond Roussel utilisait aussi la fortune héritée de son père   pour faire de grands voyages, par exemple un tour du monde dans un yacht d’où au cours de certaines escales il n’a pas mis pied à terre écrivant dans sa cabine ce qu’il voyait ou imaginait du lieu où il se trouvait ; au cours d’autres escales où il a mis pied à terre en revanche il a fait la connaissance de personnes ou de personnages réels.

A la fin de Comment j’ai écrit certains de mes livres Roussel après avoir rendu hommage à Jules Verne qu’il regarde comme son maître écrit : « j’ai beaucoup voyagé. Notamment en 1920-21, j’ai fait le tour du monde par les Indes, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, Les archipels du Pacifique, la Chine, le Japon et l’Amérique …Je connaissais déjà les principaux pays de l’Europe, l’Egypte et tout le nord de l’Afrique, et plus tard je visitais Constantinople, l’Asie-Mineure et la Perse ; or de tous ces voyages, je n’ai jamais rien tiré pour mes livres. Il m’a paru que la chose méritait d’être signale tant elle montre que chez moi l’imagination fait tout »

Contrairement à Jules Vernes qui imaginait des voyages extraordinaires qu’il n’a pas réellement fait Roussel imagine des voyages dans des pays qu’il a réellement visité mais dont il ne retient rien dans ses récits.

L’œuvre de Roussel a été admiré par les surréalistes à tel point que l’on l’a considéré lui-même comme un écrivain surréaliste alors qu’il se considérait lui comme un classique son maître étant Edmond Rostand 51868-1918) qui est d’ailleurs celui qui lui a conseillé de tirer des œuvres théâtrales de ses romans

Dans Comment j’ai écrit certains de mes livres, texte Raymond Roussel destinait à une publication posthume ce qui montre qu’il pensait à une mort prochaine il parle d’ailleurs de la crise qu’il a vécu lorsqu’ à l’âge de dix-neuf ans il écrivait La Doublure ; il explique ainsi le procédé très spécial qu’il utilisait : « Je choisissais deux mots presque semblables…Par exemple billard et pillard. Puis j’y ajoutais des mots pareils mais pris dans de sens très différents et j’obtenais ainsi deux phrases presque identiques.

En ce qui concerne billard et pillard les deux phrases que j’obtins furent celles-ci :  -Les lettre du blanc sur les bandes du vieux billard

– les lettres du blanc sur les bandes du vieux pillard

Dans la première phrase, « lettres » est pris au sens de « signes topographiques », « blanc » dans celui de « cube de craie »et « bandes » dans le sens de « bordures ».

Dans la seconde, « lettres » était pris au sens de « missives », « blanc » dans le sens « d’homme blanc » et « bandes » dans le sens de « hordes guerrières ».

Les deux phrases trouvées, il s’agissait d’écrire un conte pouvant commencer par la première et finir par la seconde (2 p.12)  

Après sa mort en 1933 dans des circonstances assez étranges dont je vais parler, Roussel et son œuvre littéraire ont été un temps oublié avant d’être redécouvert par les historiens de la psychiatrie et ceux de la littérature française qui en ont fait un des auteurs majeurs du XXe siècle avec en particulier de nouvelles éditions de ses œuvres par Jean-Jacques Pauvert

Je me limiterais ici au premier point de vue qui est marqué par ce que nous a dit dans The Discovery of the Unconscious (The History of dynamic psychiatry » (1970) Henri Ellenberger qui se base d’ailleurs surtout de ce qu’en avait dit Janet dans De l’angoisse à l’extase car il ignorait des éléments que nous connaissons maintenant

Il faut dire d’ailleurs qu’il n’est pas facile de reconstituer la suite de la vie et de l’histoire clinique de Roussel après la thérapie avec Janet car il a ensuite été traité dans plusieurs cliniques privées en France et en Suisse, établissements qui malheureusement n’ont pas conservés son dossier médical notamment à Saint-Cloud ou à la fameuse clinique de Kreuzlingen dirigé par Ludwig Binswanger (1881-1966). Roussel était suivi à Paris par des célébrités médicales de l’époque comme Benjamin Logre (1883-1963) qui le remercie quand il lui envoie un exemplaire dédicacé de Nouvelles impressions d’Afrique ; Roussel venait d’être nommé chevalier de la Légion d’honneur ; nous ne savons pas exactement pourquoi ni comment il était traité dans ces maisons de santé, on peut se demander s’il ne souffrait pas d’une addiction aux barbituriques.

