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« Une autre écriture? » Suite…

WEB’ SEM’ du Collège de Psychiatrie

 Pour une écologie du lien social ?

RSI, “une autre écriture ?” II

Par Michel JEANVOINE

 
 
Novembre 2024
 

Le travail se poursuit cette année sous le titre qui s’est imposé l’année dernière, RSI ,“Une autre écriture ?”, même si celui-ci s’écrit sous le chapeau plus général de ”Pour une écologie du lien social?”. 

J’ai répondu par quelques lignes, sur notre site internet du Collège, à la question de bien vouloir présenter le Web’Sem’. Peut-être les avez-vous lues. Il me semble d’ailleurs que celles-ci vous ont été transmises avec l’invitation de ce soir.

Dans ces quelques lignes je présente le travail du Collège de Psychiatrie comme organisé sur deux faces. L’une, développée depuis ses origines, à savoir le travail de présentation clinique avec la “Fabrique du cas “ qui lui est appendue, et l’autre, ce Web’sem, où, certes avec l’appui de la téléconférence, nous avons à tirer quelques enseignements de notre travail et tout spécialement de cette clinique.

Ce Web’Sem est un travail collectif, même si, pour l’initier et le soutenir, il y faut nécessairement un engagement singulier.

En fin topologue que vous êtes devenus vous n’êtes pas sans noter que ce bord, celui qui organise ces deux faces du travail du CPsy, n’est pas sans avoir la structure de la double boucle (BB2T). C’est-à-dire, et telle est notre hypothèse, que cette bande avec son bord recollé, est moebienne, si nous y consentons.

Ainsi, avec la réunion de ces conditions, c’est-à-dire en mettant le trou au bon endroit, le Collège devrait être à même de déplier son travail et son devenir.

Telle est mon hypothèse.

Et celle-ci reste, bien entendu, à vérifier.

Et nous pourrions ajouter que ceci reste un exercice pratique, puisqu’il s’agit simplement de prendre à notre compte, au sein même du Collège, et dans son travail, les quelques premiers repères que nous avons dégagés de ce qui organise la subjectivité de chacun ainsi que la vie du collectif. En quelque sorte un exercice d’écologie, au sens fort du terme que nous voulons bien lui donner ? Est -il possible de travailler en prenant en compte les lois même qui font l’objet de nos préoccupations? À vérifier.

Peut-être pourrions-nous, ce soir, en suivant ce fil, entrer un peu plus avant dans les questions ouvertes par cette “autre écriture » dont nous parle Lacan et qu’ il nous met en main.

Je rappelle – mais est-ce bien un rappel? – que cette “autre écriture”, pointée par Lacan, initie et ouvre pour lui, une nouvelle séquence de travail, celle de la topologie borromeene. 

Il n’est pas possible de ne pas nous arrêter à la manière dont il nous la transmet. Celle-ci est en effet homogène à ces lois borroméennes. Où plutôt, n’est- ce pas l’inverse, et ne pourrait-on pas dire que ce que Lacan formalise, et n’a de cesse de formaliser depuis les débuts, c’est tout simplement ce qu’il peut en être de son parcours, de son parcours d’analysant, de son parcours de clinicien et d’analyste. Tout ceci ne forme qu’une seule et même tresse qui le mène au “Moment de conclure”, et à son dernier séminaire “La topologie c’est le temps”.

Ainsi dans sa manière de transmettre “RSI”- “RSI mon nom pour la psychanalyse”, pouvait-il dire, – il évoque un “ abus de métaphore “.

 Il nous faut prendre le temps de nous arrêter à cette remarque qui nous fait dire qu’au moment même où il nous met en main ce noeud borroméen, celui-ci ne pourrait prendre qu’une valeur universelle, cependant contraire à la singularité des voies de l’écriture de chaque nouage. Avec la transmission de ce RSI , et cet “abus de métaphore “, il y a là l’actualisation de ce à quoi quelques-uns pourraient donner le statut de paradoxe.

Et si celui-ci vient nous mettre le noeud en main, c’est pour nous- qui nous voulons travailler, après le sillon freudien, le sillon de Jacques Lacan- en position de 4eme qu’il nous est proposé. À savoir en position de “Nom du Père” qui fait de nous des lacaniens. C’est par cette voie que son enseignement opère et introduit chacun d’entre nous à l’éventualité de la réinvention du nouage. Et nécessairement une écriture réinventée par la voie d’une singularité assumée. Ce nœud, nous avons à le faire, à le refaire.

Charles Melman pouvait dire, et je l’ai encore à l’oreille, que son seul tort était de se trouver là, devant nous, à parler, pour ouvrir la voie à ce que chacun puisse s’autoriser de sa parole…

Il y a là, en effet, comme un paradoxe, mais seulement pour la science, et qui, cependant, n’en est pas un pour le psychanalyste lacanien. Cet “abus” s’avère, en effet, de structure, et n’est que la stricte manifestation de la nécessité consentie à l’ordre du signifiant. Nous ne serons pas sans revenir sur ce point.

Voilà donc une écriture, RSI, faite pour rendre compte et présenter le travail même d’une analyse, ce travail susceptible d’introduire chacun, non seulement à sa parole, mais à sa division de sujet parlant.

C’est de cette écriture qu’il fait une autre écriture que celle dont nous usons habituellement.

 Une autre écriture que celle de Derrida, qui n’est pas sans pousser dans ses dernières extrémités sa réflexion sur la lettre et le signifiant avec ses conséquences.

Une autre écriture que celle de Lacan, lui-même, qui nous propose ses formalisations, S,..Et pourquoi pas, jusqu’à RSI, les lettres R,S,I, ajouterai -je.

Il est question, avec cet “autre écriture”, d’une autre écriture que celle du scientifique, il est question d’une autre écriture que celle qui descend du signifiant. Au contraire, nous ne pouvons qu’accrocher nos signifiants sur ces “dit-mensions”.

Déjà, dans Lituraterre, Lacan nous mettait dans cette voie, mais c’est dans “ le sinthome”, leçon du 11 mai 1976 , qu’il fait le pas décisif de donner à cette écriture toute sa spécificité et toute son autonomie.

 Il y a une autonomie de cette écriture!

De cette autonomie nous en faisons l’épreuve. D’une manière sauvage , dans notre vie quotidienne, dans les épreuves rencontrées. De quoi parle, depuis le fond des âges, depuis que l’homme a mis à son service l’écriture, de quoi parle t-il, cet homme ? Sinon, à chaque fois, et à sa manière, de cette question. Les mythes et les religions ne seraient-ils que des éléments de réponse donnés à cette question? Ne seraient-ils que leur maniere de la mettre en forme en lui donnant consistance?

Mais quelle question ? La question qui s’impose à chacun, et cependant ne se décline que par les voies d’une singularité assumée ?

Que celle-ci prenne les voies de l’énigme, ou celles d’un mystère assumé avec la réponse trinitaire, par exemple ?

La cure analytique a cette absolue nouveauté de mettre au travail, à partir de la singularité des voies ouvertes par chacun, de mettre au travail, par la parole adressée, les réponses apportées par chacun à sa question, c’est-à- dire, son symptôme. Il y a, pour chacun, une réponse symptomatique à une question dont les termes mêmes restent, à chaque fois à écrire, puisque la réponse apportée a la structure du symptôme.

L’autonomie de cette écriture est une de ses premières caractéristiques. C’est celle dont nous pouvons faire l’épreuve dans un travail analytique. Nous en faidons l’épreuve à chaque fois que la réponse symptomatique se trouve engagée et déplacée, et où, pourrait-on dire, les conditions de l’écriture d’une nouvelle réponse à cette question ont été rencontrées.

Le travail analytique, tel que le conçoit Lacan, se propose alors – telle est notre lecture du moment – comme la mise en fonction de cette écriture autonome. Il est même possible de soutenir que ceci spécifie une cure lacanienne, avec ses caractéristiques quant à la durée de la séance, la conception de l’interprétation, ou, encore, celle de la fin de la cure et de la transmission. Tout s’ordonne, se déplie et trouve sa consistance autour d’un point, celui de cette “autre écriture”.

“L’inconscient structuré comme un langage”, cette formule proposée nous est mise en main très tôt par Jacques Lacan, cette proposition ne temoigne t-elle pas que son sillon de travail qui devait l’amener à RSI, était déjà ouvert ?

De cette écriture, certes “inconsciente”, puisqu’elle échappe au sujet, ne pourrions-nous pas soutenir qu’elle est acéphale?  Que le lieu qui la commande est tout spécialement vide?

Tout semble se passer comme si cette mise en fonction répondait à un appel, un appel de ce lieu vide Mais de quel appel s’agirait-il ? Un appel ouvert par la présentation de ce que nous pourrions nommer ( provisoirement ?), le non- rapport. Celui-ci est susceptible de se rencontrer dans toute vie sociale, tout particulièrement la vie amoureuse, et tout spécialement le travail analytique avec la mise en jeu du lien transferentiel. Là où pourtant la rencontre d’un bon objet pouvait mettre le sujet à l’abri de cette rencontre, celui-ci ne va pas manquer de s’y trouver confronté. Si toutes ces rencontres se font d’ une manière plus ou moins sauvage, le travail lacanien est en mesure de donner à cette rencontre un statut plus précis. L’exemple canonique du jeu sur l’équivoque signifiante vient en témoigner. Mais pas seulement. Cette interprétation ouvre et remet au travail d’une nouvelle écriture , d’anciennes écritures qui bordaient jusqu’alors un symptôme en lui donnant sa consistance. Ceci n’est possible, pour un analyste, qu’en faisant pleinement confiance à cette mise au travail acéphale. Ce travail de l’équivoque porte sur autre chose que directement sur le sens. Certes il touche au sens, mais en le déplaçant par l’effet d’une nouvelle écriture. Il y a là un “effet de sens”, et celui-ci est réel.

Nous pointons, dans cet exemple, quelque chose qui avait pu faire débat, et qui fait débat aujourd’hui, à une époque où même la psychanalyse est infiltrée par des thèses wokistes. En effet, si cette écriture est autonome elle n’est cependant pas automatique. En effet, pour que celle-ci gagne cette autonomie, cela suppose qu’un sujet consente à engager quelque chose pour ouvrir, chez l’autre, et chez lui, le jeu de cette mise en fonction pourtant acéphale.

Qu’a-t-il à engager ? Au moment où nous en sommes dans ce travail, je pourrais proposer ceci, sa division. Sa propre division. C’est du  jeu de cette division qui consent à l’ouverture du non-rapport que s’initie cette autre écriture. Rien d’automatique dans cette affaire, et pas de symétrie entre l’un et l’autre, où s’écrit et se réinscrit, à certaines conditions, le témoignage d’une altérité devant la rencontre pacifiée du réel.

Cette écriture est spécifiée d’être borroméenne. En ceci qu’elle est une et multiple à la fois. De cette rencontre du non-rapport entre l’un et l’autre s’initie l’écriture neuve d’un réel qui fait bord avec le symbolique et l’imaginaire en mettant en place, en son coeur, l’objet, produit de l’achose. Il nous faudra, bien entendu , déplier ce fil en en tirant quelques conséquences.

Il apparaît alors que ce travail, qui spécifie celui d’une cure, pour se faire, en passe par un parcours, le parcours d’une cure. Ce parcours se déplie dans le temps d’une diachronie, ignorante des termes de la synchronie qui rendent cependant possible la tension de cette diachronie.

C’est tout l’enjeu d’une cure. 

C’était déjà là et je ne le savais pas! 

“Wo es war sollt ich werden”.

Le travail de l’interprétation, en mettant en jeu cette synchronie par cette mise en fonction touche à l’espace-temps de la réalité du sujet.

Nous avons mis à l’étude, avec quelques-uns, le texte de Lacan sur cette “fonction de l’assertion de certitude anticipée “. Où encore”Le temps logique “. Chacun peut trouver ces travaux sur le site du Collège de Psychiatrie (collegedepsychiatrie.com). Peut-être peut-on les trouver sur le site de l’Ali, je suppose que oui. Il s’agit d’un premier tour, celui-ci trouvera sa place, très certainement, avec un deuxième tour, le moment venu.

Cette autre écriture, pour se déplier, met donc en jeu les dimensions du temps. Ceci est sa caractéristique principale: l’instant de voir, le temps pour comprendre et le moment de conclure avec l’engagement et l’appel du directeur de prison s’adressant aux trois prisonniers consentants.

C’est la voie logique, logique dont le temps participe pleinement, proposée par Lacan pour rendre compte de ce processus acéphale qui ouvre, dans la précipitation, à une nouvelle identification, à un nouvel espace-temps.

Acéphale puisque ça n’est pas le sujet qui commande, acéphale puisque le sujet se propose comme en étant le produit, représenté alors par une nouvelle identification.

Un point important à souligner: ce “temps logique “ est une logique du collectif. Ce collectif, constitué , un à un par des membres interpellés par un directeur de prison, s’anime de cette “autre écriture”. À la différence de la communauté il nous faut penser celui-ci comme un espace ouvert. Le parcours singulier de chacun ouvre, dans l’après-coup, sur la reconnaissance que cette écriture anticipée, et cependant singulière, “je suis blanc”, est pourtant partagée.

Après, et avec, toutes ces perspectives ouvertes  essayons de faire le point.

Après avoir souligné 

  • que cette écriture autre relevait d’une mise en fonction autonome, acéphale,
  • initiée par le jeu de l’un / l’autre où l’un engage sa propre division,
  • que celle-ci répondait à la rencontre d’un non         rapport,
  • que celui-ci trouvait là l’occasion de faire nouvelle consistance réelle, et de faire avec le symbolique et l’imaginaire, partageant ainsi une même consistance, de faire nouveau bord à un nouvel objet.
  • il faut ajouter que cette écriture autre a pour terrain de jeu exclusif, le collectif.

Voilà quelques caractéristiques de cette “autre écriture” auxquelles nous nous sommes arrêtés, plus ou moins rapidement, ce soir.

En effet l’ouverture de ces quelques perspectives laisse à chacun le loisir de s’y engager avec ses propres remarques et son propre travail.

Cependant, et déjà, une nouvelle question s’ouvre, immédiate. Elle n’est pas, très certainement, sans vous être venue déjà à l’esprit, S’il s’agit bien d’une écriture, à la différence de l’écriture scientifique avec la promotion de la lettre alphabétique, de quoi est-elle faite puisqu’il ne s’agit pas d’inscriptions…? Ici la lettre ne descend pas du signifiant, et au contraire, nous ne pouvons qu’y accrocher les nôtres, R, S, I, La consistance se proposerait-elle à donner corps à ce trait d’écriture ?

Laissons ouvertes entre nous cette question, ou ces questions, avec les enjeux liés à “la présentation”, par opposition à la représentation.

Nous en reparlerons le moment venu.

Voilà, aujourd’hui, quelques éléments de réponse, apportés par le travail analytique, si nous prenons au serieux le fait que nous soyons des êtres de langage. Il nous faut en tirer quelques conséquences et donner quelques crédits au fait que nous soyons d’abord des êtres du collectif.

Freud a isolé la fonction de l’identification, et nous questionnons, avec nos remarques, cette toute première identification dite “amoureuse au père”. Nous entendons d’emblée, avec l’arrivée du père chez Freud, le symptôme freudien dont, très tôt, Lacan entend se dégager en poursuivant, cependant, le travail engagé par Freud. Il s’en expliquera, et pourra le formaliser avec RSI et la question du 4eme en mettant cette question du père à une plus juste place.

Mais nous avons là, avec Freud et son invention, l’identification, le premier biais pour rendre compte de comment le sujet est habité par l’altérité dans laquelle il baigne. Et nous avons, très tôt, les éléments proposés par Lacan en réponse à la conception freudienne avancée dans Massenpsychologie.

Le travail clinique de nos présentations cliniques est, à cet endroit, essentiel. Il vient nous enseigner, qu’il peut arriver, qu’il arrive, que ce travail de mise en fonction de cette autre écriture ne déplace pas le sujet, et n’ouvre pas sur une nouvelle identification. Autrement dit, le chemin ouvrant à la prise en compte de cette altérité s’avère barré. C’est ce dont viennent nous parler ces patients qui font, dans le social, l’épreuve du mur. L’autre reste alors un étranger menaçant. Et le lien social proposé, positivé, reste ignorant de ce qui pourtant le fonde, à savoir le non-rapport. Autrement dit, si la mise en fonction de cette écriture n’ouvre pas sur une nouvelle identification nous pouvons avancer que cette fonction d’écriture qui noue, lorsqu’elle est symbolisée, n’est, ici, présente que sur le bord d’une xénopathie qui s’impose.

Elle n’est pas symbolisée.

Lacan évoquera à cet endroit, la forclusion d’un signifiant primordial.

