WEB’ SEM’ du Collège de Psychiatrie
Pour une écologie du lien social ?
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RSI, “une autre écriture ?” II
Par Michel JEANVOINE
Le travail se poursuit cette année sous le titre qui s’est imposé l’année dernière, RSI ,“Une autre écriture ?”, même si celui-ci s’écrit sous le chapeau plus général de ”Pour une écologie du lien social?”.
J’ai répondu par quelques lignes, sur notre site internet du Collège, à la question de bien vouloir présenter le Web’Sem’. Peut-être les avez-vous lues. Il me semble d’ailleurs que celles-ci vous ont été transmises avec l’invitation de ce soir.
Dans ces quelques lignes je présente le travail du Collège de Psychiatrie comme organisé sur deux faces. L’une, développée depuis ses origines, à savoir le travail de présentation clinique avec la “Fabrique du cas “ qui lui est appendue, et l’autre, ce Web’sem, où, certes avec l’appui de la téléconférence, nous avons à tirer quelques enseignements de notre travail et tout spécialement de cette clinique.
Ce Web’Sem est un travail collectif, même si, pour l’initier et le soutenir, il y faut nécessairement un engagement singulier.
En fin topologue que vous êtes devenus vous n’êtes pas sans noter que ce bord, celui qui organise ces deux faces du travail du CPsy, n’est pas sans avoir la structure de la double boucle (BB2T). C’est-à-dire, et telle est notre hypothèse, que cette bande avec son bord recollé, est moebienne, si nous y consentons.
Ainsi, avec la réunion de ces conditions, c’est-à-dire en mettant le trou au bon endroit, le Collège devrait être à même de déplier son travail et son devenir.
Telle est mon hypothèse.
Et celle-ci reste, bien entendu, à vérifier.
Et nous pourrions ajouter que ceci reste un exercice pratique, puisqu’il s’agit simplement de prendre à notre compte, au sein même du Collège, et dans son travail, les quelques premiers repères que nous avons dégagés de ce qui organise la subjectivité de chacun ainsi que la vie du collectif. En quelque sorte un exercice d’écologie, au sens fort du terme que nous voulons bien lui donner ? Est -il possible de travailler en prenant en compte les lois même qui font l’objet de nos préoccupations? À vérifier.
Peut-être pourrions-nous, ce soir, en suivant ce fil, entrer un peu plus avant dans les questions ouvertes par cette “autre écriture » dont nous parle Lacan et qu’ il nous met en main.
Je rappelle – mais est-ce bien un rappel? – que cette “autre écriture”, pointée par Lacan, initie et ouvre pour lui, une nouvelle séquence de travail, celle de la topologie borromeene.
Il n’est pas possible de ne pas nous arrêter à la manière dont il nous la transmet. Celle-ci est en effet homogène à ces lois borroméennes. Où plutôt, n’est- ce pas l’inverse, et ne pourrait-on pas dire que ce que Lacan formalise, et n’a de cesse de formaliser depuis les débuts, c’est tout simplement ce qu’il peut en être de son parcours, de son parcours d’analysant, de son parcours de clinicien et d’analyste. Tout ceci ne forme qu’une seule et même tresse qui le mène au “Moment de conclure”, et à son dernier séminaire “La topologie c’est le temps”.
Ainsi dans sa manière de transmettre “RSI”- “RSI mon nom pour la psychanalyse”, pouvait-il dire, – il évoque un “ abus de métaphore “.
Il nous faut prendre le temps de nous arrêter à cette remarque qui nous fait dire qu’au moment même où il nous met en main ce noeud borroméen, celui-ci ne pourrait prendre qu’une valeur universelle, cependant contraire à la singularité des voies de l’écriture de chaque nouage. Avec la transmission de ce RSI , et cet “abus de métaphore “, il y a là l’actualisation de ce à quoi quelques-uns pourraient donner le statut de paradoxe.
Et si celui-ci vient nous mettre le noeud en main, c’est pour nous- qui nous voulons travailler, après le sillon freudien, le sillon de Jacques Lacan- en position de 4eme qu’il nous est proposé. À savoir en position de “Nom du Père” qui fait de nous des lacaniens. C’est par cette voie que son enseignement opère et introduit chacun d’entre nous à l’éventualité de la réinvention du nouage. Et nécessairement une écriture réinventée par la voie d’une singularité assumée. Ce nœud, nous avons à le faire, à le refaire.