Un nouveau séjour était prévu à Kreuzlingen mais Raymond Roussel souhaite faire auparavant un séjour à Palerme au Gran Albergo delle palme, hôtel où habitait Richard Wagner (1813-1983) quand il composait Parsifal ; l’écrivain était un admirateur de ce musicien mais nous ne savons pas s’il est allé à Bayreuth. Il avait laissé dans un garde-meuble parisien une malle contenant ses manuscrits qui ne fut découverte que longtemps après sa mort ; ce fonds a finalement été déposé en 1989 à la BNF où il est en cours d’études.  Il était accompagné de sa gouvernante, Madame Charlotte Dufrène, à qui il avait confié différentes missions, notamment celle de liquider son appartement parisien et de lui rapporter la provision de barbituriques qu’il avait à Paris ce qui fait penser qu’il pensait déjà au suicide. Le 14 juillet 1933 on trouva Roussel mort derrière la porte de sa chambre d’hôtel le 14 juillet 1933 ; les circonstances de ce décès ont donné lieu à différentes hypothèses. Raymond Roussel a été enterré au Père Lachaise dans l’étrange tombeau qu’il avait fait construire qui comprenait autant de cases que celles du jeu d’échec dont il était un fanatique, mais seule celle où il est enterré est occupée, est-ce la case du fou ?  Il avait choisi pour faire ériger ce surprenant monument funéraire un emplacement proche de la tombe où a été enterré Oscar Wilde, auteur qu’il admirait profondément.

Raymond Roussel était homosexuel mais les auteurs qui ont tenté d’écrire sa psychobiographie comme Michel Leyris (4) ou bien Michel Foucault   n’abordent pas cette question.

En 2000 Janine Germon a publié un opuscule où  elle parle d’une affaire judiciaire avait  rendue publique par un article paru  dans le journal La Cocarde en 1904 à propos    d’un procès que Roussel a gagné dans une affaire de chantage par un palefrenier avec lequel il avait eu des relations sexuelles  à peu près à la période de l’extase laïque décrite par Janet et qui le faisait chanter en menaçant de révéler publiquement  sa pédérastie comme on disait alors   s’il ne lui versait pas une certaine somme ; c’était une pratique fréquente à l’époque bien connue de la police des mœurs  et de la justice qui protégeaient souvent la victime du chantage contre le maître chanteur .

Le procédé d’écriture avec ces signifiants identiques mais avec des signifiés   différents utilisé par Martial pour écrire certains de ses livres serait-il un moyen de rendre public un secret caché à ceux qui ne savent pas lire l’imaginaire ? 

J’ai été sollicité pour écrire un chapitre sur Raymond Roussel dans un ouvrage sur les rapports entre les expériences psychopathologiques et la création littéraire mais j’ai décliné cette invitation car le texte devait être en anglais et je pense que le procédé utilisé par cet écrivain est intraduisible dans une autre langue que le français comme quand nous lisons dans une traduction d’une pièce de Shakespeare une note « jeu de mot intraduisible en français ».  

Textes cités.  

 Janet P. De l’angoisse à l’extase. Etudes sur les croyances et les sentiments. Paris : Félix Alcan ;1926.

Garrabé J. Martial ou Pierre Janet et Raymond Roussel. Annales médico-psychologiques,166 (2008)225-226

Ellenberger F. The Discovery of the Unconscious. The History of dynamic psychiatry (1970)

Roussel R. Comment j’ai écrit certains de mes livres. Paris : Gallimard/L’imaginaire ; 2005. 

Leiris M. L’Afrique fantôme. Paris : Gallimard ; 1934 

Leiris M. Roussel l’ingénu. Fata Morgana ;1987. 

Foucault M. Raymond Roussel. Paris: Gallimard 163. 

Germond J. Raymond Roussel à le Une. Paris : EPEL ; 2000.

Les Œuvres complètes de Raymond Roussel ont été publiées à partir de 1960 à Paris par Jean-Jacques Pauvert. 

 

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– Auteur : GARRABE Jean  
– Titre : Comment Martial a écrit certains de ses livres  
– Date de publication : 06-02-2018
– Publication : Collège de psychiatrie
– Adresse originale (URL) : http://www.collegepsychiatrie.com/index.php?sp=comm&comm_id=18