La clinique nous contraint à prendre, en cet endroit, un appui des plus puissants. Il importe de le prendre en compte si nous voulons correctement nous orienter dans nos réponses. Cette prise en compte ouvre la porte à nos interrogations concernant ce que nous appelons les suppléances et l’invention du sinthome. Cette clinique des suppléances est très précieuse puisqu’elle nous enseigne, à chaque fois, ce qu’il peut en être, cette fois-ci à “ciel ouvert “, de l’invention sinthomatique qui permet à chaque patient, tel un scientifique ignorant cet autre écriture, de trouver ses appuis dans le collectif.

Je vais en rester là avec cette première partie de la soirée pour ouvrir avec vous la discussion. 

 

 * Discussion bientôt en ligne

“Deux écritures différentes“ ou mieux encore « Une autre écriture? »

WEB’ SEM’ du Collège de Psychiatrie

 Pour une écologie du lien social ?

« DEUX ÉCRITURES DIFFÉRENTES »

ou mieux encore,

« UNE AUTRE ÉCRITURE? »

 

 Michel JEANVOINE

 

Juin 2024

Voilà le titre sous lequel je propose de déplier mon propos de ce soir. “Deux écritures différentes”ou mieux encore, “Une autre écriture? “.

Je l’extrais du séminaire de Jacques Lacan “Le sinthome”, leçon du 11 mai 1976, ce que je mentionnais déjà dans les quelques lignes de l’argument. Vous aurez pu, ainsi, en faire, ou refaire, la lecture.

Mais avant d’entrer dans l’écriture de ce noeud – puisque cette autre écriture, disons le d’emblée, concerne l’écriture du nœud, “il nous faut l’faire !”- avant d’entrer dans l’écriture de ce nœud revenons à ce qui s’est proposé cette année, et à ce qui a rythmé notre travail collectif, puisque nous voici arrivés à la fin d’une année de travail avec l’arrivée de ce que nous appelons les grandes vacances. Ponctuons le travail de cette année initié sous une question, “Pour une écologie du lien social ?” en le remettant en perspective.

Nous aurions pu partir et nous appuyer d’emblée sur les travaux de J.Lacan et les écritures des quatre discours. C’est l’objet du séminaire de cet été à Nice qui questionne le lien social avec ses écritures. Mais nous avons fait le choix d’une autre lecture en suivant le fil, chez Lacan, du statut de la lettre.  À partir de ses derniers enseignements où il  présente la lettre dans son statut de consistance imaginaire, nous avons réexaminé au plus près les premiers pas de la lecture qui fût la sienne en suivant Freud et en ouvrant la question de la structure. Il entre dans cette question de la structure en convoquant d’emblée la question du lien social. D’emblée pour lui, ce champ de l’Autre, le champ du signifiant, met en jeu et questionne le social. C’est,bien entendu, en cet endroit, la question vive de la folie et de la psychose qui semble l’animer et c’est avec Aimée qu’il ouvre le sillon freudien.

Avec cette question, qui pour nous est d’autant plus vive que l’actualité qui nous emporte peut être inquiétante : ce savoir sur ce trou qui fonde le sujet en  le proposant divisé par son objet, a, et ce savoir proposant de la même manière un lien social fondé sur un trou, ce savoir est-il en mesure, ou pas, d’ouvrir un lien social plus apaisé, voire plus civilisé?

C’est vraiment une question, une question qui reste ouverte.

En ces temps où notre monde s’organise d’une manière toujours plus décidée autour de ce que nous pouvons appeler la consommation de l’objet, l’être humain, le citoyen,  reçoit sa question des limites rencontrées par la pollution généralisée et engendrée, mettant ainsi en “question” son existence propre. Le social d’aujourd’hui, et ceci est une première dans l’histoire, est tenu de prendre en compte les effets de son développement, effets réputés jusqu’alors collatéraux et laissés à la charge de l’autre. Plus précisément, il a le sentiment, aujourd’hui, que de cette prise en compte dépend sa survie et celle-ci semble frapper de mélancolisation le meilleur de notre jeunesse. L’écologie – et je n’évoque pas là les errements d’une écologie politique pervertie, est -il nécessaire de le préciser- s’est toujours donné pour projet de prendre en compte cette question. Elle y apporte, avec leurs limites, ses éléments de réponse: nostalgie d’un ordre naturel fondateur, obsessionnalisation des conduites…etc. 

Cependant trouver de meilleures réponses à cette question n’est pas directement l’objet de ce séminaire, mais n’est pas sans y toucher.

Peut-être ne s’agit-il pas d’un hasard si Jacques Lacan, dans le même temps où l’écologie comme mouvement politique prenait véritablement son essor, nous proposait non seulement son écriture de ce reste, a, comme consubstantiel à la fondation du sujet, mais nous proposait une conception du lien social fondée sur le trou.

Notre question n’est donc pas seulement aujourd’hui une simple question de clinique analytique, mais une question d’actualité, et une question ouvertement politique.

Ces mêmes lois qui organisent notre subjectivité et le tissu social continuent à nous interroger et si la clinique analytique se propose d’examiner les réponses que chacun peut y apporter il nous faut nous interroger sur les réponses que le social y apporte. “ L’inconscient c’est le politique “ avait pu dire J. Lacan . Et le hasard fait que l’actualité politique nous sollicite, avec cette dissolution de l’Assemblée Nationale, à un exercice de topologie appliquée dans le social. Devant ce trou, cette béance délibérément ouverte qui angoisse le citoyen, quelle commune mesure s’anticipe et s’invente susceptible de faire bord et ainsi civiliser ce social en redonnant, par une remise en perspective, de la visibilité?

À quelles conditions et comment le jeu de ces extrêmes en tension, en pure opposition, participe de cette invention ?

Serions-nous dans la logique, dans la “topologique”, d’un temps pour comprendre, ou plutôt dans la promotion d’un simple “signifiant flottant”?

Ce nœud, “il nous faut l’faire!”. 

Nous laissons à chacun ses réponses mais ces questions, faut-il le préciser, sont les questions que pose notre séminaire.

Je vous signale, en passant, un livre tout à fait intéressant de Marcel Gauchet “La droite et la gauche, histoire et destin” qui nous donne assez bien à entendre comment le tissage de notre destin national relève d’une logique. Depuis tout spécialement la révolution française – date à laquelle s’est trouvé substitué un trou à la place de la tête d’un monarque- une opposition radicale entre deux termes, opposition qui ne va pas sans un troisième, structure la dynamique de ce social. Condition essentielle pour qu’un trait d’écriture anticipé, tissant ce social, en tombe. Serait-ce la fonction renouvelée de ce “signifiant flottant”?

En ce qui concerne plus précisément le déroulement de notre séminaire, il se fait que pour aborder ces questions, les travaux de Marcel Mauss et de Claude Levi Strauss se sont imposés.

Quelles réponses, en effet, les premiers collectifs, voire les premières communautés, ces sociétés dîtes primitives, apportaient-elles à ces mêmes questions? Un des éléments de réponse passe par la constitution du mythe comme essentiel au tissage de ce social. C’est par le travail du mythe, en effet, que ce social tient. Et cette logique n’est pas autre chose que la nôtre, elle n’est pas autre que celle du scientifique.

Rien de primitif chez ces primitifs!

Nous avons pu examiner, comment le repérage du “signifiant flottant” dans la constitution du mythe, et dans la “fonction mythe”, a pu inspirer J.Lacan qui, de son côté, a avancé ce signifiant essentiel à la subjectivation, celui du du Nom-du-Père.

Lire le fantasme qui organise la réalité de chacun avec des repères communs à ceux qui permettent d’ouvrir la question des mythes est un exercice tout spécialement freudien.

En effet, non seulement Freud a usé des mythes pour rendre compte de la logique qui organise la subjectivité individuelle avec le mythe d’Œdipe, et le social avec le mythe du Père de la horde primitive, mais Lacan, inversement, en suivant les propos de Freud dans Massenpsychologie, en poursuivant le travail de Freud, fait un pas supplémentaire et dégage, à sa manière, ces lois communes organisatrices du mythe dans la constitution du social et dans la subjectivité individuelle en s’appuyant sur la logique du signifiant.

 Nous avons  consacré plusieurs soirées à cette lecture réactualisée, non seulement de l’hystérie freudienne mais aussi de la constitution du symptôme phobique chez le petit Hans.

Comment mettre en perspective ce parcours de travail de J.Lacan autrement qu’en s’appuyant sur son intuition fondatrice dont l’inertie l’amène, depuis l’identification spéculaire, jusqu’à ses derniers travaux avec la topologie et tout spécialement l’invention du nœud borroméen ?

Nous pourrions résumer cela par ce court énoncé : “C’est d’un trou que se supporte toute subjectivité individuelle et c’est d’un trou que se supporte également tout tissu social”, avec cette simple et rustique question : mais alors qu’est-ce qu’un trou ? Qu’est-ce qu’une tresse ? Qu’est-ce qu’un bord ? Puisqu’il n’y a de trou que par la consistance d’un bord.

Les éléments de topologie apportés par celui-ci à la fin de son enseignement nous introduisent directement à cette problématique et à cette lecture.

À la suite de Freud Lacan suit un fil, celui de l’écriture et de la lettre comme organisatrice du symptôme, et nous propose une conception de la cure comme l’espace -temps du surgissement possible d’une nouvelle écriture qui déplace, dans le transfert , le symptôme. Une nouvelle écriture surgit et déplace le sujet en l’allégeant du poids du symptôme. Il apparaît alors, pour J.Lacan, que la question posée se centre progressivement sur les conditions de cette nouvelle écriture qui touche et engage le Réel. Mais comment faire, pour traîter cette question, comment faire autrement que chacun, dans le maniement de cette lettre, pour aborder la question de cette autre écriture en jeu, spécifiée par la cure analytique, cure analytique que nous pouvons alors qualifier de lacanienne ? À cet endroit lui vient cette topologie borroméenne dont il nous dit que c’est seulement par un “abus de métaphore” qu’il nous la met en main. En effet, comment faire autrement, pour l’évoquer ? Comment faire autrement pour en parler qu’en passer par ce forçage, ce véritable coup de force d’une nomination assumée? Charles Melman pouvait dire, mon seul tort est d”être là, devant vous, à vous parler. Puisque c’est à chacun de faire cette épreuve qui ne peut se transmettre, et qu’en parler pourrait, à tort, laisser à entendre qu’une bonne “consistance” – ce doigt qui pointe la lune – serait enfin transmissible, et que faire l’économie d’une telle épreuve par l’instrumentalisation d’un tel savoir serait possible…

Il y a donc, clairement pour Lacan, deux écritures; soit une autre écriture que celle que nous connaissons et avec laquelle nous travaillons. L’écriture de la fonction qui spécifie l’écriture. Une autre écriture que celle du scientifique, une autre écriture que celle mise en jeu dans nos formalisations.

Relisons ce passage dans la leçon du 11 mai 1976 du sinthome. Après avoir insisté sur ce nœud qu’il nous fallait faire, c’est-à-dire qu’il nous fallait écrire il nous dit: ”À vrai dire, le nœud bo en question change complètement le sens de l’écriture. Ça donne à ladite, à ladite écriture, ça donne une autonomie. Et c’est une autonomie d’autant plus remarquable qu’il y a une autre écriture qui est celle sur laquelle Derrida a insisté, C’est à savoir celle qui résulte de ce qu’on pourrait appeler une précipitation du signifiant. Derrida a insisté, mais il est tout à fait clair que je lui ai montré la voie parce que, parce que le fait que je n’ai pas trouvé d’autre façon de supporter le signifiant que de l’écrire grand S, est déjà une suffisante indication. Mais ce qui reste, c’est le signifiant ; c’est-à-dire, ce qui se module dans la voix n’a rien à faire avec l’écriture. C’est en tout cas ce que démontre parfaitement mon nœud Bo. Ça change le sens de l’écriture. Ça montre qu’il y a quelque chose à quoi on peut accrocher les signifiants”…et encore un peu plus loin…”l’écriture vient d’ailleurs que du signifiant…”.J’arrête là cette longue citation.

De quelle nouvelle écriture parle-t-il ?

Ne pourrait-on pas soutenir qu’à côté de cette écriture qui conduit Lacan à nous proposer S, par exemple, il y a une autre écriture qui, elle, ne descend pas du signifiant. La conception de la lettre, appendue au signifiant, précipitée du signifiant – et à laquelle Derrida a consacré sa réflexion et ses écrits, relève d’une première écriture, celle avec laquelle nous engageons nos formalisations. Nous avons commencé à entrer dans la question du travail de Derrida lors de notre précédent séminaire avec Alain Harly. Derrida explore le destin de cette lettre qui reste pour lui, un destin ouvert sans que ce destin ne puisse se fermer et se conclure par la chute de cette lettre telle que Lacan peut l’illustrer dans son commentaire précoce sur la Lettre volée “. Là où Lacan vient questionner le procès même de l’écriture, qui fait écriture, l’écriture du nœud bo, Derrida confère à cette lettre une forme d’éternité en entifiant, pourrait -on dire, le trait même de la differance. Il fait alors l’économie de ce que Lacan essaie, après Freud, de dégager, à savoir l’économie de ces questions ouvertes par les effets quasiment magiques de la parole, dans le transfert , sur le symptôme, et sur le corps. Ceci concerne les mystères de l’incarnation, puisque cette autre écriture, celle en jeu dans le travail analytique, celle du nouage borroméen, est une écriture qui se présente sous la forme de la consistance homogène donnée à ces trois ronds, dans leur différence,R,S,I . Ce Un est un Un comptable, aucunement un Un entifiant, même s’il participe de la constitution du bord du trou qui fonde le parlêtre.”Y’adl’Un!” C’est à cette condition que ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire trouve cependant une écriture nécessaire et possible avec du contingent.

Ainsi pourrions-nous comprendre et penser cette autre écriture, celle qui met en jeu  les “dits- mentions“ à laquelle s’accrocheraient les signifiants. Ce qui est tout-à-fait autre chose que l’écriture derridienne, à savoir une écriture qui se proposerait dans la présentation d’un nouage, le nœud borroméen. Deux écritures, en effet, très différentes et aux destins très différents.

Essayons de faire valoir plus précisément ce qui les oppose. 

Cette écriture, à laquelle s’intéresse Derrida, n’est pas autre chose que cette écriture que nous pourrions qualifier, aujourd’hui, de commune, en iceci que c’est aussi l’écriture du scientifique. C’est aussi celle de Lacan, c’est aussi la nôtre avec son travail de formalisation. C’est aussi celle avec laquelle il nous introduit à RSI… C’est aussi celle avec laquelle je tricote ce séminaire, qui n’est pas cependant, sans engager cette autre écriture. 

Cette écriture tombe du signifiant, et s’en propose comme présentant son précipité. Certes elle est bien en mesure d’engager un réel, mais un réel qui, dans le parcours de cette lettre, la livre à terme, à son destin: la poubelle. Cette poubelle qui fait la préoccupation de nos écologistes et qui peut prendre une dimension apocalyptique avec le déchaînement de l’atome. C’est l’enseignement inaugural de “ La lettre volée”. C’est aussi, d’une certaine manière, le parcours d’une cure.

Et c’est de l’enseignement d’un tel parcours que surgit cette proposition d’une autre écriture. C’est seulement, en effet, par les effets d’une parole adressée dans un transfert, qu’un tel parcours par où une lettre passe à la poubelle, ouvre sur  une création, sur l’invention d’un nouveau bord et le surgissement  d’un nouveau sujet. “Eine neue Subjekt” dira Freud. Il ne s’agit donc pas tant de lever un refoulement que de mettre en fonction l’opérateur du refoulement pour en produire un nouveau, en substituer un nouveau à l’ancien avec le poids d’un symptôme un peu plus civilisé, par identification au symptôme. Ce déplacement du sujet est le fruit de l’engagement d’une nouvelle écriture par la voie de ce “Y’adl’Un“ , l’engagement d’un nouveau nouage, avec la formation d’un nouveau bord. Ce bord, si nous suivons Lacan, n’est que la consistance Une d’un trait d’écriture qui prend corps. Ce réel qui ne cesse pas, pourtant, de ne pas s’écrire, devant la rencontre redoublée d’un “c’est pas ça”, ne va pas sans s’écrire en donnant commune mesure à R,S et I. Ce trait se spécifie de présenter le pur trait de la différence, en tant que différence.

 D’où, peut-être, cette appétence, au lieu même d’une singularité la plus pointue, de la dimension d’une universalité. Celui-ci, pourrait-on ajouter, spécifie, valide et témoigne d’un noeud entre intimité et extimité c’est-à-dire d’une prise dans l’ordre du signifiant.

La clinique de la psychose, toujours très précieuse pour nous orienter dans ces questions, vient nous rappeler, si nous l’avions oublié, comment cette nouvelle écriture fait défaut, et donc comment la fonction la soutenant- la fonction de la métaphore- dans certaines occasions, fait défaut à l’endroit même où celle-ci est sollicitée. Là où il faudrait pouvoir “l’faire”, ce nœud, un trou!