Charles Melman pouvait dire, et je l’ai encore à l’oreille, que son seul tort était de se trouver là, devant nous, à parler, pour ouvrir la voie à ce que chacun puisse s’autoriser de sa parole…
Il y a là, en effet, comme un paradoxe, mais seulement pour la science, et qui, cependant, n’en est pas un pour le psychanalyste lacanien. Cet “abus” s’avère, en effet, de structure, et n’est que la stricte manifestation de la nécessité consentie à l’ordre du signifiant. Nous ne serons pas sans revenir sur ce point.
Voilà donc une écriture, RSI, faite pour rendre compte et présenter le travail même d’une analyse, ce travail susceptible d’introduire chacun, non seulement à sa parole, mais à sa division de sujet parlant.
C’est de cette écriture qu’il fait une autre écriture que celle dont nous usons habituellement.
Une autre écriture que celle de Derrida, qui n’est pas sans pousser dans ses dernières extrémités sa réflexion sur la lettre et le signifiant avec ses conséquences.
Une autre écriture que celle de Lacan, lui-même, qui nous propose ses formalisations, S,..Et pourquoi pas, jusqu’à RSI, les lettres R,S,I, ajouterai -je.
Il est question, avec cet “autre écriture”, d’une autre écriture que celle du scientifique, il est question d’une autre écriture que celle qui descend du signifiant. Au contraire, nous ne pouvons qu’accrocher nos signifiants sur ces “dit-mensions”.
Déjà, dans Lituraterre, Lacan nous mettait dans cette voie, mais c’est dans “ le sinthome”, leçon du 11 mai 1976 , qu’il fait le pas décisif de donner à cette écriture toute sa spécificité et toute son autonomie.
Il y a une autonomie de cette écriture!
De cette autonomie nous en faisons l’épreuve. D’une manière sauvage , dans notre vie quotidienne, dans les épreuves rencontrées. De quoi parle, depuis le fond des âges, depuis que l’homme a mis à son service l’écriture, de quoi parle t-il, cet homme ? Sinon, à chaque fois, et à sa manière, de cette question. Les mythes et les religions ne seraient-ils que des éléments de réponse donnés à cette question? Ne seraient-ils que leur maniere de la mettre en forme en lui donnant consistance?
Mais quelle question ? La question qui s’impose à chacun, et cependant ne se décline que par les voies d’une singularité assumée ?
Que celle-ci prenne les voies de l’énigme, ou celles d’un mystère assumé avec la réponse trinitaire, par exemple ?
La cure analytique a cette absolue nouveauté de mettre au travail, à partir de la singularité des voies ouvertes par chacun, de mettre au travail, par la parole adressée, les réponses apportées par chacun à sa question, c’est-à- dire, son symptôme. Il y a, pour chacun, une réponse symptomatique à une question dont les termes mêmes restent, à chaque fois à écrire, puisque la réponse apportée a la structure du symptôme.
L’autonomie de cette écriture est une de ses premières caractéristiques. C’est celle dont nous pouvons faire l’épreuve dans un travail analytique. Nous en faidons l’épreuve à chaque fois que la réponse symptomatique se trouve engagée et déplacée, et où, pourrait-on dire, les conditions de l’écriture d’une nouvelle réponse à cette question ont été rencontrées.
Le travail analytique, tel que le conçoit Lacan, se propose alors – telle est notre lecture du moment – comme la mise en fonction de cette écriture autonome. Il est même possible de soutenir que ceci spécifie une cure lacanienne, avec ses caractéristiques quant à la durée de la séance, la conception de l’interprétation, ou, encore, celle de la fin de la cure et de la transmission. Tout s’ordonne, se déplie et trouve sa consistance autour d’un point, celui de cette “autre écriture”.
“L’inconscient structuré comme un langage”, cette formule proposée nous est mise en main très tôt par Jacques Lacan, cette proposition ne temoigne t-elle pas que son sillon de travail qui devait l’amener à RSI, était déjà ouvert ?
De cette écriture, certes “inconsciente”, puisqu’elle échappe au sujet, ne pourrions-nous pas soutenir qu’elle est acéphale? Que le lieu qui la commande est tout spécialement vide?