Cette écriture, dont nous dégageons quelques caractéristiques, a une certaine autonomie. Elle est le produit d’une vraie rencontre entre l’un et l’autre où la dimension de l’Autre, du “c’est pas ça”, est prise en compte. Une prise en compte de l’asymétrie fondamentale qui spécifie cette vraie rencontre et l’ordre du signifiant. Nous retrouvons là les enjeux de l’identification spéculaire et de sa fonction qui , par ce tout premier nouage, noue l’imaginaire du sujet, et donc son futur narcissisme, à la dimension du symbolique. Comment, en effet, nouer la continuité propre à l’imaginaire, à la discontinuité introduite par l’ordre du signifiant. L’identification spéculaire,pour Lacan, en est la réponse. C’est celle-ci, qui, à cette occasion est sollicitée et conduit l’analysant sur le chemin d’un certain desêtre, c’est-à-dire aussi à valider et verifier la fonction trou dans l’image, i(a).

Ce trait, automatique, n’est pas sans s’écrire dans des conditions précises, ce sont celles qu’a très bien décrites J.Lacan dans le “temps logique”. Il en précise la logique, dans son déroulement, avec les deux scansions, dans son texte minutieusement réécrit en 1966. Nous avons eu récemment l’occasion de travailler cette question à l’Ali.

Ici, avec le nouage, nous ne sommes pas engagés dans le registre d’une représentation – comme nous pourrions l’être avec le trait de la lettre pensée comme précipitation du signifiant. Nous sommes, au contraire, engagés dans une présentation qui témoigne, dans le même mouvement, de la prise en compte de la dimension de l’altérité. Nous pourrions, d’ailleurs – et c’est ce que je vous propose- écrire Altérité avec un A barré, puisque en comptant l’Altérité , l’enjeu s’ouvre d’une mise en fonction qui fait écriture, pour chacun, d’un bord.

D’une certaine manière, et plus précisément, cette mise en fonction qui fait écriture se spécifie, à chaque fois, de la prise en compte du Réel ouvert par la vraie rencontre de cette Altérité en donnant commune mesure aux 3 dans leur différence.

Cette conception de la cure spécifie la cure lacanienne.

Peut-etre était-ce en empruntant cette voie que la question venait à Charles Melman, lorsqu’il nous parlait du nœud à 3, de la civilisation du “non rapport sexuel”, et par là, d’un éventuel rapport sexuel ?

Où nous conduit, ce soir, le fil que je vous propose?

Plusieurs voies s’ouvrent, nous en parlerons certainement dans la discussion, mais je ne vais en mentionner qu’une, sans vraiment la développer, laissant la suite à nos futures soirées. 

La “talking cure”, cure par la parole, ouvre, pourrait -on dire, une réflexion sur la mise en fonction de ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire. Et celle-ci, cette mise en fonction, relève d’une écriture qui passe par la mise en jeu d’un ”Y’adl’Un” avec la présentation donnée à la consistance conférée au réel de la vraie rencontre redoublée d’un “c’est pas ça”. Cette mise en fonction, pour un sujet, est le propre d’un parcours de parole adressé, dans le transfert, à un autre sujet averti des effets de cette parole; parole qui s’avère faire bord dans un parcours ordonné. C’est de cette écriture dont il est question, celle qui engage un nouage. Par contraste, pourrait-on dire, l’évitement d’une telle rencontre dans le transfert, et un travail qui porterait essentiellement sur la mobilisation de lettres, comme le discours universitaire et la science peuvent le proposer, ouvre sur tout autre chose. Plutôt que faire valoir cet objet en exclusion interne et le desêtre qui peut l’accompagner dans ce déplacement, ici, rien de ce franchissement, pas de sollicitation de cette fonction qui ne cesse pas de ne pas s’écrire, pas de mise en jeu d’une énonciation renouvelée… Nous restons dans un nœud de trèfle ignorant le nouage à 3 et cette mise en fonction qui le spécifie, avec cette dimension persécutive toujours plus ou moins présente dans une “Writing cure”. Ce qui conduisait Lacan à nous dire, d’ailleurs, qu’il ne faisait pas de théorie, seulement des formalisations, et que son enseignement passait par les voies d’un séminaire où il ne manquait pas de rappeler qu’il était en position d’analysant. Son enseignement était tout spécialement oral et ses “Ecrits” le produit de son travail oralement adressé.

Peut-être qu’avec ces premiers repérages pourrait -t-on plus justement s’orienter dans les évolutions de notre social. Comment celles-ci prennent-elle appui, le sachant ou pas, sur une conception de l’écriture? Peut -on référer telles ou telles impasses d’allure paranoïaque, à telle ou telle conception, ou à tel ou tel auteur? Ici, avec cette conception de la lettre, Derrida, ouvre la porte à un égalitarisme forcené qu’il valide- la différence étant identique à elle même – et à une conception de la lettre  ignorante de l’asymétrie qui la soutient, organisatrice de tout lien social, et d’un réel fondateur.

Ne rien vouloir savoir, voire forclore, la question ouverte par l’asymétrie fondatrice de cette autre écriture nous conduit logiquement, à quelques conséquences. C’est tout l’enjeu d’une clinique lacanienne, pour nos patients, nos analysants. Mais pas seulement, puisque, si le social se spécifie de ne se soutenir d’aucune énonciation collective, celui-ci, avec le travail de la lettre ne peut que se présenter dans les modalités d’un délire: une psychose sociale avec le savoir-faire d’un”signifiant flottant”. Peut-être en faisons-nous l’épreuve?

Voilà pour ce soir ce que je propose à votre réflexion et à votre sagacité.

Il faudra pouvoir donner une suite à nos travaux. Et solliciter quelques-uns tout spécialement plus avertis sur les travaux de Derrida et de quelques autres. Que chacun puisse suivre son fil. Une place lui sera faite dans le tressage de ce web’sem.

Voilà pour ce soir.

 

 

Cliquer ici : WEB’ SEM’

WEB’ SEM’

« Pour une éclologie du lien social? »

  • N°9 – Alain HARLY – MAI 2024, « LACAN, DERRIDA : Querelle pour une lettre volée ? »

Etude de la phobie, Josiane Froissart

WEB’ SEM’ du Collège de Psychiatrie

 Pour une écologie du lien social ?

ÉTUDE DE LA PHOBIE :

d’une lecture freudienne du mythe à une lecture structurale lacanienne

Josiane Froissart

D’une lecture freudienne à une lecture structurale lacanienne de la phobie : que pouvons-nous en conclure ?

Nous nous appuierons pour déplier nos questions sur la clinique freudienne de «l’analyse d’une phobie chez un petit garçon de 5 ans : le petit Hans »

Je rappellerai brièvement les conditions particulières, qui ne sont pas sans poser de problèmes, de la mise en place de cette cure menée par le père de l’enfant qui est un proche de Freud participant aux réunions de la société du mercredi soir et dont la mère est une analysante de Freud. 

Quel est l’objectif de Freud ?

Il s’agit pour Freud de vérifier ses théories sur la sexualité infantile qu’il a élaboré à partir du matériel clinique qu’il a recueilli dans les  cures d’adultes.

A partir des notes que prend le père de Hans, Max Graf, Freud va faire la supervision de la cure de Hans.

Disons tout de suite que c’est dans les mythes que Freud recherchera des modèles pour la psychanalyse.

Il articulera la psychanalyse à la mythologie en interprétant le mythe d’Œdipe par la psychanalyse, mais il pourra inversement avoir recours au mythe pour déchiffrer et comprendre les formations de l’inconscient (cf. Schreber).

Cette cure va permettre à Freud de valider sa conception du complexe d’Œdipe qui était déjà en gestation dans les « 3 essais sur la théorie sexuelle ».

A cette époque (1913) Freud s’interroge sur « qu’est-ce qu’un père ? Il transcrira ses réflexions  par le mythe de « Totem et Tabou » où le père est celui  d’avant l’entrée dans l’histoire, celui qui est mort et qu’il en est d’autant plus vivant qu’il est mort (il aura été tué pour être conservé, pour rester vivant).

La psychanalyse va donc engendrer des mythes : le mythe des origines de Totem  et Tabou, le mythe d’Œdipe qui rend compte de la structuration du désir et de l’origine de la loi.

A un moment de la cure du petit Hans, au cours de la seule rencontre qu’il aura avec l’enfant, Freud lui énoncera le complexe d’Œdipe, mythe fondateur de la psychanalyse et en faisant le détour par la mythologie grecque, il en montre le caractère universel (tous les êtres humains y compris les femmes ont un pénis cf. les hermaphrodites de l’antiquité). Nous y reviendrons.

Les théories sexuelles infantiles vont nous permettre de comprendre les mythes, en établissant une correspondance entre le matériel inconscient et les thèmes utilisés dans les mythes.

 Les théories sexuelles infantiles sont des fomentations mythiques 

Revenons à l’étude du petit Hans qui nous montre comment Hans va produire, en réponse aux interventions du père plus ou moins suggestives, une floraison de récits imaginaires, de fantasmes, de rêves, de mythes qui viennent illustrer ses théories sexuelles c’est à dire sa façon d’envisager ce qui se passe entre un homme et une femme, sa façon de fantasmer la différence des sexes voire de la nier aussi bien chez la fille que chez le garçon, sa façon de se poser la question de l’énigme de la naissance bref toutes les théories construites à partir des objets de la pulsion.

(La pulsion orale concernée par l’activité sexuelle; la pulsion anale dans la naissance de l’enfant par l’anus ; la pulsion scopique : la graine va dans l’œil de maman……)

Hans est très intéressé par son wiwi-macher persuadé que c’est le lot de tous, il demande à sa mère : « As-tu un fait pipi ? »

 – « Mais oui, répond- elle ! »

A la naissance d’Hanna, il est étonné que son fait pipi est si petit mais il lui dit de ne pas s’inquiéter, qu’il va pousser !

Ce qui l’intéresse par-dessus tout à ce moment-là c’est le phallus, phallus dont l’existence organise son monde entre ceux qui en ont un, y compris sa mère et sa sœur, et ceux qui n’en ont pas, bref la chaise, la table. Le monde est divisé entre l’animé et l’inanimé.

Le mythe est un savoir qui tente de dire une vérité face à l’impossible.

Mais la naissance de la petite sœur amenée par la cigogne, va le déloger de sa place phallique par rapport à sa mère et va renforcer son angoisse d’être laissé en plan.

Il perd sa place métonymique de phallus maternel, phallus qu’elle n’a pas et n’aura jamais.

La naissance de sa petite sœur et le fait que son pénis réel entre en jeu, qu’il se masturbe, que sa mère le menace de le dire au docteur qui lui coupera, il y a là le surgissement d’un réel qui n’obéit pas aux règles du jeu imaginaire.

Freud nous dit que l’angoisse vient du refoulement de la pulsion sexuelle.

Tout cela fait qu’il passe d’une situation heureuse où il n’a aucun complexe de castration à l’angoisse puis à la phobie.

Devant les chevaux, il ne s’agit plus d’angoisse mais de peur, peur qu’ils mordent, tombent,……. Signifiant qui vaut pour beaucoup de configurations différentes.

Remarquons déjà pour annoncer la lecture lacanienne de la phobie que ce signifiant «cheval» n’est pas anodin, Hans va chercher le signifiant du professeur Freud pour se constituer sa phobie des «Pferd» (chevaux).

S’agit-il d’une détermination signifiante ou d’une détermination imaginaire? Rappelons que Freud avait offert à Hans un cheval à bascule.

(« Le signifiant symptomatique du cheval est un signifiant à tout faire » Lacan)

Nous pourrions faire les mêmes analyses pour le signifiant girafe : 

la grande girafe : le père, 

la petite girafe chiffonnée : la mère, mais aussi la mère et Hanna, le père et la mère… rappelons que le patronyme de Hans est Graf donc très proche de Giraf. Cette production de l’inconscient n’est pas sans révéler son lien de filiation.

Après ces quelques apartés lacaniennes revenons à l’analyse freudienne.

On arrive au moment où Hans rencontre Freud qui lui assène son complexe d’Œdipe. « Bien avant qu’il ne vint au monde, déjà j’avais su qu’un petit Hans naitrait un jour qui aimerait tellement sa mère qu’il serait par la suite forcé d’avoir peur de son père et je l’avais annoncé à son père. »

Certes cette interprétation est explicative mais elle utilise le futur antérieur : bien avant qu’il ne vienne au monde, le sujet était déjà là désirant dans le désir de l’autre. (bien avant…. déjà,  on est dans une structure de double boucle).

Pour Freud la phobie de Hans est produite par un conflit œdipien : l’envie de l’enfant d’être avec sa mère et la rivalité mais aussi l’amitié avec le père.

Pour Freud il y a un rapport entre le symptôme de la phobie et l’Œdipe.

Le conflit entre l’expression d’une pulsion sexuelle et le refoulement qui se produit du fait de la répression éducative est à l’origine de la névrose.

Mais Freud est dans l’erreur : Hans n’a pas affaire à un père réel qui châtre.

Le père via Freud ou Freud lui-même vont donner du sens, vont faire à Hans des interprétations explicatives au niveau imaginaire.

Lacan sera en rupture avec Freud.

Lacan va réinterpréter le texte freudien du petit Hans à la lumière de la linguistique structurale et de l’anthropologie lévi-straussienne : le mythe sera ce qui donne forme épique à la structure.

Lacan dira qu’il est très redevable à Levi Strauss, et pour comprendre comment, Lacan va faire une relecture de Freud, je vous propose de réfléchir sur le chapitre « La structure des mythes» (1955 ) dans « L’anthropologie structurale » de Levi Strauss où il aborde ce qu’il appelle la formule canonique du mythe (la relation d’objet est de 1956).

Levi Strauss va énoncer la formule canonique du mythe qui est une formule mathématique selon les différentes étapes du raisonnement en mythologie structurale se référant au paradigme linguistique et musical.

S’appuyant sur de Saussure, Levi Strauss va utiliser la méthode structurale, celle des linguistes, consistant à détacher les sons de la langue de toute signification (puisque le même son dans différentes langues peut avoir des valeurs sémantique différentes) et ne considérer la valeur des sons que par les relations qu’ils entretiennent, avec cependant la restriction que ces unités élémentaires (qu’il appelle grosses unités constitutives ou mythèmes) donc avec la restriction que ces unités élémentaires ne sont pas équivalentes aux phonèmes, morphèmes et sémantèmes. Ces mythèmes sont identifiés par l’établissement d’une fiche par phrase mythique avec pour chaque évènement un n° correspondant à sa place dans le récit. Il établit alors une cartographie comparative des différentes phrases mythiques.

(Remarquons en passant comment Lacan s’est inspiré de Levi Strauss pour parler de l’antériorité de principe du signifiant sur le signifié.)

D’ailleurs Lacan reconnaitra qu’il doit beaucoup à Levi Strauss et la notion de mythe individuel du névrosé ainsi que l’idée que l’inconscient serait structuré comme un langage viennent de son article sur « l’efficacité symbolique » que l’on peut lire dans « l’anthropologie structurale ».

Revenons au mythe. Donc si le mythe a un sens, celui-ci ne tient pas aux éléments isolés qui entrent dans leur composition mais à la manière dont ces éléments se trouvent combinés.

Le mythe utilise l’outil du discours pour se construire.

«Le mythe fait partie intégrante du langage, c’est par la parole qu’on le connait : il relève du discours. »

Venons-en maintenant au paradigme musical.

Levi Strauss se réfère alors à un modèle musical pour rendre compte de l’ordonnancement temporel c’est à dire la diachronie, le modèle linguistique étant synchronique en rappelant qu’une partition d’orchestre où chaque groupe d’instruments contribue au message total et doit être lu diachroniquement.

(Pour Levi Strauss, Wagner est le père irrécusable des mythes, son système de leitmotivs commentant musicalement l’action.)

La musique est une forme de pensée symbolique, ce qu’il énonce ainsi « la musique c’est le langage moins le sens » Levi Strauss.

Nous dirons que la combinatoire synchronique (c’est à dire les relations entre les mêmes unités élémentaires se répétant au long du mythe) et diachronique (c’est à dire la séquence temporelle de ces unités suivant le déroulement du mythe) se déchiffrent comme une partition musicale permettant d’identifier l’harmonie du mythe.

Il va interpréter le mythe d’Œdipe en concluant qu’il permet de reconnaitre que chacun de nous est réellement né de l’union d’un homme et d’une femme. Je le cite « le mythe d’Œdipe offre cet instrument logique qui permet de jeter un pont entre le problème initial à savoir : nait-on d’un seul ou bien de deux? Le problème dérivé qu’on peut formuler ainsi : le même naît-il d’un seul ou bien de deux ? »

Il n’y a pas à rechercher la version authentique du mythe mais le mythe est défini par l’ensemble de toutes les versions, de toutes les variantes.

Levi Strauss dira : « Freud sera rangé au nombre de nos sources du mythe d’Œdipe »

On soumettra l’ensemble des versions à des opérations logiques, et par simplifications successives, on en dégagera les éléments  invariants et on aboutira à la version structurale du mythe considéré.

Je le cite: « L’objet du mythe est de fournir un modèle logique pour résoudre une contradiction.»

Je vous lis sa conclusion de ce chapitre : « Peut-être découvrirons-nous un jour que la même logique est à l’œuvre dans la pensée mythique et dans la pensée scientifique et que l’homme a toujours pensé aussi bien. »

(S’agit-il d’une remise en question de la notion de progrès ?)

Nous dirons donc qu’un mythe est un récit, une histoire qui cherche à rendre compte à la fois de l’origine des choses, des êtres, et du monde, du présent et de l’avenir et simultanément à traiter les problèmes qui nous sembleraient aujourd’hui à la lumière de la pensée scientifique tout à fait différents les uns des autres, à les traiter comme s’ils étaient un seul problème et avaient une seule réponse.

Lors d’un interview à la fin de sa vie Levi Strauss définira ainsi les mythes :

« Ce sont les histoires que les gens se racontent et qu’ils considèrent comme n’ayant pas d’auteur, non pas qu’elles n’en aient pas, mais parce que ce sont des histoires qui se sont incorporées au patrimoine collectif historique du fait d’avoir été répétées et transformées au cours de ses répétitions successives et par les moyens desquels chaque société essaie de comprendre à la fois comment elle est faite, les rapports de ses membres avec le monde extérieur, et la position de l’homme dans l’ensemble de l’univers.» 

Le mythe a pour fonction d’amener une solution dans une situation en impasse, par l’articulation successive de toutes les formes d’impossibilité.

Le mythe vient répondre à une énigme : là où il y a un trou, un non savoir, le mythe prend sa place.

Quand Lacan va présenter dans « La relation d’objet » le cas du petit Hans, il ne le fait pas  seulement d’une manière synthétique qui pourrait rendre compte de la structure, mais il va s’inspirer de Levi Strauss pour montrer comment le travail de Hans s’apparente au travail qui s’effectue lors de la création d’un mythe.

Lacan veut désimaginariser la lecture de Freud du petit Hans et faire entrer la phobie dans le champ d’une syntaxe structurale.

Melman dira : «L’animal cheval est la présentification d’une absence structurale, d’une  instance là dans le réel, symbolique de ce qui à l’occasion est représenté comme ce qui mord, faute d’être représentatif de ce qui châtre et faute que ce soit l’instance paternelle qui vienne la représenter ».

Ce qui structure le travail du petit Hans, ce qui en somme le travaille véritablement, nécessiterait comme préalable la mise « en colonne » de ses bavardages, la mise en place d’une certaine forme de synchronie permettant de dégager certaines opérations logiques qui sont à la base de la pensée du petit Hans.

Le père via Freud donne des explications interprétatives, il donne du sens aux élaborations imaginaires de son fils.

Le mythe, dans l’analyse structurale relève du langage. Lacan lui n’est pas à la recherche de sens mais va proposer une pure combinatoire entre père Symbolique, père Réel, père Imaginaire.

Lacan n’aura pas recours à l’explication romanesque de la mise en place puis du déroulement de la phobie, mais à un jeu purement de structure qui annonce le maniement des nœuds. Le maniement de ces 3 ronds, I, R et S nous permet de ne pas trop nous perdre dans la lecture de ce cas imaginairement très riche mais aussi de comprendre comment Hans va-t-il faire pour nouer ces 3 ronds et trouver son assise subjective ?

Le mythe se présente comme une fiction (imaginaire), comme une résolution de l’impossible (réel), articulé a une structure discursive (symbolique).

Apres sa visite chez Freud, Hans va être submergé par une multitude de productions imaginaires que Lacan nomme des mythes. Nous assistons à la construction du «mythe individuel du petit Hans ».

Dans « Le mythe individuel du névrosé », Lacan dira : « Le mythe étant précisément ce qui peut être défini comme « donnant une formule discursive à quelque chose qui ne peut pas être transmis dans la définition de la vérité, puisque la définition de la vérité ne peut s’appuyer  sur elle-même, et c’est en tant que la parole progresse d’elle-même et par exemple dans le domaine de la vérité, qu’elle l’a constitue ».

« Elle ne peut se saisir, ni saisir ce mouvement d’accès à la vérité comme une vérité objective, elle ne peut l’exprimer que d’une façon mythique.»

Les fantasmes ne se ramènent pas tant à des thèmes qu’à des faits de langage, proximité, contiguïté, métonymie des mots, façon dont l’enfant s’approprie la langue mais aussi et toujours cette articulation du signifiant dans la construction du mythe individuel et collectif.

Les Signifiants ne doivent pas être lus indépendamment les uns des autres mais au contraire ils doivent être définis en articulation avec d’autres éléments signifiants sur le plan d’une série d’oppositions combinatoires.

Dans les productions imaginaires de Hans, il y a des signifiants constants, tels que le cheval, la voiture, le mouvement etc. mais ce qui est important est la configuration dans lesquels ils apparaissent. (Par exemple : il y a le cheval qui mord, le cheval qui tombe, le cheval attelé à une voiture… )

Précisons que Lacan considère l’objet phobique : le cheval comme un élément de langage c’est-à-dire comme un signifiant mais aussi comme une construction métonymique.

La langue allemande nous dit comment Hans a attrapé sa « bêtise » c’est à cause du cheval : « Wegen den Pferd » mais aussi des voitures,  » die Wägen « , attelées au cheval ou pas.

Wegen (Wägen) a ouvert la voie à la progression de la phobie des chevaux aux voitures.

« Wegen den Pferd » : à cause du cheval est à la fois homophone et homographe au pluriel de Wägen.

Le déplacement comme fait de langage, c’est à dire la métonymie, serait homéomorphe du cheval et de Hans.

Nous assistons à une transformation du mouvement en substitution (voiture qui démarre…)

Nous reconnaissons là, la construction des mythes.

Ces mythes qui se transforment de façon caoutchouteuse (Lacan parle de logique caoutchouteuse) sont-ils le même mythe ou y-a-t-il une progression, une coupure, c’est-à- dire que ce serait pas pareil au départ et à la fin, il y aurait une symbolisation de la castration ?

Ce qui est certain, c’est que cette élaboration mythique a produit pour Hans une résolution de la crise par le fait que l’installateur-plombier vient le lui dévisser et lui en donne un autre. 

Fin de la crise qui s’exprime  par l’avènement de la castration symbolique.

Les mythes de Hans mettent en place, permettent, la symbolisation de la castration.

Lacan utilise les 3 catégories de R S I  pour dire que le complexe de castration est la prise de l’imaginaire et du réel par le symbolique à savoir la sanction donnée par le symbolique à l’imaginaire de la représentation phallique et au réel de son pénis.

Quand Lacan parle de la logique de la cure du petit Hans, il y a d’une part :

– une tentative d’écrire les coordonnées permanentes, fondamentales.

– mais aussi de formaliser ce qui se dit dans la cure, le transitoire, le passager, il ne s’agit pas seulement de formaliser la structure.

Ce qui nous amène à dire que le travail de Lacan se fait sur la structure avec ses transformations.

Il y a pour Lacan une logique de la cure ; quand toutes les permutations sont réalisées, il y a un changement qualitatif. Dans « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud ». Lacan écrit : « Le petit Hans développe sous une forme mythique toutes les permutations possibles d’un nombre limité de signifiant.»

Ce que l’on obtient est la solution de l’impossible, à savoir que la démonstration qu’apporte la cure relève de la démonstration par l’absurde, elle se conclut par un « ce n’est pas le cas posé dans l’hypothèse ».

Il s’agit d’une transformation de l’impuissance en impossible.

La cure de Hans est un processus de symbolisation du phallus : passage du phallus imaginaire au phallus symbolique.

Rappelons que l’apparition de la phobie coïncide avec l’apparition du phallus comme réel.

La logique de la cure se confond avec l’élaboration de la métaphore paternelle (le pouvoir symbolique de son père se substitue au pouvoir imaginaire de la mère).

Hans élabore un Nom-du-Père, le symptôme viendrait-il en place de Nom-du-Père?

Pourquoi Lacan dit que la métaphore paternelle se construit de façon oblique, déviée ? 

Au lieu d’accéder au Nom-du-Père, Hans dédouble la mère entre sa propre mère et la mère du père, celle qui fait autorité, celle qui fait la loi au père.

Double mère formule de la métaphore paternelle, déviée quand il n’y a pas de forclusion du Nom-du-Père (Hans n’est pas psychotique) et quand la transmission du Nom-du-Père ne semble pas passer par le père réel.

Double mère est une invention qui permet à l’enfant une espèce de dérivation féminine du Nom-du-Père.

Avec Lacan, nous passons de la structure ternaire freudienne du complexe d’œdipe à la structure quaternaire lacanienne du schéma L.

Déjà dans le mythe individuel du névrosé, le schéma L est en gestation ainsi que dans  « Le  moi dans la théorie freudienne et dans la technique de la psychanalyse ». Lacan va tenter d’utiliser le schéma L  pour formaliser le changement de position subjective d’un point de vue clinique.

Les places sont fixes et les relations entre les places sont constantes mais les termes qui occupent ces places changent ; il y a donc une permutation des termes qui amèneront des variantes.

On repère bien ici  l’influence de Levi- Strauss sur Lacan dans sa recherche d’une élaboration structuraliste.

Le schéma L sert à présenter le circuit de la parole pour un sujet mais aussi à faire fonctionner une structure à plusieurs personnage (cf. Marc Darmon : « La reprise topologique des cinq psychanalyses »).

« Tout se passe comme si les impasses propres à la situation originelle, à savoir ce qui n’est pas résolu quelque part, se déplaçait dans un autre point « schéma L » du réseau mythique, se reproduit toujours en quelque point » Lacan : « Le mythe individuel du névrosé ».

(Dédoublement de la mère : Hans reproduit par l’attachement à sa mère, le propre attachement du père à sa propre mère.)

(Dédoublement du père : père réel et père symbolique : Freud)

Le schéma L est une première topologie de Lacan : on est dans une représentation topologique de l’inconscient.

(Décrire le schéma L avec l’axe imaginaire a-a’ traversé par l’axe symbolique a – s avec des lignes pleines et des pointillés.)

Il s’agit d’une bande de moebius avec un dessus et un dessous.

Dans cette double coupure proposée par Lacan, il y a une opposition entre une interprétation par l’équivoque et une interprétation par le sens.

Une interprétation par le sens est une interprétation phallique; l’interprétation par l’équivoque relèverait de la structure de la bande moebius qui est celle d’une coupure.

Dans la cure du petit Hans, Freud, le professeur comme l’appellera Hans est en place de pédagogue : il sait, il possède un savoir qu’il assène à Hans et, à travers le père, lui fera des interprétations au niveau du sens.

Cette unique intervention de Freud qui met en place le futur antérieur est instructive.

Pendant l’entretien, Hans dit à son père : « Pourquoi tu dis que j’aime maman, alors que c’est toi que j’aime ». Il dit aussi à son père qui affirmait ne l’avoir jamais battu : « Mais si, tu m’as battu, ça doit être vrai.»

Nous pouvons dire que Hans se situe dans le symbolique et l’énoncé freudien s’entend à deux niveaux :

– d’une part, la fonction structurante de ce dire freudien.

– d’autre part la signification qu’il engendre.

Le rêve du plombier qui vient lui en mettre un plus beau, plus grand, laisse entendre que les paroles de Freud pouvaient être entendues comme un dire, et que Freud et son père ont fini par occuper la place du mort dans le transfert, ce qui a permis à Hans de faire son bout de chemin, d’écouter son inconscient parler dans ses rêves.

Qu’est-ce que nommer veut dire?, François BENRAIS

WEB’ SEM’ du Collège de Psychiatrie

 Pour une écologie du lien social ?

Qu’est-ce que nommer veut dire ?

François Benrais

 

« Mutando »

Quelques réflexions au sujet de ce qu’implique l’action de nommer en médecine, en psychiatrie et dans la psychanalyse, mais aussi pour les personnes singulières que sont les patients, au centre des prises en charges, n’est-il pas ? 

Les réflexions qui suivent, concernent la fabrication d’un langage médical et à partir de là ce qui a pu s’ouvrir vers une découverte de l’inconscient. Un inconscient qui sera non plus celui de philosophes, mais sera celui issu d’une pratique clinique spécifique. 

L’acte de nomination n’est donc pas là à entendre au sens de nommer quelqu’un à une fonction institutionnelle. Il s’agit d’une nécessité de nommer – verbaliser dit-on aujourd’hui-  faire entendre, interpeller, au travers des temps, une quête individuelle des plus anciennes d’un savoir qui échappe et cependant resterait prometteur.  Nommer ce qu’il en est d’une quête aux fins de résoudre les troubles d’une jouissance … toujours plus interdite. 

Je commence par un banal évènement de prise de RV qui a son importance pour ce soir. 

L’année dernière ayant reçu un document incitant à une formation d’accompagnement soins et santé aux personnes trans, j’en parle à des collègues et j’apprends qu’il s’agit d’une imitation de documents plus officiels, dont nous avons l’habitude. 

Ce que j’avais reçu, était le fait d’une l’initiative d’associations militantes pour la transition sexuelle.

C’est dans ce contexte, que quelques temps après, je reçois un appel pour un rendez-vous. 

La personne me précise au préalable qu’avant même de prendre un RV, elle souhaite savoir si je suis formé pour suivre quelqu’un dans un parcours de Transition de personnes transgenre. Je répondais que j’ignorai qu’il y eu un tel enseignement, et qu’en ce sens, j’étais probablement malformé, je lui proposai cependant un entretien.

Cette personne, à la voix masculine m’a poliment remercié et décliné mon offre de RV. 

On peut rester perplexe.

Il m’avait été demandé d’exécuter un parcours de soins, pour la transition d’un genre sexuel à l’autre ! 

Il ne m’était pas demandé un entretien pour un diagnostic médical ! J’étais supposé n’avoir aucune question à poser !  

Ne sommes-nous pas  interpellé par un détournement de la pratique médicale où la nomination des choses est d’emblée destituée ? on peut se poser la question. 

Depuis longtemps nous savons que de nombreux collègues pourvoient à ces traitements. Ils ne le font qu’au nom de la liberté en leur âme et conscience, ils acceptent d’être partie prenante des enjeux qui concerne les patients, ceci reste une gageure. Ceci, souvent au nom  du droit pour chacun de disposer de son corps comme il l’entend, ce qui est plus d’ordre philosophique que médical. 

Si nous écoutons ce que les associations de ces personnes « trans » veulent nous faire entendre, ils parlent d’erreur de la nature, d’assignation à un sexe, d’une dysphorie de genre, d’une mutation qui est en cours de se faire jour dans l’humanité.

Ces choses sortent totalement de l’accoutumé d’une pratique médicale qui connait une approche différente du genre, car il est d’une vérité courante d’entendre se demander si l’on est ou pas dans le semblant dans le champ de la sexualité. 

Sommes-nous ce que nous sommes ! ? … là, dans une telle démarche un glissement est opéré, ce n’est plus « faut-il être genre » ? de quoi s’agit-il ? d’intervenir médicalement et chirurgicalement sur le fait que ce qu’on ne peut dire il faut le taire … il faut le faire.

En quoi une telle intervention serait censée changer le cours des choses, hormis le triomphe de l’autoérotisme dans un contrat offre/demande, soulagement présumé par  

Une Mane occulte, cependant qu’un prêt à porter en matière de genre pourrait s’afficher. 

De nombreuses spécialités sont convoquées dans une telle démarche.  Un film « petite fille » d’Arte a été très appréciée du Grand Public, a présenté le parcours de transition d’un enfant … Trans/Action.

À partir de quel tableau clinique, de quel diagnostic, quel syndrome  ces collègues s’autorisent-il à intervenir sans aucune consultation de la communauté scientifique ?

Ou sont les recommandations, les formations ? on en trouve aujourd’hui  à l’université de Lyon.

Dans l’immédiat, le Diktat du vécu de certains a fait loi coté adulte, mais coté enfant peut –  on parler de Diktat ? 

Si chacun a le droit de disposer de son corps, selon la loi, ceci laisserait à chacun l’espoir d’un mieux jouir… Toujours est-il que la médecine est sollicitée pour une libération de la nature sexuelle par trop binaire de l’humanité… Doit-on conclure qu’une nouvelle ère médicale s’ouvre, elle traiterait à priori de l’ineffable d’un vécu de souffrance de morale sexuelle ? 

Un traitement à partir d’un vécu, sans qu’il ait valeur de symptôme, fait depuis un temps  objet de recherches de nouvelles techniques médicales en divers domaines, sans être apparenté à une entité pathologique au seul argument d’un bien-être à venir. L’ancienne médecine fonctionne toujours.

Nouvellement, il est demandé depuis quelques décénnies, d’intervenir dans la nature même des corps vivants. Nous n’aurions plus à prescrire des soins en conséquence d’un diagnostic, mais à être des techniciens ingénieux modifiant l’ordre naturel, ceci sans aucun rôle expert à jouer sur la reconnaissance d’une pathologie, même si ces nouvelles demandes font symptôme. 