Tout semble se passer comme si cette mise en fonction répondait à un appel, un appel de ce lieu vide Mais de quel appel s’agirait-il ? Un appel ouvert par la présentation de ce que nous pourrions nommer ( provisoirement ?), le non- rapport. Celui-ci est susceptible de se rencontrer dans toute vie sociale, tout particulièrement la vie amoureuse, et tout spécialement le travail analytique avec la mise en jeu du lien transferentiel. Là où pourtant la rencontre d’un bon objet pouvait mettre le sujet à l’abri de cette rencontre, celui-ci ne va pas manquer de s’y trouver confronté. Si toutes ces rencontres se font d’ une manière plus ou moins sauvage, le travail lacanien est en mesure de donner à cette rencontre un statut plus précis. L’exemple canonique du jeu sur l’équivoque signifiante vient en témoigner. Mais pas seulement. Cette interprétation ouvre et remet au travail d’une nouvelle écriture , d’anciennes écritures qui bordaient jusqu’alors un symptôme en lui donnant sa consistance. Ceci n’est possible, pour un analyste, qu’en faisant pleinement confiance à cette mise au travail acéphale. Ce travail de l’équivoque porte sur autre chose que directement sur le sens. Certes il touche au sens, mais en le déplaçant par l’effet d’une nouvelle écriture. Il y a là un “effet de sens”, et celui-ci est réel.
Nous pointons, dans cet exemple, quelque chose qui avait pu faire débat, et qui fait débat aujourd’hui, à une époque où même la psychanalyse est infiltrée par des thèses wokistes. En effet, si cette écriture est autonome elle n’est cependant pas automatique. En effet, pour que celle-ci gagne cette autonomie, cela suppose qu’un sujet consente à engager quelque chose pour ouvrir, chez l’autre, et chez lui, le jeu de cette mise en fonction pourtant acéphale.
Qu’a-t-il à engager ? Au moment où nous en sommes dans ce travail, je pourrais proposer ceci, sa division. Sa propre division. C’est du jeu de cette division qui consent à l’ouverture du non-rapport que s’initie cette autre écriture. Rien d’automatique dans cette affaire, et pas de symétrie entre l’un et l’autre, où s’écrit et se réinscrit, à certaines conditions, le témoignage d’une altérité devant la rencontre pacifiée du réel.
Cette écriture est spécifiée d’être borroméenne. En ceci qu’elle est une et multiple à la fois. De cette rencontre du non-rapport entre l’un et l’autre s’initie l’écriture neuve d’un réel qui fait bord avec le symbolique et l’imaginaire en mettant en place, en son coeur, l’objet, produit de l’achose. Il nous faudra, bien entendu , déplier ce fil en en tirant quelques conséquences.
Il apparaît alors que ce travail, qui spécifie celui d’une cure, pour se faire, en passe par un parcours, le parcours d’une cure. Ce parcours se déplie dans le temps d’une diachronie, ignorante des termes de la synchronie qui rendent cependant possible la tension de cette diachronie.
C’est tout l’enjeu d’une cure.
C’était déjà là et je ne le savais pas!
“Wo es war sollt ich werden”.
Le travail de l’interprétation, en mettant en jeu cette synchronie par cette mise en fonction touche à l’espace-temps de la réalité du sujet.
Nous avons mis à l’étude, avec quelques-uns, le texte de Lacan sur cette “fonction de l’assertion de certitude anticipée “. Où encore”Le temps logique “. Chacun peut trouver ces travaux sur le site du Collège de Psychiatrie (collegedepsychiatrie.com). Peut-être peut-on les trouver sur le site de l’Ali, je suppose que oui. Il s’agit d’un premier tour, celui-ci trouvera sa place, très certainement, avec un deuxième tour, le moment venu.
Cette autre écriture, pour se déplier, met donc en jeu les dimensions du temps. Ceci est sa caractéristique principale: l’instant de voir, le temps pour comprendre et le moment de conclure avec l’engagement et l’appel du directeur de prison s’adressant aux trois prisonniers consentants.
C’est la voie logique, logique dont le temps participe pleinement, proposée par Lacan pour rendre compte de ce processus acéphale qui ouvre, dans la précipitation, à une nouvelle identification, à un nouvel espace-temps.
Acéphale puisque ça n’est pas le sujet qui commande, acéphale puisque le sujet se propose comme en étant le produit, représenté alors par une nouvelle identification.
Un point important à souligner: ce “temps logique “ est une logique du collectif. Ce collectif, constitué , un à un par des membres interpellés par un directeur de prison, s’anime de cette “autre écriture”. À la différence de la communauté il nous faut penser celui-ci comme un espace ouvert. Le parcours singulier de chacun ouvre, dans l’après-coup, sur la reconnaissance que cette écriture anticipée, et cependant singulière, “je suis blanc”, est pourtant partagée.