De manière déguisée, n’est-ce pas une atteinte à cette fameuse liberté de chacun à disposer de soi-même, d’autant la dite liberté ne trouverait aucun interlocuteur autre qu’un adepte prenant Pari pour une transformation pour une fiction jusque-là inconnue.

Voilà qui n’est pas sans évoquer ce qu’en pathologie, mais pas seulement en pathologie, on connait d’une fonction du transitivisme dans le langage pour ces adeptes, car la plus part du temps, ils ne soutiennent aucune cause, ils fonctionnent. 

Ces demandes seraient-elles fortement suggérées par les potentialités nouvelles de techniques de soins. 

Les progrès des technologies inventées pour soigner d’authentiques pathologies dans la nature permettent ces fictions pour de nouveau paradis.  Au-delà de l’esthétique nous avançons vers les métamorphoses, la dysphorie de genre fait déjà état d’une mutation politique d’un corps vécu comme fiction politique -J.P. Preciado-  . 

Ce vécu est-il suggéré par une science accélérée qui ne sait plus ce qu’elle veut. La Science laisse-t-elle entrevoir de possibles fonctionnalités qui dépassent celle que l’on a pu jusque-là prévoir ? Quels objectifs comportent de telles demandes. 

Il peut apparaitre à bon nombre d’entre nous que nos corps obsolètes sont rêvés par nos âmes folles de toutes sortes de passions. 

L’un de nos collègues Psychiatre vient de commettre un ouvrage de fictions de la science. Il nous alerte de la survenue possible de nouvelles pathologies en la création de nouvelles technologies. Cependant, il se refuse de parler de transhumanisme, il précise : il s’agit d’un humanisme comme un autre, pourquoi Trans ? Trans comme sibérien ? interroge-il-t-il ? cette seule remarque, est-elle le point de départ d’une recherche pour une nouvelle  pathologie … cela reste  à examiner. (5)

Manifestement, avec ce nouvel humanisme nous ne sommes pas assurés d’être débarrassé d’un attachement sentimental à nos passions tristes. 

Ce dont on ne peut parler il faut le taire … (Wittgenstein) 

Alors qu’est-ce que nommer peut dire

-Comment les choses se sont nommées en médecine ou la médecine antichambre de la psychiatrie …

On peut revenir au Cratyle de Platon : qu’est-ce qu’un signe le nommer. 

Socrate va même parler d’un corps bien plus qu’obsolète : il va parler d’un tombeau !

Cette partie du dialogue se trouve dans la suite leurs échanges, les protagonistes se demandent comment nommer  cette force qui  véhicule et maintient la nature humaine :

HERMOGÈNE : Eh bien, que dirons-nous du mot qui doit suivre ? 

SOCRATE :  Du mot corps, σμα ? 

HERMOGÈNE : Oui.

SOCRATE. Pour peu qu’on touche à sa forme actuelle, je vois à ce mot plus d’une origine. Quelques-uns appellent le corps le tombeau, σμα, de l’âme où elle serait présentement ensevelie. En outre, c’est par le corps que l’âme signifie tout ce qu’elle veut signifier ; et, à ce titre, le nom de σμα, qui veut aussi dire signe, est encore parfaitement convenable. 

Mais je crois que les disciples d’Orphée considèrent le nom de (corps)σμα, comme relatif à la peine que l’âme subit durant son séjour dans le corps en expiation de ses fautes. Ainsi cette enceinte corporelle serait comme la prison où elle est gardée, σώζεται. Le corps est donc, comme son nom le porte, sans qu’il soit besoin d’y changer aucune lettre, ce qui conserve, τ σμα[28], l’âme, jusqu’à ce qu’elle ait acquitté sa dette.

  • Ce tombeau prison de l’âme rappelle  Antigone … serait-ce pas ce Créon de Charcot neurologue qui l’y enferme ?… 

Alors on pourrait évoquer la reconnaissance de l’hystérie par Freud comme une ouverture … 

  • Mais aussi à travers les âges, cette âme chargée d’avoir à acquitter une dette ne confère-t-elle pas à l’interlocuteur, au créancier, au sorcier, au médecin, ou au prêtre, une place d’autorité et de prestige.

Si c’est le cas, la fonction de soin est donc porteuse d’une Aura de connaissance en lien avec un au-delà qui touche au sacré, aux pratiques institutionnelles en cours dans la culture propre du patient et du soignant. C’est précisément notre actuelle mise à l’épreuve matière clinique.

Ces deux dialogues montrent que l’investigation privilégiée du Logos en philosophie ne peut permettre une confusion d’avec l’acte de parole en psychanalyse, même si chez les philosophes, le dialogue est porté sur fond  d’Amour grec de beaux garçons. (Lacan, Séminaire VIII, p41, le seuil 1991).

Nommer : 

C’est l’activité d’attribuer un nom à des personnes, à des choses, à des fonctions., à des faits… 

Ajoutons ce qui n’est pas dans le dictionnaire et qui concerne l’activité clinique,  nommer c’est aussi nommer ce qui jusque-là n’a pu encore être nommé… au sens subjectif du terme.

On désigne les choses par un nom et les choses appellent un nom. 

Et il est des choses qui appelle un nom, des choses qui ne sont pas dans le dictionnaire.

 Ainsi la médecine n’a pas arrêté de faire du vocabulaire. Ainsi, fut  réalisé la nomination des pathologies, il fallut écouter, observer, examiner, il fallut un dispositif de dialogue au lit du malade, la consultation individuelle, la présentation de cette consultation individuelle en acte aux fins de l’enseignement et la transmission. Ces dispositifs inciteront par la constitution d’un dossier une transcription source de toutes les activités à visée scientifiques.  

Le façonnement, la formation scientifique de la clinique médicale à l’écoute et au lit du patient, dans ce temps de la consultation a des conséquences sur la conduite du dialogue, le patient parle, le médecin tente de s’orienter, nous devons en tirer quelques conclusions. 

La médecine moderne est née d’une émancipation  des  doctrines religieuses. Force est de constater l’on ne se débarrasse pas pour autant de cette fonction du sacré par un simple vœux. Cette émancipation est le fait du choix d’un humanisme qui commence à se développer  à la Renaissance, dans un esprit où la philosophie  place l’homme au-dessus des autres valeurs de l’époque.

Aux doctrines religieuses se substituent les méthodes expérimentales, qui privilégient les tableaux cliniques formés au lit du malade. Échapper à l’approximation et un souci d’exactitude sont de mise.

Ceci pour dire brièvement comment le corps des patients dans ses différentes parties, organes, fonctionnalités, devient en substance une matière scientifique. 

Le dialogue qui s’organise est un acte séméiologique en cours d’invention auquel le patient sera  directement convié, indirectement écarté. 

On classe, on catégorise, on ordonne les éléments recueillis, découverts par les divers examens, on les range, les redistribue et on crée un tableau qui dans sa relation ordonnée démontre une pathologie par le truchement du diagnostic, d’un syndrome -un syndrome, est ce qui ne forme pas une entité totalement cohérente.  

Que ce soit un corps mort, un corps fonctionnel, ou un corps physiologique, le corps du patient, c’est dans tous les cas un autre corps que celui que se connait le malade. 

La maladie acquérant un statut scientifique se sépare de plus de ce en plus de ce que l’intéressé en éprouve. 

Mais aussi, en conséquence, il se définit une normalité jusque-là inconnue et une physiologie se dégage. 

Notons : cette activité de nomination ne fabrique pas que du vocabulaire nouveau. À défaut d’en fabriquer, c’est le nom du médecin qui aura su faire ce truchement réalisant l’entité clinique qui consacrera la laïcité de l’acte. 

Avant l’arrivée des Acronymes, le nom propre du descripteur ratifie l’activité médicale par exemple : le trépied de Gaillard pour l’examen du pneumothorax, syndrome de Raynaud pour le nom d’un trouble vasculaire fonctionnel avéré  de l’irrigation des doigts, la maladie de Charcot pour la sclérose latérale amyotrophique est devenue la SLA.  

Sans être encore des ingénieurs, ces médecins n’étaient pas considérés comme des découvreurs au sens moderne. 

La maladie du médecin n’est pas la maladie du malade.

G. Canguilhem dans son ouvrage du Normal et du Pathologique avait même écrit :« On comprend que la médecine ait besoin d’une pathologie objective, mais une recherche qui fait évanouir son objet n’est pas objective »

Oui et même plus ! la maladie du médecin n’est toujours pas celle du malade ! elle est surtout celle des autres malades potentiels. 

Certains malades tiennent à leur maladie, d’autant que ce qui fait signe au malade n’est pas ce qui fait signe au médecin. La médecine est en ce sens l’antichambre de la psychiatrie. Le « il est malade » du médecin n’a plus rien à voir avec le consultant du médecin. La maladie est devenue un attribut médical du sujet. 

Blague : Souvenir de ce chirurgien que je devais assister et qui vient me chercher « bon voilà ce matin, j’ai un rectum…moi ne sachant pas dans quelle salle d’opération je dois  le rejoindre, répond où ça se trouve ?  Petit silence … perplexité …)

Une réduction s’opère entre signe et symptôme en médecine.

En médecine, le signe dit cette même chose qu’est précisément le symptôme. Par exemple la fièvre comme symptôme peut être rapportée à un syndrome ou à une maladie, elle entre dans la constitution de plusieurs diagnostics, entités cliniques. Elle n’est signe que comme symptôme isolé. 

Dans sa matérialité, le symptôme est bien le support indispensable au signe :

– Pas de signe sans symptôme

– tout symptôme est signe

  • Mais ce qui fait que le signe est signe n’appartient pas au symptôme mais à une activité venue d’ailleurs.

Un signe qualifié de pathognomonique en est l’exemple même, trouvé il permet de connaitre toute la temporalité de la maladie, son déroulement qui peut être annoncé au patient. Nous n’aurons pas l’équivalent en psychiatrie, en ce sens nous que nous n’avons pas en psychiatrie une physiopathologie assurée, comme nous nous la souhaite la génétique et les neurosciences, comme également Freud l’a espérée.

En conséquence :

– Tout signe n’est pas symptôme, sauf comme symptôme isolé.

– La réalité du signe recouvre et transforme le symptôme en irréalisant ce que le patient peut en dire. 

Ceci pose un sérieux problème en psychiatrie. 

Ce statut du dire du patient par ce relèvement  du symptôme en signe de …, signe de maladie aux fins d’une cohérence diagnostique, on pourrait avancer que c’est déport d’une jouissance du dire du patient … en ce qui sera celle du médecin. L’interprétation est exclusivement réservée au médecin.

Certains analystes, sensibles au fait, ont pu avancer que cette cohérence du discours médical  fabriquait une censure qui ne laissait aucune place pour le patient. (L’ordre médical, de J Clavreul) Ainsi il paraîtrait plus juste de parler de co-conséquences subjectives issues de la froide technicité mise en œuvre. La question du transfert est nécessairement écartée au cours de cette démarche scientifique sur fond d’humanisme. Problème impensable à l’époque, cette notion de transfert, elle ne sera reconnue qu’en conséquence du temps de cette aventure résolument scientifique. 

Un livre récent, Le Lambeau de Philippe Lançon (2018) est une œuvre littéraire où cette fonction du transfert est mise en évidence. L’auteur rapporte cet échange entre une chirurgienne et son patient : la chirurgienne s’explique  sur ce qu’elle va faire « – La tentation du chirurgien est d’aller le plus loin possible, de s’approcher de retouche en retouche du visage idéal. Évidemment, on n’y arrive jamais et il faut savoir s’arrêter. – C’est pareil avec un livre, lui avais-je répondu. On essaie de rapprocher celui qu’on écrit de celui qu’on imaginait, mais jamais ils ne se rejoignent, et il arrive un moment où, comme vous dites, il faut savoir arrêter. Le patient reste avec sa gueule tordue, ses cicatrices, son handicap plus ou moins réduit. Le livre reste seul avec ses imperfections, ses bavardages, ses défauts. Nous en avions banalement conclu que l’horizon n’est pas fait pour être atteint. »

Ce texte illustre ce contre espace qu’est une consultation organisant un temps réservé au silence entre ce qui se dit et ce dont on dispose.  Seul point commun à la médecine, la psychiatrie, la psychanalyse, si une pratique de consultation se veut telle vraiment. 

En médecine on apprend ainsi que savoir et vérité ne sont pas complémentaire. Mais pas seulement en médecine, c’est ce que manquait de rappeler l’ouvrage de J Clavreul.  

Une scientificité de la clinique médicale se formant, la fiction de la normalité d’un bon état physiologique a pu en son temps autoriser le développement d’une pathologie expérimentale. 

La psychiatrie n’a pas son équivalent.

À  l’inverse de la médecine somatique, en psychiatrie la recherche de l’entité clinique se concerte avec le patient, elle garde son fond d’étude avec le patient. Les patients sont de facto invités à une position énonciative qui cherche la nomination des choses. La pratique de la présentation clinique en était  le témoignage. Espérons qu’elle ne disparaitra pas au profit d’une virtualisation d’un dialogue machine conférant à la machine une compétence supposée langagière et cognitive. N’oubliions pas que le  dialogue machine serait la suppression des questionnaires et surtout des questionneurs. 

La pathologie ne vient pas des seules conclusions de l’examen médical. Les symptômes ont déjà fait irruption pour les patients. La difficulté d’une position énonciative pour le patient renvoie le médecin a établir une nosographie ou le mécanisme de l’agent provoquant la pathologie, à l’inverse de la médecine somatique, préserve au symptôme sa dimension de parole. 

La dimension de parole, c’est-à-dire ce qui est l’acte de nomination du patient. elle préserve le symptôme, le sujet qui se fait entendre se constituant par cet acte. Le patient n’est pas une entité clinique inerte irrévocable, où les symptômes sont réduits à ces objets que sont matériellement des signes. 

L’activité du médecin transformant tout symptôme en signe comme classiquement en médecine est suspendue en psychiatrie, elle n’est plus cette transformation systématique, le sujet se constituant par le symptôme, cependant non pas constitué par lui. 

On peut avoir déjà rencontré dans le champ de la psychose un patient qui énonce cette phrase pathognomonique pour le coup de ce que vous venons de développer.

« Ça commence par un vol, quelqu’un prend votre pensée et ensuite profitant de la crainte qu’il a fait naître, peut se mettre à distance et penser les mêmes choses que vous en étant dans un autre endroit, je ne suis que l’exécutant, un autre a  le képi sur la tête et peut diriger »

Cependant ce trouble se retrouve dans le champ des psychoses sans pour autant faire diagnostic différentiel. 

À ce point l’image de la médecine antichambre de la Psychiatrie a trouvé sa limite.

Les termes d’hygiène ou de santé mentale peuvent laisser rêveur, mais ils ne seront jamais exclus. En conséquence peut-être, l’intérêt pour le dire du malade sera maintenu par une insatisfaction thérapeutique, même masquée par l’adjonction des neuroleptiques. Cette fidélité du médecin à l’écoute ce dire est aujourd’hui récusée.

La personne du malade reste au centre de la prise en charge dit -on aujourd’hui au sens de l’intérêt d’une multiplicité de personnel dans les établissements, ce n’est plus l’institution éclatée c’est le transfert dys-persé. Question : cette dispersion est une dispersion également de ce qui fait sens d’un supposé savoir, en quoi cela ne ferait pas appel au bon sens d’un supposé sachant lequel sera le parieur pour votre bien être, il n’aura rien à vous refuser des merveilles de la technique !

Le DSM va à l’encontre de l’ancienne recherche clinique, il émiette les symptômes. Les catégories cliniques sont simplifiées au détriment de l’intérêt que pouvaient susciter les symptômes comme participant de tel ou tel regroupement pour une entité clinique. Pour exemple : la jalousie de l’hystérie n’est pas celle de la paranoïa. D’ailleurs, la paranoïa disparait comme entité clinique.    

Avec le DSM : fin du dialogue, fin de la présentation clinique. 

C’est la fin d’une période des plus heureuses et des plus rigoureuses de la neuropsychiatrie depuis la révolution scientifique cartésienne. Cette période est issue de la  rencontre entre des neuropsychiatres fondateurs des grandes nosographies clinique et de Freud neurologue découvreur d’un autre inconscient que celui des philosophes : un inconscient démontrant cliniquement par la découverte de la pratique analytique que les patients ne sont pas maitres dans leur demeure, dans leur soma, à l’inverse de ce que la philosophie portait à faire entendre. 

Lacan de manière concise déclarait dans un colloque à Bonneval, éminent lieu de la psychiatrie organodynamique du Dr. Henri Ey : « l’inconscient est un concept forgé sur la trace de ce qui opère pour constituer le sujet. » (Un pas de plus que Freud !) « l’inconscient  n’est pas une espèce définissant dans la réalité psychique un cercle de ce qui n’a pas l’attribut (ou la vertu) de la conscience. (P. 830 Écrits)

Si Freud n’avait pas été Neurologue, les interlocuteurs des consultations en psychiatrie n’auraient pas été là, jusqu’aujourd’hui pour interroger le savoir : ce que parler veut dire et ce que nommer engage. 

Aujourd’hui seule la psychanalyse engage la pratique d’un dialogue dont la rigueur est d’établir un écart entre la demande et la réponse.

Dans le champ de la pratique médicale Lacan alerte, porte une objection à ce matérialisme scientifique contemporain. Sa remarque est profane et séculière.

Lacan le 16 février 1966, à une table ronde du collège de médecine se tenant à la Salpêtrière, attire l’attention sur le fait que l’élévation de l’homme formalise dans le même mouvement, une exclusion de la nature sexuelle de la jouissance des corps. Citons-le « C’est en omettant  qu’un corps est quelque chose qui est fait pour jouir, jouir de soi-même que la science clinique a pu se construire. » 

Freud avait découvert dans le déchiffrage des manifestations de l’inconscient un pouvoir thérapeutique, une vérité révélant le rôle fonctionnel  de la sexualité dans la formation des symptômes. 

Dans son retour à Freud Lacan marque le pas. Si la vérité conditionne l’efficace de la cure ?  Il recentre la fonction de la Vérité dans la cure, il n’en fait pas le but.

La vérité organise les temps et les scansions de la cures.

Dans Les Écrits Lacan apportent des remarques  précises sur ce point à propos de   la Science et la Vérité. Nous trouvons  :

– qu’il nous faille admettre en cours d’analyse, de renoncer à ce que chaque vérité réponde d’un savoir.

– que nous devons renoncer à connaitre d’autres savoirs que celui de la science, quand nous avons à traiter de la pulsion épistémologique.

Que penser d’un analyste qui dirait à un patient se plaignant de ne pas dormir « vous avez des insomnies» ? ce qui nous guide c’est la vérité du dire comme appel à causer, peut-être à nommer … L’association libre y pourvoit. 

Renoncer à connaitre d’autres savoir que celui de la science ?  Cette question tient à ce que :

– Dans la Religion, « la révélation se traduit comme une dénégation de la vérité comme cause. Elle délie ce  qui fonde le sujet à s’y tenir pour partie prenante… le religieux laisse à Dieu la charge de la cause… » 

Un Dieu qu’il faut séduire, le jeu de l’amour entre par là.

– Dans la Magie. « Elle suppose un signifiant répondant comme tel au signifiant. Le signifiant dans la nature est appelé par le signifiant de l’incantation. Il est mobilisé métaphoriquement. À la chose en temps qu’elle parle répond nos objurgations » l’incantation est une réduction qui néglige le sujet, en l’assignant à une performance. 

Avec Lacan, la nomination du savoir est sous le joug de la vérité dans le registre de l’insupportable ou pas. La vérité appelle à ce que les choses se nomment, se dénomment, se surnomment. En retour si nommer appelle les choses, nommer permet indifféremment l’erreur comme la vérité.  Nommer permet aussi bien d’informer que de désinformer.  La plausibilité dans un message permet de faire passer, mensonge, vérité, elle ne remet pas en question le vrai de la nomination qui ne sera pas sans effets. La vérité si je mens !

La plausibilité est affaire de représentation, de dire. 

On peut espérer que la fin d’une cure en analyse comporte assurément la reconnaissance de l’impensable de ce qui ne se nomme pas.

La psychanalyse est cette discipline qui ne nomme pas, elle se source du trouble de la nomination : un dire qui fait que l’analyse ne consiste pas à être libéré de son symptôme mais « à ce qu’on sache pourquoi on s’y est empêtré […] de sorte que l’analyse est liée au savoir. Ça se produit du fait qu’il y a le symbolique […], le langage. (Moment de conclure séminaire du 10/1/1978.)

Savoir qu’il n’y a pas de savoir du savoir, qu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre dit Lacan, participe à la résolution du transfert. 

En conséquence, une vérité appelle à connaitre que nommer permet à la science de savoir ce qu’elle peut, sans savoir ce qu’elle veut.

Savoir ce qu’elle peut ! toujours dans l’après coup, de ce qu’elle ne pouvait pas penser vouloir… on ne trouve pas ce qu’on cherche, on trouve ! … Sauf si on passe à côté…

Ce qui est propre à chacun des patients qui découvrent qu’ils peuvent désirer sans le vouloir, ou désirer ce qu’ils ne peuvent.  

Dieu ou Diable, peut-importe. Les productions de la Science, ne savent pas ce qu’elles veulent !  La vérité de son Efficace et le Vide de son vouloir, peuvent aspirer à la réalisation d’une fiction qui soulage d’exister. 

La nouvelle médecine à pour devoir parier sur le bien-être. 

Elle fait un discours de semblant. 

La science a recours à l’usage de modèles pour savoir si ses théories sont fondées. Si le modèle ne convient pas, elle en change. 

Pourquoi parle-t-on, de sujet à propos de la science ? 

Cela ne concerne la médecine que dans la mesure où elle serait une science exacte. Pourquoi parlera-t-on de discours quand on parle de sciences exactes ? seules les statistiques les renseignent ? 

D’un point de vue subjectif on peut discerner ce qui est impossible, de ce l’on ignore, on peut vouloir ignorer.  

Ce sont des questions qui viennent aux décours de la pratique de la médecine.

La Fonction de la psychanalyse  est bien définie par cette réflexion de Winnicott, elle traite l’ignorance : notre tâche est  de s’éloigner pas à pas de l’ignorance sans qu’un but nous oriente. » Winnicott, Fear of Breakdown (1974), NRP n°11, printemps 1975, p. 35. C’est ce que nommer veut dire, ce qui interroge le courage de s’y appliquer. 

En psychanalyse comme en médecine, le dispositif de base est la consultation. C’est la rencontre de deux personnes, c’est le minimum obligé et nécessaire aux fins que se produisent dans le langage la nomination effective de quelque chose. La nomination c’est ce qui fait que subjectivement il y a un avant et un après des entretiens. Si une temporalité n’est pas scandée, on ne peut pas prétendre qu’une nomination a pu s’opérer. Ce colloque singulier dégage un contre-espace à l’espace social habituel. 

Ici l’échange, la parole, la nomination font tiers, c’est là où se situe le rapprochement, de la psychanalyse et de la médecine. 

Quelques ruptures dans le champ de la psychanalyse :

Freud prenant le parti de l’écoute, abandonnant le truchement de l’hypnose, a découvert la fonction de l’interdit de l’inceste dans la formation des symptômes.  Ultérieurement, il souhaite apporter une explication globale à l’origine des sociétés, de la religion à partir des données recueillies dans les analyses. Il souhaite donner un fondement historique au complexe d’Œdipe et à l’interdit de l’inceste. Si Freud pense que ses découvertes concourent au travail des Anthropologues, d’autres motifs cependant interviennent. 

On ne peut pas, ne pas lier cette démarche à l’influence qu’a pu avoir pour lui les débats houleux  de la  transmission de la psychanalyse qui agitaient la société psychanalytique viennoise. (1912-1913)  

Les mythes incitent, appellent au désir d’analyse, la vérité ne se dévoile pas immédiatement comme cause. Ils ne modélisent pas l’histoire, ils ne garantissent aucun sens à l’histoire. Dans une intemporalité quelque chose est dit.

Pour Freud le déchiffrage des symptômes des patients met à jour la vérité d’invariants dans la clinique analytique. La pathologie le renvoie à l’histoire des Mythes. Les patients nomment ou ils sont déjà nommés. 

« L’Esquisse » est une hypothèse sur les relations fonctionnelles de la langue parlée et du corps vivant. C’est la tentative de consacrer une physiologie du langage, bien avant l’arrivée des linguistes. 

Ce point pourrait être repris comme amorce d’une réflexion sur l’addiction à la fiction des jeux numériques pour les enfants, et de celles des adultes au dépassement de leur finitudes. La numérisation des scènes animées font verbaliser par les enfants une réponse dans un texte ainsi automatisé. Un simulacre de for-da si cher à Freud.

Remarque qui nous rapproche de ce qui a été le préalable de ce travail. Une virtualisation de l’offre et de la demande en médecine. 

Êtes-vous formé pour une Transition ?  N’est-ce point une question Lacaniste ?  Si elle avait été lacanienne, on m’aurait demandé si j’avais été formé pour une Transmission.

L’argument massue pour autoriser ce préalable est la notion d’un « ressenti » depuis l’enfance d’une erreur de la nature quant au sexe. Une correction doit être faite.

Un pari est engagé sur cette correction dont le médecin sera l’agent d’exécution du transit de genre. 

Pour les enfants, le lieu de la scène parentale animée initialise la pulsion épistémophilique, point central de la libido. C’est le lieu des excès de langage qui échappe à sa propre maitrise. C’est à partir de là, de l’inattendu de la vérité que le sujet appelle ce savoir qui en répond, ce qui donne à la fonction du transfert sa déclinaison. L’irréductible de la différence sexuelle se décline à trois, se partage à deux, la suite est la vie des groupes pour s’estampiller. C’est la découverte d’être fou d’un tour de la folie des autres. N’est donc pas fou qui veut, ni comme il le voudrait.

À propos des relations entre enfance et troubles de jouissance tels que les adultes peuvent les évoquer dans leurs analyses, le poète Jean Grosjean a pu faire une remarque essentielle. « L’enfance n’est pas le passé, elle est le présage. Elle préfigure la vie et s’entête à briser les figures dont la vie se masque » (Jean Grosjean, Clausewitz Gallimard 1987) 

Cette fera peut-être polémique pour certains analystes.

L’enfance est bien un carrefour dangereux quant à sa traversée, quant à son avenir.

En Conclusion :

À quelles réalités engagent de nommer les choses en médecine, en psychiatrie sinon de réaliser une vocation scientifique qui soutient un discours dont le savoir peut prétendre à l’universalité, un savoir dominant. 

Dans le champ de la psychanalyse ce qui se nomme reste singulier et ne peut être transmis pour tous.  Sur ce point, seule la psychiatrie dans son lien à la psychanalyse laisse une ouverture à ce qu’un savoir peut surprendre différent de ce à quoi la science et les technologies peuvent prétendre.

Mais pour cela il faut un dialogue qui institue une écoute sans préalable, ce qui ne veut pas dire une obéissance systématique aux savoirs établis, encyclopédiques.

Cette obéissance est celle que ce patient souhaitant changer de genre, convoquait à sa prise de rendez-vous chez le médecin. Ses vœux sont de changer de genre, comme on change scientifiquement de classe, à la lumière des sciences on peut se faire classer trans classe … 

Changer de groupe est possible. C’est une liberté délibérément délirante, elle reste une affaire singulière, c’est pourquoi j’avais maintenu l’idée d’un rendez-vous.

Sans être Parieur, Adepte, on peut se sentir motivé à se coltiner ce type d’appel après la remarque que Lacan a pu faire d’une psychose sociale d’une psychose sociale qui ne préjuge en rien d’un diagnostic de psychose, ou autre pathologie dans le cas singulier d’un patient.

Je cite : 

« Aussi bien du même belvédère où nous a porté la subjectivité délirante, nous tournerons-nous aussi vers la subjectivité scientifique : nous voulons dire celle que le savant à l’œuvre dans la science, partage avec l’homme de la civilisation qui la supporte. Nous ne nierons pas qu’au point du monde où nous résidons, nous en avons vu assez là-dessus, pour nous interroger sur les critères par où l’homme d’un discours sur la liberté qu’il faut bien qualifier de délirant (nous y avons consacré un de nos séminaires), d’un concept du réel où le déterminisme n’est qu’un alibi, vite angoissant si l’on tente d’en étendre le champ au hasard (nous l’avons fait éprouver à notre auditoire dans une expérience test), d’une croyance qui le rassemble pour la moitié au moins de l’univers sous le symbole du père Noël (ce qui ne peut échapper à personne), nous détournerait de le situer, par une analogie légitime, dans la catégorie de la psychose sociale, – pour l’instauration de laquelle Pascal, si nous ne nous trompons pas, nous aurait précédé.

(p 576 des Écrits)

 

WEB SEM FEVRIER 2024, argument

WEB’ SEM’ du Collège de Psychiatrie

Pour une écologie du lien social ?

DÉSIR MIMÉTIQUE ET DÉSIR DU DÉSIR DE L’AUTRE :

LE SACRÉ COMME LIMITATION) DE LA VIOLENCE

« L’amitié est cette coïncidence parfaite de deux désirs. Mais l’envie et la jalousie ne sont pas autre

chose. La mimesis du désir est à la fois le ressort de ce que l’amitié offre de meilleur et de ce que la

haine a de pire »

René GIRARD

——————————

Nous vous proposons notre lecture des concepts du désir mimétique, du bouc émissaire et du sacré

dans la société, tels que René Girard les a dépliés dans une œuvre considérable.

Par Renée KALFON et Emeline FITOUSSI

Voici les exposés :



DÉSIR MIMÉTIQUE ET DÉSIR DU DÉSIR DE L’AUTRE : LE SACRÉ COMME L(IMITATION) DE LA VIOLENCE Emeline FITOUSSI

WEB’ SEM’ du Collège de Psychiatrie

Pour une écologie du lien social ?

DÉSIR MIMÉTIQUE ET DÉSIR DU DÉSIR DE L’AUTRE :

LE SACRÉ COMME L(IMITATION) DE LA VIOLENCE

Emeline FITOUSSI

« L’amitié est cette coïncidence parfaite de deux désirs. Mais l’envie et la jalousie ne sont pas autre chose. La mimesis du désir est à la fois le ressort de ce que l’amitié offre de meilleur et de ce que la haine a de pire »

René GIRARD 

Nous vous proposons notre lecture des concepts du désir mimétique, du bouc émissaire et du sacré dans la société, tels que René Girard les a dépliés dans une œuvre considérable.

Bref Contexte des années 60

  • Un climat de déconstruction du langage et du désir.
  • René Girard pense un chemin via le désir vers le réel.
  • Affirme que le langage a des effets dans le réel.

À la lecture et à la découverte des écrits de René Girard, il m’a semblé important de rebondir sur certains aspects de notre clinique ainsi que certains concepts qui les accompagnent. Ces articulations visent à rendre davantage concret les théories du désir mimétique et du bouc-émissaire en faisant des liens avec notre pratique.

QU’EST-CE QUE LE LANGAGE POUR RENÉ GIRARD ? : « DIRE OU NE PAS DIRE »

René Girard va étudier le désir romanesque à travers les grands romans de la littérature française. Il se questionnera sur la nature et les fonctions du langage.

Pour René Girard le langage prend place dans la discontinuité entre la nature et la culture, faille où émerge alors une pensée symbolique qui vient représenter le réel. Il s’agit pour lui d’une grande différence qui s’établit entre l’animalité et l’humanité. Aussi, dira-t-il : « Le langage en dit toujours trop et pas assez. ».

Dans son étude du désir romanesque une question va s’imposer à lui : « dire ou ne pas dire ? ». En effet, pour René Girard, si l’amour se résume à désirer dans sa totalité d’être l’autre, alors si l’autre avoue être amoureux il deviendra moins désirable. Le langage a donc d’après lui des effets dans le réel !

DÉSIR MIMÉTIQUE

Le désir mimétique de René Girard agit au-delà de la volonté des individus. C’est un phénomène qui dépasse la subjectivité, cette théorie décrit une forme d’aliénation. Or, René Girard n’est pas sans connaitre ni sans admettre la découverte de l’inconscient freudien puisqu’il place de lui-même son oeuvre comme 4e « grande vexation infligée par la science à l’amour propre de l’humanité », classement que Freud a précisé dans son « Introduction à la psychanalyse » au sein de la dix-huitième conférence. 

Freud précisant alors que la découverte de Copernic fût une première grande vexation puisque la terre n’est pas au centre de l’univers, que la découverte de Darwin au sujet de la théorie de l’évolution en fût la deuxième puisque l’homme voit désormais sa descendance du règne animal avec un caractère ineffaçable de sa nature bestiale, et que sa propre découverte de l’inconscient en fût « LA troisième », « la plus cuisante », que doit subir la mégalomanie humaine du fait que « le Moi n’est pas maître dans sa propre maison ».

René Girard s’inscrit alors dans cette continuité en affirmant une quatrième vexation à l’amour propre de l’humanité, en disant que « le Moi n’a pas de maison ». 

René Girard conteste fortement l’autonomie du sujet, tout en opposant à la théorie freudienne du désir objectale (dans laquelle l’enfant a un désir premier pour sa mère) un désir triangulaire (via lequel le sujet désire ce que l’autre désire) (Le sujet – l’objet – l’autre).

LA MÉDIATION DOUBLE

Pour René Girard, l’homme se définit par un manque d’être, ce qui le met en relation avec son entourage. Mais aussi pour combler ce manque d’être, l’émergence du désir va conduire le sujet à prendre possession d’autrui, car l’humain désire à travers l’autre. René Girard parle alors de « rivalité réelle » avec l’autre, et ainsi de l’émergence des conflits et de la violence. Le manque d’être serait selon l’auteur comblée par la destruction d’autrui.