Après, et avec, toutes ces perspectives ouvertes essayons de faire le point.
Après avoir souligné
- que cette écriture autre relevait d’une mise en fonction autonome, acéphale,
- initiée par le jeu de l’un / l’autre où l’un engage sa propre division,
- que celle-ci répondait à la rencontre d’un non rapport,
- que celui-ci trouvait là l’occasion de faire nouvelle consistance réelle, et de faire avec le symbolique et l’imaginaire, partageant ainsi une même consistance, de faire nouveau bord à un nouvel objet.
- il faut ajouter que cette écriture autre a pour terrain de jeu exclusif, le collectif.
Voilà quelques caractéristiques de cette “autre écriture” auxquelles nous nous sommes arrêtés, plus ou moins rapidement, ce soir.
En effet l’ouverture de ces quelques perspectives laisse à chacun le loisir de s’y engager avec ses propres remarques et son propre travail.
Cependant, et déjà, une nouvelle question s’ouvre, immédiate. Elle n’est pas, très certainement, sans vous être venue déjà à l’esprit, S’il s’agit bien d’une écriture, à la différence de l’écriture scientifique avec la promotion de la lettre alphabétique, de quoi est-elle faite puisqu’il ne s’agit pas d’inscriptions…? Ici la lettre ne descend pas du signifiant, et au contraire, nous ne pouvons qu’y accrocher les nôtres, R, S, I, La consistance se proposerait-elle à donner corps à ce trait d’écriture ?
Laissons ouvertes entre nous cette question, ou ces questions, avec les enjeux liés à “la présentation”, par opposition à la représentation.
Nous en reparlerons le moment venu.
Voilà, aujourd’hui, quelques éléments de réponse, apportés par le travail analytique, si nous prenons au serieux le fait que nous soyons des êtres de langage. Il nous faut en tirer quelques conséquences et donner quelques crédits au fait que nous soyons d’abord des êtres du collectif.
Freud a isolé la fonction de l’identification, et nous questionnons, avec nos remarques, cette toute première identification dite “amoureuse au père”. Nous entendons d’emblée, avec l’arrivée du père chez Freud, le symptôme freudien dont, très tôt, Lacan entend se dégager en poursuivant, cependant, le travail engagé par Freud. Il s’en expliquera, et pourra le formaliser avec RSI et la question du 4eme en mettant cette question du père à une plus juste place.
Mais nous avons là, avec Freud et son invention, l’identification, le premier biais pour rendre compte de comment le sujet est habité par l’altérité dans laquelle il baigne. Et nous avons, très tôt, les éléments proposés par Lacan en réponse à la conception freudienne avancée dans Massenpsychologie.
Le travail clinique de nos présentations cliniques est, à cet endroit, essentiel. Il vient nous enseigner, qu’il peut arriver, qu’il arrive, que ce travail de mise en fonction de cette autre écriture ne déplace pas le sujet, et n’ouvre pas sur une nouvelle identification. Autrement dit, le chemin ouvrant à la prise en compte de cette altérité s’avère barré. C’est ce dont viennent nous parler ces patients qui font, dans le social, l’épreuve du mur. L’autre reste alors un étranger menaçant. Et le lien social proposé, positivé, reste ignorant de ce qui pourtant le fonde, à savoir le non-rapport. Autrement dit, si la mise en fonction de cette écriture n’ouvre pas sur une nouvelle identification nous pouvons avancer que cette fonction d’écriture qui noue, lorsqu’elle est symbolisée, n’est, ici, présente que sur le bord d’une xénopathie qui s’impose.
Elle n’est pas symbolisée.
Lacan évoquera à cet endroit, la forclusion d’un signifiant primordial.
La clinique nous contraint à prendre, en cet endroit, un appui des plus puissants. Il importe de le prendre en compte si nous voulons correctement nous orienter dans nos réponses. Cette prise en compte ouvre la porte à nos interrogations concernant ce que nous appelons les suppléances et l’invention du sinthome. Cette clinique des suppléances est très précieuse puisqu’elle nous enseigne, à chaque fois, ce qu’il peut en être, cette fois-ci à “ciel ouvert “, de l’invention sinthomatique qui permet à chaque patient, tel un scientifique ignorant cet autre écriture, de trouver ses appuis dans le collectif.
Je vais en rester là avec cette première partie de la soirée pour ouvrir avec vous la discussion.
* Discussion bientôt en ligne