Aussi le sujet désire ce que l’autre désire, et en retour l’autre désire encore plus. Cette escalade de jouissance fait dire à René Girard que « le désir est métaphysique ».

Il précisera également que chacun pense être le seul à être la victime de ce manque d’être et du désir mimétique qui l’accompagne.

René Girard quitte alors l’analyse du roman et du désir romanesque, pour étudier l’anthropologie afin de rendre universelle la théorie du désir mimétique. L’anthropologie est pour René Girard un accès au réel.

DÉCOUVERTE DU SACRIFICE

Le sacrifice agit au départ comme un mystère.

René Girard repère une première lecture des anthropologues qui indique qu’il est criminel de tuer une victime mais que la victime devient à ce moment là, sacrée, parce qu’on la tue.

Le sacrifice sera par la suite interprété par René Girard comme une « substitution », après avoir lu certains travaux de Conrad Lorenz au sujet de la mise à mort d’animaux au sein d’une même espèce. En éthologie, ce phénomène de combat mortel porte le nom de « substitution » pour décrire l’effet du déplacement d’un mécanisme à l’autre, ce qui met sur la voie René Girard pour découvrir une lecture nouvelle des sacrifices qu’ils découvrent dans les textes bibliques, dans les mythes et dans les travaux d’anthropologues.

Pour René Girard, les sacrifices viennent border, limiter les violences qui prennent racine dans le désir mimétique. Et lorsque la violence n’est plus canalisée, par cette expérience sacrée, la violence se retourne contre la communauté. (Cf – Expérience des poissons : si on retire de l’aquarium les poissons intrus contre lesquels les poissons dominants se battent alors les poissons dominants dévorent les poissons de leur propre espèce).

Aussi, chez René Girard le sacrifice met en lumière un phénomène de méconnaissance qui est pour lui le mélange d’un savoir et d’une ignorance. 

Pris par les effets du sacré, le sujet ne peut pas avoir accès au contenu manifeste du déplacement sur lequel est fondé le sacrifice, c’est la partie ignorante de l’individu.

(Cf – ex : Un homme rentre à la maison encore vexé par son patron, et frappe le chien qui passe là. L’homme n’est pas conscient du sacrifice en cours.)

Dans ses explications René Girard le formule autrement, évinçant toute subjectivité à l’œuvre : « Tant qu’il demeure vivant le sacrifice ne peut pas rendre manifeste le déplacement sur lequel il est fondé. »

Mais aussi le sacrifice est un savoir : « le sacrifice ne doit oublier complètement ni l’objet originel ni le glissement qui fait passer cet objet à la victime réelle » sans quoi il n’y aurait plus d’effet de substitution et le sacrifice perdrait de son efficacité.

Et si le sacrifice n’est plus opérant, la dimension du sacré s’effondre et laisse place à la vengeance et la destruction de la communauté. Ce qui amène nécessairement d’après René Girard à la mise en place d’une victime émissaire, comme solution d’apaisement, comme évènement permettant une réconciliation dans la société en souffrance. 

D’après René Girard, la mise en place du mythe par la société va permettre de raconter l’histoire du sacrifice, toujours articulée avec une part de méconnaissance. Ainsi, « le mythe à la fois dit et ne dit pas ». 

Le rituel est lui une répétition de ce qu’il s’est produit dans le passé, tout en ayant la volonté de ne pas aboutir aux mêmes conséquences.

LES INTERDITS

Exemple de l’interdit de l’inceste, du sang etc…

Voici un bref résumé des travaux de René Girard qu’il approfondit avec de multiples exemples issus des mythes mais aussi de situations plus contemporaines.

À partir de ces travaux, j’ai souhaité mettre en avant quelques concepts qui éclairent notre clinique pour les faire raisonner avec les théories de René Girard.

Le désir mimétique et la médiation du double m’ont fait associer vers le concept du transitivisme, qui a été déplié notamment par Jean Bergès et Gabriel Balbo dans leur ouvrage « Jeu des places de la mère et de l’enfant ». Le transitivisme étant un processus qui introduit le sujet à un objet complémentaire, comme nous l’expérimentons avec le verbe transitif et le complément d’objet qu’il met en place. Ainsi l’action passe, transitive, du sujet à l’objet. (Ex : L’enfant boit son lait.) Dans cet ouvrage, et en parallèle avec le désir mimétique et la médiation du double, il est intéressant de souligner la façon dont la « mère » introduit l’enfant à cette transitivité. Le petit sujet, grâce à l’adulte maternant, va pouvoir prendre conscience qu’un objet existe, ainsi les premiers cris vont pouvoir se transformer en demande. Par une double identification, d’une part l’adulte va faire une lecture des manifestations de son enfant tout en supposant une raison d’être, un objet, et d’autre part l’enfant va s’identifier à l’adulte tout en apprenant à formuler les demandes concernant cet objet. Cette mise en jeu des affects deviendra  au fil du temps symbolique. (Ex – un enfant tombe, un autre ayant vu la scène pleure – un peu plus grand, l’autre enfant exprimera de la compassion à la place des pleurs en disant « aïe ».) Le transitivisme de par sa structure a un effet apaisant dans le lien social, d’après les auteurs, il civilise, en passant par la parole, le masochisme du sujet à l’égard de l’autre envié. Ce qui est dit, articuler par le sujet, vient alors rendre compte de la souffrance de l’autre, mais avant cela le sujet doit pouvoir lui suggérer une souffrance. 

Aussi, les auteurs soulignent que la violence pourrait bien s’originer d’un transitivisme sans parole.

Des effets de jalousie sont bien visibles dans l’œuvre de René Girard, car ce que le sujet reconnait comme désirable correspond à l’envie d’obtenir ce que l’autre possède. Christiane Lacôte-Destribats dans l’article « Sur la jalousie, ou comment la jalousie ne fait plus son roman » précise les impasses que nous rencontrons aujourd’hui lorsque l’intelligence de la jalousie ne se fait plus entendre. « Aujourd’hui la jalousie avance masquée et sans but, sans trop savoir quel en est l’objet tant la bataille des rivalités est bruyante et générale. » Or « la jalousie tentait d’introduire le roman, le récit. (…) on détaillait toutes les facettes de l’objet haï et toutes les occurrences des rencontres possibles avec cet objet. » Une jalousie qui pouvait parfois s’inscrire sur plusieurs générations, comme une forme de mémoire, dans un climat de rivalité interminable à travers laquelle la vengeance pouvait introduire une dimension tragique.

Aussi, les travaux de Freud à propos de la contagion hystérique permettent d’apercevoir un moment de bascule entre la question de l’imitation et la question de l’identification. En effet, en étudiant la psychopathologie de la vie collective, Freud a extrait de ses observations des manifestations de contagion hystérique. La répétition d’un symptôme par un ensemble de personnes était à l’origine considérée comme une forme de mimétisme. Or Freud, par ce biais, a introduit le concept d’identification afin d’expliquer autrement ce phénomène, et par la même a placé le sujet et son histoire au coeur de cette symptomatologie.

« Mais quel est le sens de l’identification hystérique ? Pour éclairer la chose il faut un exposé plus approfondi. L’identification est un facteur extrêmement important dans le mécanisme des symptômes hystériques. Par cette voie les patientes parviennent à exprimer dans leurs symptômes des expériences vécues d’une grande série de personnes, et pas celles seulement qui leur sont propres, à souffrir en quelque sorte pour toute une foule de personnes et à jouer, par leurs seuls moyens personnels, tous les rôles d’un drame. On va m’objecter que c’est là l’imitation hystérique bien connue : la capacité des hystériques à imiter tous les symptômes qui les impressionnent chez les autres, pour ainsi dire d’une compassion en quelque sorte élevée jusqu’à la reproduction. Mais ceci, c’est-à-dire l’imitation, ne fait qu’indiquer le parcours, la voie que parcourt le processus psychique dans l’imitation hystérique. Une chose est la voie, autre chose est l’acte psychique qui empreinte cette voie. » Nous dit Freud dans la Traumdeutung. Il insistera en témoignant que les conversations entres les patientes prennent une part importante et définissent les enjeux identificatoires, le langage devient non seulement le véhicule du vécu du sujet, ce qui permet de s’exprimer, mais aussi la matière, ce qui constitue les symptômes.

AUJOURD’HUI

Voici une énumération de questions contemporaines qu’il serait intéressant de croiser avec la lecture de René Girard.

° Comment se constitue la féminité via les identifications multiples?

° Quels seraient dans notre monde actuel les effets du même?

° Qu’en est-il du statut du bouc émissaire aujourd’hui, et de sa fonction?

° Les actes d’automutilation et les cicatrices qui en résulte évoqueraient-elles l’écriture d’un sacrifice?

« Une introduction à la pensée de René Girard » par Renée Kalfon (Février 2024)

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 Pour une écologie du lien social ?

Une introduction à la pensée de René Girard

 Renée Kalfon

 

René Girard né en 1923 meurt en novembre 2015 juste avant la tuerie du Bataclan et la recherche des terroristes tout près de la Basilique Saint Denis. Cette coïncidence est troublante dès lors que la violence et le sacré constituent la trame de son œuvre.

Tout juste sorti à 24 ans de l’école des Chartes, il part aux États-Unis, fuyant une Europe dévastée par la violence de la 2e guerre mondiale et terrifiée par les effets des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki.

Il accomplit à Baltimore et à Stanford l’ensemble de sa carrière non sans venir en Europe transmettre son précieux enseignement. Il entre à l’Académie Française. Un grand nombre d’entretiens radiophoniques et télévisés et d’articles de presse lui sont dédiés.

Un colloque à CERISY lui est consacré en 1983.
Il enseigne à ses débuts la littérature et nous lui devons une 1ère publication : « mensonges romantiques et vérité romanesque » où il met à mal les héros chevaleresques entre autres. (Sancho désire ce que désire Don Quichotte ou encore dans « le rouge et le noir » les rivalités entre les bourgeois que sont Rénal et Valenod sont exacerbées devant les services de Julien Sorel jouant les amoureux de Mathilde).

Selon lui dans le mensonge romantique les héros sont toujours manipulés par le désir de l’autre : le héros désire le désir de l’autre.

Cela constitue la première fondation de sa théorie mimétique (de l’imitation) et ce cheminement le conduit à publier en 1972 son 1er écrit sur la vérité mimétique. Il avait en 1968 retrouvé l’anthropologie et le désir mimétique avec la découverte du sacrifice. N’oublions pas la célébrité de Claude Levi-Strauss.

 
La vérité mimétique selon René Girard
 

Le désir est métaphysique, il correspond à un manque d’être à combler et qui nous met en relation avec autrui et aboutit à la destruction d’autrui.

Il cite Jean-Paul Sartre « Chacun se croit seul c’est ça l’enfer ». L’homme n’a pas de désir propre, le désir est triangulaire médiatisé par le truchement d’un tiers = celui qui le désire est à mes côtés, nous l’associons à une pulsion cannibale, nous imitons l’autre pour s’approprier ce qu’il possède et à travers cela s’approprier son être propre et ses attributs. C’est donc un désir d’appropriation réciproque de nature ontologique puisque « tout désir est désir d’être » écrit René Girard qui se distingue de la théorie Hégélienne basée sur la reconnaissance.

Le désir mimétique ne vise pas l’appropriation d’objets mais toujours en fonction d’une détermination sociale i.e fonction d’un tiers déjà pourvu d’un prestige (par la possession de biens, de ressources intellectuelles ou physiques dans une configuration triangulaire : l’autre est modèle, médiateur).

Cf. imitation très précoce des nourrissons, plus tard apprendra de son ou ses modèles mais interviendra aussi la rivalité. Avec Freud il soutiendra que si le modèle est bon l’imitant le suivra jusqu’à l’étincelle de la création autre. René Girard dira que ce mimétisme existe tant chez l’animal que chez l’humain par inachèvement des apprentissages plus important chez l’humain.

« Si les hommes tout à coup cessaient d’imiter toutes les formes culturelles s’évanouiraient ».
Cette mimésis d’apprentissage sans objet à priori sert de support au désir mimétique à partir duquel va se construire l’implacable logique de la rivalité entre les protagonistes : « le désir est celui d’un individu que nous prenons pour modele parce que nous l’admirons, parce que tout le monde l’admire ».

 
La violence essentielle est fondatrice.
 

Retenons que le concept d’imitation désigne deux conduites opposées et co-présentes chez l’imitant (b) exclu et rappelons-nous le MANQUE de l’imitant qui ne peut disparaître que par l’appropriation d’un objet qui lui confère un prestige à (b) qui commande un acte d’exclusion; cet objet est un talisman. Celui qui est imité dispose dès lors d’une autonomie de son propre désir et de la possession de son objet, il doit magiquement devenir un modèle en rejetant le modèle de celui qui l’imite ça rejoint le phénomène du double bind i.e le phénomène d’identification inclut contradictoirement le principe de non identification.

L’imitant échappe à la contradiction entre (a) et (b) dont il ignore qu’elle dérive du désir mimétique lui même et non de l’objet ou de la valeur intrinsèque du modèle, qui devient IDOLE et c’est parce qu’il m’obsède que je désire le même objet que lui a. Le conflit des différences s’origine toujours par la perte des différences, l’identité redoute la perte des différences. Rappelons que la justice selon Sigmund Freud provient de l’égalité La première société sera celle qui accepte le principe d’égalité. René Girard féru de recherches bibliques soutient que l’univers biblique voudrait échapper à cette loi de la différence, au désir et à la rivalité mimétique : nous redoutons, dit-il, les identités ennemies parce que nous avons peur, les cultures échangent tout, elles meurent toutes : ce qui déclenche les rivalités dans ce rapprochement apocalyptique, elles se punissent dans un mouvement cyclique.

Et par la même ce souci de l’autre débouche sur la violence et cette violence réciproque entre deux rivaux laisse la place à la VIOLENCE unanime contre une victime ÉMISSAIRE, victime de tous et forcément arbitraire, coupable de tout et en même temps salvatrice, mais qui est selon René Girard fondatrice des INSTITUTIONS HUMAINES mais n’est pas pour autant fondatrice des RELATIONS HUMAINES.

René Girard en arrive à parler du DON comme CONTRAIRE À LA VIOLENCE de la HAINE toutes ces choses cachées qu’il veut révéler à la conscience humaine.

Déjà la logique de l’ÉGALITÉ engendre la RIVALITÉ qui engendre la VIOLENCE. Elle se propage beaucoup plus au sein des classes dominantes plus sensibles aux logiques de prestige que d’autres groupes sociaux.

Ce qui fonctionne comme une inversion apparente de la conception du DON chez Mauss. Les imitants prennent au lieu de donner cette posture traverse tous les champs de la vie sociale tant celle archaïque que celle contemporaine.

Elle s’étend telle une contagion et peut s’intensifier et conduire au déploiement de la violence. Il en découle un rapport de violence asymétrique sur la base d’une mimésis inversée dans laquelle des rivaux identiques imitent réciproquement leur désir de vengeance polarisé sur un individu qui devient la victime expiatoire ÉMISSAIRE = RÉIFICATION DE LA VIOLENCE COLLECTIVE D’UN GROUPE PACIFIÉ PAR LA RÉSORBTION DE LA CRISE (Ex : le film « M le maudit » où la pègre se joint à la police pour chercher un grand criminel).

 

 
Ce mécanisme victimaire est à l’origine de tout ordre social.
 

ÉMERGENCE DU SACRÉ : Le sacré est dans les temps archaïques équivalent d’impur, consacré aux divinités, aux dieux, vénéré, saint et maudit;  on ne peut toucher le sacré sans souiller ou être souillé.

Il nous amène à la notion de SACRÉ COMME ARTICULATION DE DEUX VIOLENCES DANS LE RITE SACRIFICIEL ET DANS TOUT CE QUI LUI EST ATTENANT AU SEIN DE LA GÉOGRAPHIE SOCIALE

La victime de tous contre tous est un individu innocent sur lequel on va faire retomber tous les torts des autres, la responsabilité collective qu’on lui impute. Un bouc émissaire célèbre, Dreyfus, sur qui rejaillit toute la haine éprouvée contre les juifs. La victime expiatoire paye pour les autres. Rappelons le rite hébraïque mentionné dans la bible : des sacrifices d’enfants ont existé jusqu’à la modification avec Abraham qui est enjoint de sauver son fils en sacrifiant un bouc sur la tête duquel le prêtre posait ses mains. Ainsi les pêchés commis par les juifs étaient transmis à l’animal.

René Girard en fait un système interprétatif global visant à expliquer le fonctionnement et le développement des sociétés humaines.

Le sacrifice permet à la fois de libérer l’agressivité collective et de ressouder la communauté autour de la paix retrouvée.

La victime se voit divinisée pour avoir ramené la paix tout à la fois comme responsable de la crise tout autant que auteur de ce miracle de la sérénité retrouvée, Elle devient sacrée, elle se voit divinisée pour avoir ramené la paix. La collectivité se réconcilie sur le dos de la victime ou bouc émissaire.

Elle invente des rituels de reproduction des sacrifices dans le calme mais aussi des interdits dont l’inceste devenu universel.

« Le sacré c’est la violence » car nait de lui la volonté d’éradiquer la violence.

Il cite la violence intestine originelle qui aurait accouché du sacré, placé dans le bouc émissaire sacrifié pour ressouder les communautés.

Il définit la guerre comme paradoxalement vouée à maitriser la violence, à l’instar de Plutarque qui remarquait qu’elle était le meilleur moyen d’éteindre les querelles intérieures et de retremper la légitimité des dirigeants politiques dans des circonstances neuves.

Si Levi-Strauss affirmait que la violence se fait discrète dans les mythes, René Girard dit qu’elle revient sans arrêt.

Il s’oppose aux idées rousseauistes selon lesquelles l’homme est bon par nature, citant l’exemple des Aztèques qui procédaient à des sacrifices humains, l’anthropologie les justifiant par la construction d’une construction sociale, et donne des exemples de monarchies sacrées en AFRIQUE où l’on fait au roi tout ce qui est détestable en en faisant une victime en attente domestication des animaux : les hommes vont chercher des

anomaux pour qu’ils leur ressemblent quand on va les immoler
l’origine du langage les règles qui nous régissent viennent de la violence

le langage articulé viendrait de la sidération de la communauté devant une immolation et qui découvrirait ainsi la notion de dedans et dehors en identifiant une différence.

En 1972-1973 René Girard est considéré comme blasphématoire de Levi Strauss, et anti scientifique et une polémique perdure chez les intellectuels.

Il y répond qu’il intègre seulement les concepts anthropologiques du 19e et 20e siècle « vous êtes sorti de la science». À quoi il répond, je suis le 1er à avoir formulé une théorie athée du religieux.

Il conçoit le sacrifice comme une relation entre les hommes et les dieux, que les hommes se sont mis à croire aux dieux en raison de la violence faite aux victimes « cette victime est dotée de pouvoirs magiques.»

La religion nous parle de quelque chose de réel. Il combat la discontinuité entre l’archaïque et le moderne.

Il ajoute réconcilier la science et la pensée religieuse : « c’est ce qui nous met en route vers le réel « un humaniste prend au sérieux ce que les vestiges archéologiques nous disent.»

Chrétien sincère, apologète du christianisme, il dira que le Christ n’est pas une victime, il se sacrifie par la révélation c’est à dire le verbe.

La révélation étant dans l’apocalypse le versant opposé à la prédiction de la catastrophe.

« Je cherche à montrer que le monde actuel est impensable sans le christianisme »

Il ajoute : « la pensée apocalyptique n’est pas un fatalisme » et il évoque la résistance des dreyfusards et notamment celle de Peguy. 

« Parce que je suis apocalyptique, je refuse toute forme de providentialisme : il faut se battre jusqu’au bout même si l’on pense qu’il s’agit d’une vaine tentative.» 

Et pour la fin de cette approche de l’oeuvre de René Girard, gageons qu’il ne serait pas contre cette ultime parole de Mitsak Manouchian le 23 février 1944.

« Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps »

Frédéric Scheffler « Du(r) transfert chez un psy/causant »

JOURNÉE DU COLLÈGE DE PSYCHIATRIE

JANVIER 2024

À partir de la lettre ouverte de D.P. SCHREBER,

la question du transfert dans la psychose.

 

Du(R) transfert chez un psy/causant

Frédéric Scheffler

 

Quelques jours avant la fin décembre, j’ai été contacté par une de nos collègues qui m’a demandé d’intervenir, lors de cette journée sur le transfert. 

J’ai accepté. Mais j’ai été pris au dépourvu car il fallait que je donne un titre pour cette présentation plutôt rapidement.

J’ai essayé de répondre le mieux possible à la demande et finalement j’ai proposé comme ça me venait, d’où ce titre :

Du(R) transfert chez un psy/causant.

Ce titre, il est écrit, peut-être aussi dessiné, comme la formule du fantasme, mais inversé, écrit à l’envers : (a)

A entre parenthèse poinçon S barré : 

les parenthèses sont autour de la lettre R, la barre sépare psy et causant.

C’est comme une sorte de métaphore dessinée, de signes de la formule du fantasme. 

Les parenthèses représentant petit a entre parenthèses, le mot « transfert » le poinçon et psy trait causant, le sujet barré.

Tout ça pour dire que mon sujet, il est venu par la suite.

Ça a été un peu labyrinthique, l’idée de ce que je vais vous proposer.

Cette question du transfert, si on lit un peu, c’est une véritable constellation, on s’y perd. 

Mais si Je me permet de reprendre de façon analogique ce terme de constellation à TOSQUELLES, c’est que finalement lui et Jean OURY ont quand même pas mal travaillé dessus dans leurs institutions.

Je me suis quand même basé sur deux propositions,  celle de Lacan qui nous dit que le transfert en tant que désir de savoir et la résistance sont du côté de l’analyste. Et celle de Czermak qui indique le caractère irrésistible du transfert avec un psychotique.

Alors, aujourd’hui, je voulais évoquer avec vous une question qui m’est apparue lors d’entretiens avec un patient en institution, c’est celle-ci :

 Il y-a-t-il des éléments circonstanciels qui empêchent de mettre en place ou de préserver une relation, établie sur l’écoute, de nature transférentielle avec un patient. 

Alors le sujet de mon propos c’est à partir des paroles, de ce que me dit un jeune homme d’une vingtaine d’années, qui présente une psychose.

Une véritable psychose avec des hallucinations acoustico-verbales insultantes et un phénomène de télépathie.

Il vient me voir régulièrement sur le centre médico psychologique où je travaille.

Ces entretiens sont parfois entrecoupés d’absences, des solutions de continuité, et nous nous retrouvons dans les suites d’hospitalisations souvent courtes, la dernière a duré moins de 48 heures.

Nos séparations ont été motivées par ses expériences singulières le mettant parfois en danger.

Il a par exemple été retrouvé en hypothermie au bord d’une rivière en plein hiver, ou alors une autre fois, il a été amené, par la gendarmerie, à la suite d’une rixe car il s’essayait à la pratique du naturisme dans son village.

Ce patient, il me parle, je lui parle aussi. J’ai envie de vous dire nous psy-causons. 

C’est surtout lui qui cause en fait, et de premier abord, je pourrais vous dire qu’il a causé les entretiens par son comportement, comportement qui lui ont valu une mesure de soin sous contrainte,  mais surtout il cause de son corps, essentiellement, et il est très difficile de lui faire évoquer autre chose.

Il pense que son corps est encombré, il parle de cette chose dans son corps comme une chose en trop, il la place dans ses intestins, parfois à d’autres endroits, derrière son front à l’intérieur de sa tête, sous sa peau. 

En fait, ce qui vient me dire ce n’est pas la cause, ce qu’il vient faire c’est d’essayer de me convaincre que les méthodes qu’il utilise pour se soigner lui-même sont moins nocives et plus bienveillantes que celle que je pourrais proposer. Ces méthodes sont d’inspiration végane, naturopathe, énergéticienne, méditative. Il s’inspire sur Internet, mais aussi de la culture maternelle.

Alors durant ces entretiens, je dialogue avec lui, il accepte parfois mes remarques, souvent de façon éphémère, il raisonne avec ses arguments.

De temps en temps je me permets de lui proposer des éléments de savoir médical. 

Ce type de connaissances, il ne le supporte pas, il les remet de façon systématique en cause.

Avec lui il m’est Impossible et pour d’autres d’ailleurs de lui opposer la moindre connaissance médicale ou psychiatrique. 

Le premier effet c’est quand même un effet de destitution. 

Avec lui ce ne peut être qu’une relation de bugne à bugne, avec un alter ego, je me cantonne à cette place de petit autre.

Je trouve que ce n’est pas si mal, cette destitution, le transfert chez un psychotique ne se soutient pas du sujet supposé savoir, mais d’une certitude que quelqu’un sait,  il n’y a pas de supposition, et qu’avec ce patient, il y a en tout cas cette certitude, c’est que je ne sais pas.

Cette position, se rapproche en tous les cas de celle de Nebenmesch.

Position que Nicolas DISSEZ dans son article intitulé « quelques propositions concernant l’espace de transfert » évoque.

Il parle de cette destitution que le praticien pourrait consentir à assumer.

Il prend exemple sur l’ironie psychotique, faisant chuter le praticien de ses titres, (dans mon cas, de mon savoir) et à le destituer de façon itérative de sa fonction, il interroge la possibilité que cette opération ne constitue l’occasion, pour le praticien, de répondre d’une place de prochain, de Nebenmesch.

Cette position n’est pas si mauvaise, à le considérer comme un prochain, me faisant finalement faire route auprès de lui, en prêtant attention qu’il ne chute pas trop. 

Mais il y a eu une drôle de chose qui s’est passée avec ce patient à la suite d’un de ses propos, il dit « c’est mon corps, je sais ce qui est bon ou pas, vous, vous ne pouvez pas savoir »

Quand il m’a dit cela, je me suis bien dit qu’il n’avait pas tout à fait raison, que j’en savais quand même un petit peu.

Mais ces trois mots, « C’est mon corps », ont entrainé quelque chose d’un peu fou, comme le signe d’une autre logique que celle d’être son prochain, en ce sens que je me suis senti impuissant pour aller le sauver s’il se noyait. Je ne me sentais en aucun cas pouvoir le forcer à être protégé.

Je me suis retrouvé dans une sorte de dysharmonie éthique, qui de mon côté a été prise dans un discours courant, « c’est mon corps, c’est mon choix, c’est mon droit ».

C’est ce point-là, de résistance, résistance de mon côté, qui je crois m’a mis en difficulté, avec ce patient.

Ça m’a fait comme un signe, je l’ai cru : c’était son corps donc son choix, je ne pouvais plus arrêter cette jouissance même si elle m’apparaissait trop mortifère, au-delà du supportable.

Ça a fait l’effet de suspension d’un certain bon sens. Une sorte de point de croisement entre deux discours, je vais le dire comme ça, mais je n’en suis pas satisfait, car cela me semble impossible, un croisement entre le discours analytique et celui du maitre.

J’espère vous avoir fait entendre, que ce n’est pas du patient dont je parle, lui ne fait que me parler de son corps, et sa psychose le rend lui plutôt hermétique au discours courant.

Evidemment comme beaucoup de patient, il pioche dans le discours ambiant, pour fonder des éléments de son délire.

Mais le psy-causant à ce moment-là, ce moment que j’ai nommé de suspension, c’est plutôt de mon côté, ou j’ai été confronté à une forme de discours, qui a cloué, mon champ d’action, sur place.

C’est mon corps, c’est mon choix, c’est mon droit, est une phrase qui a été utilisée il y a une dizaine d’année pour soutenir les nouveaux discours féministes radicaux issus des universités Nord-Américaine, c’est une phrase qui revendique un droit de jouissance selon son bon vouloir, sans limite, et pour le dire à la façon de MARX  celui « d’un individu replié sur lui-même, sur son intérêt privé et sur son caprice privé ».

Cette question de c’est son corps, c’est donc son choix, du droit de jouir de son corps, est actuellement un sujet qui est repris par les institutions.

En tout cas de premier abord.

En psychiatrie, il y a un signifiant qui circule, c’est sous le terme d’em-power-ment.

Ce terme général est souvent accompagné du rétablissement, qui est ce qu’on peut attendre de l’effet de l’empowerment et à la réhabilitation qui en serait là ou une des méthodes.  

L’empowerment est un signifiant qui est utilisé pour évoquer l’ensemble des mesures faites pour que le patient soit au centre des décisions qui le concerne pour sa santé.

En soit, c’est plutôt une bonne idée, et on peut imaginer que cela pourrait se rapprocher à première vue de cette notion Freudienne de Nebenmesch. 

Mais je crois que c’est un petit peu plus compliqué, et je vais essayer de vous éclairer en reprenant succinctement l’histoire de cette idée :

L’empowerment signifie littéralement « renforcer ou acquérir le pouvoir ». 

C’est un mot apparu avec le mouvement des black-power aux Etats-Unis, mais aussi dans d’autres groupes minoritaires et qui depuis les années 70 dans le monde anglo-saxon est utilisé abondamment dans divers champs, le social, la santé publique, le développement communautaire.

Puis ce mot a gagné le monde politique, économique, celui des affaires et des administrations mondiales.

Les premières théories élaborées aux Etats-Unis sont une vision philosophique qui donne la priorité au point de vue des opprimés, afin que ces derniers puissent s’exprimer mais aussi acquérir le pouvoir de surmonter la domination dont ils font l’objet. 

Il a été très utilisé par des mouvements féministes en Amérique du Sud et en Inde.

Le concept a progressivement été adopté et coopté par les agences internationales et a diffusé dans les divers secteurs sociaux. 

L’exemple de l’aide internationale m’a apparu assez parlant :

deux mouvements d’empowerment sont possibles Booton-up (les receveurs de programme d’aide en sont les acteurs), 

et Top-Down (qui définit les programmes venant du haut où les récipiendaires ne sont que passifs).

Actuellement ces programmes sont critiqués en raison qu’ils auraient plus d’intérêt à la contribution des pauvres au développement de projets de type top-down, qu’à la contribution du développement au pouvoir des pauvres de type Booton-up.

Ce qui est reproché, pour le dire autrement et sûrement plus benoîtement, c’est qu’il est imposé aux pays pauvres une manière de raisonner, de procéder, pour qu’ils puissent produire et consommer au lieu de leur donner les moyens de trouver leur propre façon de faire et, ou de vivre.

En santé mentale, l’empowerment inclus divers concepts pour donner le pouvoir de décision au malade, des méthodes d’empowerment collectifs : 

– c’est la participation des associations de malade comme l’UNAFAM à la gestion des soins,

  – la création de Conseil Local de Santé Mentale (CLSM), en organisant des liens avec les différents acteurs sociaux de la ville, 

– des programmes de dé-stigmatisations.

Mais aussi individuelle :

– les lois impliquant les juges des libertés et des détentions, 

– la présence de pairs aidants, ce sont des patients ayant choisi de s’investir dans l’entraide après un parcours personnel qui leur a permis de se rétablir.

– et les programmes d’éducations thérapeutiques, en tout genre, destinés aux patients, mais aussi aux proches. Ces programmes, sont beaucoup axés sur la transmission d’un savoir médical, permettant une bonne gestion thérapeutique par le patient, le but est de leur donner les clefs médicales du bon soin. 

L’engouement des administrations envers ce soin, est lié à une étude montrant la diminution des ré-hospitalisations des patients et de rupture thérapeutique chez les patients ayant participé à ces programmes.

Nous pourrions qualifier ce signifiant d’inverti. Cette Inversion du signifié dans le discours de ce mot empowerment, tant que pour les instances internationales, que par l’administration hospitalière pour la psychiatrie, c’est une inversion de la position du savoir, donner le pouvoir au patient, c’est lui faire accepter et prendre à son compte ce savoir médical et soignant.

Vous entendez bien que cette position de Lacan de se soumettre aux positions subjectives du patient, cette position analytique, se trouve subvertie par un autre discours, qui suggère au patient une autre voie, celle de jouir de son corps, mais de jouir en bon consommateur sous prescription pharmacologique.

Ce qui a été à l’œuvre dans ma confusion auprès de ce jeune homme, c’est bien sur l’effet d’un discours courant. Les signifiants « empowerment » et « c’est son corps donc c’est son choix », m’apparaissent de même structure, je proposerais celle du cinquième discours, le discours capitaliste.

Ce discours capitaliste, qui circule dans nos institutions de soin, et j’ai essayé de vous le faire entendre, s’il en était besoin, par cette analogie au discours des institutions internationales, ce discours à quand même un effet, c’est qu’il annule, annihile le discours du maitre, et de conséquence la position du discours médical envers le patient.

Mais cet effet de sidération ressenti lors de ce signifiant articulé par mon patient, a été aussi l’effet de la perversion de ce discours :

Le renversement proposé autour de l’écoute et des propos des patients par ce discours administratif, et relayé par certains, est un coup de force pervers afin de faire admettre au patient le bien-fondé que l’on veut lui imposer en lui faisant croire que c’est lui qui le demande. 

C’est radicalement l’envers de la place de l’analyste qui se fait l’objet du discours de l’Autre.

C’est en effet incompatible avec l’écoute et la prise en compte de la structure psychotique.

Alors « dur » transfert, DUR c’est ce que j’ai ressenti auprès de ce patient, que je pourrais nommer, en faisant un clin d’œil à la résistance de l’analyste, comme une sorte d’irrésistance du transfert aux prises avec ce discours.

J’ai évoqué au début de mon propos, Tosquelles, et en écoutant une émission sur la psychiatrie, il y avait des propos de famille, je crois que c’était le père d’une femme ayant été admise à Saint Alban, et ce père disait que dans ce lieu, ce qu’il avait apprécié, c’est que sa fille avait pu vivre sa folie.

Vivre sa folie, je pense que ce jeune patient, c’est ce qu’il aimerait.